[RP] Longue vie au Roi !
#31
Selinde haussa un sourcil incrédule.

“Vous avez envoyé un homme, reconnu pour son absence de moralité et pour son ambition démesurée pour votre trône, auprès d'une démone tentatrice ayant déjà corrompu nombre de Concordiens par ses doucereuses promesses de conquête.

Avez-vous seulement conscience du risque immodéré que vous avez pris en réunissant de pareils individus qui n'ont, à première vue, nul intérêt à s'affronter ?”


Si le fond de ses propos sonnait comme une critique à peine voilé, sa voix était nue de toute condescendance. Le peu que la sorcière avait échangé avec la démone l'avait assurée d'un fait incontestable ; Vi'aria était dotée d'une intelligence remarquable que des millénaires avaient acérée et aiguisée. S'emparer de Balard par l'intermédiaire de son caldras lui procurerait un avantage non-négligeable dans sa guerre, discrète mais bien réelle, avec les Holdars.

Quant à Mierelli, s'il était comme on le décrivait, il sauverait sa peau sans l'ombre d'une hésitation en s'assurant en prime d'un soutien démoniaque pour son royal dessein.
Du moins, s'il n'était pas déjà un pion dans des mains immortelles.

Selinde soupira légèrement, les yeux à présent rivés sur la fiole. Plus il lui était révélé d'informations, plus elle en notait les absurdités. Elle leva les yeux pour les fixer sur sa souveraine et lui offrit un sourire assuré, mêlant aussi bien la malice que la détermination sur ses traits agréables. L'audacieuse commença son exposé.

“Je suis navrée, Votre Altesse, mais je persiste dans mon intuition de départ. Bien que ce constat me déplait hautement, j'en viens à douter de la culpabilité de Mierelli, trop évidente en apparence.

J'aimerai réellement me tromper et vous offrir de le démasquer… en échange de son titre. Tel aurait été le prix pour vous assurer de sa chute imminente, mais s'il n'est qu'un leurre, sa disparition prématurée sur l'échiquier politique ne vous sera d'aucun secours.

Voyez-vous, je ne peux me résoudre à croire en la sottise crasse d'un homme éduqué à gouverner le caldrasir le plus riche du royaume talien. Je ne peux me résoudre à imaginer qu'un homme se sachant hautement soupçonné se permette de laisser des indices aussi compromettants dans une demeure vide.

Cette étude, dont vous venez de parler… Il s'agit d'un document que le coupable prudent lit et mémorise scrupuleusement avant de le brûler avec soin. Seuls les sots et les vaniteux font l'erreur de le conserver, à plus forte raison loin de leurs yeux.

Mais ce n'est pas tout. Ce liquide, en lui-même, est une anomalie.”


Elle marqua une pause, laissant quelques secondes de réflexion à Elene Volaran avant de continuer.

“Seul un amateur userait d'un procédé inutilement compliqué pour obtenir un résultat aussi trivial que la mort. A vrai dire, l'art de l'intrigue, comme celui de l'assassinat, est un savant compromis entre l'efficacité et la prudence ; ce complot-ci ne dispose ni de l'un, ni de l'autre.

En effet, pour atteindre le roi à partir de cette machination, le coupable a du, non seulement lui faire ingurgiter ce liquide nocif, mais aussi lui faire consommer sur la durée du blé corrompu. Une difficulté supplémentaire fort étrange quand on sait qu'il existe bien assez de poisons mortels pour se contenter de la première étape.”


Cette fois-ci, elle s'intéressa plus longuement au liquide, l'observant d'un oeil soupçonneux et songeur.

“Puis-je également m'enquérir de l'état de Sa Majesté ? A-t-on pu noter une amélioration, même très sensible, depuis que son alimentation est dépourvue de ce maudit blé ?

Si je puis me permettre une suggestion en vous conseillant de ne pas vous priver d'expérimenter ce produit sur des rats, dans divers postulats. Avec ou sans consommation de blé, etc. Peut-être obtiendrez-vous quelques résultats intéressants en comparant les différences d'un échantillon à l'autre.”
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#32
Les yeux ébahis, la princesse resta coite à l'écoute du discours de Selinde. Elle ferma les yeux un instant pour réprimer quelques larmes et porta sa main à sa bouche pour étouffer un bâillement. Son interlocutrice n'était pas dupe, ses propos virulents l'avaient blessée et la mettaient face à ses erreurs.

Lorsque la mage eut fini, un silence pesant s'installa, et Elene se résigna à le rompre en gardant une certaine contenance.

Il est possible que j'ai agi imprudemment, en envoyant le caldras au front. Mais je sais de source sûre qu'il n'a encore rencontré aucun démon.

Elle s'apprêtait à poursuivre lorsqu'on toqua à la porte. D'une voix forte, elle autorisa à entrer et un serviteur se présenta avec un plateau chargé de victuailles appétissantes et de boissons fraîches. Il déposa sa charge sur un coin du bureau. Le remerciant d'un geste, elle prit deux verres qu'elle remplit et en tendit un à son invitée.

Le majordome disparut pendant qu'elle se désaltérait. Lorsque les deux femmes furent de nouveau seules, elle reprit son discours.

Mierelli n'est pas le caldras le plus ingénieux, sinon nous n'aurions jamais surpris ses manigances envers mon père. Vous portez son intelligence en haute estime autant que je la dénigre. Il faut convenir d'un juste milieu, me semble-t-il.

La richesse de Balard provient en très grande partie de l'export de céréales, que beaucoup de nos régions consomment. La difficulté est loin d'être insurmontable, puisque nous ne dérogeons pas à la règle. Ce procédé fantasque est progressif, les symptômes apparaissent petit à petit pour nous conduire sur la fausse piste d'une maladie naturelle. Sans le décès du goûteur, nous serions toujours dans l'erreur.

Vos dires ont tout de même éveillé ma curiosité. Les preuves ont peut-être été découvertes un peu trop facilement, et un homme avisé aurait en effet brûlé les parchemins avant d'écoper sa peine loin de son domaine sans surveillance. Serait-il possible qu'il ne soit qu'un pion ?


Elle s'accorda un moment de réflexion mais la proposition d'aide de la talienne lui revint en mémoire. Elle n'était pas en mesure de remplir sa demande particulière.. Tant que son père serait vivant, elle ne pouvait disposer de son pouvoir.

J'ai bien peur de ne pas pouvoir satisfaire vos conditions, le roi est le seul à pouvoir apposer sa signature sur l'acte cédant les terres à votre personne. Sa santé se stabilisant avec un régime sans céréales, j'ai espoir en son rétablissement.

Nous sommes donc dans une impasse.
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#33
Je savais l'héritière des Volaran épuisée par ses longues semaines de veille au chevet de son père. Je la savais désemparée face à une situation qui avait ébranlé sa détermination et encerclé ses beaux yeux verts de sinistres cernes. Je me souvenais encore de cette nuit-là, lorsque je l'avais surprise dans un couloirs vide. Si fragile avec sa dague qui tremblait dans sa main gracile. Mais si courageuse devant l'adversité, à faire face contre la menace invisible que je représentais.

Cette nuit-là, elle avait été la souveraine que je souhaitais servir. Cette nuit-là, je l'aurai suivie bien au-delà du cinquième royaume d'Anastraph. Mais elle m'avait interdit jusqu'à l'obtention de son respect, me retirant l'illusion de lui avoir été proche ne serait-ce qu'un instant.

Alors, sans vergogne, je déployais une lucide et minutieuse cruauté pour cibler ses faiblesses. Une à une, je les tissais en une tapisserie d'un répugnant réalisme et je la déstabilisais par de sournoises vérités, appuyant notamment sur son lien filial avec le roi. Je la voyais, elle apprenait, peu à peu, dans la douleur. Elle tenait bon, malgré les discrètes larmes qui se dissimulaient vainement dans le coin de ses yeux. A la fin de notre entrevue, elle me haïrait probablement volontiers, mais elle serait mieux armée pour l'avenir.

Je ne m'étais pas départie de mon sourire à l'annonce de son prévisible refus et haussai les épaules, faussement innocente.

“Il n'y a jamais d'impasse, Votre Altesse, seulement des chemins détournés à emprunter pour arriver à sa destination. Peut-être, dans le fond, est-ce pour cette raison que je suis si peu influençable... Parce que nul autre que moi-même n'est en mesure de m'offrir ce à quoi j'aspire.

N'ayez crainte, je vais découvrir le fin mot de cette histoire pour vous. Vous n'aurez qu'à me remercier exactement comme la dernière fois, par une porte fermée. C'est, d'expérience, ainsi que la caste régnante d'Asteras comme d'Yris témoigne de sa reconnaissance envers ses sujets.”

Mon ton s'était fait plus âpre que je ne l'avais voulu. Même la menteuse chevronnée que j'étais ne parvenait à taire la rancune tenace que j'éprouvais à l'encontre des autorités elfiques.

La coupe de vin en main, je faisais délicatement tourner le liquide avant de le porter à mes lèvres. Je choisis d'adoucir mes propos, sincèrement compatissante de l'état de santé de Sa Majesté.

“Je suis ravie d'apprendre la rémission notable de notre bon roi. Puisse les Dieux lui offrir le prompt rétablissement qu'il mérite amplement.

Vous avez raison sur un point. Je l'avoue, j'ai tendance à oublier que les règles qui régissent l'aristocratie ne sont pas les mêmes que celles des ruelles malfamées dans lesquelles j'ai grandi. Ce n'est ni le plus rusé, ni le plus apte qui détient le pouvoir, mais celui qui naît dans le bon lit. La survie n'est pas l'apanage du fort ou de l'astucieux, mais du fortuné.”


Je me gardai bien de lui souligner avec quelle ingéniosité la famille Mierelli s'était offert l'ascendant sur la royauté et les autres maisons nobles par un monopole céréalier stratégique et florissant. Elene Volaran n'était en rien responsable du manque de perspectives économiques de ses aïeuls.

“Dans un sens, nous sommes bien chanceux que seule la Maison royale n'ait été touchée par cette magie inconnue.

Avec à sa disposition tous les greniers à grains du royaume, il n'aurait pas été si difficile pour le Caldras de neutraliser toutes les garnisons d'Yris et des alentours afin de parachever son coup d'état par la suprématie militaire. Vous auriez été bien en peine de refuser votre main à son fils ainé, ainsi démunie de toute protection armée.”


Je ne pus retenir un petit rire narquois, toujours amusée de l'absence de machiavélisme de mes contemporains. Je fis part de mes nouvelles réflexions à voix haute, révélant à la princesse le cheminement des mes pensées sans aucune pudeur.

“Médéon Mierelli, s'il est bien coupable, est peut-être bien aussi sot que vous ne le soupçonniez. Ou alors il ne disposait pas de la quantité suffisante pour un plan d'une telle envergure. S'il était en mesure de synthétiser la substance lui-même, ce problème ne se serait pas posé. L'hypothèse d'un fournisseur disposant d'un savoir arcanique inconnu et dangereux est donc la plus probable...

Je me demande bien quelle quantité exacte de liquide est nécessaire pour activer le mal… Seriez-vous disposée à me montrer le document trouvé dans la demeure des Mierelli, qui doit en faire précisément état ? Ce genre de détail n'est jamais anodin. La manière de corrompre les céréales y est-elle inscrite également ? Et… je souhaiterai une entrevue avec les mages ayant découvert et étudié la corruption magique du blé.”
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#34
Elene reçut l'attaque verbale de plein fouet, la laissant sans voix. Elle avait beau se montrer forte face à ses sujets, la cheffe de la salamandre ne ménageait pas ses propos, sans une once de pitié pour les dernières semaines trop intenses pour la jeune dirigeante.

Elle n'avait pas voulu reprendre le flambeau si prématurément, elle n'avait pas voulu vieillir si rapidement avec les responsabilités royales, elle n'avait pas voulu diriger un royaume sans avoir l'expérience pour le faire, mais elle aurait voulu cracher toute sa colère à la gueule de cette petite narcissique jouant avec les sentiments.

Elle demeura silencieuse réfrénant sa colère intérieurement. Non, elle croyait que Selinde pardonnerait son erreur et la comprendrait, la soutiendrait. Il n'en était rien, elle avait voulu croire en une amitié, sauf qu'encore une fois, l'illusion d'un espoir avait pris le pas sur la raison.

Elle se pencha sur un coin du bureau où s'entassait des parchemins pour en extraire un au milieu de la pile. Elle le tendit à son interlocutrice avec un regard froid.

Citation :Mierelli,

Voici les indications pour accélérer la mort du roi, sans soupçon et de façon presque naturelle.

1 - Le roi doit avaler tout le contenu de la fiole jointe à cette missive. Faites-le dans les plus brefs délais et garder cette fiole à l'abri de la lumière. Si vous tardez trop, le poison n'aura pas le temps de s'installer dans l'organisme avant la seconde étape.

2 - Vous avez jusqu'à six mois pour que le roi consomme une première fois le blé modifié selon le protocole de ma précédente missive. Le goût est légèrement modifié mais seul un palais confirmé s'en apercevra. Vous pouvez toujours prétexter une année pluvieuse si cela se produit.
Le catalyseur dissimulé dans la céréale réagira avec le poison mêlé au sang. Le mal se répandra dans tout l'organisme, affaiblissant petit à petit le cœur et provoquant des délires et des montées de fièvres. Ces symptômes sont caractéristiques de plusieurs maladies connues : les soigneurs royaux seront dans l'incapacité de le guérir.

3 - La défense naturelle du roi tentera de contrer cette attaque : il vous faut donc garantir une consommation quotidienne pendant plusieurs mois pour que la fin - la mort - soit irréversible. Je doute qu'un remède soit trouvé, vous n'aurez aucune crainte sur un éventuel rétablissement, sous réserve de la consommation quotidienne.

Si vous suivez ces instructions à la lettre, vous serez débarrassé de votre suzerain prochainement. Vous devrez alors respecter votre part du marché.

Soyez patient.

L.
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#35
“Puis-je ?”, demanda Selinde après avoir lu le parchemin. L'absence de mention des huit symptômes précédemment évoqués la surprit quelque peu. La princesse devait avoir ses raisons de ne pas le lui dévoiler.

Sans attendre la moindre réponse de la princesse, la sorcière plia le document et le glissa dans son corsage avant de se lever et de s'incliner avec déférence devant la jeune femme. Celle-ci fulminait, ses nerfs probablement à bout. Il n'était plus temps de jouer avec le feu des passions.

“Permettez-moi de prendre congés et de ne pas vous importuner d'avantages durant votre repas. Ma présence rendrait tous ces somptueux mets désagréables, j'en ai peur. Mieux vaut que j'entame dés l'instant, les recherches auprès de vos mages.”


Délicatement, elle dégrafa la broche en forme de Salamandre qu'elle portait sur sa tenue et la déposa sur le bureau. Elle la poussa vers Elene, doucement.

“Lorsque vous souhaiterez me parler en dehors de toute convenance officielle, portez ce fibule bien à la vue de vos domestiques. Je serai, alors, informée de votre volonté et me faufilerai, dés qu'il me le sera possible, dans ce château comme la dernière fois.”

Ses yeux se fixèrent, chargés d'une espérance mélancolique, dans ceux d'un vert lumineux d'Elene.

“J'ai toujours confiance en votre bon jugement, Votre Altesse.”

Sur ces mots énigmatiques, elle se retourna et prit la direction de la sortie.
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#36
Citation :HRP : la demeure du Caldras est placée sur Ecridel, mais l'enquête dépend de l'orientation prise.
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#37
Avisant de la tombée de la nuit, la sorcière avait reporté son interrogatoire arcanique au lendemain pour se diriger, perchée sur sa monture féérique, vers les quartiers du port. A cette heure, les rues sont désertées des braves et honnêtes gens, et seules demeurent éveillées les âmes délictueuses affairées à leurs coupables offices. Selinde n'en croisa aucune, le martèlement des sabots sur les pavés attisant la crainte d'une patrouille nocturne. Cela n'avait pas d'importance ; nul ne l'aurait importunée. Sa chevelure blanche caractéristique était connue ici, dans ces rues où elle était née vingt-cinq ans plus tôt.

A l'angle de la ruelle, elle s'arrêta un instant, le regard évasif scrutant l'étroite artère à sa droite. Malgré l'insistance de Dione à ce sujet, elle n'y retournerait pas, non. Sa mère pouvait bien aller au diable. Après ce bref temps d'hésitation, elle éperonna sa licorne noire et bifurqua sur la gauche. Ce n'est que devant la devanture d'une modeste échoppe qu'elle s'arrêta. La lueur des bougies qui perçait faiblement derrière les fenêtres poussiéreuses l'informa de la présence de son propriétaire.

Le lieu ne différait pas de ses souvenirs. Rien n'avait changé entre les fissures qui lézardaient les murs ternis par les intempéries et le temps, et la pancarte de bois, branlante, qui indiquait en des lettres effacées “Librairie”. Un tel commerce pouvait paraître incongru dans ce quartier, mais nul n'y prêtait plus attention. Il avait toujours été là, de mémoire d'homme, avec son vieux conteur dont on avait oublié l'âge vénérable par la force de l'habitude, mais dont on savait que, chaque matin, il serait là à raconter ses histoires à qui voudrait les entendre.

Après avoir mis pied à terre, elle poussa la lourde porte dont le grincement sourd fit sursauter le vieillard penché sur un ouvrage.

“Je suis désolé. Nous sommes fermés pour ce soir et…”, commença-t-il par réflexe, sans prendre la peine de relever la tête de sa littérature avant d'être interrompu froidement par la jeune femme.

“Bonsoir Vieil Homme.”

Cette voix, qu'il ne connaissait que trop bien, le fit tressauter et aviser du regard la nouvelle venue. Il écarquilla ses petits yeux fatigués et éclata d'un rire jovial.

“Selinde ! Par les dieux, quelle joie ! Je ne pensais jamais te revoir !”


Il se leva de sa chaise aussi prestement que son grand âge le lui permettait, aidé dans sa démarche rendue difficile par l'arthrose, par une canne de bois. Il enlaça la sorcière chaleureusement qui le lui rendit bien volontiers. Bien vite, Selinde retrouva un air grave.

“Tu t'en doutes, Vieillard, ce n'est pas une visite de courtoisie. J'ai besoin de tes services.”

“Après un recueil de fables subversives, de quel ouvrage victime de la censure aurais-tu besoin ? Si tu ne trouves pas ton bonheur dans ces rayons, je ferai mon possible pour te dénicher ton bonheur par le biais de quelques connaissances.”

Il fit un vague geste de la main afin d'attirer le regard de la pyromancienne sur les étagères remplies de livres et de grimoires tout autour d'eux. Sa collection traitait de sujets divers et se composait tout aussi bien d'ouvrages de référence que de traités réputés introuvables pour leur caractère transgressif.

“Je parlais de ton autre activité.”

Le libraire se tut un instant et soudainement ragaillardi, se dirigea vers la porte de son établissement qu'il verrouilla à double tour après avoir vérifié l'extérieur d'un oeil soupçonneux. Il se tourna vers Selinde et lui jeta un regard entendu. Sans un mot, elle s'exécuta, s'agenouillant pour rouler un vieux tapis miteux et en révéler une trappe dissimulée.

Armés d'une torche, tous deux descendirent dans la mystérieuse où les attendaient le surprenant matériel du conteur d'histoires. Des parchemins et des plumes de tout type, des loupes, des cachets officiels… parfaitement imités. Il s'installa à sa table de travail, déjà épuisé par ce faible effort sur ces vieux os. Selinde sortit de son corset un papier qu'elle déplia et tendit à l'ancien.

“J'ai besoin de références crédibles, mon ami. Ce L., j'ai besoin qu'il me recommande à Mierelli.”

Sceptique à l'évocation du nom du caldras de Balard, le vieil homme s'empara de la missive sans un mot. Tout au long de sa lecture, son visage se décomposa et prit une extrême pâleur. Ses mains s'agitaient faisant trembler le papier de manière inquiétante.

“C'est… Selinde, c'est trop ! Tu m'aurais demandé n'importe quel laissez-passer officiel, je te l'aurai fourni. Mais ça ! Ca, ça va bien trop loin. On parle de l'empoisonnement de notre bon roi par un des seigneurs les plus puissants du royaume !”

Elle haussa les épaules et le fixa de toute l'intensité de ses iris noisettes.

“Je sais, et c'est pour cela que je fais appel au meilleur faussaire de la capitale. J'ai bien conscience du risque pris, mais c'est la manière la plus efficace pour moi d'approcher assez près du caldras pour lui soutirer la vérité. Fais-le pour moi, Samaël. J'ai besoin que Mierelli me voit comme son alliée de circonstance, comme l'alliée de ce fameux L. plus exactement.”


Il soupira. Il connaissait la jeune femme depuis bien des années, alors qu'elle n'était qu'une gamine rachitique et famélique ; il savait qu'il ne lui ferait pas changer d'avis et elle ferait appel à un autre s'il refusait.

Il se souvenait encore la manière dont elle était restée plusieurs jours d'affilé, assise et immobile, devant sa librairie à attendre qu'il accepte de lui apprendre à lire et écrire. Il avait fini par la prendre en pitié et à céder face à ce regard accusateur qui ne cessait de le suivre dans ses moindres faits et gestes. Depuis, il n'avait jamais su lui dire non.

“Très bien, je trouverai les mots. Donne-moi quinze jours pour réaliser ta commande.”

“Sept jours. Pas un de plus,” exigea-t-elle fermement, bien qu'elle envisageait déjà d'user de ce délai pour visiter la demeure du caldras à Balard. “Evidemment, pas un mot de tout ceci quiconque.”

“Cela va s'en dire,” soupira-t-il, vaincu sans même avoir combattu.
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#38
Il lui avait fallu plusieurs jours de voyage pour atteindre Balard. Plusieurs jours à subir les assauts des moustiques de plus en plus présents à mesure que la sorcière avançait vers le marais de Ténagos.

Arrivée à destination, Selinde ne put que constater la désertion de toute garde ou patrouille pour veiller à la sécurité des lieux, confirmant ainsi les propos de la princesse Elene Volaran. Mierelli était en campagne militaire, avec la totalité des ses hommes en armes pour traquer la démone Vi'aria sur ordre de la Couronne d'Yris.

Poussant l'audace à son apogée, elle pénétra l'enceinte intérieure et se faufila à l'intérieur jusqu'à atteindre une curieuse bibliothèque, que le singulier agencement interpella. Toute à ses réflexions, Selinde sursauta en attendant une voix masculine derrière elle.

“Madame. C'est une propriété privée.”

Elle se mordit la lèvre inférieure ; elle avait manqué de prudence.
L'heure était à présent à l'improvisation.
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#39
L'homme dégarni se plaça devant la jeune femme et montra de l'index la sortie. Le regard austère, les vêtements ayant connus beaucoup trop d'années, il était plus facile de le prendre pour un mendiant que l'intendant de l'un des plus riches domaines italiens.

Et même le principal gouverneur en l'absence de son maître.

N'importe quel majordome aurait profité du départ de son employeur pour s'adonner à ses vices et se laisser aller mais pour Grid il n'en était rien. Au contraire, il se révélait plus intransigeant et ne laissait rien passer. Tout était enregistré, méticuleusement noté et compté si besoin.

[Image: 90756.jpg]Vous n'avez rien à faire là.

Pour une audience avec le Caldras, attendez son retour de voyage. Communiquez moi votre nom.



Au moins il allait à l'essentiel.
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#40
"Messire, pardonnez mon intrusion. En l'absence de gardes, pour m'aiguiller, je me suis permise d'entrer à la recherche de quelqu'un susceptible de négocier l'achat de quelques tonnes de céréales.

Sauriez-vous m'aider ?"


[Image: 90756.jpg] "Trop armée pour négocier. Le caldras décide des transactions."



"Vous n'ignorez rien de la proximité du marais de Ténagos, ni de sa faune locale surgissant au détour d'une des nombreuses routes qui mènent à Balard. Vous comprendrez aisément qu'une femme, à fortiori seule, ne peut envisager voyager sans moyen de défense lorsqu'un unique coup de mâchoire peut priver tout imprudent d'un membre sans le moindre effort. Vous n'avez pas à vous en sentir inquiété et je suis disposée à m'en séparer temporairement, le temps de la conversation."

Selinde marqua une pause pour prendre le temps d'examiner l'homme sévère et ses frusques indignes de la maison dans laquelle il semblait avoir une place d'importance. Elle n'appréciait que peu les individus de sa trempe, animé d'un fort désir de servir et d'une loyauté indéfectible. Bien qu'elle échouerait probablement dans sa diversion commerciale visant à ce qu'il la mène aux portes des greniers à grains, elle se devait de gagner du temps pour observer les lieux.

"Allons, ne me faîtes pas croire que Sa Seigneurie le Caldras ne délègue pas ce genre d'insignifiantes broutilles à un homme de confiance et d'une grande compétence en matière financière. Deux charrettes de blés, tout au plus, ne sont certainement pas de l'ordre des transactions qui mérite et nécessite l'attention d'un caldras si puissant et occupé.

Quoiqu'il en soit, je suis ici dans l'urgence, la crainte de voir éclater la famine dans une petite bourgade à l'ouest de Kandrian. Après un incendie ravageur, il ne reste guère de quoi nourrir ces gens avant le retour des beaux jours et des prochaines récoltes."
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#41
L'homme, impassible, regarda la femme déblatérer.

Il n'avait que faire de ses excuses, elle, comme toute les autres, drainait la vie des hommes sans sourciller, sans compassion. Ces êtres, porteurs de vie, sont capables d'un tel gaspillage d'énergie, que ce simple constat le révulsait. Patience, bienveillance, soutien, docilité, tant de mots qu'elles exigeaient de leurs homologues masculins sans rien donner en retour. L'économie ne faisait pas partie de leur priorité et elles affichaient l'argument de l'amour lorsque les dépenses se faisaient trop élevées.

Le caldras en avait fait les frais, et une seule femme avait failli ruiner en une saison un solide empire financier vieux de plusieurs années. Mierelli avait fermé les yeux sur les achats compulsifs de "l'amour de sa vie", frôlant ainsi le désastre.

Et l'étrangère qui se tenait devant lui ne dérogeait à la règle. Il fallait accorder trop d'attention à ces sornettes que cela en devenait pénible. Comment oser épuiser l'attention de son interlocuteur alors que peu de mots suffisaient pour parvenir à la même conclusion ?

Sa réponse se fit abrupte et succincte.

[Image: 90756.jpg]Quel village ?



Il économisait ses mots, cherchant à séparer le bon grain de l'ivraie dans les propos de la sorcière. Malgré sa méfiance, l'appât du gain facile eut raison de lui. Sans broncher, il annonça un prix défiant toute concurrence - dans le mauvais sens du terme - si tenté qu'il y en ait une...

[Image: 90756.jpg]100 pièces d'or par sac, transport non inclus, sans négociation.



Un œil attentif aurait remarqué cette petite lueur d'avarice au fond de ses yeux.
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#42
Loin de s'émouvoir de sa larmoyante faribole, l'homme en profitait pour spéculer sur le malheur des misérables, jaugeant de l'opportunité comme d'une promesse de gain facile. Méprisable individu.

"C'est très cher", constata simplement la sorcière sans se formaliser en apparence de la somme exorbitante exigée. Econome en tout point, jusqu'à l'excès d'une conversation laconique et d'atours à peine rapiécés, l'avare ne dissimulait pas son travers. Devait-elle supposer que l'austérité, prêtée au caldras de Balard et subie par son peuple, s'expliquait dans cet homme et son emprise sur la trésorerie du domaine ?

“Partons sur deux sacs, messire. Mieux vaut une maigre ration dans l'estomac que la faim dans les entrailles.”, soupira-t-elle d'une mine abattue. “La nuit s'annonce, je ne peux partir dés l'instant avec la marchandise. Cela m'éviterai bien des complications que vous acceptiez de me loger cette nuit pour une somme tout aussi modique que celle du grain. Qu'en dites-vous ?”

La demeure était inoccupée avec bien des chambres libres et disponibles pour une voyageuse capable de payer rubis sur ongle. N'était-ce pas une aubaine financière ?
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#43
L'homme baissa la tête, ferma les yeux pendant son long soupir d'exaspération. En plus de dépensant l'énergie des autres, elle s'invita usant de sa "générosité" jusqu'à la corde. Mierelli ne verrait pas d'un bon œil qu'on refuse le gîte et le couvert à une voyageuse qui venait dépenser son or.

[Image: 90756.jpg]Une chambre au premier et un repas servi pour 150 pièces. Paiement de suite avec les sacs pour un total de 400 pièces.



Il indiqua une porte sur le côté pour s'y rendre, avant de claquer des doigts pour qu'un serviteur exécute les préparatifs pour l'invitée.
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#44
"Etes-vous l'intendant de ce domaine ou un charlatan incapable d'effectuer la moindre somme basique ?", répliqua Selinde avec véhémence, ne réprimant pas cette fois-ci l'agacement que lui inspiraient les propos de l'homme en haillon. Elle le toisa intensément, la colère luisant dans ses iris. Ce n'était pas l'envie de sentir sa peau brune crépiter et cloquer sous ses doigts brûlants qui lui manquait.

"Une erreur, que je présume, volontaire visant à soutirer d'avantage au sot inattentif aux chiffres. Soit, j'en soustrairai donc le montant même de l'offense en guise de réparation.

Soyez néanmoins satisfait de votre soirée, Messire. Votre marge en restera des plus honorables et engraissera à merveille les caisses du caldrasir, ou les vôtres."


Sans faire plus attention à Grid, elle posa une bourse chargée d'or sur le bureau et s'éloigna vers l'endroit indiqué précédemment. A la vérité, la sorcière ne disposait pas sur elle de la somme demandée et avait profité de l'erreur de calcul grossière pour la revoir à la baisse. Le prix en lui-même était une insulte. Peut-être venait-elle d'acheter les deux sacs de blé les plus chers du royaume.

Mais tout ceci se payerait.
Avec des intérêts.
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#45
L'intendant leva les mains, tel un coupable pris en flagrant délit clamant son innocence. Il se permit un sourire avant de répondre.

[Image: 90756.jpg]Mon erreur... mais les pièces manquantes coûteront un repas. Dormez bien.

Il interpella une jeune femme, vêtue d'une tenue bon marché, pour accompagner Selinde jusqu'à ses appartements.

Les deux femmes se dirigèrent vers une porte à l'ouest du hall d'entrée menant à l'aile ouest. Après un escalier étroit, elles se retrouvèrent dans une spacieuse pièce où se distinguaient deux nouvelles portes. La servante ouvrit celle de gauche et incita l'invitée à y pénétrer. Elle balayait du regard les environs comme pour s'assurer qu'elles étaient seules. Lorsque la sorcière passa devant elle, elle glissa à voix basse.

Je toquerai trois fois, puis une fois et enfin cinq fois en fin de soirée avant de déposer un repas devant votre porte. Il ne sera pas digne d'une femme de votre envergure, mais c'est les mets qu'on réserve à nous autres, servants. Vous devrez attendre la fin de la soirée, pour que la pénombre me permette de me dissimuler. Le caldras nous manque, Grid est un tortionnaire cupide...

Puis après une révérence, elle reprit le même chemin en sens inverse.
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#46
Au verdict de la sanction gastronomique, Selinde se retourna et inclina la tête à son hôte, pour dissimuler le sourire railleur qui illuminait son visage victorieux. Elle s'était doutée qu'il ajusterait les services, mais avait craint qu'il ne l'envoie dormir dans les écuries, d'où elle n'aurait pu mené à bien ses projets nocturnes.

Ainsi, elle suivit docilement la jeune domestique, prenant le temps d'observer les lieux minutieusement et d'en noter mentalement les détails. Elle le savait, elle n'aurait qu'une seule nuit pour explorer l'immense manoir avant que Grid ne la jette dehors définitivement. Ce temps, si chèrement acquis, serait précieux pour son investigation.

A peine avait-elle ouvert la porte que le comportement de la jeune servante se modifia. A présent, elle paraissait guetter le moindre mouvement derrière elles et ce n'est que rassurée par leur absence qu'elle se confia à la sorcière. Une générosité fort touchante qui dessina un sourire de gratitude sur le visage de Selinde.

"Merci, vous avez toute ma gratitude. N'ayez aucune crainte, je saurai me contenter de fort peu. Je n'ai pas plus d'envergure que vous aux yeux de nos nobles," répondit la pyromancienne dans un murmure à peine audible. "Je vous attendrai."

Elle la regarda se presser vers le couloir principal avant de fermer la porte de sa chambre. Une fois seule, elle serra les poings de fureur, des flammèches incandescentes s'invitant dans ses paumes.

Le scélérat avait mis à mal sa patience, déjà fort limitée à l'état normal, et il ne s'en était pas fallu de beaucoup qu'elle perde le contrôle de sa rage bouillonnante. Cet infâme rapiat ne méritait pas de vivre. Pas plus que l'imbécile qui l'avait choisi pour intendant, n'était apte à gouverner la province la plus riche du royaume. On ne juge pas un monarque à ses qualités propres, mais à la valeur de ceux qui l'entourent et le conseillent. Et les choix de Mierelli étaient indéniablement des plus discutables en ce domaine.

Ceux de la princesse Elene Volaran également. Selinde éclata d'un rire nerveux, presque malveillant, en se remémorant le si peu d'estime dont elle avait fait l'objet malgré les promesses royales, tandis que tant d'incompétents se faisaient adouber pour un oui ou un non, régulièrement.

Elle tâcha de reprendre son calme, de respirer plus posément pour que les flammes s'éloignent, et avec elles, la rage sourde et aveugle. C'est après plusieurs minutes que la jeune femme, apaisée, s'allongea sur l'un des deux lits de la pièce, sans se déchausser. Les yeux rivés sur le plafond, Selinde était, à présent, toute à des pensées que le quidam serait bien en peine d'imaginer.

Dans l'attente de la domestique et de l'espoir qu'elle lui révèle quelques informations sur ce qu'il se tramait réellement à Balard, elle ne pouvait qu'émettre de silencieuses hypothèses. Après cette discussion, elle partirait elle-même en exploration, dissimulée par la nuit et sous un sortilège de transparence.
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#47
La soirée était déjà bien entamée lorsqu'on toqua à la porte selon le rituel établi. La mage ouvrit la porte sur un plateau assez copieux, un pain bien doré, une soupe de lentilles où baignait un morceau de viande un peu grasse. Il manquait une coupe de vin pour que le repas soit excellent.

Elle ne put remercier sa bienfaitrice n'ayant juste le temps d'apercevoir une ombre se déplaçant vers les escaliers.
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#48
Selinde soupira en se baissant pour ramasser le plateau garni de mets plus succulents qu'elle ne l'aurait souhaité. Ou voulu. Ce n'était pas son estomac qu'elle avait espéré rassasier, mais sa curiosité. L'absence de la domestique ne la réjouissait aucunement. Elle ferma la porte, après avoir jeté un coup d'œil aux environs par réflexe : personne. Fort bien.

La sorcière déposa le plateau sur le bureau, examinant soupçonneusement l'assiette qui lui avait été si généreusement offerte. Bien trop généreusement offerte. Elle n'avait jamais eu l'intention de se sustenter dans une demeure où la suspicion d'empoisonnement régnait. Encore moins devant un plat aussi riche et copieux qu'il en devenait louche.

Pour quelle raison la servante avait-elle fait preuve d'un geste aussi charitable auprès d'une étrangère ? Sans faveur à lui soumettre pour le contrebalancer, Selinde n'en était que plus dubitative. Elle abandonna la soupe de lentilles et partit, silencieuse et transparente, hors de la chambre se dirigeant directement vers la seconde porte aperçue précédemment.

Elle n'était pas fermée et la sorcière la poussa délicatement, évitant de la faire grincer. Ce fut les quelques traces de sang sur le parquet qui attirèrent en premier son attention. Le sol n'avait pas été suffisamment bien nettoyé pour effacer complètement le crime sanglant, ou du moins, les tâches de sang séché. Les bibliothèques, mal rangées, aux livres éparpillés, avaient probablement été fouillées. Elle s'attarda sur la secrétaire de bois, où reposaient encore quelques notes signées de la main d'une certaine Delemine. Elle en prit quelques unes en mains et en survola le contenu.
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#49
Les notes oubliées étaient recouvertes d'une fine pellicule de poussière, et l'encre dans le pot de terre avait séché. Cela faisait un moment que le ménage n'avait pas été fait dans cette pièce - hormis le sang répandu sur le sol - comme si tout avait été laissé en état.

Cette impression fut confirmé à la lecture de la première note, incomplète.

Citation :Éléments d'enquête.

La bibliothèque du rez-de-chaussée comporte des livres suspicieux sur les poisons naturels et autres plantes naturelles provoquant des démangeaisons. Un des ouvrages, " Comment survivre en pleine nature" est annoté sur certaines pages, laissant supposé une étude des possibilités de morts naturelles. Une telle preuve à la vue de tous me parait suspicieuse.

Après avoir insisté, j'ai visité le laboratoire de culture. Inintéressant au possible pour une novice comme moi, une fouille attentive a permis de découvrir un brouillon dans la poubelle, bien remplie comparée à celles des autres pièces, concernant un empoisonnement à la belladone par ingestion régulière. Par expérience, je sais que les symptômes sont différents de ceux décrits par les médecins royaux.

J'ai également surpris une conversation entre Grid et le Caldras concernant un remède contre une maladie - le nom n'a pas été prononcé - réputée incurable.

Un rapport a été transmis à ma supérieure et l'arrestation du Caldras fut la réaction de la princesse, trop prématurée à mon goût.

J'ai l'impression qu'on cherche à .... [le reste de la note a été arrachée]
Un second document, plus ancien, était un ordre de mission.

Citation :Delemine,

Par ce présent document, vous êtes officiellement désignée responsable de l'investigation sur la tentative de meurtre du roi Lenoard. Le sceau royal vous donne la liberté de toute action nécessaire au bon déroulement de l'enquête, dans la limite du droit talien et de la présomption d'innocence.

Un rapport régulier sera fait à votre supérieure Evaline Luciferi.

Elene Volaran
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#50
“Dans la limite du droit talien et de la présomption d'innocence.”
Un sourire se dessina sur mes lèvres à la lecture des derniers mots de la princesse Elene à son émissaire, ne comptant respecter ni l'un, ni l'autre. Ces notions, dont j'avais goûté à chaque instant de ma vie l'hypocrisie intrinsèque, n'étaient qu'un carcan à mes yeux. Une limitation dont je préférais m'affranchir pour mener à bien cette investigation officieuse, et c'était probablement, ainsi, qu'elle l'avait imaginée. Je le lui avait promis à notre première rencontre : son nom ne serait jamais prononcé afin de la préserver.

Mais pourquoi avait-elle omis de me préciser la disparition de son envoyée officielle, si j'en croyais la troublante présence de ces notes abandonnées et de ce sang mal nettoyé ? Peu importait, ce n'était guère le seul détail qu'elle avait tu après tout. Il n'était mêmes pas certain que ce sang appartienne à Delemine. Je pris soin de plier les documents et les glissai dans mon corsage.

Cette visite n'avait pas été vaine, au moins. Je commençais à entrevoir un fil logique à ce que mon intuition me criait dès le premier jour. S'il m'était difficile d'estimer son degré de culpabilité, le Caldras de Balard n'était qu'un pion dans des mains plus retorses et sournoises. Celles-ci avaient disséminé bien des pistes menant jusqu'à lui de façon si évidente que nul ne pouvait les rater.
Et précisément pour cette raison, tout sonnait si faux.

Delemine l'avait probablement compris aussi. Ainsi, il me fallait découvrir qui avait sciemment laissé traîner de tels indices, pouvant aisément accuser le maître des lieux du meurtre d'une investigatrice assermentée par la maison royale, ainsi que ce que contenait le morceau de notes déchiré.

Je me dirigeai, toujours transparente vers la bibliothèque du rez-de-chaussée bien que je doutais qu'elle m'apprenne d'avantage que ma lecture précédente. Mais après tout, c'était sur mon chemin, mon chemin vers l'aile réservé aux domestiques.
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#51
Le grand hall d'entrée était silencieux, plongé dans le noir presque complet. A l'autre bout de la pièce vacillait la lumière d'une bougie par le souffle de l'intendant plongé dans ses registres. Il ne prêta pas attention à la nouvelle venue, trop absorbé par ses comptes. L'économie du caldras ne doit souffrir d'aucun délai...

Les livres de la bibliothèque étaient bien rangés et consignés dans un lexique sur le bord de chaque étagère: ce classement permettait de s'y retrouver rapidement. Selinde n'eût aucun mal à mettre la main sur " Comment survivre en pleine nature" et confirmer les propos du parchemin déniché un peu plus tôt. Par contre, un livre dont le titre était "alchimie holdar, tout ce qui a été percé à jour" manquait à l'appel.

En poussant une bibliothèque, la sorcière révéla une trappe secrète mais le boucan n'était pas passé inaperçu. la bougie aperçue plus tôt se rapprochait....
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#52
Bénissant intérieurement le rangement assidu des livres et grimoires, Selinde découvrit sans effort ce qu'elle cherchait et fut frappée par l'absence d'un ouvrage sur les Holdars et leurs pratiques alchimiques. Cet insignifiant détail faisait sens dans sa théorie.

Déjà quelque peu intriguée par le surprenant agencement de la bibliothèque, elle poussa avec difficulté une armoire de livre, mue par sa seule intuition, découvrant ainsi une trappe dissimulée. Cela ne se fit pas avec discrétion et le meuble avait lourdement grincé sur le parquet, attirant la timide bougie de l'avare vers elle.

Elle n'eut pas l'occasion de réfléchir d'avantage et l'ouvrit, descendant précipitamment l'échelle de corde. Celle-ci menait à un sous-sol bien étrange. Il s'agissait d'un laboratoire d'où s'échappait une odeur fétide de pourriture qui lui retourna l'estomac. Elle émanait d'un cadavre en décomposition, abandonné-là pour d'obscures raisons.

Réprimant une forte nausée, elle s'agenouilla près du corps et parvient à l'identifier. C'était Delemine. Sa respiration nasale coupée, elle tâta frénétiquement et non sans difficulté le corps en quête d'un effet personnel, discret et de petit taille, qu'elle pourrait emporter en guise de preuve. Elle n'avait pas le temps. Vite.

Elle se leva et s'intéressa aux tables d'alchimie sur lesquelles une réaction était en cours. N'y connaissant pas grand chose, rien ne lui permettait d'affirmer que l'on était entrain de synthétiser le poison qui avait servi à empoisonner le roi Leonar. Elle chercha du regard, une fiole, un tube, quelque chose qui, une fois sortie de cet enfer, lui permettrait de vérifier ses hypothèses. Elle devait faire vite, guidée par l'instinct de l'urgence propre aux voleurs.

Elle allait se diriger vers les étagères de livre quand elle entendit les pas lents de Grid au plafond. Le coeur de la sorcière s'emballa sous l'effet du danger immédiat. Grid arrivait et elle était piégée dans cette pièce. Sans s'apesantir, elle se cacha derrière une pile de sacs de grains, et se dissimula de nouveau sous son sortilège fétiche.

Discrètement, elle attendait. Elle attendait qu'il descende. Elle devait voir son visage. De ce qu'elle y lirait, de la surprise ou de son absence, dépendrait de la culpabilité de l'intendant. Elle se tenait prête à agir.
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#53
Les pas dans le hall se firent plus distincts, signe que l'intendant se rapprochait de l'ouverture. Même la demarche était économique, par écoute du bruit.

Un silence suivit accompagné d'un jeu de lumière depuis la trappe éclairant la pièce par intermittence. Cachée derrière la pile de sacs, Selinde comprit qu'il jetait un oeil avant de descendre.

Quelques instants furent nécessaires pour utiliser l'échelle de corde d'une main tout en tenant la bougie de l'autre. Une fois les deux pieds sur le sol, il balaya la pièce avec sa source de lumière portée à bout de bras. Le manque d'intensité lumineuse ne permit pas de distinguer nettement le faciès de Grid, dont les mouvements étaient précis et dénués de gestes parasites mais il ne semblait pas dérangé par l'odeur de mort.

Lorsque le petit manège fut terminé, il fit le chemin dans sens inverse et ferma la trappe laissant la sorcière dans l'obscurité.
Le bruit d'une bibliothèque raclant le sol fut le dernier bruit qu'elle entendit nettement.
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#54
La sorcière se leva, les yeux rivés sur la trappe que Grid venait de refermer. Elle avait espéré qu'il s'approche de sa cachette pour l'assommer par surprise, ou encore, le menacer d'une marque ardente sur la gorge. Ou d'autres attentions de ce genre dont elle avait le sadique secret. Mais il était restée hors de sa portée et se découvrir autant avant son assaut aurait donné l'avantage à l'intendant, de loin plus imposant qu'elle.

A présent prisonnière de cet étrange et mortifère laboratoire, elle évalua rapidement les options qui s'offraient à elle. Nul ne viendrait la chercher. Dione ne s'inquiéterait de son absence que tardivement tant il n'était pas rare qu'elle disparaisse quelques temps. De même que pour ses hommes de la Salamandre, occupés en d'autres tâches et d'autres lieux. Elle giserait là, à l'image du corps Delemine, oubliée de tous.

Les sacs de blé entreposés la préserveraient de la faim, malgré le risque qu'ils étaient été corrompus par le même poison que celui du roi Leonar ; les symptômes tarderaient à survenir et elle doutait, de toute façon, avoir absorbé la substance servant de catalyseur. Ce serait la soif sa plus grande ennemie.

La perspective d'une lente agonie, dans ce sombre endroit à l'air vicié par la mort, l'angoissait. Avait-elle fait tout ce chemin, avec son frère, pour en arriver à une fin aussi misérable ? Du caniveau à une cave, quelle ironie ! Elle éclata d'un rire désespéré, nerveux. La crise mit un temps avant de se métamorphoser en de pathétiques sanglots étouffés.

L'une des fioles de la table d'expérience émit un curieux bruit, relatif à un dégagement gazeux impromptu. La surprise la fit sursauter, mais les pleurs se turent soudainement. Sa main avait déjà commencé à s'embraser d'une douce lueur, offrant à la pièce une atmosphère intimiste. Elle essuya d'un geste rageur les larmes qui troublaient sa vision. Non, ce n'était pas terminé.

Ses yeux brillaient à présent, d'une terrible détermination et fixaient le plafond. Ils scrutaient cette trappe, faite de bois et de quelques attaches de métal : rien qu'une explosion ne détruirait pas, ou au contraire, une subtile incinération. Quitte à mourir ici, elle tenterait.

Mais avant, elle avait tout son temps. Tout le temps de comprendre les mécaniques alchimiques à l'oeuvre. Elle n'y entendait que bien peu de chose, mais si elle trouvait un ouvrage ou des notes pour l'aiguiller aussi bien dans son enquête que sur une façon de décupler sa puissance destructrice… Elle se dirigea vers les deux étagères remplies de livre qu'elle avait négligé jusqu'alors et commença à lire les titres, un à un, éclairée par sa main incandescente.

Et si Grid ou quelqu'un d'autre venait la chercher au petit matin… Elle saurait l'accueillir comme il se doit.
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#55
L'étude des diverses expériences fut longue et instructive.

Selon les carnets d'expérience rangées dans la bibliothèque, les graines de blé étaient plongées dans une solution incolore pendant deux jours. Cette immersion permettait d'accélérer la croissance et la productivité des épis, mais aussi leur évolution jusqu'à leur décomposition. Il fallait donc rapidement consommer les céréales ou les transformer. Apparemment, une note en bas de page indiquait que la cuisson à haute température ou une exposition à la lumière trop importante stoppait la maturation avancée : la conservation du pain était donc inchangée. D'autres tests de cette solution avaient permis d'établir que les intempéries, le froid et le gel n'avaient aucun effet. Même le grain moulu gardait cette croissance accélérée. Si les notes étaient succinctes et rapidement lues, la conclusion de l'auteur était assez nette : pouvoir faire du profit grâce à cette production hors norme.

Un autre carnet relatait les différents effets sur les hommes et les réactions possibles avec les différents aliments ingérés. Les résultats étaient semblables : aucun effet. Sauf avec un vin dont la fermentation était particulière et vraiment originale. Il fallait conserver le raisin dans un état de macération constant tout en variant entre un liquide froid et chaud. Un œnologue trouverait cela absurde : la première règle pour un bon vin est de le conserver dans une cave bien tempérée. Selon l'auteur, les levures utilisées dans la vinification sont plus gourmandes en oxygène et la variation du milieu stoppe le procédé.

Si la conclusion n'était pas mentionnée, Selinde put comprendre aisément que la solution bleue accélérait le développement des levures dans l'organisme, drainant ainsi l'oxygène contenu dans le sang, accélérant ainsi le vieillissement du coeur, obligé de fournir plus d'effort... Après plusieurs moins d'ingestion du blé, il finissait par s'arrêter...


Une des tables d'expérience recouverte de produit synthétisait la solution incolore dans laquelle étaient plongées les graines. Les ingrédients communs, belladone, cigüe, menthe fraîche, poussière de mana, excrément de volaille dégageant une odeur nauséabonde, et quelques feuilles d'une plante mystérieuse. Sur une autre, plus utilisée depuis un certain temps reposaient deux bassines d'eau. Dans l'une d'entre elle, une bouteille avec une étiquette "Château de Balard".

Près des tables, Une missive expliquait la fabrication de la solution, bien plus détaillée que les notes de la bibliothèque. Elle était signée d'un "L." C'était la première fois que Selinde lisait cette écriture très arrondie.
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#56
Selinde se mordit la lèvre inférieure à l'observation de la notice scientifique. L'initiale en signature était la même que sur celle confiée par la princesse, mais l'écriture était bien différente, comme si quelqu'un avait falsifié, d'une bien piètre manière, l'une d'entre elle. Elle ajouta cette pièce à conviction dans son corsage, où bien d'autres avaient pris place précédemment.

Elle avait pris soin d'arracher quelques pages jugées intéressantes, d'en noter quelques autres et d'esquisser de façon maladroite, les instruments alchimiques et les procédés expérimentaux qu'elle avait devant les yeux. Quant à l'étrange mixture malodorante, elle en avait transvasée un échantillon dans une petite fiole, qu'elle avait pris soin d'entourer dans une manche déchirée de sa chemise. Il n'était pas question qu'elle se brise dans la panique qu'elle n'allait pas tarder de déclencher.

Elle s'approcha des deux bassines d'eau et attrapa le bouteille de ce fameux "Château de Balard". Un léger sourire se dessina au coin de ses lèvres tant il était ironique de penser que tous les ennuis du roi provenaient d'un mauvais vin, mal fermenté. Elle le reposa sur la table et souleva l'une des bassines pour l'apporter sous la trappe. Elle en fit de même pour la seconde.

Elle jeta un dernier regard au laboratoire pour vérifier qu'aucun détail ne lui avait échappé. Après un temps de réflexion, elle hocha la tête et arracha d'un geste vif sa seconde manche. La sorcière la trempa dans l'eau avant d'en faire un nœud derrière sa nuque. Ce masque improvisé protégerait sa bouche et son nez des fumées toxiques, diminuant drastiquement les brûlures qu'elles pouvaient causer à ses poumons. Pour ses yeux, par contre, elle n'aurait rien, mais elle n'avait guère le choix.

Selinde grimpa lentement l'échelle de corde et s'intéressa à la trappe. Ses charnières métalliques notamment. Il ne serait pas difficile de les faire fondre et de démonter ainsi une à une, les planches qui la maintenaient prisonnière de cette cave. Concentrée sur sa cible, la pyromancienne n'eut aucune difficulté à faire rougeoyer le fer et à le voir se tordre sous l'infernale température qu'elle lui infligeait. Elle veillait à maintenir la chaleur de ses flammes éloignée du bois qu'elle ne voulait pas voir s'embraser. De fines fumées blanches commencèrent à s'envoler vers l'étage.

Malgré l'équilibre instable que lui procuraient les cordes de l'échelle, elle parvint à arracher une première planche. Puis, une seconde jusqu'à ce que seule l'imposante armoire se trouve au-dessus de sa tête. Elle ne pourrait pas la faire basculer depuis ses maigres appuis, mais elle pouvait la réduire en cendre. Il lui suffirait que le feu ronge bien docilement le bois et le papier pour former un trou juste assez grand pour lui permettre de se faufiler.

La pyromancienne prit le temps de moduler sa respiration en une lente succession d'inspirations et d'expirations. Elle posa sa main, déjà incandescente et se concentra intensément. Le brasier qui dormait en elle ne devait pas prendre le dessus. Pas cette fois. Elle avait besoin de dompter le feu avec finesse et subtilité pour l'amener précisément où elle le souhaitait, sans risquer une propagation mortifère. Les flammes s'attaquèrent lentement au meuble, parfois récalcitrantes et peu enclines au musellement que Selinde leur imposa. Plus d'une fois, elles se rebellèrent, mais la sorcière ne céda à aucune de leurs ardentes suppliques.

Lorsqu'elle estima la voie suffisante à sa fuite, elle relâcha son emprise sur les flammes qui se déchainèrent d'un seul coup. Il lui fallait faire vite. Elle se laissa tomber au sol et souleva une bassine pour la jeter de toutes ses forces sur le brasier naissant. Instantanément, une opaque fumée blanche remplaça les flammes. Sans attendre, Selinde en profita pour s'élancer vers la sortie et s'extirper tant bien que mal de sa prison souterraine. Malgré son masque de fortune, elle toussa quelque peu, les yeux piquants et rougis.

A peine posa-t-elle un pied sur le dallage de la bibliothèque du manoir qu'elle entendit les premiers cris : l'odeur et la fumée avaient fait leur office et prévenu les habitants de la demeure. D'un geste incantatoire, elle amplifia la fumée en leur direction et se dirigea en courant vers sa chambre. Elle déchaussa rapidement ses bottes et y mit son masque et attrapa le drap qu'elle mit sur ses épaules pour couvrir sa chemise déchirée.

Avant de sortir de la chambre, elle répéta son rôle. Son visage prit une mine fatiguée, légèrement ahurie d'une jeune femme sortant à peine du sommeil. La fumée avait déjà commencé à envahir l'aile des invités et les cris s'étaient intensifiés. Parfait. Elle ouvrit la porte, faisant mine d'être perdue au milieu de toute cette agitation avant de simuler la peur panique dans cette insupportable fumée. Elle accentua jusqu'à sa toux et sa difficulté à respirer.

Elle osa le mensonge jusqu'à l'appel de détresse dans l'espoir qu'un garde ou un domestique la mènerait à l'abri, comme l'invitée effrayée qu'elle était supposément. Et non la pyromancienne chevronnée qui avait provoqué cet incendie sans feu.
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#57
L'évasion de Selinde, digne du Grand Marquis Vère, héros plein de ressources d'un conte pour enfant, fut à peine remarquée. Les braises restantes du plan ingénieux de la sorcière éclairaient à peine plus loin que l'ouverture qu'elle avait créée, et le déplacement dans l'obscurité, rapide et silencieux, n'était pas chose aisée.

Si sa course pour rejoindre ses appartements se passa sans encombre, un grand fracas retentit au moment où elle ferma la porte de sa chambre. La bibliothèque dont la base avait été rongée par l'incendie se maintenait avec un équilibre instable. Un chat, ou même un courant d'air fut suffisant pour qu'elle s'effondre sur le sol, créant une réaction en chaîne en percutant sa consœur un peu plus loin.

Le vacarme suffit à réveiller toute l'aile des domestiques, et de nombreux servants se précipitèrent sur les lieux du crime, constatant avec effroi les dégâts. Les plus hardis s'activèrent à replacer les meubles en l'état avant l'arrivée de Grid...

Trop tard.

Tenant une bougie d'une main et sa flamberge de l'autre, il apparut dans le hall dans un silence de mort. Si certains craignaient son courroux, d'autres voyaient déjà leur fin. Comme un seul homme, il se tournèrent vers lui, attendant sa réaction.

Remettez en l'état. Sera prélevé sur votre salaire.

Il fit demi-tour et se dirigea lentement vers ses appartements, un soupir de soulagement retentissant dans le hall... avant de voir une intense lumière transpercer un des domestiques présents. Avant que son corps sans vie ne touche le sol, la voix de l'intendant retentit dans la pièce.

Un exemple.

Et il disparut dans le passage menant à sa chambre.
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#58
"Que la peste soit de l'avarice et des avaricieux !", murmura la sorcière, qui allait déjà, pieds nus et toujours emmitouflée d'un drap, s'agenouiller auprès du corps du malheureux. Témoin de la cruauté de Grid, Selinde était restée immobile et impassible devant le traitement infligé aux gens de la maisonnée du Caldras. Ses traits s'étaient aussitôt figés, offrant à son agréable visage le masque inhumain de l'assassin de sang froid. Loin de culpabiliser sur les conséquences démesurées de sa petite mise-en-scène, elle s'en servirait.

A présent impassible, elle se concentrait sur le pouls du pauvre homme sans grand espoir. Du moins c'était l'apparence qu'elle espérait donner aux domestiques incrédules qui regardaient cette étrangère au chevet d'un des leurs. A la vérité, elle cherchait à déceler des traces, même infimes, de la magie utilisée par l'intendant. De loin, elle n'avait su reconnaître ni le sortilège, ni son aura, les fumées obscurcissant encore ses sens. Mais indéniablement, Grid n'était pas un novice.

Elle lâcha un petit soupir plaintif et désespéré des plus éloquents, destinés à apitoyer l'assemblée. Selinde leva la tête vers l'un d'entre eux.

"Je suis navrée pour votre ami... Puisse Anastraph lui ouvrir les portes de son royaume", compatit-elle avant de reprendre juste assez bas pour être entendue. "Est-ce... fréquent ?"
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#59
La spécialisation de la sorcière ne permettait pas de reconnaître le sort mais elle avait suffisamment côtoyé les mages blancs pour reconnaître le courroux de la lumière.

Mais sa question demeura sans réponse.

Après avoir confirmé la mort du serviteur, ses camarades dèbarassèrent le corps du défunt dans un silence religieux. Ils donnaient l'impression d'un événement habituel mais les visages crispés par un mélange de colère, de peur et de tristesse surprirent Selinde. Avec un peu de logique, elle comprit qu'ils avaient coutume de nettoyer après le passage de malheureux visiteurs... ou de mauvais négociateurs.

La domestique qui l'avait accompagné un peu plus tôt dans la soirée répondit à l'étrangère lorsque la pièce fut de nouveau calme.

C'est la première fois que... qu'il fait cela à l'un d'entre nous... Depuis le départ du caldras, des visiteurs...

- Il suffit ! Il va t'entendre.


Un homme plus âgé et plus expérimenté lui avait coupé la parole lui intimant de se taire. Hochant la tête, la servante fit une révérence avant de prendre congé.
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#60
Les domestiques avaient peur et n'avaient que le silence pour se protéger des abus et des violences de l'intendance sur sa maisonnée en l'absence du Caldras. Selinde ne pouvait leur en vouloir de craindre de furibondes représailles après ce à quoi elle avait assisté cette nuit.

Mais elle ne pourrait les aider si elle n'était pas certaine de la duplicité de Grid. Le cadavre d'une émissaire royale trainant dans une cave secrète serait amplement suffisant pour incriminer l'intendant, mais... la colère de la princesse se reporterait sur le noble exilé. Probablement à tord. S'il était dans son intérêt personnel de voir le caldrasir de Balard sans gouvernance, faire le jeu des ennemis du royaume talien était un risque bien élevé à prendre sans d'avantage d'informations sur leurs intentions. Elle aviserait plus tard.

Elle réajusta le drap sur ses épaules et pivota lentement vers le domestique qui avait fait taire la jouvencelle bavarde.

"Le silence ne protège jamais les victimes. Il est le complice des oppresseurs et leur donne l'opportunité de récidiver leurs cruautés en toute impunité. Souvenez-vous en, lorsqu'un autre serviteur aura fait tomber un vase par mégarde. Ce jour-là, votre lâcheté aura sali vos mains du sang d'un innocent."

Elle posa sur lui un regard accusateur, espérant le faire plier sous le poids de la culpabilité.

"Une femme, brune si je ne me trompe pas, est venue il y a quelques semaines de cela. Vous n'avez pu la rater, elle était mandatée par la royauté. Elle a mystérieusement disparu. Est-ce Grid qui l'a tuée ?"
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