Une bonne nouvelle
#1

Elle plia la lettre avec soin, puis prit la cire chaude pour la cacheter avec soin. Elle appuya le sceau des Di Velija sur le liquide rouge et puis se leva de la confortable chaise sur laquelle elle était installée, derrière son bureau.

Elle s'assura que la cire était sèche d'un coup d'œil et récupéra la missive, avant de sortir sans bruit de la chambre. Elle traversa le couloir d'un bruissement de sa chaude robe de chambre pour aller déposer le courrier sur une table où en trônait un autre qui semblait prêt à partir, puis fit le chemin inverse.
Elle referma la porte derrière elle et enleva sa robe de chambre pour retourner sous les draps, près de Lazzare qui l'observait en souriant.

« Et voilà. »

______

En recevant une lettre de sa mère, Victor sourit et la déplia en instant. Il aurait cru recevoir une lettre plus longue. Mais cette lettre ne s'adressait pas qu'à lui.

Citation :Ma chère Cendre, mon cher Victor,

Merci de nous avoir donner quelques nouvelles après vos péripéties dans le nord. Votre père et moi étions très inquiets lorsque nous avons appris que vous étiez entre la vie et la mort.
Nous sommes vraiment heureux que vous soyez tout deux sains et saufs. Faites attention à vous.

Je souhaiterai vous inviter à revenir passer au moins une soirée chez nous, pour dîner. Vous pouvez venir pour le 28.

Surtout, prenez bien soin de vous. Vous pourrez rester à Malefosse quelques jours pour vous reposer si vous le désirez.

Avec tendresse,

Hemina
Il comprenait à présent pourquoi cette lettre était si courte. A l'évidence, elle avait quelque chose à lui dire. Voire son père aussi. D'habitude, elle lui demandait simplement de venir passer quelques jours, sans pour autant donner de date précise.
Ou peut-être était-elle si claire parce qu'elle invitait Cendre également ?

Il alla retrouver sa sœur pour lui donner.

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#2
Quand elle avait appris que son père tenait à la voir – avec Hemina - à Malefosse, elle savait que ça n'allait pas être une partie de plaisir. En fait, si elle avait pu disparaître à ce moment là, elle l'aurait fait.
Assise dans la diligence, la jeune femme réfléchissait tout en maugréant un peu. L'idée même de revoir Hemina ne la mettait pas en joie, quant à son père... cela faisait plus d'un an qu'ils ne s'étaient pas rencontrés, quand bien même elle était passée à Malefosse plusieurs fois. Elle l'avait évité, à juste raison puisqu'elle le détestait encore. Elle le détestait même encore plus depuis que Lìrulìn avait disparu, et qu'elle avait compris qu'elle ne la reverrait jamais.

« Je ne sais pas ce qu'ils vont annoncer, mais si c'est un second enfant, je jure que je brûle le château. »

Son air était sérieux. Elle avait déjà Victor et Hemina n'était pas encore trop vieille pour faire un second enfant avec Lazzare qui, quoi que vieillissant, rester encore une force de l'âge. Il était tout comme Léonide un homme robuste que le temps taillait petit à petit, sculptant encore plus au fur et à mesure de sa vie.
Lazzare était bien plus beau maintenant, bien plus charismatique. A le voir, on aurait cru que c'était lui le noble de l'histoire, alors même qu'il n'était qu'un simple Nurmeth.

« J'imagine que tu n'as aucune information supplémentaire ? J'aurais au moins pu essayé de me préparer mentalement à ne pas le tuer.... »

La petite peste continuait à déverser son fiel.

La diligence, elle, quittait enfin la route de terre pour les pavés de la ville. Le petit cliquetis des sabots des chevaux indiquèrent aux deux jeunes personnes qu'ils n'étaient plus très loin de leur destination.

Ils n'eurent qu'à attendre quelques minutes supplémentaires pour que la caravane ne s'arrête. Le cocher, un homme sinistre, ouvrit la porte et jeta un regard à l'intérieur. Cendre fut la première à se lever et ne demanda pas d'aide pour descendre. Elle n'était pas encore en présence de son père que déjà son sang semblait bouillir dans ses veines.
Elle jeta un petit regard courroucé à la maison familiale d'Hemina et de Lazzare.

Leur maison à eux, à sa famille à elle, était restée celle de son enfance – celle de Malmont. Un petit manoir sublime. Il était vrai que la demeure de Malmont était moins prestigieuse que celle de Malefosse, mais elle avait un goût authentique – un goût authentique d'amertume.
Cendre jeta un regard à Victor et le suivit en silence alors que deux domestiques attrapaient chacun les bagages plutôt petits des deux taliens. Ils n'avaient pas prévu de s'attarder, chacun ayant ses raisons.

Après avoir passer la porte de la maison de maître, Cendre aperçut Lazzare qui attendait au milieu du couloir, à l'entrée du premier petit salon.
Elle se figea sur place alors même qu'une bonne lui demandait son manteau. Ses doigts se crispèrent. Elle pensa quelques secondes qu'une déflagration allait tout droit sortir de ses lèvres tant sa langue pleine de poison lui brûlait, mais elle n'en fit rien.
Quelques secondes seulement après, elle retirait sagement sa veste et la tendait à la suivante avant d'approcher son père.
Lazzare, lui, était toujours là. Large d'épaule, le regard droit. Il n'avait pas son armure, mais même sans il gardait cette prestance que n'ont que les véritables paladins. Si seulement il avait pu l'être jusque dans son cœur, et pas seulement aux portes de ce dernier.
Cendre eut un sourire crispé. Hemina n'était pas encore là, alors ce n'était pas aussi douloureux que ça ne devait l'être.

« Bonsoir, héros » salua d'un air très solennel Lazzare.
« Bonsoir, Papa » trancha Cendre.

Elle le fixait de ses grands yeux d'or, et il soutenait ce regard. Elle avait changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vu. Elle était plus affirmée, et quoi qu'elle n'avait rien gagné en taille, ses cheveux plus longs et sa tunique la rendaient plus féminines. Il fronça légèrement les sourcils. Sa chère fille n'était plus une enfant mais une sorcière flamboyante aguerrie et reconnue.

« Vous... devriez prendre place, dans le petit salon. Hemina arrive... »

Pour une rare fois, Lazzare était fuyant, presque peureux. Ou peut-être qu'il ménageait simplement la jeune fille ? Cendre suivit Victor dans le petit salon et s'asseya dans le fauteuil où elle s'asseyait toujours, à savoir celui qui en soie verte avait une petite déchirure au pied. C'avait été fait par le chat de Victor dans ses années fougueuses. Depuis, l'animal était horriblement stoïque, à l'image même des gens qui grouillaient dans ce palace.

Elle posa ses mains sur ses genoux et attendit, comme une offrande attends son heure, fière et indomptable à la fois.

« Vous avez fait bon voyage ? »

Lazzare dardait d'un regard insistant Victor, encourageant ce dernier à meubler la conversation, parfaitement conscient que Cendre resterait cette petite poupée de cire désagréable qu'elle était à chaque fois qu'elle venait ici.
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#3

Victor poussa un petit soupir. Il aurait préféré voyager à cheval, trottant tranquillement avec Ablette, galopant parfois au milieu des plaines Taliennes. Mais au lieu de ça, il se retrouvait les fesses posées dans une diligence qui cahotait sur le chemin.
Ah, non. Il avait fait ce qu'il désirait et était parti sur sa jument, marchant au pas vers de l'attelage. Parfois, il s'éloignait pour galoper, profitant du vent froid qui fouettait son visage.

Ceci dit, il restait généralement près d'eux, d'abord parce que si jamais Cendre voulait lui parler, il pouvait très bien faire mine de ne pas l'entendre et de s'éloigner, et ensuite parce que s'il faisait vraiment froid, il pouvait au pire rentrer un peu plus au chaud. Une chaleur très relative. Mais il ne faisait pas très froid.

Il allait donc sur le chemin près du coche lorsqu'il entendit la voix de sa demi-sœur s'élever de là.

« Je ne sais pas ce qu'ils vont annoncer, mais si c'est un second enfant, je jure que je brûle le château. »

Il leva les yeux au ciel, accompagnant son geste par un soupir. Il ne savait pas si elle pouvait vraiment le voir là où il était, et à vrai dire il s'en moquait.
De ses paroles, il s'en moquait aussi dans un certain sens. Il se disait que si même elle était invitée, c'est que la raison était d'importance.

« J'imagine que tu n'as aucune information supplémentaire ? J'aurais au moins pu essayé de me préparer mentalement à ne pas le tuer.... »

Il ricana un peu. Décidément, elle ne s'arrêtait jamais. Il savait qu'elle était déjà énervée de revoir Lazzare et Hemina. Cette réunion promettait d'être amusante. Oui, amusante était le mot.
Il esquissa un sourire sarcastique, qu'il maîtrisait à présent si bien. Un sourire du même genre que ceux habituels de Cendre, finalement.

« Allons, moi je serai ravi d'avoir enfin un petit frère ou bien une petite sœur... Même après 21 ans, il n'est pas trop tard !
Peut-être bien que c'est ça. Je vais me préparer à t'assommer au cas où tu songerais à faire une bêtise. »


A cet instant et malgré son sourire, il était très sérieux. Il savait qu'elle l'était quand elle parlait de brûler la demeure, et il n'hésiterait pas à utiliser la force pour l'en empêcher de ce fait. Un bon petit coup sur le crâne. Il savait que c'était efficace...


Le jeune homme laissa les rênes de son cheval au palefrenier dans la cour et grimpa le perron en enlevant ses gants, puis sa chaude cape de voyage de ses épaules. Il les laissa à la bonne qui semblait n'être là que pour les attendre. Il observa un instant son père puis Cendre, puis délaissa leur duel de regards pour attraper le chat qui passait par là.

« Bonsoir. »

Difficile de savoir s'il répondait à Lazzare, ou bien s'il parlait à Léonard, qu'il avait donc pris dans ses bras et qu'il caressait. Décidément, il était vieux. On aurait presque dit Léonide.
Héros ? Héros mon cul oui. C'était à peu près les pensées que le guerrier eut à ce moment. S'ils étaient des héros, ils auraient eu plus de reconnaissance. Mais en vérité, ils n'étaient que des mercenaires utilisés pour éviter de plus grandes pertes aux armées régulières. Qui s'intéressait véritablement à eux ?

Il semblait ne pas se préoccuper des deux autres membres de sa famille, et passa devant son père pour aller dans le petit salon, sans lui accorder un regard. Après tout, Cendre s'en chargeait déjà suffisamment.
Il était aussi grand que lui maintenant. Sa carrure était encore un peu plus fine, mais il était aussi grand. Et plus jeune, et plus beau. Il le savait. Il lâcha le chat sur le canapé et se retourna finalement vers le paladin, croisant les bras. Il ne s'asseyait pas pour l'instant.

Il l'observait un léger sourire sur les lèvres. Rien que dans l'attitude, on pouvait voir qu'il avait changé. Aurait-il seulement fait ça auparavant ? Non.

« Est-ce qu'on a fait bon voyage ? Évidemment ! Un grand ciel bleu, une chaleur de printemps et surtout l'immense joie qui nous transporte d'être là ! »

En vérité, lui était content d'être rentré un peu. Surtout pour voir sa mère. Mais... Il jeta un coup d'œil vers le fauteuil vert. L'atmosphère était simplement chargée du mécontentement et de la colère d'une autre personne présente...

Il ne parla pas plus. Il n'avait rien d'autre à dire sur le voyage, et même s'il aurait voulu, il n'en aurait pas eu le temps. Une femme, la quarantaine, entra dans le salon avec un grand sourire aux lèvres. Les mêmes yeux azur que Victor.
Victor lui offrit le même sourire que celui qu'elle arborait.

« Bonsoir maman. »

« Bonsoir ! Ravie de voir que vous êtes arrivés ! »

Le jeune homme retraversa la pièce pour aller la serrer un instant dans ses bras. Il se recula ensuite.

« Tu es encore plus beau que la dernière fois que tu es venu ! Toi aussi Cendre, tu t'es embellie. »

Oh, elle savait parfaitement les sentiments de sa belle-fille, qui transpirait de tous les pores de sa peau. Mais elle faisait comme si de rien n'était. Elle n'allait pas jouer au jeu de la haïr autant que l'inverse était vrai, et se contentait simplement de se comporter comme une connaissance proche.

Victor alla finalement s'asseoir près du chat, qui n'avait pas bougé, et à droite de Cendre par la même occasion, attendant la suite du spectacle.

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#4
Musique

La jeune femme leva les yeux au ciel. Là, il en faisait un peu trop. La route jusqu'à Malefosse était longue et pénible. Déjà quand elle était toute jeune elle n'aimait pas quitter Malmont pour Malefosse car les pavés étaient encrassés. Depuis les travaux nécessaires avaient été entrepris, mais il lui restait toujours une mauvaise impression de la région.

Cendre quitta ses pensées quand Hemina arriva dans le petit salon. Elle était joliment vêtue, comme à l'accoutumée. Elle ne manquait aucune mode chez les mondaines et son port était bien plus racé que celui de ce bon Lazzare. L'homme lui jeta d'ailleurs un regard rassuré, comme si sa présence était une bénédiction.
La gorge de Cendre se serra quand Victor se leva et enserra sa mère. Un sourire mécanique et mal à l'aise s'installa sur son minois pâlissant.

« Merci Hemina.. Vous êtes.. Votre robe est très seyante également... »

Elle le pensait vraiment mais il était vrai que ce n'était pas vraiment dans ses habitudes de se montrer courtoise avec l'amante de son père.
Elle s'enfonça un peu plus dans son fauteuil et ses doigts s'enlacèrent. Cendre se pinça les lèvres. Le silence qui s'était installé était lourd, pesant. Il en était presque poisseux. Elle ne se sentait pas mal, mais il y avait là comme une impression de prise au piège.
Elle fronça délicatement les sourcils, ce qui lui donnait un air un peu enfantin et bougon.
Aucun d'eux ne voulait se lancer. Hemina fixait Lazzare, lui intimant de commencer, mais le paladin était hésitant. Il cherchait sans doute comment aborder la chose.

« Je ne suis pas pour » commença Cendre, laissant Lazzare surpris – est-ce qu'elle savait déjà ? « Je n'ai sans doute pas mon mot à dire, comme je n'ai jamais eu mon mot à dire sur ta vie, mon Père, mais je ne l'accepterais pas. Victor est mon seul frère, et ma seule famille. Je n'accepterais pas un second bâtard. »

De nouveau, un malaise s'installa. Lazzare ne savait pas s'il devait rire de la méprise ou s'il devait justement pleurer, car de bâtard bientôt il ne serait plus jamais question.
Cendre, légèrement agacée par les silences répétés et répétitifs, se leva d'un coup. Ses joues étaient légèrement rougies.

« Si c'était juste pour m'annoncer que vous alliez encore avoir un enfant, vous auriez pu vous en passer. Mon avis et ma présence n'étaient en aucun cas requis. »

Lazzare inspira profondément et tapa d'un coup sec sur l'accoudoir de bois de son fauteuil, faisant sursauter sa fille aînée.

« Si ce n'était que pour ça, nous ne t'aurions pas dérangé Cendre. Maintenant, assis-toi, car la raison de notre convocation est bien plus formelle et … par respect, j'aimerais que tu l'entendes de vive voix. »

« Si tu comptes me déshériter, tu peux » recommença la rousse en se rasseyant sur son fauteuil, « je ne voulais déjà pas de ton nom, alors de ton domaine... »

« Cendre. Hemina et moi, nous allons nous marier. »

La jeune sorcière eut un hoquet de surprise et jeta un regard à Victor, comme pour demander s'il avait bien entendu ce qu'elle venait d'entendre.
Elle darda de nouveau son père d'un regard incompris, puis rapidement, comme à son habitude, la colère monta. Elle frappa elle aussi sur l'accoudoir de son fauteuil alors que ses yeux d'or brillaient d'une terrible lueur.
Elle allait tous les brûler.

« Tu ne peux pas te marier ! Tu es marié à ma mère ! » vociféra la rousse.
« Cendre, Cendre... Ça fait un an que ta mère a disparu, un an que Lìrulìn n'a plus montré la moindre trace de vie. J'y ai cru, crois-moi, mais là... je n'y crois plus. » Il la regarda, d'un air sincèrement désolé. « Je n'ai plus le courage d'y croire, pardonne-moi. »

La jeune femme fixait Lazzare comme si tout ce qu'elle voyait n'était qu'une violente hallucination, un cauchemar. Oui, pour vrai, tout ceci n'était forcément qu'un cauchemar et elle allait réveiller. Sa mère serait là, auprès de son lit, à lui tamponner doucement le front. Lenwë lui apporterait de petits chocolats fourrés de caramel comme elle aimait tant. Victor n'aurait que quatorze ans et ils s'entendraient comme deux enfants...
De petites perles se formèrent au coin des paupières de Cendre.
Après la visite à Cyrijäl, elle avait appris que jamais la caravane partie d'Asteras n'était arrivée. On avait plus jamais entendu parler de Lìrulìn depuis plus de trois ans. Peut-être que Lazzare avait raison, peut-être bien que Lìrulìn était morte, mais était-ce trop de demander un tant soit peu de compassion ?
Elle leva sa main et essuya rageusement une larme.

« Selon la loi talienne, Hemina et moi avons le droit de nous marier » dit-il avec un peu plus d'entrain, jetant un regard à Victor, cherchant pour la première fois un appui dans cette famille qui ne tenait pas debout, qui ne tenait qu'à la force de sa voix et de sa force, « Nous avons attendu cinq-cent-cinquante jours comme le veut la tradition. Hier, la statuette de ta mère - »
« De ton épouse » répondit, malade, Cendre.
« - a été détruite et j'ai regagné le cœur de ma statuette. Hemina et moi pouvons cette fois échanger nos cœurs et... »
« Selon la loi elfe, tu n'aurais jamais du avoir de maîtresse et tu devrais mourir de chagrin si tu n'avais ne serais-ce qu'un tant soit peu aimer ma mère. »

Cendre se leva et ses yeux rougies par les pleurs jetèrent un regard circulaire à la pièce. Par quel bout allait-elle commencer ? Quel mur allait brûler le premier ?

« Comment oses-tu croire qu'elle est morte ? »

Une flamme s'échappa de sa main droite, mais elle la serra si bien que la boule fut contenue dans sa paume sans la brûler. Lazzare se leva, se mettant naturellement devant Hemina, mais la sorcière n'avait pas l'attention de blesser qui que ce soit ici.
Non, c'était plutôt l'inverse. Lazzare, encore et encore, égoïste jusqu'au bout, venait de sortir de terre une hache de guerre qu'elle avait cru enterré.
Un an plus tard, il lui broyait le cœur.

« Pour un paladin, tu n'as aucune – et je dis bien – aucune dignité, aucun honneur. Tu n'es qu'un chien, Lazzare di Scudira, » elle fit deux pas en arrière, vacillant mais se tint droite, avant de jeter un regard à Hemina, pour finalement de nouveau regarder Lazzare avec un regard dégoûté « tu n'es qu'un chien, et tu ne mérites qu'une chienne. »

Sur ces derniers mots, et ignorant totalement la réaction de Victor, Cendre sortit en trombe, poussant par là un domestique un peu trop curieux et sortit de la bâtisse.
Elle avait déjà fait ce chemin cent fois dans son adolescence. Elle se mit à courir à en perdre haleine, plusieurs longues minutes, et puis au bout d'un moment se laissa tomber.

La maison de Malefosse était entourée d'un petit bois où on pratiquait régulièrement la chasse à cours. Elle était magnifique et sauvage. On y trouvait des loups, des cerfs et quelques sangliers.
Aujourd'hui, on y trouvait une jeune sorcière à genoux entre deux fourrées, serrant contre elle une main brûlante et brûlée, pleurant toutes les larmes que ce pauvre corps aurait pu contenir, un bruit rauque coulant de sa gorge comme elle semblait s'étouffer tant la douleur était insupportable.

Si au moins Lenwë était là, pensa-t-elle en reniflant.
Si seulement je n'étais pas venue...
Si seulement Lìrulìn...
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#5

Victor esquissa un fin sourire. Il s'en doutait. Si ça n'était pas un enfant, ça ne pouvait être que le mariage. Il y a trop longtemps que Lirulin avait disparu.
Enfin. Cela faisait des années qu'il attendait ça. Depuis qu'il avait compris que ses parents n'étaient pas mariés à cause d'une autre femme. Depuis que Lazzare n'avait pas voulu divorcer pour ne pas achever Lirulin... Et que sa mère en avait souffert. Mais après plus de vingt années ensemble, il allait les voir se marier.
Et peut-être qu'il aurait bien une petite sœur ou un petit frère après ça.

Il avait appuyé son coude sur l'accoudoir du canapé et appuyé son menton sur sa main. Il cachait son sourire sous ses doigts, écoutant et observant la conversation qui s'envenimait à chaque mot. Il surveillait surtout Cendre du coin de l'œil.
Il ne regarda pas son père lorsque celui-ci cherchait son appui et se contenta de dévoiler son petit sourire à sa mère. Il était heureux pour elle. Elle aussi avait souffert de cette relation. D'une autre manière et dans une moindre mesure, probablement, mais sa demi-sœur semblait croire qu'elles étaient les seules à avoir souffert, sa mère et elle.

Il se releva tranquillement lorsqu'elle fit apparaître des flammes au creux de sa main. Il était près d'elle, alors il n'aurait aucun mal à intervenir si elle venait à réellement se servir de sa magie à l'encontre des êtres présents ou même de la pauvre masure, qui n'avait rien demandé.

Mais il n'en eut pas besoin. Après qu'elle est disparue en courant, il posa les yeux sur son père et applaudit. Après quelques clappements, il se stoppa et parla d'un ton badin.

« Excellent premier acte ! J'imagine que c'est l'entracte ?
Je suis sûr que l'histoire de notre famille ferait une excellente pièce dramatique. Non ? »


Il soupira et changea d'air, laissant peser un regard lourd sur son père.

« Peut-être qu'un jour, tu sauras comment t'y prendre avec elle. Et que tu raconteras tout ce qui a bien pu se passer à l'époque. »

Il donna une caresse à Léonard, qui s'était assis sur le canapé et observait la scène, muet spectateur.
Hemina était restée silencieuse, et semblait pour une fois mal à l'aise.

« Ça va aller, maman. »

Le jeune homme l'avait dit sur un ton assuré et le pensait réellement. Ça allait aller pour elle, au moins. Pour Lazzare aussi, puisqu'il se préoccupait plus de sa future femme que de sa fille. Et pour lui-même, au fond, cela ne changeait pas grand chose.

Il fit quelques pas en direction des portes du salon.

« J'imagine que c'est encore moi qui vais devoir recoller les morceaux, si tant est que cela soit possible. Si je ne reviens pas d'ici une heure, ne m'attendez pas pour dîner, ça voudrait dire que je ramène Cendre à Yris. Ou en tout cas assez loin d'ici pour qu'elle ne brûle pas tout. »

Il sortit donc en lançant un : « Tous mes vœux de bonheur !», le sourire aux lèvres.

Il récupéra les affaires de Cendre et sortit pour reprendre son cheval, accrochant les affaires à la selle dès qu'il l'eut remise. Il aida le palefrenier puis partit au trot en direction du bois.
Elle était fatigante. Elle aurait dû savoir que ça allait arriver. Et elle-même savait que sa mère était morte. Elle ne voulait juste pas se l'avouer. Lazzare était égoïste, oui. Mais elle aussi. Qui ne l'était pas ?
Ça faisait bien longtemps que tout était bancal dans leur famille, et peut-être que ça allait enfin s'arranger. Enfin, pour les Di Velija. Lui aussi était égoïste après tout. Il pourrait vraiment récupérer le domaine et tous les biens de son père en plus de ceux de sa mère à présent, puisque sa demi-sœur n'en voudrait pas.

Il observait et écoutait le bois, cherchant à la retrouver. Il finit par entendre des sanglots, et voir un petit corps serré sur lui-même. Il descendit de cheval et se dirigea vers elle.

« Cendre, je te ramène à Yris. Viens. »

Il n'excluait pas la possibilité qu'elle l'attaque, auquel cas il ne pourrait pas faire grand chose. Elle était dans une colère noire en plus de sa tristesse. Après tout, il était le fils d'un chien et d'une chienne qu'elle abhorrait et ses sentiments étaient comme une tempête.
Il n'avait pas envie de la consoler. C'était toujours la même chose. Peut-être qu'il la prendrait dans ses bras pour la calmer.

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#6
Toute sa vie était en miette.
Fallait-il bien le prendre ? Sans doute que n'importe qui en aurait eu assez, mais ce n'était pas le cas de Cendre. La jeune femme avait de nombreuses ressources. Avoir passé son enfance au bord de la mort avait forgé chez elle une certaine combativité.
Elle savait qu'une fois la douleur acceptée, elle redeviendrait ce qu'elle avait toujours été, une guerrière virulente, une sorcière sans limite.
Son père n'était qu'un pion, et pour que la partie aille de mieux en mieux, elle savait ce qui lui restait à faire.

Un petit sanglot ravalé, la sorcière entendit des bruits de pas entre les bosquets. C'était à coup sûr Victor, car Lazzare n'avait jamais pris la peine d'être véritablement à l'écoute de sa fille. Il s'était sentit mis à l'écart à un moment de sa vie où pourtant elle avait eu le plus besoin de lui.
Elle inspira profondément pour reprendre son souffle et se mordit la lèvre pour ne pas gémir.

« Cendre, je te ramène à Yris. Viens. »

« N-Non... » hoqueta-t-elle.

Cendre tourna légèrement la tête jusqu'à apercevoir Victor.

Quelque chose dans ses yeux avaient changé.

« R-reste avec eux. Profite... en.. »

Un nouveau sanglot s'étouffa à l'intérieur, mais elle le ravala aussitôt.

C'était après tout ce qui s'était passé pendant plus de dix ans, pas vrai ?
Son sourire devint sardonique alors que la jeune sorcière se relevait lentement, essuyant de nouveau ses grosses larmes sans succès - ses joues étaient rendues humides et rouges.

« Ne viens pas me voir... Ne v-viens pas me voir alors que tu dois être... t-tellement heureux... »

Le feu de sa main se mit à grossir soudainement, triplant de volume. Une aura sombre entourait la jeune femme alors qu'elle faisait un pas en arrière.

« Tellement … heu-reux... »

Une explosion de flamme suivit le crachat du venin de la petite vipère. Un cercle parfait d'herbe fut réduit à un tas de cendre. L'écorce des arbres avait noirci et les feuilles étaient léchées par des flammes qui mourraient aussitôt, évocation éphémère de la colère de Cendre.

Elle renifla une nouvelle fois et son souffle se calma. Elle avait certes ce petit air toujours mauvais, mais elle ne pouvait décidément pas laisser passer ça. Ce n'était pas digne d'un paladin. Ce n'était pas digne de son père.

Elle le darda du regard le plus dur du monde, mais ce n'était pas à lui qu'elle en voulait :

« Tous mes vœux à ta famille. »

Cendre serra les dents pour ne pas laisser éclater de nouveau une aura de flamme. Elle tira sur sa robe et fendit les buissons de ronce pour sortir du petit bois de Malefosse.
Elle ne tenait en effet pas à rester plus d'une minute ici.
Elle allait partir au Nord pour étudier de nouveau avec attention la route qu'avait pris cette petite diligence, et elle révélerait au monde entier de quelle triste façon Cendre Meneldä avait perdu sa mère.
Léonide serait là pour l'épauler à n'en pas douter, car lui aussi avait ce terrible avis sur son frère, et Evrard leur cousin. Elle irait dormir cette nuit chez leur tante qui habitait à quelques pâtés de maison d'ici, et elle ne rêverait plus, car il n'y avait plus rien à rêver à part peut-être de Lenwë.
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#7

Elle lui faisait presque de la peine. Petit, il la jalousait d'être la fille légitime, mais vu ce qu'il s'était passé ensuite, il ne la jalousait plus du tout. Et ce soir, oui, il était content, pour lui. Égoïstement.
Bien sûr qu'il allait en profiter. Beaucoup. Il allait s'amuser même. Par exemple, il allait leur parler de Selinde, un peu. Cendre allait louper ça.

Mais là... Il recula et releva son bras droit en réflexe devant son visage. Malheureusement, il n'avait pas son bouclier. Et heureusement, l'explosion de flamme ne l'atteint. Ce n'était pas le but de Cendre. Elle avait toujours montré sa colère par la magie, mais c'était toujours un peu effrayant. Encore qu'aujourd'hui, il était habitué.

Il était heureux, mais son instinct de frère ne pouvait qu'être mal pour sa sœur dont il voyait la douleur au fond des yeux. Et il ne pouvait rien faire.

« Tous mes vœux à ta famille. »

Il resta silencieux et soutint son regard sans broncher. C'était l'un des rares moments où il ne pouvait pas plaisanter.

Il l'observa partir pendant quelques instants puis retourna chercher son cheval et la rattrapa, poussant un petit soupir. Il n'allait pas la suivre, non, et il allait retourner auprès de ses parents, mais avant ça...

« Tes affaires. »

Il fit aller Ablette au pas à côté de Cendre et lui donna son manteau et son bagage. Il lui accorda un regard neutre, l'air toutefois sombre, et fit demi-tour.

« Si jamais tu as besoin de moi, tu sais où me trouver à Yris. Prends soin de toi. »

Tant qu'elle ne faisait pas de bêtises.

Il repartit au galop vers sa maison et ses parents.

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