Nevermore (Plus jamais)
#31
Il sentit le sol s'effriter et presque s'effondrer sous ses pieds, mais il ne céda pas.

Le choc se répercuta à plusieurs pieds à la ronde, et dans tout son corps... Mais il tient bon.

S'appuyant ses énormes pattes arrière, il se stabilisa et garda ainsi l'équilibre.

Intérieurement, Eäril affichait un sourire amusé mais las.

Elle tentait de l'impressionner, mais son petit jeu d'esbroufe ne l'atteignait pas.

Elle ne l'avait pas tué avant.

Elle ne le tuerait pas maintenant.

Elle s'était elle-même piégée à son propre jeu.

Et le pire dans tout cela, c'est qu'elle en semblait consciente.

Soudain, un cercle de flammes voraces et meurtrières apparurent autour d'eux, les emprisonnant dans une prison ardente.

Au départ, il ne broncha pas, maintenant le regard de la jeune femme.

Puis le feu commença peu à peu à dévorer les arbres. Eäril se mit alors à entendre leurs gémissements, leur grincements effrayés, leurs cris de désolation et de souffrance.

Les oiseaux et les bêtes hurlaient paniqués et se mirent à fuir à tous les sens comme ils le pouvaient le brasier ardent.

Elle était en train de mettre feu à la forêt !

La seule chose dans ce monde ingrat et cruel qui ne l'avait jamais déçu.

C'était cette forêt qui l'avait abrité pendant toute son enfance, et même après, quand il cherchait à s'échapper et à se dissimuler de ses semblables.

C'était elle qu'il lui avait tout appris, à défaut de son entourage.

C'était la seule qu'il l'écoutait, et qui ne le rejetait pas malgré ses différences et ses idées morbides.

Et elle s'apprêtait à la brûler ? Simplement ? Sur un coup de tête.

Sous sa forme d'ours, il poussa un rugissement plus terrifiant encore que le premier, et sans crier garde ni sans aucune retenue, faucha de sa patte puissante et dévastatrice la Corbac, l'envoyer voler sur plusieurs mètres.

Qu'importe à présent s'il l'a tuait.

Elle pouvait faire ce qu'elle voulait de lui.

Le tuer, le torturer, la lacérer, l'éventrer...

Mais blesser la forêt, SA forêt, JAMAIS !
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#32
Il allait la tuer.
Elle savait ce que les druides ressentaient pour les esprits. Pour la forêt.

Elle-même en tant que chamane aurait dû avoir de la pitié, aurait dû y trouvé une certaine gêne, et pour autant, il n'y en avait aucune. Elle serra les mains, puis les dents, détourna le regard et se fit faucher sans sourciller.
Un petit crac se fit quelque part dans son corps.

Au niveau du cœur ?
Allons Quoth, tu n'as pas de cœur.

Au niveau des os ?
Possible. Possible…

Elle roula sur le sol, quelques mètres, ses cheveux se mêlant à la mousse brunie par la chaleur. Sur le ventre, encore un peu sonnée et les cheveux en pagaille, elle avait plus l'air d'un démon que d'une femme.
Elle mit quelques secondes à revenir à elle, à comprendre, à sentir également. Ses yeux se relevèrent et ils brillaient d'une lueur un peu folle, d'une lueur plus macabre encore. Elle eut un mouvement pour se relever mais retomba sitôt sur les coudes.

Quelque chose coulait.
Elle était en train de perdre quelque chose.

Elle jeta un regard à son flanc, y plongea ses doigts avant d'y trouver l'entaille profonde qu'avait laissée les griffes de l'esclave.
Elle grimaça et roula lentement sur le dos, pour écarter le tissu de la plaie déjà chaude. Elle n'était pas profonde. Pas assez. Mais en tout cas assez pour la tuer si elle ne faisait rien.
Elle serra les dents, douloureusement, et apposa doucement sa main sur son flanc. De l'eau doucement coula sur cette dernière, purifiant à la fois son esprit et son corps. Un bien étrange spectacle au milieu des flammes qui, petit à petit, diminuaient, comme si elles n'étaient plus nourris de rien.

C'était sans doute l'eau.
Parce que l'eau d'un chamane n'a rien de comparable avec celle d'un autre. Parce que l'eau d'un chamane vient sereinement s'écouler de la jarre d'une fée invisible et qu'elle apporte sérénité et harmonie aux esprits les plus embrumés.

Parce que pendant une demi-seconde, Quoth affichait un air préoccupé.
Pourquoi se sauvait quand elle avait voulu tellement mourir ?

La plaie était encore à vif mais elle ne saignait plus quand elle arrêta, retirant ses doigts. Elle reposa ses yeux sur l'ours et lentement se releva, difficilement également.

Tu tiens à ça ?

Elle eut un petit rire, mauvais comme la peste.
Elle, elle ne tenait à rien. Ah. Si. Goupil.
Où est-ce qu'il était d'ailleurs ?

Son ventre se serra d'une nouvelle angoisse.
Si elle le tuait, elle se retrouvait seule.
Si elle ne le tuait pas, il finirait par la tuer, car ils étaient voués à se détruire. Ils étaient la face et le pile d'un seul et même chaos. Ils n'auraient jamais dû se rencontrer. Et pourtant…

Elle eut un petit cri frustré et passa ses mains dans ses cheveux, commençant à ressentir un malaise plus grand-chose, quelque chose qui venait de nouer tout son corps, et son esprit.
Les flammes, comme soufflées par le vent, s'éteignirent ainsi, d'un seul coup.

Elle reposa ses yeux sur lui, avec cette lassitude teintée d'angoisse.
Elle était trop changeante pour se comprendre.
Et lui… lui, elle ne le comprenait tout simplement pas.

Pourrrquoââ est-ce que tu rrrestes ?

Ce n'était plus une question, une supplique au mieux.
Est-ce qu'elle avait eu de l'importance un jour ? Elle fronçait les sourcils. Elle ne se souvenait plus.
Elle avait cru que son père l'aimait. Elle avait cru que Goupil aussi. Mais tous les deux l'avaient abandonnée. Rowley et Reinhard ne valaient pas mieux l'un que l'autre.

Pourquoi est-ce qu'avec Eäril, malgré la distance, malgré la folie et le chaos, elle ne se sentait pas… seule ?
Elle inspira profondément comme la question la brûlait de l'intérieur.

Elle finirait seule. A nouveau.
Elle le sentait. C'était comme ça.

Le destin.
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#33
Je vais la tuer.

Non.

Je veux entendre ses os craquer, voir ses yeux pleurer, sentir le goût de sa chair et de son sang dans ma bouche !

Non.

Je vais lui faire payer. Pour la forêt. Pour les arbres. Pour moi. ELLE VA PAYER !

Non.


C'était un véritable combat qui se déroulait à l'intérieur de l'esprit d'Eäril.

Un conflit brutal entre sa soif de sang et son désir de vengeance, provenant de pulsions sauvages et incontrôlables, et son souhait de garder Quoth vivante, dirigée par...
Par quoi d'ailleurs ?
Sa raison ?
Voilà bien longtemps qu'elle l'avait abandonné elle aussi.

Non.
Il savait.
S'il voulait la garder vivante, ce n'était pas par pur égoïsme.
Comme elle, elle le gardait à son tour en vie pour ne pas se sentir seul.
Et lui, pourquoi il voulait la garder vivante ?

Pour la faire souffrir, encore et encore, et pour qu'elle me supplie, oui, me supplie.

Non.

Il y avait autre chose.
Mais quoi ?
Qu'était-ce donc ?

L'ours poussa un nouveau un rugissement féroce, mais contre lui-même cette fois.

SUFFIT LES QUESTIONS, LES DOUTES ET LES REMORDS !!!
TUONS-LA, PUIS TUONS NOUS ENSUITE !

Oui.
C'était la meilleure solution.

Mais avant de la tuer.
Il allait l'écharper.
La dévorer.
Lui arracher les membres, la langue, et les yeux !
Oui, il allait la tuer.
Et il comptait bien profiter de cet instant, pour se suicider ensuite sans regrets.

La bave coulait à flot de sa gueule, avide de sang et de chair fraîche.

Ses muscles se contractèrent.
Ses pattes prirent appuyer sur le sol.
Ses babines se retroussèrent.
Puis il se jeta sur la Corbac.

... Du moins, avait-il voulu le faire.
Car avant de bondir sur la jeune femme blessée, une lueur brilla derrière elle, entre les arbres.

Eäril se figea.
Deux yeux le fixaient dans l'ombre des arbres.
Deux yeux félins, sévères et désapprobateurs, aussi froid et tranchant que l'acier, qui le transperçaient, transperçaient son corps, transperçaient son âme.
Et cependant, y brillait une grande et extrême sagesse.

C'était lui.
Il était venu.
Son totem.

Alors l'ours, comme soudain privé de toutes forces, bascula en arrière... Pour retomber sur son arrière-train dans un grondement sourd, abasourdi, le regard captivé par celui de l'animal assis dans l'obscurité de la forêt.
Sauf qu'il avait déjà disparu.

Eäril ne bougea plus, étourdi et stupéfait, ne tentant même pas de cacher sa stupeur.

Les minutes passèrent, et il resta ainsi, sans bouger ni rien dire, sans esquisser le moindre geste.
Ma métamorphose prit fin.
Les poils se rétractèrent, son corps rapetissa, pour finalement reprendre forme humaine.
Mais malgré cela, il resta immobilisé, pétrifié, aussi figé qu'une statue de pierre.
Il ne se souciait plus de rien, ni de la forêt, ni de la Corbac... Ni de sa nudité.

Toute colère en lui avait disparu.
Ses pulsions meurtrières avaient été dissipées aussi subitement que le vent disperse la poussière.

Seuls restaient les questions, toujours et encore.

Pourquoi s'était-il montré à un moment pareil ?
Pourquoi maintenant ?
Depuis des années, il l'avait cherché, appelé, supplié, prié… Mais jamais il n'était apparu à lui.
Etait-ce au moins vraiment lui ? Ou un autre animal ? Peut-être même était-ce une apparition de la forêt ?

C'était bien le comble.
Lui qui avait suffisamment de problèmes avec lui-même, il avait pour totem le plus mystérieux d'entre tous.

Pourquoi s'était-il montré à cet instant précis ? POURQUOI ?
Pour protéger la Corbac ? Là encore, le même et éternel mot : Pourquoi ?

Il resta ainsi encore longtemps, assis au milieu des bois, nu, détaché du monde, noyé dans le flot de ses pensées, le regard fixant toujours l'endroit où s'était montré son guide spirituel.

Si la jeune femme lui avait parlé, il ne l'avait pas attendu, tant il était obsédé par son totem.
Est-ce des secondes, des minutes… Des heures qui passèrent ? Il l'ignorait. Encore une fois.

Toujours est-il que son corps, tremblant de froid, le rappela à la réalité.

Comme s'il se réveillait, il cligna des yeux plusieurs fois, reprenant conscience de son environnement.

Il posa ses yeux sur Quoth, la regardant sans vraiment la voir.

Puis il se leva et se dirigea d'un pas mal assuré vers ses affaires qui traînaient plus loin et qui heureusement, avaient été épargnées par les flammes.

Il se rhabilla, le regard toujours songeur. Puis, quand il eut terminé, il marcha à nouveau vers elle, puis, s'arrêtant à quelques pas d'elle, demanda d'une voix calme, qui trahissait cependant une certaine lassitude :
Peux-tu te relever et marcher toute seule ?
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#34
Pas de réponse. Il n'avait pas envie visiblement. Pas même envie de la regarder.
Elle détourna les yeux, peinée. Un petit pincement, plus profond que ses blessures, plus profond que ses peurs et que ses haines. Un vrai pincement. A quel niveau déjà ?

Aucun niveau. Aucun. Pas de cœur. Pas de sentiment. Ce pincement n'existait pas.

Elle retomba lourdement sur le sol, comme terrassée. C'était peut-être la fatigue ou une flèche invisible. Elle roula sur le flanc, pour ne plus le voir, lui, et tout le reste. Mourir là. Se laisser mourir. Nourrir la tête… Ses doigts s'enfoncèrent dans le sol.

Pourquoi Quoth ?
Avant, tu te serais relevée. Avant, tu aurais marché, le menton haut.


Plus envie. La fatigue lui vrillait l'estomac, la faim aussi. A ses tempes tous les diables de la forêt frappaient, et elle avait cette vague impression de vouloir vomir, ce petit enserrement au niveau de l'estomac qui ne partirait qu'une fois qu'elle aurait tout rendu : sa bile, son foie, sa vie.
C'était la vie qui était à vomir. C'était la vie qui n'était pas belle. Elle ferma les yeux, à demi, et son souffle se fit plus profond, plus lent. L'odeur des cendres… ça lui arrivait dans les narines. Les vagues relents des larmes des fleurs et des feuilles, l'odeur des écorces brûlées… Pourquoi avait-elle fait ça ?

Parce que tu en as besoin, Quoth.
Tu as besoin de détruire pour te sentir vivante.
Détruire c'est ta façon d'exister. Détruis-le. Détruis-le et il sera à toi pour toujours.


Sa gorge se serra et ses doigts s'enfoncèrent plus profondément dans la terre.

Elle arrêta de penser. Elle essaya tout du moins. Son esprit fit le vide.

Pourquoi tu ne m'écoutes pas Quoth ?
Pourquoi est-ce que tu ne m'écoutes plus ?


Silence.
Elle ne voulait que le silence.

C'est de sa faute à lui ?
Il te fait douter. Tu n'as jamais douté de moi, avant.


Elle rouvrit doucement les yeux comme on bougeait dans son dos. Elle se recroquevilla, fronçant les sourcils car la douleur se raviva aussitôt. Elle ne bougea pas davantage. Elle était fatiguée. Son corps irait bien. Son esprit, c'était autre chose.

Peux-tu te relever et marcher toute seule ?

Elle releva les yeux sur lui, puis les baissa à nouveau.

Tues-le !

Elle eut un soupire, bruyant, comme si tous ses poumons venaient de se presser à ne plus laisser une seule trace d'air dans sa poitrine, que la vie elle-même avait pu, en un simple soupire, la quitter.

Marrcher où ?
Je n'ai pas… envie de marrcher…


Elle enfonça sa joue dans la terre, sa tignasse sombre recouvrant petit à petit son visage pâle en une marre informe mais sombre. Quelques plumes ici et là donnaient encore du volume, mais au premier regard, elle aurait pu aussi bien être morte que vivante que ça n'aurait pas changé grand-chose.

Je n'veux plus jouer…
Ce n'est plus drrrôle…


Un petit reniflement qu'elle étouffa se fit malgré tout entendre, si infime, si ridicule.
Un peu à son image dans le fond.

Tu n'es pas drrôle…

Ses doigts s'enfoncèrent dans la terre.

De toute façon, avec le flanc ouvert comme il l'était, elle n'aurait pas pu faire plus de vingt pas sans s'écrouler. Elle en était consciente. C'était peut-être l'occasion pour elle de mourir comme elle le souhaitait si fort au même moment.
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#35
Il la regarda quelques instants, recroquevillés sur le sol, pâle et misérable.

Puis il poussa un long soupire et s'accroupit à côté...
Et avant qu'elle ne proteste et qu'elle n'ait le temps de réagir, passa ses bras sous elle et la souleva.

Avant qu'elle ne se débatte ou seulement qu'elle y pense, il dit d'une voix sévère:

C'est aussi difficile pour toi que pour moi, alors, s'il te plaît, ne complique pas les choses et laisse toi faire.

Et sans attendre son accord ni une quelconque réponse, et sans demander pourquoi il faisait ça, il se mit en route, péniblement dans un premier temps, puis assura sa marche au fur et à mesure de ces pas.

Ce n'était pas parce qu'elle était trop lourde pour lui, mais à cause des nombreuses courbatures qui endolorissaient son corps.

Non, elle n'était pas lourde, bien au contraire, elle était aussi frêle qu'une branche, et légère qu'une plume. C'est à peine s'il la sentait entre ses bras.
Imaginer qu'elle ne se soit pas brisée lorsqu'il l'avait attaqué sous sa forme d'ours était à peine croyable.

Et pourtant, malgré sa fragilité, autant physique que mentale, elle possédait néanmoins une certaine force qui le laissait perplexe.

Mais ce n'était pas le moment de s'interroger sur ça. Pas tout de suite.

Se concentrant sur sa marche, il se dirigea vers Jada, le regard droit vers lui, tentant d'aller aussi vite que son corps lui permettait, et sans trop secouer la Corbac blessée.
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#36
Elle grimaça et attrapa aussitôt son torse, le griffant car la douleur était insupportable. Il venait de réveiller le flanc tout entier. Elle se mordit la lèvre pour ne pas lui hurler dessus avec les dernières forces qui lui rester.

Elle renifla de nouveau, sous ce flux d'émotions qu'elle ne savait pas vraiment gérer, qu'elle n'imaginait pas pouvoir ressentir.
Elle pencha la tête sur le côté, silencieuse, presque morte. Dans le fond elle l'était un peu. Elle inspira profondément, relevant les yeux sur Eäril, lasse, fatiguée. Goupil n'avait jamais fait pour elle. Au contraire même. Ironiquement, il l'avait souvent plus jeté au milieu des crocodiles qu'il ne l'avait sorti du merdier que souvent il crée… C'était sa façon à lui de la chérir.
Qui aime bien châtie bien, pas vrai ?

Peut-être que c'était aussi à cause de lui qu'elle était comme ça.
Peut-être que c'était lui qui l'avait cassé ?
Peut-être qu'elle était cassée.

Elle fronça un peu les sourcils, jetant un œil à sa blessure qui, si elle lui faisait encore mal, s'était surtout remise à saigner quelque peu. Elle grimaça, relevant le nez, submergée d'une nouvelle vague d'humeurs aussi contradictoires que violentes.

Tu m'as cassée...

Un peu. Si peu comparé à Goupil mais Goupil, lui, ne l'avait jamais frappé.
Il avait toujours laissé les autres le faire à sa place. C'était… moins salissant.

Tu es parrrticulièrrement nul comme esclave… Et comme maîtrrre…
Tu n'es ni l'un, ni l'autrre… Tu es un peu perrdu, pas vrrai ?


Elle leva les yeux sur lui. C'était une question bien plus théorique que ça.
Elle se parlait peut-être à elle-même, dans le fond.
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#37
Sa plaie s'était remise à saigner... Mais il n'avait pas le choix: s'il voulait qu'elle survive, il devait l'amener à un guérisseur de la capitale.
Mais voulait-il vraiment qu'elle survive au moins ?
Encore une question sans réponse.

Elle griffa son torse mais n'y prêta pas attention.

Il devait se dépêcher.

"Tu m'as cassée..."

C'était vrai.
Il ne pouvait le nier.
Il s'était laissé emporter par sa colère.
Mais il ne le regrettait pas.
C'est pourquoi il répondit:

C'est vrai. mais c'était ça où tu brûlais la forêt. Et ça, il en était hors de question.


Puis il ajouta, avec un mince sourire:

De toute façon, tu étais déjà bien fêlée avant.

"Tu es parrrticulièrrement nul comme esclave… Et comme maîtrrre…
Tu n'es ni l'un, ni l'autrre… Tu es un peu perrdu, pas vrrai ? "


Il réfléchit quelques minutes, puis lâcha:
Pour être honnête, si du moins je suis capable d'une telle chose, je n'ai jamais souhaité être ni l'un ni l'autre.

Alors oui, je suis un mauvais esclave. Je suis un mauvais maître également.
Mais ça m'importe peu, du moment que tu survives.


Survivre pour quoi faire ?

Tu vois bien qu'elle souffre, et ce n'est pas seulement à cause de sa blessure. C'est parce qu'elle est vivante qu'elle souffre.
Pose-la par terre et laisse-la obtenir ce qu'elle souhaite, et continue de vivre ta vie sans te soucier d'elle. Depuis que tu l'as rencontré, tu n'as fait que souffrir. Débarrasse-toi d'elle. Maintenant.

C'est vrai. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés, ils n'avaient su que de se faire du mal l'un à l'autre.

Pourquoi ?
Pourquoi tant de paradoxe ?
Pourquoi, alors que tous les rejettent et que eux, sont les seuls à se ressembler et à pouvoir se comprendre, alors pourquoi tentent-ils de se détruire l'un et l'autre ?
Par jalousie ?
Par vengeance ?
Parce que leur ressemblance est-elle que l'autre constitue un véritable miroir, dans lequel ils peuvent voir les monstres qu'ils sont devenus.

Il secoua la tête pour chasser ces sombres pensées.

Non.
Les monstres étaient ceux qui les avaient rendus comme ça, pas eux.
C'étaient eux, les véritables coupables, qui devraient mourir par leurs mains. Pas eux.

Donc non.
Il n'était pas question de l'abandonner.
Pas maintenant.

Voyant que le sang coulait toujours plus abondamment, il accéléra le rythme.
Ils étaient bientôt arrivés.

Il le savait.
Il le sentait.

Elle devait tenir, encore un peu. Juste un tout petit peu.
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#38
Elle eut un petit rire, presque doux. Oui, c'était vrai.
Il ne l'avait pas voulu. Elle non plus d'ailleurs.

Elle repoussa une mèche de cheveux qui était poisseuse à cause du sang et finalement posa ses yeux sur la morsure qui ornait à présent la joue d'Eäril. Elle était un peu sale, mais elle n'avait pas l'air purulent malgré tout. Elle laisserait une cicatrice fine… à défaut d'une vilaine. Enfin, elle n'était pas guérisseuse pour le savoir non plus.
Elle passa un doigt dessus, fascinée, avant de reprendre aussitôt sa main, se rendant compte qu'elle venait de le toucher. Elle fronça les sourcils avec la désagréable sensation d'avoir changé.

Il n'y a rien qui n'a changé.
C'est lui qui te change.


Lui ? Elle garda les yeux bas, plantés dans ses cuisses, sans un mot.
Le chemin commençait à être long et sa tête à tourner, tourner, encore. Toujours. Trop.
Elle allait vomir.

Lentement sa tête se redressa et retomba nonchalamment, rejetée en arrière, dévoilant une gorge trop blanche. La peau, si fine était-elle, était marbrée et l'on voyait d'ici les nombreux vaisseaux qui jouaient tous les jours avec la vie de la jolie Quoth. De ses artères rouges à ses vaisseaux bleus, c'était tout un réseau qui s'organisait, et qui petit à petit avait du mal à joindre les deux bouts.
Elle sentait bien que quelque chose l'abandonner sans savoir quoi.

En temps normal, elle aurait souri. Elle aurait même était amusée de se voir mourir comme ça mais pour une fois, ça ne lui plaisait pas. Elle se tendit, et ses doigts se serrèrent fortement dans sa jupe, comme pour tenir bon.

Abandonne-toi.
Il n'y a plus que ça à faire, Quoth. En finir. C'est le bon moment !


Non.

Fais-le !

Elle renifla et sa trachée avait le goût de sang, comme sa salive.
Elle ne voulait pas. Plus. Il lui avait demandé de survivre et bêtement, elle le ferait. Elle survivrait. Elle s'accrocherait à quelque chose, n'importe quoi, et si jamais elle mourrait maintenant, alors c'était que toute la vie, toutes ses croyances, l'essence même de l'homme était absurde et ridicule.
Si elle mourrait, il n'y avait plus rien.

Quelque chose passa devant ses yeux, un soubresaut, une douleur, puis…

Il y eut un silence.

Et enfin, l'obscurité totale.

Elle se doutait bien que le manque de sang avait causé l'anémie qui avait causé l'évanouissement. Pour autant, même dans le monde des esprits aux vapeurs intangibles, elle craignait de tomber trop loin, trop profond.

La chute fut longue avant qu'elle ne se décide à planter ses ongles dans la terre. Pas question de chuter jusqu'au bout. Elle sentit ses ongles se décollaient de sa chair à force de forcer. La gravité était trop forte. On l'aspirait. On la tirait vers le bas. Mais elle résistait. Dans ce monde sans image et sans bruit, elle forçait.

Laisse-toi tomber, pauvre sotte !

Elle enfonça sa main dans la terre, plus haut. De petites mottes se détachaient du tunnel vertical. Elle pouvait apercevoir d'ici quelque chose, tout en haut. Deux yeux. Ça la regardait. Elle siffla, et enfonça son autre main plus haut, se hissant du haut de ses forces fragiles.

Tombe ! Tombe ! Tu l'as toujours voulu !

Elle renifla et agrippa plus fort la roche. Elle ne voulait pas tomber, mais elle le savait, elle n'y arriverait jamais. Pas comme ça. Pas avec ses bras. Elle observa les deux yeux qui l'attendaient au bout du tunnel, sombre, froid. Une douleur affreuse lui tordit le ventre et quand elle baissa les yeux, elle vit que ses tripes partaient. Elle hurla, prise de peur, de panique. Son ventre se détachait en lambeaux et tout en bas, les corbeaux la dévoraient. Ils picoraient avidement et elles sentaient les becs s'enfonçaient dans sa tripaille. Elle hurlait, gigotait. Elle n'avait plus le choix et ses yeux se remplirent de larmes, prise au dépourvue.
Pas le choix. Encore.

Tombe !

Elle lâcha.

Il se passa quelques secondes où elle fut comme ça. Abandonnée.
Au néant, à ses démons, à tout. De tous les côtés son corps se désagrégeait. Elle allait redevenir essence. Estalia allait l'avaler. Elle allait mourir. Elle allait mourir…

Elle ferma les yeux et un hurlement d'ours se fit entendre au loin, la réveillant brutalement. Sa peau brûlait mais ce n'était que pour mieux se recouvrir d'un épais plumage sombre.

Des plumes ?

Les corbeaux aux alentours, plus petits qu'elle, venaient bécoter les restants de tripes qu'elle n'avait plus. Son ventre n'était plus qu'un champ de bataille sans nom. Des plumes, de partout.

Elle jeta un regard au bout du tunnel mais il n'y avait déjà plus de lumière.

Non ! Tu n'as pas le droit !

Elle commença à battre des ailes. Elle n'avançait pas.
Plus fort. Plus fort encore.

Elle avait tellement mal, mais tellement envie. Pour une fois, elle avait envie d'être vivante.
Elle avait envie de survivre.

Pour elle ? Ou...

Elle ferma les yeux et se laissa faire. Elle sentait la bise. Le froid.
Son corps se glaçait mais ce n'était pas le froid de la mort, c'était autre chose.
Des mains. De l'eau. Quelque chose.

Les corbeaux se mirent à piailler plus bas, à vouloir la dévorer. Elle sentait leurs becs dans sa chair mais n'arrêta pas. Pas cette fois.
Ses ailes, bien plus grandes que la moyenne, battaient à tout va.

La douleur s'en irait.
Avoir mal, c'est être vivant.
Avoir mal, c'est être toujours vivant.


Elle dépassa le tunnel. Il y eut le noir. Un flash. La douleur. Elle se cambra brutalement en poussant un cri strident, ses doigts s'enfonçant sitôt dans la première chose rencontrée avant de retomber, haletant, les yeux en larmes sous la douleur.
Qu'est-ce qu'on osait lui faire ?

Elle jeta un regard paniqué autour d'elle, un regard qui croisa un homme qu'elle ne connaissait pas. Un guérisseur, sans doute. A sa gauche, Eäril.
Elle le fixa avec un regard profond, un regard perdu aussi.

J'ai m-mal, j'ai m-maal...

Elle haletait, et ses doigts ne relâchaient plus la pression, gigotant, l'incontrôlée incontrôlable. Elle avait eu peur. Elle avait eu si peur de mourir, pendant quelques secondes.

Elle avait peur, encore à présent.
Elle était même terrifiée.
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#39
Il la vit plonger dans l'inconscience.

Mais il ne pouvait rien faire.
Rien mis à part de serrer les dents et d'accélérer.
Encore.
Encore.
Il avait mal.
Son corps entier lui faisait endurer le martyr.
Ses poumons lui brûlaient.
Sa vision se brouillait peu à peu.
Il était en train d'épuiser ses dernières forces

Non.
Il ne pouvait pas se permettre de ralentir.
Juste d'avancer...Et de prier.
Prier quoi ?
Hallista ?
Wismo ?
Korri ?
Son totem ?

Oui.
Malgré la colère qu'il portait envers lui, malgré le fait qu'il se sentait rejeté par son propre animal symbolique, il se mit cependant à le prier. Prier pour qu'elle arrive en vie jusqu'à Jada.
Prier pour qu'elle survive. Prier pour elle.


Soudain, il déboucha dans une clairière.
Il s'arrêta un instant, déconcerté.
Il était si concentré sur pensées qu'il n'avait pas remarqué que la forêt se terminait, si bien qu'il n'était plus sûr d'où il était.
La lumière, jusque-là dissimulée par le couvert des arbres, l'aveugla un instant.
Alors l'angoisse s'empara de lui.
Etait-il bien arrivé la ville ?
Ou s'était-il trompé de direction ?
Allait-elle mourir ainsi dans ses bras, par sa faute, et porter à jamais ce fardeau, en plus de celui qui possédait déjà ?

Puis ses yeux s'habituèrent à la luminosité ambiante... Pour voir les ruines de Jada.
Il était bien arrivé. Enfin.

Il faillit pousser un soupir de soulagement... Mais un oeil vers Quoth lui indiqua que son état ne s'était pas amélioré, au contraire.
Exténué, à bout de force, il se donna cependant une dernière impulsion pour traverser la clairière.

De nombreux Hommes-Bêtes le regardèrent passer avec curiosité et incompréhension en murmurant, mais il n'y prêta pas attention.
C'est à peine même s'il les voyait.

Puis, enfin, il arriva au repère des guérisseurs.
A cet instant, les choses passèrent vites, si vites que sa mémoire restait floue.

Il se souvient de l'apparition d'un guérisseur qui, en quelques instants seulement, compris la gravité de la situation et vint lui apporter son aide pour termine de porter la jeune femme blessée jusqu'à une litière.
Après qu'ils eurent déposé délicatement sur le tapis de feuilles fraîches prévu pour cet effet, il se souvient à moitié de s'être écroulé sur le sol, exténué, ses jambes ne répondant plus.
Il réussit néanmoins à se mettre assis, tentant de rassurer le guérisseur qui à présent s'inquiéter de son état à lui en balbutiant quelques mots qu'il allait bien et qu'il devait s'occuper en priorité d'elle.
Ce dernier après quelques secondes d'hésitation, s'affaira enfin à sa tâche, et entreprit en premier temps de localiser les blessures.
Eäril lui, pendant ce temps-là, se contentait de fixer le visage de la Corbac, totalement hébété, ailleurs, répondant à peine aux multiples questions du guérisseur, par de vagues et inaudibles murmures et des hochements de tête.
C'était dans sein de son esprit un véritable chaos, comme si le monde s'effondrait autour de lui.

Etait-ce la fatigue et la douleur qui le rendait aussi comateux ? Ou son état à elle ?
Pourquoi se préoccuper autant de son sort, alors qu'il avait clairement eu l'intention de la tuer quelques heures plus tôt.

Le guérisseur le tira de sa rêverie.
Il avait besoin de lui pour retirer les vêtements de l'inconsciente.
Il le regarda un instant, interdit, puis le soigneur l'assura que ce n'était que partiellement, pour révéler ses blessures afin de faciliter les soins.
Sans doute croyait-il qu'il était son compagnon et qu'il préférait que ce soit lui qui s'occupe de cette tâche délicate plutôt que des mains étrangères.
Ce n'était pas le cas.
Cependant, il était trop sonné pour contester, et alors il entreprit de déshabiller le torse de la jeune femme.
Sa peau était plus blanche encore que celle régulièrement exposé de son visage et de ses bras, presque aussi pâle et livide qu'un mort.
Douce également, aussi douce que le plus soyeux des tissus.
Et surtout froide. Très froide.
Il dévoila enfin la blessure.
Rougeâtre et béante.
Elle avait commencé déjà commencé à s'affecter.
Voyant qu'il était obsédé par la blessure et ne bougeait plus, le guérisseur le poussa, sans douceur, pour accéder à la plaie.
Après l'avoir nettoyé avec un tissu propre, il appliqua ses mains sur cette dernière, prit une profonde inspiration, puis commença à incanter.
Une lueur mauve entoura ses mains puis la blessure. Les cellules de la peau se reconstituèrent peu à peu tandis que dans un craquement sinistre, les os se remettaient en place, et la plaie se referma peu à peu.
Mais soudain, en plein milieu de l'incantation, Quoth poussa un cri terrible et perçant tout en se cabrant, pour retomber dans un bruit sourd sur la litière.
Haletante, couverte de sueur, elle ouvrit les yeux, et regarda autour d'elle, perdue et agonisante.
Elle posa alors sur lui un regard, un regard si expressif qu'il bouleversa complètement Eäril.

"J'ai m-mal, j'ai m-maal... "

Il entendit sans vraiment l'entendre le guérisseur tenter de rassurer la jeune femme. Il était totalement absorbé par son regard.
Etait-il accusateur ? Ou suppliant ? Ou était-ce juste un appel de détresse ?
Il ne pouvait pas supporter plus longtemps ce regard.
Il était trop douloureux, trop pénible, trop éprouvant.

Alors il se leva, malgré la lourdeur de ses jambes et le cri de contestation de son corps entier.
Il regarda une dernière fois ce visage tordu par la douleur.
Ce visage si pâle et si maigre, mais à la fois si beau…

Et partit.

Le guérisseur le rappela à l'ordre, l'ordonnant de rester avec elle.
Mais il ne l'écouta pas.
Et fuit.
Comme toujours.
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#40
Elle haletait, de douleur, d'angoisse. Il fallait qu'elle sorte d'ici. Il fallait qu'on la lâche.
Il fallait qu'elle fuie.

Elle jeta un regard à Eäril, un appel silencieux, un appel à l'aide.
Il la fixa, quelques secondes qui durèrent des minutes. Et il tourna le dos.

Elle retomba brutalement sur le dos, plaquée par un second guérisseur, et son flanc tout entier commençait à la brûler avec cette odeur un peu sale de la chair qui subit et qui se reforme.
Elle se mordit la lèvre pour ne pas hurler. Pour ne plus hurler.
Se jurant un : plus jamais.

Elle se tordit dans tous les sens mais dans un silence presque trop profond.

Il avait fui.
Il t'a abandonnée, Quoth. C'est ce qu'ils font tous. Tu devrais le savoir…
Elle renifla, les laissa faire avec elle, finir avec sa peau.
Tu sais ce qu'ils font. Ils viennent, puis partent, et te laissent avec… comment appelle-t-on ça déjà ?

Peine.
Désespoir.


Maintenant t'as plus qu'à remettre ton manteau de haine,
T'avais qu'à pas écouter tous ces faux espoirs…

C'est bon. Vous devez pour reposer maintenant.

Elle jeta un regard au guérisseur qui referma son bustier grâce au lacet de cuir. Sans un mot elle se redressa, difficilement mais au moins elle était vivante.

Vous ne devez pas partir. Pas comme ça…

Elle lui jeta un regard, triste comme les pierres, sans savoir quoi répondre.
Finalement, ni Goupil, ni Eäril ne reviendraient. Alors elle pouvait bien attendre.

Elle se recoucha dans la paille et s'endormit, épuisée.
Ses nuits se firent sans cauchemars, sans rêves, sans idées. Seule l'obscurité habitait son crâne, et certaines pensées voguaient d'une tempe à une autre, sur un drôle de petit bateau de bois sombre.
Elle n'accorderait plus sa confiance. Après tout, il l'avait trahi.
Elle ne partagerait plus sa folie à d'autres fous, parce qu'ils ne pouvaient pas comprendre. Comment l'auraient-ils pu ? Elle l'avait pourtant entendu, quelque part, au plus profond de ses rêves. Elle s'en souvenait. Et… dans le même temps, il avait été le premier à déguerpir.

Trois jours, c'est long. Long pour qui ne sait pas mais attends quelque chose.
Long pour qui ne comprend pas, mais espère malgré tout.
Long pour qui n'a rien, mais aimerait posséder.

Tu ne te sens pas un peu seule ?

La voix ricanait. Quoth se redressa lentement.

Tu devrais pourtant.
Tout le monde t'a abandonnée.


S'ils m'abandonnent, c'est de ta faute… soupira la gamine. S'ils m'abandonnent, c'est carrr je suis un corrrbeau.

La voix ne répondit pas. Il y eut comme un silence. Quelque chose dans son crâne venait de se taire. De se stopper. Elle se leva de la litière, s'appuyant sur son bâton de buis pour regagner la clarté de la lune.
Les ruines de Jada, enchanteresses, se dévoilaient sous les quelques rayons de celle que les centaures appelaient Aletheria, qu'eux appelaient la Lune. Sans plus vraiment savoir à qui elle devait se référer, sans plus savoir où elle en était non plus, Quoth sortit de l'abri et commença à marcher.

Le Repère du clan Goupil était au sud, c'est pourquoi elle partit au nord.
Elle avait besoin de méditer. De comprendre. De respirer.

Tu sais… Peut-être qu'Eäril est mort…

Elle continua de marcher, sans sourciller.

Après tout, il était bien mal au point quand il t'a ramenée, et…

Je ne veux pas savoâârr.
Je ne veux plus savoârr..


Elle prit la direction d'Eltiri en sifflotant. Elle marcha jusqu'à l'aube avant de se reposer contre un arbre, le visage fatigué, le corps las, mais en vie.
Ce n'était pas véritablement reconnaissant de sa part de vouloir à tout prix ignorer si oui ou non il était mort. Mais pouvait-il le lui reprocher quand il l'avait abandonnée quand elle lui demandait de l'aide ? Sans doute pas.

A la vérité, elle avait besoin du temps pour comprendre.
Pourquoi était-elle comme ça ?

Elle se rappelait d'un lac une fois, tout proche d'une source. Beaucoup d'esprit jouait au dessus de l'eau. Elle se souvenait avoir voulu jouer aussi. Avoir mis un pied dans l'eau, puis un second... L'eau avait été si froide... Si profonde... Elle ne se souvenait plus du reste, mais ses poumons brûlaient à chaque fois qu'elle reconnaissait l'endroit.


Au zénith, elle était éveillée, assise, observant à l'orée de la forêt la plaine.
D'ici, elle croiserait peut-être un centaure. Peut-être.

Elle se mit à siffloter, avec un sourire amusé.

Tu l'entends jusqu'à Eltiri,
C'est plein de ressentiments,
Ça explose dans un grand cri,
C'est tonitruant...

Tu crois que j'l'invente ?
Le coup d'la torture ?
T'diras ça quand ton ventre,
Sera vide et plein d'saumure !

J'vais t'vider l'dedans,
C'est bien l'estomac,
Pour en faire des gants,
Qui s'vendent dans Jada,

T'sais j'crois qu't'as peur,
Quand tu m'appelles sauvage,
Tout ça car ta sœur,
Elle a l'habit du veuvage,

S'pas comme si on l'avait tu,
Qu'vos sabots on n'en veut pas,
Nos terres, vois-tu,
Sont celles d'Estalia,

Qu'le premier que j'vois qui bouge,
J'lui troue d'cuissot d'une flèche,
Qu'il va finir la gueule toute rouge,
Et la peau sur ma cahute, toute sèche !
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#41
Eternellement. Perpétuellement. Constamment. Tu fuis, Eäril.


Courir.

Il faisait noir.

Penses-tu que ce soit une bonne chose ? N'en as-tu pas assez de sans cesse fuir ?

Les arbres défilaient devant lui.
Il faisait sombre.
Seul lui parvenait le bruit des feuilles qu'il soulevait dans sa course.
Courir.


Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.


Qu'est-ce qui te fait aussi peur, Eäril ? Qu'est-ce qui te fait fuir comme ça ?
Sais-tu au moins ce à quoi tu tentes d'échapper ?



Un bruit retentit.
Un craquement.
Les arbres défilaient devant lui.
Il faisait sombre.
Courir.


Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.


Est-ce de "Elle" dont tu as peur ? C'est de "Elle" que tu tentes de t'échapper ?
Qu'arrivera-t-il si elle te retrouve, Eäril ? Qu'arrivera-t-il ?



Une voix féminine s'éleva parmi les arbres.
Résonnant dans la forêt comme un écho.
C'était une voix fluette.
Une voix fluette de petite fille.
De petite fille malicieuse.
Qui disait :
Je te voooooois ! !
Les arbres défilaient devant lui.
Courir.


Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il demanda :


Qu'arrivera-t-il si elle te retrouve, Eäril ? Elle te fera du mal ? C'est pour ça tu fuis ?
Pour éviter de souffrir ? Ou pour ne pas la faire souffrir elle ?



Il arrêta sa course.
Devant lui se dressait une petite fille.
Une petite fille brune.
Son corps était tourné vers lui.
Mais son visage était dans l'autre sens.
Elle lui tourna le dos.
Elle lui montra son visage.
Son cou était tordu.
Son crâne éclaté.
Son visage couvert de sang.
Elle souriait.
Elle dit :
Je t'ai trouvéééé !



Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il était là.
Il ne le voyait pas.
Il le voyait.
Il lui demanda :


C'est ta faute n'est-ce pas ? Cette petite fille est morte par ta faute ? C'est parce que tu t'es enfuie en la laissant seule, Eäril ? Et tu l'abandonnes une fois encore ? N'as-tu pas honte, de laisser une nouvelle fois ta petite sœur toute seule ?


Son cœur rata un battement.
Son sang se glaça.
La peur lui dévora les entrailles.
Il fit demi-tour.
Il se mit à courir.
Les arbres défilaient de plus en plus vite.
Il faisait de plus en plus sombre.
Seul lui parvenait le bruit des feuilles qu'il soulevait dans sa course et la voix de la petite fille.
Attends-moooooi !
Courir.


Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il était là.
Il ne le voyait pas.
Il le voyait.
Sa voix était douce. Etait accusatrice.
Il était gentil. Il était cruel.
Il lui demanda :


Il n'y a pas que t'as petite sœur que tu fuis, n'est-ce pas Eäril ? Tu fuis quelqu'un d'autre ? Quelque chose t'effraie ? Tu tentes de t'en soustraire ? Qui te suit ?



Une tâche blanche apparût au bout du chemin.
La sortie.
La fin.
Il courra dans sa direction.
La tâche grandissait.
Grandissait.
Elle ne grandissait plus.
Il continuait de courir vers elle.
Elle ne grandissait toujours pas.
Il ne comprenait pas.
Il comprit.
Trop tard.
Les arbres défilaient de plus en plus vite.
Il faisait de plus en plus sombre.
Seuls lui parvenait le bruit des feuilles qu'il soulevait dans sa course et les pleurs de la petite fille.


Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il était là.
Il ne le voyait pas.
Il le voyait.
Sa voix était douce. Etait accusatrice.
Il était gentil. Il était cruel.
Il était son gardien. Il était son bourreau.
Ils étaient deux. Ils n'étaient pas deux.
Il lui demanda :


Qui est-ce cette personne Eäril ? Te veut-elle du mal ? Ou veut-elle te protéger ?
Pourquoi tu l'as fui alors ? Pourquoi tu fais ça ?



Il voulut stopper sa course.
L'arrêt fut trop brutal.
Il tomba.
Il ne vit plus le ciel. Les arbres.
Le sol se rapprocha.
Il toucha le sol.
Un bruit sourd.
Un bruit écœurant.
Un os se brisa.
Celui de sa jambe.
Il tenta de se relever.
Il la vit.
C'était une femme.
Elle était brune.
Elle était belle.
Son ventre était nu.
Une lance le transperçait.
Le sang coulait.
Comme un flot interrompu.
Elle sourit.
Elle tendit la main vers lui.
Elle fit un pas vers lui.
Ploc.
Elle dit :
Eäril
Il hurla.
Il se retourna.
Il fuit.
Sa jambe était cassée.
Sa jambe traînait.
Les arbres défilaient lentement.
Il ne voyait presque plus rien.
Seuls lui parvenait le les battements de son cœur, la voix de la petite fille, et les pas de sa mère.
Ploc.
Ploc.
Ploc.



Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il était là.
Il ne le voyait pas.
Il le voyait.
Sa voix était douce. Etait accusatrice.
Il était gentil. Il était cruel.
Il était son gardien. Il était son bourreau.
Ils étaient deux. Ils n'étaient pas deux.
Sa joue se mit à gonfler.
Sa joue se mit à le faire souffrir.
Et impassible, Il lui demanda :


Ta mère… Tu fuis ta propre mère ? Pourquoi tu as fuis ta mère, Eäril ? Pourquoi ne l'as-tu pas attendu ? En fuyant, tu l'as tué ? Pourquoi tu as tué celle qui voulait te protéger ? La seule qui t'aimais ?


Il s'enfuyait.
Tentait de s'enfuir.
Sa jambe le ralentissait.
Sa jambe le faisait souffrir.
Un rire grave et rauque retentit.
Il marcha encore plus vite.
Se fit souffrir encore plus.
Le rire continua.
Un coup invisible s'abattit sur son épaule.
Elle se brisa.
Son bras se mit à pendre. Inutile.
Il continua de marcher.
Un autre coup l'atteignit au visage.
Son nez se brisa.
Son sang coulait.
Le rire continuait
Un autre coup le frappa.
Un autre.
Encore un autre.
Ses os étaient cassés.
Ses bras démembrés.
Son visage fracassé.
Il avançait.
Ferma les yeux.
Se heurta à quelque chose. Ouvrit les yeux.
Un homme.
Grand et fort.
Aux cheveux noirs.
A l'œil haineux.
L'autre œil transpercé par un coutelas.
Le coutelas enfoncé jusqu'au manche dans le crâne.
Il riait.
Les arbres ne défilaient plus.
Il ne voyait plus que cet homme.
Seuls lui parvenait le les battements de son cœur, la voix de la petite fille, les pas de sa mère et le rire de son père.



Il faisait noir.
Il était assis et n'était pas assis.
Il n'y avait pas de sol. Pas de murs. Pas de toits.
L'air n'était ni froid. Ni chaud.
Il avait l'impression de respirer. L'impression d'étouffer.
Il se sentait en sécurité. Se sentait en danger.
Derrière lui, Il était là.
Il ne le voyait pas.
Il le voyait.
Sa voix était douce. Etait accusatrice.
Il était gentil. Il était cruel.
Il était son gardien. Il était son bourreau.
Ils étaient deux. Ils n'étaient pas deux.
Sa joue se mit à gonfler.
Sa joue se mit à le faire souffrir.
Du sang se mit à couler le long de son visage.
Une plume noire tomba devant lui.
D'autres plumes noires tombèrent.
Et impassible, Il lui demanda :


C'est lui, n'est-ce pas ? C'est ton père ? C'est lui que tu fuis depuis le début Eäril ? Il te frappait ? Pourquoi il te frappait Eäril ?
Parce que tu as abandonné ta sœur alors que tu devais t'occuper d'elle ? Parce que tu l'as laissé seule sans surveillance et qu'elle est morte, tombée d'une falaise ?


Et ta mère Eäril ? Ton père te considérait comme responsable de la mort de sa fille et il te battait non ? Après tout, elle avait toujours était sa favorite, et toi un simple déchet, n'est-ce pas ? Tu as donc fui seul dans la forêt, c'est ça ? Et ta mère inquiète, a voulu te retrouver ? Sauf que tu as continué de fuir ? Et elle est morte en essayant de te rattraper ?
Et ton père ? Il était fou de rage, n'est-ce pas ? Après tout, tu avais tué ta sœur, tu avais tué ta mère, tu avais détruit sa vie, Eäril, tu ne crois pas ? Sauf que cette fois, tu as voulu fuir, encore, mais il t'en empêchait ? Alors, tu l'as tué c'est ça ?
Pourquoi Eäril ? Pourquoi tu les as tous tué ? Pourquoi tu fuis toujours ?



Son père le frappa au visage.
Il s'écroula.
Son père lui prit les jambes.
Les arracha.
Les lança loi. Très loin.
Il ne pouvait plus courir.
Il ne pouvait plus fuir.
Il était allongé.
Il avait les yeux vers le ciel.
Mais il n'y avait pas de ciel.
Juste trois visages.
Qui le regardait.


Il avait froid.
Très froid.
Les plumes noirs l'ensevelissaient peu à peu.
Sa joue grossissait, grossissait encore plus.
Il saignait, saignait encore plus.
Il pleurait.
Pleurait.
Il sentit une pression sur son épaule.
Il lui dit :


Eternellement. Perpétuellement. Constamment. Tu fuis, Eäril.

... Mais à présent tu ne peux plus t'échapper.



Il pleurait.
Se lamentait.
S'arrachant les cheveux.
Se déchirant la peau.



Penses-tu que ce soit une bonne chose ? N'en as-tu pas assez de sans cesse fuir ?


Il pleurait.

Il hocha la tête.
Comme un être misérable.


Il lui dit :

Alors retourne-toi, et suis moi.



Sa sœur.
Sa mère.
Son père.
Ils le regardaient.
Ils souriaient.


Il se retourna.
Il se retrouva face à lui.
Il lui dit :
Suis-moi.

Ils souriaient.
Puis se jetèrent sur lui.

Il ouvrit sa gueule.

Et l'avala.



Il ouvrit la bouche dans une convulsion.
Bruyamment, il prit une grande et profonde inspiration.
L'air remplit à nouveau ses poumons restés trop longtemps vides.
Haletant, il mit plusieurs minutes afin de récupérer.
Puis son cœur reprit un rythme normal.
Il resta immobile, continuant d'inspirer profondément pour retrouver ses esprits.
Puis ouvrit les yeux.

Il vit la cime des arbres, loin là-haut, et derrière le ciel.
Si beau.
Si infini.
Si réel.

Une brise légère le caressa, comme pour le rassurer, mais sa simple fraîcheur suffit à le faire frissonner.
Il était trempé de sueur.

Il tenta de se redresser mais un éclair fulgurant de douleur traversa son crâne, le plaquant au sol.
La douleur était intense.

Terriblement fiévreux, il tâta délicatement et doucement sa tête du bout des doigts afin d'y trouver une quelconque blessure expliquant ce traumatisme. Il ne trouva rien.

Puis par hasard, ses doigts tombèrent sur la morsure. Sa joue semblait avoir enflée et le brûlait. De plus la plaie était visqueuse et collante sous les doigts.
Elle s'était infectée…
Cela expliquait sa monstrueuse migraine.
Il ne se souvenait pas d'où venait cette vilaine blessure, mais ses pensées étaient désordonnées, et la migraine l'empêchait de se concentrait correctement.

Attendant que la douleur passe, il tourna lentement la tête de chaque côté pour examiner les alentours.
Il était dans la forêt, allongé sur une épaisse couche d'humus.
Il ne reconnaissait pas cette partie de la forêt… Où se trouvait-il ? Comment était-il arrivé ici ?
Une grande fatigue l'envahie, et avant qu'il ne puisse y répondre, il sombra.


Il rouvrit les yeux.
Il faisait encore jour…
Il ignorait combien de temps il avait dormi. Quelques minutes ?
Quelques heures ? Une journée entière ?
Sa gorge était une nouvelle fois trop sèche.
La douleur semblait s'était calmé sans avoir autant disparu.

Avec précaution et délicatesse, il se mit peu à peu en position assise.
La tête lui tournait atrocement, et la nausée le prit d'assaut.
Il vomit, mais seulement de la bille.
Son estomac était vide.
Avec la soif, c'est la faim qui vint l'assaillir malgré le haut-le-cœur.
Il n'avait ni mangé ni bu depuis longtemps… Cela remontait à quand déjà ?
Il tenta de réunir ses souvenirs, mais il ne trouva que du noir.
Il fronça les sourcils, perplexe.
Comment était-il arrivé ici ?
Par instinct, il tapota avec sa main à sa ceinture. Sa sacoche était toujours là.
Il soupira de soulagement.

Au bout d'efforts surhumains, il arriva à se traîner jusqu'à un arbre pour s'y adosser, puis déboucha sa gourde et se désaltéra, tout en ressentant une étrange et angoissante sensation de déjà vécu… Malheureusement pas suffisamment, car le récipient était presque vide.

Cependant, il lui semblait avoir perçu le bruit d'un petit ruisseau, sans doute en train de couler non loin d'ici. Il ira y étancher définitivement sa soif une fois suffisamment remis.

Se laissant aller contre l'arbre, il ferma les yeux une nouvelle fois, et tenta de mettre de l'ordre dans ses souvenirs… Cependant, il fit face à un chaos indescriptible, constitué de fragments de réalité et de cauchemar mélangés et indistinct, se succédant sans aucun ordre logique.

Il se souvenait en train de courir dans les bois, mais n'arrivait pas à déterminer si c'était un souvenir réel ou fictif.

Et plus il tentait de se concentrer dessus, plus son esprit s'embrouillait et la nausée le reprenait de plus belle.
Cependant, hormis les affreux maux de tête et sa blessure à la joue, ainsi qu'une mystérieuse marque de griffure sur la poitrine, il constata avec soulagement qu'il n'était pas blessé ailleurs.
C'était l'essentiel… même s'il avait l'étrange et angoissante intuition d'oublier un élément important, mais lequel ?

C'est alors qu'une curieuse forme située à plusieurs mètres en face de lui et qu'il n'avait pas remarqué avant, à moitié dissimulé à l'ombre des racines aériennes d'un chêne centenaires attira son attention.

A cause de la fièvre qui lui troublait la vue en même temps que l'esprit, il n'arrivait pas à discerner si la chose en question était vivante ou non, et surtout si elle était réelle.

Il se figea sans la quitter des yeux, mais cette dernière ne semblait pas bouger.
Le temps passa. La silhouette ne bougea pas.
Cependant son instinct le laissait sur ses gardes.
C'était peut-être un prédateur ? Même si les Hommes-Bêtes entretiennent depuis des siècles un lien très intime avec la faune de la forêt de Korri, il existait cependant certaines espèces plus farouche et agressive que d'autres… Sans compter qu'il constituait une proie facile.

Mais il y avait quelque chose d'autres, un élément qui le perturbait et qu'il ne voyait pas, comme s'il devait accomplir quelque chose…

Au bout d'un moment, il ne tient plus.

Malgré sa fatigue, il invoqua la magie de son peuple pour mettre fin à ce voile de mystère.

Ses yeux obtinrent la vision perçante et infaillible de l'aigle.

Et enfin, il le vit.

Comme la dernière fois, son cœur s'arrêta brusquement de battre, son souffle se stoppa net, et il oublia pendant un instant toute douleur et sentiment d'angoisse.

Il était là.

C'était lui.

Le gardien des secrets oubliés.

Eternel et invisible observateur du monde.

Celui qui peut voir la véritable nature des gens et percer chaque mensonge.

Celui qui symbolise le mystère et la vérité.

Le Lynx.

L'individu qui se tenait en face de lui était sans aucun doute un des plus beaux représentants de sa race.

Animal majestueux, à la fois souple et robuste, à la fourrure brune et soyeuses, presque rousse et tachetée de points noirs et possédant un regard si profond et captivant qu'il serait possible d'y sombrer et de ne jamais revenir.

Et cette fois ce n'était pas une brève apparition.

L'animal se montrait dans toute sa splendeur, l'observant, avec calme et aussi étrange qu'inquiétant, avec une certaine sagesse.

Eäril ne respirait plus, s'abîmant dans ce regard vert éclatant refermant tous les secrets de ce monde.

De nombreuses minutes passèrent, sans qu'un seul des deux n'esquisse le moindre mouvement.

Puis le Lynx se leva, jeta un dernier regard à l'Homme-Bête… Puis partit tranquillement dans le sens inverse.

Ce fut comme une déchirure, si profonde et béante que le jeune homme s'apprêta à interpeller l'animal, quand soudain, une voix retentit dans son esprit.

Suis-moi.

Il s'arrêta net.

Quel était cette voix ? D'où venait-elle ? Pourquoi lui semblait-elle familière ?

Suis-moi.

Stupéfait et déconcerté, il posa de nouveaux ses yeux sur le Lynx… Qui contrairement à ce qu'il craignait, n'avait pas disparu, mais s'était de nouveau assis, plusieurs mètres plus loin, l'observant toujours comme si… Comme si il attendait.

Suis-moi.

Il ne réfléchit pas plus.

Prenant appui sur le sol et l'arbre et se mordant les lèvres et pour étouffer un râle de douleur, il se mit debout.
Puis, sans lâcher le félin des yeux, il fit un pas.
Sa vue se brouilla et le monde se mit soudainement à tourner autour de lui.

Suis-moi.

Au prix d'un effort presque surhumain, il réussit à reprendre ses esprits et le contrôle de son corps, puis fit un nouveau pas, puis un autre.
Il tituba et manqua de tomber plus d'une fois, mais sa volonté était forte, et la voix qui retentissait sans cesse dans son esprit l'hypnotisait.

Suis-moi.

Le Lynx se leva à nouveau et reprit la même direction.
Eäril, excité et fébrile malgré la fièvre terrassante, le cœur battant la chamade, prit une grande inspiration… Et le suivit.

Vers le Nord.
Répondre
#42
Le silence.
Elle le détestait. Du plus profond de son âme. D'une âme aussi pourrie qu'inutile, mais une âme qui ressentait encore, un peu. Quelque fois elle pouvait apprécier un picotement, un relent. C'était mignon et doux. Ça rassurait son petit cœur que l'enfant n'était pas devenue qu'une machine.

Combien de temps tout ça va durrerrr ? souffla Quoth.

Autant de temps que tu l'accepteras, et tu le sais.
Tu poses des questions stupides.


Elle eut un petit sourire amusé, un peu gêné aussi, d'arriver encore à être naïve parfois.
C'aurait été une victoire pour beaucoup, la preuve que même la plus grande des noirceurs n'aurait pu entaché la beauté même d'une jeune fille en fleurs.
Quoth ne voyait pas ça comme une victoire, mais comme une défaite.

La naïveté était l'intime amie de l'ignorance et de la bêtise.
Il n'y avait pas de place pour tout ça dans son monde. Seulement l'obscurité… L'obscurité un peu partout, de ses beaux yeux clairs cerclés de noirs à sa tignasse d'ébène.

Tu n'as pas besoin de lui, Quoth. Tu n'as besoin de personne…

L'oiseau sombre aux plumes spectrales vint se glisser contre elle, glissant sa gorge dans ses doigts pour y chercher une caresse. Quoth ne répondit pas. Aucune caresse. Aucune douceur n'était permise. Pas dans son monde, se répétait-elle tout bas, pas dans son monde à elle. L'obscurité est froide. Il n'y a jamais de chaleur. Son corps est froid. Tout entier, il est tellement froid…

Tu es seule.

Je sais, souffla-t-elle.

Tu n'as pas peur ?

Si, atrrrocement.

Elle ramena contre son torse ses jambes nues et endolories par le froid qui commençait à tomber sur la forêt, comme un lourd manteau gelé. Ce n'était peut-être que sur elle que ça s'abattait, mais elle avait froid. A l'âme. Au plus profond d'elle aussi. Quelque chose venait de se cristalliser.

C'était la première fois qu'elle restait seule, vraiment seule.

Parfois Goupil l'avait abandonnée. Elle se souvenait de toutes ses fois où dans une fuite d'enfant il l'avait laissée derrière, tombée, et c'était sans doute dit qu'elle se débrouillerait très bien toute seule.

Elle avait appris, sur le terrain, comment faire, comment fuir, comment survivre. Par la force des choses, poussée également par son propre instinct qui, grandissant et grandissant, avait fini par la remplir entièrement. Elle était douée. Elle savait écouter les arbres et pleurer les esprits. Elle avait appris à les suivre.

Devant ses yeux, perdus dans le vague, elle imaginait lentement les fumées intangibles de son passé. La douceur de l'eau sur sa peau, la fine rosée, puis finalement ses poumons lui firent mal. Elle accrocha le sol et en arracha les herbes vertes, douloureusement.

Allons, Quoth. N'y pense pas. C'est du passé…

Elle ferma les yeux et des larmes mouillèrent ses yeux sans pour autant rouler le long de ses pommettes. Elle retenait un cri. Un sanglot. Quelque chose. Pas de sentiment dans l'obscurité. Elle le savait pourtant. Pas de sentiment, car la faiblesse n'est pas autorisée.

Elle se plia finalement en deux, recrachant un amas sanguinolent sur l'herbe. Un crachat ou une petite boule de sang… Quelque chose qui fait mal. Quelque chose qu'elle n'aurait pas voulu voir.
Elle renifla, essuya sa bouche en se relevant. Elle vacilla, sans doute car elle s'était levée trop vite, mais se rattrapa aussitôt à un autre arbre.

Le corbeau spectre, lui, s'intéressa davantage à la petite boule et s'en approcha, d'un air curieux. Son bec s'y enfonça mais recula dans un cri à la fois perçant et douloureux. Elle détourna le regard, honteuse.

C'est corrompu ! pesta le corbeau, c'est corrompu, Quoth !
Qu'as-tu fait ?


Quelques battements d'ailes plus tard, sans aucune réponse de sa part, l'oiseau enfonça son bec dans le corps de la Corbic qui poussa un petit cri de colère, repoussant l'animal d'un air furieux. Son visage était froid et dur.
Le corbeau recula, hésitant.

Tu as fait… ça ?
Tu… as… osé… Quoth ?


Elle le fixa et finalement détourna le regard, de cet air fâché mais en même temps blessé.

Je ne l'ai pas fait exprrrès.
J'ai… voulu le sauver…


Son air était soudainement triste. Triste comme les pierres.
Elle se souvenait de l'animal. Un petit corbeau. Il était tombé dans la marre aux esprits, une petite source au sud de Jada. Goupil aimait bien s'y aventurer, et puis, il y a eu ce jour. Sa fuite. La laissant derrière. Seule. Et ce petit corbeau de rien du tout qui était tombé du nez, trop jeune, trop faible. Piquant dans la source sans pouvoir s'en sortir, sans savoir voler.

Elle avait seulement voulu le sauver.

Elle inspira profondément, et ses poumons la firent souffrir.

Tu t'es maudite ce jour-là…

Elle jeta un œil au corbeau mais il venait de disparaître.

Ne t'est-il jamais venu à l'esprit que ce corbeau pouvait être… toi ?

Elle pencha la tête, délicate et sensible sur le moment.
La fleur de mana accrochée à ses cheveux perdit un pétale, comme elle perdait un morceau de son âme. Elle la ramassa mais elle se transforma en une poudre fine qui regagna les profondeurs de la terre.

Tu as peut-être essayé de te sauver ce jour-là.

Mais plutôt que de me sauver, je me suis maudite.

Peut-être que c'était ton destin.

Il n'est du destin de perrrsonne d'êtrrre maudit.

Mais tu n'es pas personne, Quoth.

Elle s'arrêta de penser, touchée.

Elle inspira profondément, de nouveau, et ses poumons semblaient libérer. Un peu plus libre que la seconde d'avant. Elle posa une main sur sa poitrine en faisant un pas.

Tu as voulu libérer son esprit, mais il t'a entaché.

C'était un piège. Comme il y en a tant… J'étais trrrop jeune pour savoirr. Pour comprrrendrre.

Mais maintenant, tu sais.

Elle s'arrêta de marcher, jetant un regard curieux au corbeau.

Ce que je sais ?

Que tu dois te débarrasser de moi pour survivre.

Un silence.

Quoth éclata de rire, d'un grand rire, à la fois fou et joyeux, un rire de gens hilare, un rire de désespérés aussi. Elle recula d'un petit pas avant de secouer la tête, se tenant le ventre d'une main. Son flanc était encore atrocement douloureux, et chaque vibration était une torture, mais elle riait, elle riait tellement… Cela faisait si longtemps.

Le corbeau pencha la tête, intrigué.

Je ne vais pas te tuer ! Elle pouffa de rire, essuyant une larme hilare mêlée de tristesse coincée à la commissure de ses yeux : Je vais me serrrvirr de toââ.

Pour quoi faire ?

Elle recommença à marcher, s'appuyant sur son bois de buis.

Tu verrrras.

Je ne veux pas voir. Dis-moi ou je lis dans ton esprit !

La chamane eut un petit rire, levant les yeux au ciel.

Parrr Wismo… Tu ne comprrrends rrien… Le corbeau sautilla à ses côtés, rattrapant de deux battements d'aile la marche lente de l'estropiée. Tu ne peux plus rien pour moââ. Ni sur mooâ. Tu as perrrdu, Corrbeau de malheur. Tu comprrends ? Perrrdu la bataille, perrdu la guerrre…

Le corbeau gonfla son plumage, prêt à pousser un cri perçant, mais son bec resta soudé. Ses yeux noirs grossirent, l'air surpris, jetant un œil à la chamane qui ricanait.
Elle s'était arrêtée dans la plaine, sous la lune blanche qui jetait sur elle ses rayons froids.

Elle ressemblait à une apparition, à un fantôme. Peut-être même une Banshee.
Une étrange créature, pensa le corbeau en s'approchant.

Elle lui jeta un regard, l'air serein.

Je n'ai plus rrrien.
Je n'ai… plus rrien. Je n'ai jamais possédé. Je n'ai rrien qui ne soit à moââ. Rrien qui ne veuille de moi. Rrien qui sooâât pourr moââ de valeurrr.

Tu sais ce que j'ai, corrrbeau de malheurrr ?

Moâ.

Juste moâ.


Le corbeau se rapprocha mais la chamane lui mit un coup de bâton sur le crâne, si bien que l'animal eut un petit mouvement engourdi. S'il n'avait pas été intangible, sans doute serait-il mort.

Ne me dis pas Goupil !
Ne me dis pas Eärrril !


Le spectre la regarda d'un air effrayé, son plumage disparaissant comme il reculait pour s'éloigner de sa maîtresse.

Quoth releva les yeux sur la plaine, jetant un regard à la forêt. Korri était magnifique vu de l'extérieur. Elle ne se souvenait d'ailleurs pas de l'avoir vu si belle un jour…

Je n'ai rrrien.
Ni peurrr, ni jooâ.
Ni vide, ni possession.
Ni ami, ni ennemi.

Tout ce que j'ai, c'est ça.


Le corbeau l'observa, puis dans le lointain, son œil perçant comprit.

Une petite troupe de trois centaures approchait, l'un tenait une torche, l'autre un bouclier et une épée, et le dernier enfin portait la robe des mages du peuple de la lune. Il recula, gonflant de nouveau son plumage mais son bec était toujours fermé.

La morrt.

Un petit ricanement fou grimpa sur les lèvres de la jeune fille qui devenait femme.
Dans le sang.

Je n'ai que la morrrt.
A donner ou à recevoâârrr.


Ses yeux bleus percèrent l'horizon et percèrent la troupe des trois centaures comme elle relevait le menton, d'un air terrible.

J'ai blessé Korrrri.
J'ai blessé mon cœur.


Ni l'un, ni l'autre n'aurrra plus jamais à s'inquiéter des plaies car c'est parrr le feu que je les rrreferrmerais.

Parr le feu, je cautérrriserais…

Comme elle murmurait cela, la lanterne que tenait le centaure s'enflammait davantage, si bien qu'il l'a lâcha, la main brûlée.

Des cris s'élevèrent dans la plaine, mais Quoth ne bougea pas.

C'était ce soir ou jamais…
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#43
Il marchait dans la forêt, suivant toujours le Lynx qui l'attendait régulièrement.

Depuis combien de temps marchait-il ainsi à l'aveuglette ?

Il n'avait pas réussi à retrouver depuis son réveil la notion du temps. La luminosité, déjà faible sous le feuillage épais des arbres, et qui se faisait peu à peu de plus en plus rare, lui indiquait néanmoins que l'a nuit approchait.

Ses jambes lui faisaient mal, courbaturées.

Ses souvenirs lui étaient en partie revenus.

Il put alors se remémorer qu'il n'avait cessé de marcher ces derniers jours, et qu'il n'avait plus depuis trop longtemps déjà goûté à un repos fort bien mérité.

Combien de temps allait-il encore tenir dans cet état ? Il l'ignorait.

Heureusement, sa fièvre avait pratiquement disparu.

Sur le chemin, son mystérieux guide s'était arrêté plusieurs minutes auprès d'un cours d'eau pour lui permettre de se désaltérer complétement, et de remplir sa gourde en prévision du reste du chemin.

Puis, plus loin, le félin avait de nouveau fait halte, cette fois-ci à côté d'une concentration sur le sol d'une plante nommée Arum.

Eäril connaissait cette plante à la fleur étrange et à la grappe de fruit rouge très populaire, que les légendes reliaient beaucoup aux vipères. Ses grandes feuilles vertes et centaurées possédaient des propriétés cicatrisantes, et permettaient de lutter efficacement contre les infections des blessures externes.
Or il portait une blessure infectée.

Il avait alors jeté un regard interrogateur au Lynx, qui impassible, resta immobile, comme s'il attendait quelque chose.

Etait-ce le fruit du hasard ? Sans doute pas…

Il prit alors le temps d'improviser un cataplasme en mâchant au préalable les feuilles de la plante en prenant soin de ne pas en avaler, puis en étala sur la totalité de la plaie infectée la pâte visqueuse ainsi obtenue.

Ceci fait, l'animal, semblant satisfait, se releva et reprit sa route, inlassablement, derrière lui et continuant à le suivre, un Eäril épuisé mais déterminé, dont se bousculaient néanmoins dans la tête, pour ne pas changer, de multiples questions.

Il n'y avait rien de plus normal que son totem le guide et l'aide, c'était d'ailleurs la mission d'un totem de jouer le rôle de gardien et de guide auprès de ses protégés... Malgré tout il n'arrivait pas à comprendre pourquoi il faisait ça.

Quelles étaient ses intentions ?

Pourquoi cette marche silencieuse et interminable ? A-t-elle une destination au moins ?

Et surtout, pourquoi se montrer maintenant, alors qu'il n'avait cessé jusqu'alors de se soustraire à lui, de l'éviter, malgré qu'il ai tout fait pour tenter de communiquer avec lui ?

De plus, il n'avait jamais eu la certitude que cet animal était réellement son totem… Néanmoins, il avait toujours écarté cette hypothèse, afin de pouvoir se raccrocher à un espoir au moins une fois dans sa vie, si frêle et fragile soit-il.

L'épreuve initiatique durant laquelle chacun découvre l'identité son animal totémique est un moment crucial pour chaque jeune Homme-Bête.

Normalement, une semaine est suffisante pour que lui soit révélée la véritable nature de son totem… Mais dans le cas d'Eäril, les choses n'avaient pas été aussi faciles, et constituait encore pour lui, un moment tragique et sombre dont il ne voulait pas se rappeler, qu'il fuyait... Encore une fois.

Pourquoi cherchait-il ainsi perpétuellement à se faire douter et à sa torturer inutilement ?

Il serait évident pour n'importe quelle personne autre que lui que cet animal était bien son totem, et nombreuses étaient les preuves qui allaient dans ce sens : les apparitions, les visions, l'invitation à le suivre, l'eau, la plante…
Mais il n'était pas comme n'importe-qui, et la boule noueuse de l'anxiété persistait au creux de son ventre, comme une angoisse indicible.

Etait-ce un piège ?

Une illusion ?


A plusieurs reprises depuis qu'il suivait ses pas, il s'était pincé, craignant d'être une fois de plus la victime d'un doux et illusoire rêve, derrière lequel se dissimulait un insidieux cauchemar.

Mais à chaque fois, rien ne s'était passé, hormis la douleur…
Mais dans les songes aussi, on pouvait souffrir…

Il pensa également à rattraper la bête et à la toucher, pour s'assurer qu'elle était bien réelle, mais il craignait de l'effrayer et de la faire fuir, et peut-être cette fois pour toujours. Et il ne pouvait pas prendre ce risque, celui de voir se briser sa seule chance d'obtenir des réponses.

De plus, il avait un peu plus tôt pu remarquer l'empreinte de sa patte dans une dépression boueuse le long d'un ruisseau, avait pu le toucher, la sentir… Alors pourquoi continuait-il ainsi à douter ?

Agacé par cette contradiction qui le déchirait et le tourmentait, celle de ne pas croire ce qu'il voulait à tout prix croire, il décida de rejeter ces inquiétudes parasites pour ne plus se concentrer que sur sa marche.

Quelle utilité de se poser des questions dont il ne possédait pas les réponses ?

Il devait se contenter de le suivre. Qui sait, sans doute se trouvait au bout du sentier, les réponses, si attendues et espérées ?

Oui, il ne devait pas réfléchir et marcher.

C'était aussi simple que ça.

Et pourtant...



Machinalement, il porta ses doigts à sa blessure afin de vérifier que le cataplasme tenait bien.

Le remède semblait efficace, sa migraine avait disparu et la fièvre se dissipait peu à peu.

S'il n'avait rien fait, et surtout, si son guide ne lui avait pas montré la plante, sans doute aurait-il fini par succomber à un moment ou l'autre l'infection.

Finalement, cette morsure à première vue bénine avait bien failli se révéler mortelle.

Quoth…

Il se souvenait à nouveau d'elle à présent... Et cela n'était pas sans amertume.


Etait-ce parce qu'il l'avait abandonné que la blessure s'était infectée ? La corbeau avait-elle tenté de se venger en usant de sorcellerie ?

Venant d'une pareille femme, cela ne l'étonnait pas… Et l'effrayait aussi, tout en le plongeant dans une profonde mélancolie.

Pourquoi était-il triste pour une femme dont il ne connaissait presque rien et à qui il avait sauvé la vie malgré en l'apportant à temps aux disciples d'Hallista, et ce malgré ce qu'elle lui avait et lui faisait toujours endurer ?

Certes, il était celui qui avait failli la tuer. Mais cela était nécessaire, ou un pan entier de la forêt aurait-été consumée par les femmes.

Il n'y avait à cet instant-là pas d'autres choix possibles.

Il avait fait ce qui devait être fait.

De plus, une fois entre les mains des guérisseurs, sa présence n'avait plus été nécessaire.

Alors pourquoi ? Pourquoi culpabilisait-il ainsi ?

Pourquoi s'inquiétait-il de savoir si elle allait bien ? De savoir où elle se trouvait à présent ?

Pourquoi le souvenir de ces deux yeux bleus implorant et suppliants qui le fixait, l'appelant à l'aide dans un cri de détresse silencieux, le hantait-il ainsi, revenant sans cesse parasiter le cours de ses pensées malgré qu'il le chassât à chaque fois ?

Elle devait le haïr à présent...

Non.

Elle le haïssait, c'était une certitude.

Il l'avait laissé seul alors qu'elle réclamait son assistance.

Il avait fui, en la laissant derrière lui. Seule.

Fui, comme toujours, comme l'éternel lâche qu'il était.

Le souvenir tragique de sa famille remonta du plus profond des plus profondes noirceurs de son âme.
Un autre tel que lui aurait pleuré toutes les larmes de son corps, mais cela faisait longtemps à présent que ces dernières l'avaient quitté et ne venaient plus quand il réclamait leur présence, afin d'extérioriser silencieusement sa souffrance et sa solitude.

C'était lui qu'on avait abandonné, qu'on avait laissé seul. Pas l'inverse.

Et c'était la faute de cette femme.

La blessure, le feu, les cauchemars, la douleur. Tout.

Tout ceci était sa faute.

Pas la sienne.

Quel que soit l'endroit où elle était et sa situation, elle pouvait bien crever, et son cadavre se faire déchiqueter par les charognes ! Plus jamais il ne recroisera sa route, plus jamais !

Et si malgré tout, le destin en décidait autrement... Alors il la tuerait. Ce qu'il aurait déjà dû faire depuis longtemps déjà.

Mais cette fois-ci il n'échouera pas.

Simplement.

Efficacement.

Et ensuite, il sera libre.

Libre de mettre fin, à son tour, à sa misérable et pathétique existence.

Oui.

Voilà ce qu'était le destin d'un maudit tel que lui.

Il ne pouvait pas y échapper.

Ne le souhaitait pas.

Mais avant, avant, il devait faire quelque chose.

Découvrir ce que son totem comptait lui révéler.

Découvrir la vérité.


Chaque chose en son temps.

L'heure viendra où il pourra enfin accomplir son destin.



Il s'extirpa du fil obscur de ses pensées… Pour réaliser que le souffle du vent avait changé. Il était devenu plus fort, plus tenace.

Il s'arrêta et regarda autour lui. Il était sorti de la forêt et se trouvait à présent à la juste limite de sa lisière.
S'étendait devant lui, jusqu'à l'horizon et sans discontinuités, les plaines.

Le jour s'était définitivement couché.

Le froid féroce et vil de la nuit mordit sa peau dénuée.

Il frissonna.

Devant lui, il distinguait avec difficulté son guide.

Malgré qu'ils étaient à présent à découvert et vulnérables, l'animal persistait d'avancer avec la même nonchalance vers le Nord.

Etrange.

Les lynx étaient réputés pour être des animaux qui restaient cachés, d'où la difficulté de les voir, et il pouvait d'ailleurs en attester lui-même...

Alors pourquoi sortir de la rassurante et protectrice exiguïté des arbres ?

Qu'y avait-il ainsi au Nord, qu'il voulait à tout prix lui montrer, au risque de se mettre lui-même en danger ?


Toujours des questions sans réponse.

Et toujours la même conclusion, la seule et unique qui s'imposait à lui : le suivre.

Il reprit sa marche.

Très vite, il réalisa que ses inquiétudes n'étaient pas justifiées : son totem s'avéra encore plus difficile à suivre que dans la forêt et malgré le fait que ce dernier n'ait pas modifié son rythme, du fait de l'obscurité et du parfait mariage de sa silhouette avec les ombres environnantes.

On ne pouvait pas dire la même chose de lui, qui debout et seul dans une zone aussi découverte, était beaucoup plus vulnérable.

Aussi redoubla-t-il de prudence et de précaution, et continua d'empreinter les pas de son totem.

Il marcha pendant de longues minutes à l'aveuglette, traversant les immenses plaines ventées que seul éclairait le pâle halo de la lune… Quand soudain, une lumière et des cris au loin l'arrêtèrent net.
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#44
Un long serpent de lumière grimpa autour de la jeune fille, finissant de refermer ce qui avait été jadis une plaie et qui n'était aujourd'hui plus qu'une cicatrice.
Une horrible cicatrice sur son flanc, mais pour ainsi dire, personne ne la verrait jamais.

Faisant face seule dans la plaine, les trois centaures observaient de l'autre côté de la rivière l'étrange jeune femme qui était plantée là, tenant d'une main un bâton de buis grossier, sans armure, sans rien.

Vous n'avez rrien à fairrre ici, peuple de fou !

Le corbeau émit un petit rire, ou ce qui y ressemblait tout du moins, en reculant un peu sur le sol.
Son bec était toujours solidement fermé ce qui l'empêchait de dire un seul mot, et l'esprit de Quoth n'avait jamais été plus fermé qu'aujourd'hui.

Un livre sans mots, voilà ce qu'elle était. Ou un livre scellé ?
L'esprit du corbeau l'ignorait.

Il savait en revanche qu'elle ne possédait plus de haine envers elle-même.
Ce soir, elle était différente des autres soirs. Sa colère était tournée vers les autres.

Ça se lisait même dans son regard céruléen. Elle les haïssait comme elle avait pu se haïr pendant des années.
C'était une colère méritée, argumentée pour autant.

Les centaures, eux, n'en avaient cure. Ils avaient bien décidé de faire quelque chose.
Ils étaient trois.

On ne se baladait pas là où Cassandor s'était tenu impunément, et surtout, on ne traversait pas la Sorlin sans aucune raison. La forêt de Pelethor était trop loin.
Pourquoi ?

Elle serra les dents, sans peur aucune.
Si son corps mourrait aujourd'hui, elle serait libérée.
Si elle survivait aujourd'hui, elle recommencerait, encore, et encore.

Ces frrrontièrrres ne sont pas faites pourrr les chiens !
Retourrrnez d'où vous venez !


Un premier centaure – celui au bouclier – plongea dans l'eau.
Elle sera le bâton d'un air furieux

Elle persifla :

Je n'en épargnerrrrais pas un seul d'entrrre vous.

Le centaure ricana.

Je vous aurrrais prévenu…

Le ciel devint plus sombre tout d'un coup.
La lune venait de se cacher derrière un nuage, juste à temps pour qu'Aletheria sans doute ne voit pas l'éclair qui s'abattit comme un diable dans l'eau et électrisa le centaure entier et son équipement de métal. Une décharge qui brûla ses cuisses et laissa ses pattes fortes en sang. Un cri.

Elle jeta un regard aux deux autres centaures qui se rapprocher, hésitant à sortir leur ami de l'eau mais tout au-dessus des vaguelettes, un crépitement électrique indiquait que la Sorlin était plus piégée encore que l'âme de la chamane qui s'était reculée à bonne distance, tout juste assez pour être hors de portée de lances, flèches et autres sorts.

Ils sont trois… souffla le corbeau.

Quoth posa sur lui un regard froid, comme il venait de parler.
Elle venait de perdre sur lui l'emprise qu'elle avait jusqu'alors.

Le regard du corbac sombre se posa au loin, derrière, vers la forêt de Korri et ses entrailles.
Elle suivit du regard les yeux du corbeau.

Son dos s'électrisa et son cœur rata un battement.

Non !

Elle eut un sursaut de peur, son dos s'électrisant.

QUOTH !

Elle jeta un regard et deux des centaures venaient de passer l'eau où l'électricité était morte.
Elle recula d'un pas, faisant sortir de terre des stalagmites qui auraient pour effet de les ralentir, au mieux de les blesser.

Elle se retourna, jetant un regard furieux à l'autre homme-bête :

Fuis maintenant !Idiot ! Imbécile !

C'était son combat à elle.
Pas le sien.

Il n'avait pas le droit.
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#45
Intrigué, il porta son regard vers la rivière Sorlin, d'où provenait la faible lumière et les voix, tentant de distinguer non sans difficulté les silhouettes floues qui s'agitaient au loin.

Il lui semblait voir des centaures de l'autre côté de la berge, peut-être deux, peut-être trois, il ne pouvait le dire précisément.

Et de l'autre, sur la même rive que lui, une forme humaine.

Un autre Homme-Bête ?
Un Hélion ?
Non, pas si loin du désert.
Un Elfe sylvain ? Possible... Mais ils semblaient se faire face, comme s'ils se défiaient.
Non, ce ne pouvait être qu'un Homme-Bête.


Perplexe, il tourna la tête pour regarder son totem... Et constater que ce dernier ne l'attendais pas et continuait de s'enfoncer toujours plus loin dans les ténèbres... Jusqu'à disparaître.

La panique commença à l'envahir.

S'il ne se lançait pas dès maintenant à sa suite, il le perdrait définitivement de vu.

Que devait-il faire ?

Aider un membre de son peuple face à ces fanatiques stupides d'homme-chevaux, ou continuer à suivre son totem, ce dernier ne semblant pour une fois peu enclin à l'attendre ?


Cela lui parut étrange, mais pour une des rares fois dans sa vie, le choix fut rapide et simple:

Il suivrait son totem. Ce qui était en jeu était trop important pour lui pour risquer de tout perdre. Pas maintenant, alors qu'il était si proche du but.


Si l'autre Homme-Bête souhaitait rester en vie, il n'aura qu'à fuir..

Sinon... Tant pis.

Il ne semblait de toutes manières n'y avoir personnes d'autres... Donc pas de témoins potentiels, aucun personne qui pourrait l'accuser de ne pas porter assistance à un membre de sa race.

Et même si c'était le cas... Il était toujours possible de se débarrasser du gêneur.

Il fallait qu'il parte.
Maintenant.

Il ne pouvait pas attendre plus longtemps.

Néanmoins c'était presque avait regret car il aurait voulu, par pure curiosité, connaître l'identité de celui ou celle qui allait abandonner à son sort...

Mais c'était inutile.

Il n'y avait aucun risque que ce soit une personne à laquelle il tienne.

Car il ne tenait à personne, et personne ne tenait à lui.



Au moment où il s'apprêtait à se retourner et continuer son chemin, un éclair zébra le ciel, éclairant d'un flash éclatant et intense la plaine pendant un bref instant.

C'était court.

Mais suffisant pour qu'il puisse discerner les détails de l'Homme-Bête.

C'était une femme.
Simplement vêtue d'une robe et armé d'un bâton de buis.
Le sort semblait venir d'elle.
Et étant donné la nature de ce dernier, ce ne pouvait être qu'une chamane.


Une intuition s'empara soudain de lui.

Un frisson le parcourut.

Cette silhouette lui disait quelque chose...

Non.

Impossible.


Ce ne pouvait être elle.

Non.

La pénombre était trop importante.

Il ne pouvait affirmer que c'était elle.
Du moins tentait-il de s'en convaincre.

Tant pis.
Il préférait vivre éternellement avec cette question comme fardeau plutôt que celle de ce que va lui révéler le Lynx.

Il s'apprêta à courir vers sa direction.


Sauf que la femme se retourna vers lui.
Et lui hurla quelque chose.
Un ordre.

S'il ne pouvait voir avec précision son visage, impossible de ne pas reconnaître cette voix caractéristique...



C'était vraiment elle.
Elle était là.
Elle était en danger.

Que devait-il faire ?

L'aider ?

Tu veux l'aider, après toutes les souffrances qu'elle t'a causé ? Souviens-toi de la morsure. Elle a failli de tuer. Elle a voulu te tuer.


La tuer ?

Elle le mérite. Amplement. Elle doit mourir. Pour ce qu'elle t'a fait et ce qu'elle a sans doute fait aux autres. C'est une sorcière. Elle doit mourir… Mais pas forcément de tes propres mains.

L'abandonner ?

Le signe que tu attendais tant de ton totem est enfin arrivé. Et tu comptes laisser cette chance filer pour cette maudite corbeau porteuse de malheur ? Laisse les centaures s'en occuper et suit-le.

Elle ne mérite pas que tu l'aides.
Elle ne mérite pas que tu lui apportes ton attention.
Elle ne mérite rien de toi.
Personne ne mérite rien.
Oublie la.
Et suit-le.


Après tout, c'est bien ce qu'elle t'ordonne, non ?

Son visage se durcit.

Et en accordant à peine à la jeune femme ce qui était peut-être le dernier regard qu'il lui adressait, se tourna et partit en courant, engloutis presque aussitôt par les ténèbres gourmandes de la nuit.

Une fois encore, il fuyait.

Une fois encore, il l'abandonnait.
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#46
Elle le fixa. De longues secondes.
Il bougea. Tourna les talons. Partit.

Elle eut un sourire misérable sur la gueule, un masque triste. Elle n'aurait pas cru qu'il l'écouterait.
Dans le fond, ce n'était qu'un esclave. Un fuyard. Un lâche.

Elle resserra sur son bâton de buis sa poigne de fer, jetant un regard derrière elle. Au loin – qui n'était plus vraiment si éloigné que ça – les centaures se rapprochaient en bande compacte. Le guerrier devant. Le mage derrière.

Elle serra les dents.

Tu veux que je t'aide ?

Elle jeta un regard à l'étrange corbeau, et eut un sourire.

Tu n'as pas le choâ.
Si tu veux vivrrre, fais-moââ survivrrre.


Le corbeau croassa pour toute réponse alors qu'elle le regardait s'incorporer au sein du bois pour finalement surmonter de sa gueule ouverte et béante le pommeau du bâton.

Elle força sa poigne dessus, attendant le bon moment et finalement cogna le bâton sur le sol. Une décharge brûlante, comme une flammèche ardente, se dégagea en cercle autour d'elle et balaya les environs, faisant se reculer de nouveau les bourrins.

Elle ne semblait pas avoir peur.
Elle n'avait pas peur.

Son regard bleu perça le regard du centaure précédemment blessé et maintenant vraiment mal au point.

Je t'ai dit de rrretourner dans ta forêt, centaurrre.
Mais vous n'en faites toujours qu'à votrrre tête…


Alors que le mage allait incanter, elle dégagea de sa hanche un cor de chasse fait d'os de loup.
Elle leva en l'air, inspira profondément et souffla.

Le bruit résonna dans toute la plaine et balaya l'orée de la forêt, réveillant quiconque avait pu trouver le sommeil jusque-là.

Le silence retomba sur les alentours.

Le corbeau, lui, resta immobile, bouche sur le rebord du cor.

Rien à l'horizon ne se profilait.

Les secondes devinrent des minutes, qui devinrent plus longues encore, toujours plus longues.

Le centaure ricana :

On dirait bien que tes amis te laissent seuls !
Maintenant que tu es toute seule à nous, nous allons pouvoir te faire crier…


Le corbeau eut un petit rire alors qu'elle reculait d'un pas, relevant les yeux.

Tu veux m'entendrrre chanter ?

Le sourire qui s'afficha sur la face de la Corbic aurait glacé le sang de n'importe quel diable, de n'importe quel efrit, tant il semblait empli de haine et mauvais. Le centaure eut un moment d'hésitation avant de lever son bouclier.

Qu'on en finisse !

Un bruissement derrière eux fit trembler Korri toute entière, ou tout du moins toute l'orée qui s'affichait en face de l'étrange groupuscule.
Un bruissement, puis le silence.

La Corbic eut un rire fou alors qu'elle se retournait, jetant un regard aux trois centaures, et finalement se mit à courir, aussi légère qu'une plume, aussi rapide qu'une flèche, passant dans le vent comme un éclair.

A L'HALLALI !

Le cri ne venait pas d'elle mais d'un homme au loin, derrière les arbres. Sur son crâne, deux oreilles de loup indiquaient qu'il était du totem de celui qui guide, du professeur. C'est sans étonnement que sortit alors tout un clan, un groupe d'hommes-bêtes, nombreux. Quoth n'eut pas le temps de les compter, mais ils étaient au moins dix.

Un flot doré passa entre eux, ressemblant à des dizaines de lucioles, qui venaient des deux guérisseurs sans totem à l'arrière du groupe.

Il y eut l'obscurité, puis des éclats blancs dans le ciel.

Les centaures levèrent les yeux.

Des étoiles filantes ?

Non. Seulement une pluie de javelines acérées qui perça leurs peaux et eut fini d'achever le seul des trois qui possédaient un bouclier. De nouveau le Cor retentit, mais il venait du loup. Un long hurlement plus au sud lui répondit et bientôt c'est toute la forêt qui tremblait de tambours de guerre aux rythmes rapides.

Ce n'était pas une simple bataille.

C'était une chasse à cours.

La Corbic resta silencieuse sur le bord de la forêt, le flanc encore douloureux quoi que guérit.
Elle jeta un regard derrière elle, observant les loups qui encerclaient les deux centaures restant.

Quoth. Ce n'est pas eux ta proie.
Trouve-le !


Elle lui jeta un regard, surprise, se rappelant alors qu'elle était bien là, ici-bas, dans ce monde.
Et qu'il y avait encore Eäril, quelque part.

Je ne sais pas où il est…
Je ne veux pas savoirrr.


Elle s'éloigna du groupe alors que le corbeau s'extirpait de nouveau du bâton de buis, lui redonnant une apparence claire et propre. Il secoua ses ailes desquelles s'évaporer un peu de fumée à l'odeur de soufre. Elle grimaça, d'un air terrible.

Et puis, il a fui.

Tu le lui as demandé.

On ne fait jamais ce que l'on veut que l'autrrre fasse.

Si. On le fait.
Il n'y a que toi qui ne le fais jamais dans ce sens, Quoth.


Un petit silence de nouveau sembla creuser le fossé entre elle et son totem.
Le petit corbeau leva les yeux au ciel d'un air attristé et finalement étira ses ailes de brume sombre et s'envola d'un simple battement d'aile.

Suis-moi pauvre folle ! Suis-moi…

Elle lui jeta un regard, gronda, hésitante.
Il lui fallut perdre de vue son totem pour se jeter à sa poursuite, sautillant au milieu de la forêt pour éviter les racines apparentes qui nervurer le sol.

Suis-moi, suis-moi…
Je te montrerais le chemin…


Attends-moââ !

Elle se mit à courir, plus vite encore, à le suivre.
Il l'avait perdu une fois, quand elle l'avait suivi dans la source.
Pourquoi est-ce que le suivait de nouveau ?

Son estomac se serra.

Non.
Pas par espoir.

Elle avait perdu tout espoir ce jour-là…
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#47
Il courait à en perdre haleine.

Il ne le voyait plus.

Où était-il passé ? Pourquoi l'avoir attendu et guidé pendant des heures jusque-là, puis soudain disparaître ?

Et pourquoi s'était-il arrêté, pour fuir à nouveau, encore et toujours ?

Qu'est-ce que tout cela signifiait, à la fin ?

Cela faisait à présent plus d'une heure qu'il courait, paniqué, affolé, trébuchant, s'éraflant, s'épuisant, gaspillant ses dernières forces.
Mais rien.
Ni signe, ni trace.
Et le ciel qui, complice, dissimulait à présent la lune d'épais nuages, empêchant l'éclat de celle-ci de l'éclair.
Il était dans le noir.
Il l'avait perdu.
Il était perdu.
Il était seul.
Cherchant désespérément et vainement son souffle disparu, le corps tremblant de colère et de frustration, il tomba à genou, abattu, impuissant, vaincu.
Le lynx était parti.
Pour de bon.
Il ne le reverrait plus jamais.
Jamais.


Pourquoi… ?
Pourquoi ?
Pourquoi ça se passait toujours ainsi ?
Pourquoi était-il toujours celui qui souffrait ?
Pourquoi tout était si sombre, si douloureux, si cruel ?
Pourquoi lui ?
Pourquoi était-il né ?
Pourquoi s'obstinait-il à vivre ?
Et pourquoi toujours ces question ? POURQUOI ?!

Son totem l'avait manipulé, s'était joué de lui… Et il n'avait rien vu.
Ou plutôt, il avait vu le piège… Mais n'avait jamais voulu y croire.
Tel un idiot qui s'est blessé et refait encore et toujours la même erreur, et encore et toujours souffre.
Il s'était délecté de son impuissance, de ses illusions… Puis, une fois lassé, avait piétiné ses derniers espoirs puis l'avait abandonné.

Il n'aurait jamais de réponse à ses questions.
Jamais.
Jamais.
Jamais.


Il projeta sa tête violemment en arrière, dévoilant sa gorge au ciel masqué, serra violemment les poings à s'en faire blanchir les phalanges… Et cria.
Cria contre le ciel.
Cria contre son totem.
Cria contre la femme corbeau.
Cria contre tous, Hommes-Bêtes, Hélions, Centaures et Elfes Sylvains.
Cria contre le monde.

Un cri de souffrance.
Un cri de désespoir.
Un cri de solitude.
Un cri de colère.

Un appel à la vengeance.
Un appel à la haine.
Il les détestait.
Tous.
Ils s'étaient tous moqués de lui.
Ils s'étaient tous joués de lui.
Tous, ils l'avaient blessé.
Tous, ils l'avaient tué.

Solitude.
Désespoir.
Mélancolie.
Culpabilité.
Tristesse.
Colère.
… Haine.


Son âme tomba de l'étroit chemin qu'elle s'était toujours forcé de suivre jusque-là, et sombra définitivement dans les flammes infernales de la colère qu'ils l'attrapèrent et l'avalèrent.


Il se releva.
Lentement.

DETRUIRE.

ANEANTIR.

PULVERISER.

EXTERMINER.

TUER.

TOUS.



C'était fini.
Plus de tristesse.
Plus de culpabilité.
Plus de doute.
Plus de remord.

Plus rien hormis la haine.


Il entendit soudain un bruit derrière lui.
Un craquement.
Il tourna la tête… Et vit une ombre foncer sur lui.
C'était un être petit et nauséabond.
Un être vil et mesquin.
Un gobelin.
Comme ils en rôdaient une multitude sur les plaines.
Ils l'avaient entendu crier.
Ils s'étaient dirigés vers lui.
Et maintenant, ils allaient le tuer.
Son assaillant arriva en un clignement à quelques pas de lui l'ayant à sa portée, levait à présent sa hache souillée et rouillée au-dessus de lui, prêt à frapper.
La lame brilla d'un éclat inquiétant.

NON.

Il murmura un mot.
Un seul.
Un halo d'énergie pur enveloppa sa main droite.
La hache s'abaissa.
Sa main fit alors un grand mouvement diagonal de droite à gauche et de bas en haut, comme s'il tranchait son attaquant de la paume.
Arrivée à mi-hauteur, la magie se détacha de sa peau et partit comme une flèche sur le gobelin en cinq griffes redoutables et tranchantes.


Le cuir s'ouvrit.
La peau verte du gobelin se déchira.
Les os craquèrent dans un bruit écœurant.
Le corps fut projeté sous l'impact en arrière et sur plusieurs mètres, puis s'écrasa avec violence comme une marionnette détachée sur le sol, les membres désarticulés.
Mort sur le coup.

Sans attendre un nouvel individu le chargea sur le côté avec un cri hystérique.
Sa main brilla à nouveau… Puis vola, comme un oiseau porteur de mauvais présage. Porteur de mort.

L'attaque toucha le deuxième gobelin en plein visage. Ce dernier sous le choc, perdit l'équilibre et tomba sur le sol en poussant un cri de douleur.
La misérable créature tenta de se relever tant bien que mal, mais quand elle leva de nouveaux les yeux sur sa proie, celle-ci était juste en face d'elle.
Il n'eut pas le temps de réagir.
Il ne vit seulement que ses yeux.
Des yeux ardents.
Des yeux dans lesquels dansait avec ferveur la flamme de la colère.
Des yeux dépourvus d'humanité.
Et un sourire.
Un sourire pervers.
Un sourire carnassier.

Son poing s'écrasa dans un craquement écœurant sur le visage de l'autochtone.
JE VOUS HAIS.
Une projection de sang vert arrosa son visage.
La tête du gobelin cogna une nouvelle fois le sol.
Il se jeta sur lui, enfonça son genou dans sa cage thoracique, brisant ses côtés, brandit l'autre poing et frappa une nouvelle fois.
JE VOUS HAIS TOUS.
Et encore.
JE VAIS TOUS VOUS TUER.
Son visage se teintait peu à peu de vert, ses phalanges craquaient, criaient, à la limite d'exploser, mais il continua son implacable œuvre, sans relâche, redoublant même de violence et de brutalité.
TOUS JUSQU'AU DERNIER.
Encore.
TOUS.
Ses phalanges se brisèrent.
JUSQU'AU DERNIER !!!
Encore.
Et encore.

Son poing déchiqueté et brisé s'enfonça dans le crâne du gobelin, broyant, compressant, écrasant la cervelle dans un bruit spongieux.
Ses phalanges étaient disloquées.
Ses bras consumé de douleur.
Mais il s'en fichait.
Sa colère n'avait pas disparu.
Et tant qu'elle n'était pas partie, il continuerait.
Jusqu'à en perdre ses mains.
Jusqu'à en perdre les bras.
Sauf qu'elle ne partira plus.
Plus jamais.

Plusieurs minutes passèrent.

Enfin, il s'arrêta.
Le corps mutilé et dévasté du gobelin à ses pieds n'était plus reconnaissable.
Gisait un peu partout et sur lui des morceaux d'os, de chair, de cervelle.
Ses mains étaient recouvertes d'un mélange de sang vert rougeoyant, celui du gobelin et son propre sang.
Ses doigts n'étaient plus reconnaissables, et pendaient dans le vide désarticulé.

Plus rien ne bougeait autour de lui.
Tout était mort.
Sauf lui.
Et il ne s'était jamais senti aussi vivant.
Aussi libre.
Aussi puissant qu'à cet instant.

Un rire naquit au fond de sa gorge, et secoua son corps de spasmes nerveux au fil et à mesures qu'il montait.
Puis arrivé à sa bouche, il éclata.

C'est un rire cruel.
Un rire bestial.
Un rire diabolique.
Un rire inhumain.


Le monde entier le détestait ?
Le haïssait ?
Le rejetait ?
Bien.
Alors il n'avait qu'à détruire ce monde.
Jusqu'à la dernière particule de poussière.

Ainsi, il ne souffrirait plus.
N'exprimerait plus de remords.
N'aurait plus de cauchemars.
Ne se poserait plus de question.


Oui…


Il allait tout détruire de ce monde.
Tout.
Absolument tout.

Et une fois ceci fait, il sera seul.

Seul maître du monde.

Seul maître de son destin.

A à cet instant-là, il ne ressentira plus rien.
Oui, plus rien.

Car il sera libre !

LIBRE !

LIBRE !

ENFIN LI-


La terre trembla.
Un hurlement sauvage retentit.

Trop occupé à mutiler le cadavre, il n'avait pas remarqué que ce dernier tenait une chaîne dans sa main.
Une chaîne brisée.

Et aveuglé par sa colère, il n'avait pas entendu la chose arriver.

Il eut juste le temps de tourner la tête en sa direction.

Une fraction de seconde.

Puis sans crier garde, l'arme du troll le faucha.
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#48
Attends-moââ ! Attends-moâ !

Mais l'oiseau de malheur ne l'écoutait pas.
Elle sautait, et plus son corps bougeait, vibrait, plus son ancienne blessure lui faisait mal.

Elle fronçait les sourcils à chaque saut, à chaque accélération, pour finalement s'arrêter, complètement perdue. Elle inspira profondément mais ses poumons la brûlaient.

Encore seule.
Encore perdue.


Elle jeta un regard en arrière. Il y avait des bruits.
Mais rien d'intéressant.

Elle fronça les sourcils en se penchant. Les éléments lui étaient si dociles… mais les esprits étaient muets à ses appels. Aucune âme ici ne l'aurait aidé de son plein grès. Elle enfonça ses doigts dans la terre, d'un air vaguement las.

Qu'est-ce que diable avait-elle… ?
Qu'est-ce qui poussaient les esprits à la fuir ?

Tu es pourrie à l'intérieur.
Tu sens la mort, Quoth.


Elle releva les yeux et croisa les iris brillants du corbeau d'ombre.
Il avait raison. Elle n'était plus véritablement la bienvenue ici. Elle avait fait souffrir les êtres. Elle avait condamné plus d'esprits à errer ici-bas qu'elle n'en avait libérés. C'était pourtant sa mission. De guider les esprits…

Tu ne m'as pas attendu, corrrbeau de malheurrr.

Tu avais besoin de te perdre.

Pourrrquoââ ?

Pour mieux te retrouver, Quoth…

Elle le fixa, d'un air trouble.
Elle avait du mal à comprendre.

Ces derniers jours, son monde n'était plus rien. Sa raison s'étiolait. Tout lui semblait si étrange… comme si tout s'éparpillait autour d'elle en une centaine de milliers de petits morceaux.

Tu ne m'as jamais aidé avant aujourd'hui.
Pourquoi fais-tu ça ?


Le corbeau gonfla son plumage et sembla hausser ses ailes comme un humain l'aurait fait.
Elle eut un petit rire, naïf, peiné également.

Tu ne m'aides pas.
Tu ne fais que m'enfoncer.


Un bruit sourd résonna au loin. Quelque chose venait de cogner.
Ses yeux s'ouvrirent, fixant l'obscurité qui l'entourait. Bientôt ce serait l'aube.

Et avec ça… la mort du corbeau d'ombre, jusqu'au soir suivant.

Elle jeta un regard au corbeau qui attendait, perché sur son bâton de buis.

Tu l'as entendu, toi aussi ?
Tu ne vas pas tarder à sentir.


Quoth frissonna. Quelque chose passa dans l'air. C'était froid et désagréable.
L'odeur suivit. Une odeur chaude, mais acre. Elle grimaça, jetant un regard au corbeau.

Tu sais.
Tu te mens à toi-même.
Tu sais exactement ce que c'est que ce bruit, que cette odeur.

Et tu te mens en grimaçant, Quoth. Tu es née pour ça.
Observe ! et apprends…


Le corbeau disparut dans l'obscurité, emportant avec lui les quelques réponses qu'il ne lui dirait pas.

Elle grimaça et se releva, doucement, comme un jeune roseau, aussi flexible que souple. Un peu trop squelettique pour que ce soit véritablement élégant – ça avait le mérite d'être au moins effrayant.

Elle fit quelques pas, lents, posés, calmes.
Il lui semblait que le temps s'était ralentit. Ou était-ce à cause de ce bruit de bouillis régulier et lourd ?

Elle s'approcha d'un arbre, y posant ses doigts blancs avant de pencher à peine la tête pour observer l'étrange spectacle. Elle eut un petit frisson, mélange d'horreur et d'excitation, sans pour autant savoir exactement ce que ces deux sentiments pouvaient bien faire là devant un monstre macabre.

Il ne la voyait pas, trop absorbé par les chocs et la chair, trop absorbé par le sang et les viscères.
Elle, elle ne faisait pas vraiment attention au gobelin qui somme toute n'était déjà plus qu'une purée de sang et de muscle un peu gras. Elle l'observait lui. Son visage guérit et blanc. Sa morsure, à elle. Un sourire mauvais se patina sur sa gueule, pas assez longtemps cependant car déjà un bruit survenait de plus loin.

Il l'avait entendu. Trop tard, pensa-t-elle, sans bouger.

Il avait fui. Maintenant, il n'avait qu'à souffrir… et se débrouiller.
Tout seul.
Comme elle.
Comme elle avait toujours fait.

Ses doigts s'enfoncèrent dans l'écorce de l'arbre, se cachant dans l'obscurité où elle tenait si bien, ses yeux seuls brillant dans la pénombre.

Le choc fut brutal. Le troll avait l'air terrible.
Elle eut un sourire, sa longue tignasse formant un halo sombre autour de son crâne, une auréole de ténèbres.

Qu'il souffre, comme il l'avait faite souffrir.
Qu'il souffre… devant ses yeux.

Parce qu'elle en avait décidé ainsi.
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#49
Le choc fut brutal.

Il entendit avant qu'il ne le sente le son funeste de ses os broyés.

Puis une douleur insupportable le traversa de part et d'autre de son corps. Intense. Intolérable...
Il se sentit soulevé et projeté en l'air aussi rapidement et facilement qu'une poupée de chiffon.

Il vit ses cheveux flotter, comme suspendus dans l'espace, et le ciel défiler devant ses yeux.

L'aube pointait déjà à l'horizon.

Lentement.

Puis ce fut le noir complet.


Il se mit alors à attendre dans les ténèbres impénétrables. Attendre avec crainte et appréhension l'arrivée des habituelles et effroyables visions qui prenaient plaisir à le tourmenter lors de ces phases d'inconscience.

Mais il ne se passa rien.

Il avait juste froid. Très froid.

Il attendit ce qui lui parut de longues et interminables minutes, mais rien ne changeait: toujours restait ce noir opaque et uniforme qui l'enveloppait.

Etait-il mort ?

Pour de bon ?

Si tel était le cas, la mort était loin d'être comme il avait imaginé.

Ce n'était qu'à la fois un vaste et étroit vide.

Il n'y avait rien.

Rien à voir.

Rien à faire.

Juste à attendre.

Eternellement.

L'angoisse le pris à la gorge.

Il tenta de crier, mais sa voix fut comme happée par les ténèbres.

Alors il se mit à attendre.

Longtemps.

Très longtemps.

Soudain, il lui sembla que la noirceur ambiante se mit à trembler, aussi étrange que cela pu paraître.

Puis il se sentit tomber. Tomber.

En dessous de lui, un point blanc et lumineux apparut peu à peu.

Qui grandit. Grandit... Pour finalement l'engloutir entièrement.


Il ouvrit les yeux.

Le ciel lui faisait face.

La nuit fuyait, laissant de plus en plus au soleil qui reprenait ses droits le terrain qu'elle avait gagnaient la vieille.
Et il en était ainsi, éternellement.
L'astre n'était pas encore visible, dissimulé au loin par l'es arbres constituant la forêt de Pelethor. Mais cela ne devrait plus tarder…

Il était allongé.
Il exprimait des difficultés à respirer.
Il tenta de bouger son corps, mais ne parvint pas à esquisser le moindre mouvement, ne serait qu'avec un seul doigt.
Il essaya à plusieurs reprises, mais rien n'y fit.
Son corps ne répondait plus.
Même plus le contact avec le sol, le souffle du vent sur peau, le glissement fluide du sang venant étancher la soif insatiable de la terre.
Il ne sentait plus rien.
Ni la douleur, ni même plus le contact avec le sol, ni le souffle du vent sur peau, ni le glissement fluide du sang venant étancher la soif insatiable de la terre.
Il avait juste froid.
Très froid.

La terreur s'empara de lui.


Il lui sembla qu'une mélancolie funeste et sordide résonnant dans sa tête, le spectre du désespoir et de la défaite l'avalant peu à peu.

Il lui sembla qu'une mélancolie funeste et sordide s'éleva autour de lui, le spectre du désespoir et de la défaite l'avalant peu à peu.
Non.
Non, ce n'est pas possible.
Pas ça. Pas ça...


Le sol se mit à nouveau à trembler.

Une immense masse obstruant la lumière s'avança vers lui, projetant sur lui une ombre de mauvaise augure…
Le troll arrivait.
De sa gueule coulait un filet de bave.
Ses yeux, sauvages et bestiaux, ne réclamaient que de broyer la chair et faire couler le sang.
Un véritable monstre.
Comme lui quelques instants plus tôt.
Mais les rôles avaient changé.

Non.
Non.
Il ne pouvait pas mourir maintenant.
Pas maintenant qu'il avait enfin décidé de lutter contre son destin.
Décider de ne plus fuir et de faire face.
Pourquoi ? Pourquoi les dieux étaient si cruels avec lui ? Pourquoi ?

Affolé il bougea la tête de gauche à droite, la seule chose qu'il pouvait encore bouger, afin de tenter de voir trouver quelque chose qui pourrait l'aider.
Un heureux hasard.
Un miracle…

Son regard tomba sur une forme assise sur un rocher plus mètres plus loin.
Le lynx.
Il le regardait, impassible.
Il paraissait presque sourire.
Enflure…

Il s'était fait avoir.
Il avait eu raison de se méfier et tort d'y avoir cru quand même.
Et maintenant il aller mourir.

Non, je ne peux pas mourir maintenant. Pas maintenant !
Je dois tous les tuer !
Je dois détruire et mettre fin à ce monde cruel !
Pourquoi mourir maintenant alors que je me suis enfin résigné à vivre ?
Je vous déteste.
Vous qui avaient créé ce monde.
Vous qui le contrôlent.
Divinités, dragons ou autre.
Je vous hais.
Vous m'entendez !
Je jure de tous vous exterminer.
TOUS.
VOUS M'ENTENDEZ BANDE D'ENFOIRES ? TOUS !



Il voulut crier sa haine, hurler son désespoir.
Mais juste sorti de sa bouche un gémissement misérable.
Le troll, lentement, leva sa masse au-dessus de sa tête.

Non… Non, souffla-t-il, désespéré.

Un flot ininterrompu d'images défila devant ses yeux.

Il allait mourir.
Maintenant.

Foutu vie.
Foutu destin.
Foutu monde.


La masse s'immobilisa.
Derrière le troll, le soleil était sur le point de paraître.
Même s'il survivait jusque-là, l'imposante créature lui barrait la vision.
On lui refusait même de contempler pour la dernière fois l'astre étincelant pour ses derniers instants.
Ordures…

Malgré l'implacabilité de la mort qui approchait, il tenta de se débattre, de se libérer de ses chaînes, de se battre.

Mais on ne lui accordait même pas cette chance.

Ce monde était pourri.
Jusqu'aux racines.
Et la branche sur laquelle il se trouvait allait se briser d'un instant à l'autre.

En agitant la tête dans tous les sens pour se débattre, quelque chose attira son attention qu'il n'avait pas repérée avant.
A quelques mètres à peine sur sa droite, se trouvait une fleur de mana, d'un bleu éclatant. Frêle. Fragile. Sublime.
Il se rappela de celle qu'il avait offerte à la femme corbeau.
Etait-ce hier ? Il y a plusieurs jours ? Plusieurs semaines ?
Alors que défilait entre les doigts d'Hallista le fil de sa vie, proche de l'extrémité, il n'avait plus aucune conscience du temps.
Mais il se rappela.
Se rappela de la jeune femme accrochant la fleur dans chevelure de jais.
Et les deux yeux du même bleu intense et profond le regarder.
Il voulut tendre une main pour tenter de s'en saisir.
Rien.
Une larme, la première depuis bien longtemps, coula sur sa joue et tomba sur le sol.
Finalement, il avait joué au jeu de la corbeau. Et il avait perdu.
Alors, dans murmure mélancolique et empreint de tristesse, il souffla :

Quoth…

La masse fendit l'air.
L'acier percuta son corps et le sol.
Ses membres furent expulsés, arrachés.
Une pluie de sang se mit à pleuvoir sur la scène.

Ce fut le noir total.

Puis plus rien.
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#50
Son sourire était fin, mais large. Comme une scie.
Aussi dévorant. Aussi écharpé.

Il ne bougeait déjà plus.
Son sourire sembla tressaillir.

Elle jetait un regard au bâton qui tenait debout par la force des choses, ou tout du moins par la volonté du corbeau accroché à son bout. Il la fixait. Il semblait satisfait.

Au fond d'elle, elle sentit.
Quelque chose n'allait pas.
Quelque chose clochait.

Elle ravala difficilement sa salive, jetant un regard à la scène.
Le troll se traînait, lent et mou, jusqu'au presque-cadavre.
Elle voyait encore le torse d'Eäril qui se soulevait, parfois, d'une respiration, d'une cadence.

Son propre ventre se serra et se tordit.
Elle sentit la bile lui noyait le fond de la gorge. L'odeur âcre de son propre vomit qui remontait, lentement… lentement…

Pourquoi ?
Non !

Elle fit un pas mais s'arrêta aussitôt, ses chevilles s'enfonçant dans la terre.

Elle écarquilla les yeux.
Quelque chose vrillait.

Pourquoi la haine se transformait en douleur ?
Pourquoi la colère devenait de la peine ?
Pourquoi encore ?

Elle pouvait le sauver !

Tu ne le sauveras pas…

Elle jeta un regard au corbeau qui semblait sourire.

Il est perdu d'avance.
Tu aurais dû le sauver avant.
Tu aurais pu le sauver avant…


Mais tu ne sais pas sauver les choses, Quoth.

Il va le tuer.
Et tu ne peux rien y faire.

Sais-tu pourquoi, Quoth ?


Elle lui jeta un regard noir, tremblante de nouveau.
Elle allait se briser.
Ou elle allait vomir.
Dans le fond, y avait-il une différence ?

Parce que c'est ça, la Nature.
Les desseins des dieux…


Le corbeau disparu et le bâton tomba sur le sol.
Elle le rattrapa et se souleva aussi rapidement que ses jambes frêles le lui permettaient.

Quand elle se retourna, ce ne fut que pour voir la masse cognait le sol, et le corps, le corps…
Etait-ce encore un corps ?

Un frisson horrible lui remonta le dos.

Ce n'était plus de la douleur.
C'était autre chose.

Elle leva la main et la plaqua sur sa bouche car quelque chose de chaud coulait.
Quand elle en écarta ses doigts, il était rouge.
Rouge de sang.
Rouge.

Rouge.

Ses yeux bleus croisèrent le regard du Troll immense.
Il la fixait, d'un air ébahit, sale. Il y avait encore du sang sur lui.
Le sang d'Eäril. Il avait osé. Il le lui avait volé ! Il le lui avait volé !

Son cœur rata un battement, et elle le sentit dur dans sa poitrine. Quelque chose venait de se casser en elle sans qu'elle ne sache quoi. Quelque chose de douloureux. D'inconstant. D'instable.
Un neutron venait de lâcher, et il venait de déclencher une guerre en son sein.

La raison avait à jamais perdu.
Il ne restait plus qu'une chose alors : la folie.

Elle se mit à courir vers le Troll, assez légère et rapide pour faire l'effet d'un corbeau qui fonce le bec en avant. Elle allait le tuer. Lui. Lui reprendre sa vie. Lui reprendre tout. Tout ce que le Troll avait osé.

Rrrend-le moââ !
Rrrend-le moâ maudis !


Comme elle disait cela, la haine renforçait son âme, et sa peau se recouvrait d'une carapace de terre, un bouclier. Le feu pourtant se voyait dans le creux de son âme.
La nature ne l'écoutait pas : la nature se pliait à sa colère.

Elle n'avait plus le choix à présent.

La chamane ne leur laisserait plus jamais le choix.

La masse se leva mais retomba lourdement sur le sol après que deux éclairs ne se soient abbatus rudement sur le haut du crâne du Troll. Un peu sonné il recula. Elle n'arrêtait pas. Chaque attaque était une catharsis. Chaque coup était une délivrance. Chaque goutte de sang était une amende.

Chaque rire un blasphème.
Et il fallait que ça dure longtemps pour qu'elle épuise son corps, qu'elle épuise tout ce qui était en elle.

Du mana jusqu'aux larmes, il fallait que tout suinte et coule hors d'elle.
Qu'elle extériorise, qu'elle chasse.

Son corps prit un coup brutal qui la fit reculer de plusieurs pas sur le dos.
Elle se releva. La douleur n'était plus que secondaire.
Superficielle. Tout n'était que superficielle.

Rend-le moi ou meurrrs !
Meurrrs !
Meurrs !


Sans baguette, sans rien. La coiffe chamanique tomba de son crâne après un coup de poing placé contre son flanc jadis douloureux. La cicatrice venait de se rouvrir.
Ou bien était-ce tout simplement une autre douleur ?

Meurrrs !
Je veux que tu meurrrs !

Je veux que tu brrrûles !
CHIEN ! CHIEN !
CHIEN !


Un serpent lumineux remonta le long du corps de la gamine, suave, alors qu'une colonne de flamme plus loin frappait le troll secoué de toute part par le vent et les assauts répétés de la jeune femme.

Un éclair vrilla de nouveau le cœur de la forêt qui n'était plus finalement qu'un chaos d'élément sans nom. Un dernier éclair qui perça le cœur du Troll et sa cuirasse brunie par la chaleur.

BRRRÛLE !

Mais il ne l'écoutait plus, foudroyé sur place. Son corps s'affaissa sur lui-même et le Troll tomba à genoux.
L'alchimie et la gravité voulurent qu'il reste droit et presque debout, mais les nouveaux coups de la gamine le firent chuter sur le côté, mort.


Le front en sueur, la respiration douloureuse, le corps écrasé par mille sentiments et mille douleurs, elle tomba entre les deux cadavres, foudroyée.

Allongée sur le sol, le squelette broyé, elle attendit de longues secondes que la nausée ne se dissipe, que le ciel ne devienne clair, que tout s'éclaircisse et qu'elle s'échappe de cet enfer, de ce vieux cauchemar.

Fatiguée, elle en eut oublié que la vie n'était pas aussi rose, pas aussi simple.
Que les choses n'écoutent pas toujours les chamanes et que les desseins qui se tracent pour chacun sont sans issus. Que l'on vit quand on doit vivre. Que l'on meurt quand on doit mourir.

Qu'il était mort ainsi.
Au moment choisi.


Elle renifla car pendant tout le temps où elle l'avait cherché, elle s'était éloignée de lui, et d'elle aussi. Que tout le temps où elle l'avait fui, il n'avait jamais été aussi proche d'elle, et de lui-même.
Que leurs deux existences étaient voués à s'autodétruire, ou à s'améliorer.

Elle tendit une main, la glissant sur l'herbe pour finalement prendre quelque chose qui ressemblait aussi à une main dans la sienne. Elle ne voulait pas ouvrir les yeux. Pas savoir ce que c'était vraiment.

Elle voulait juste que tout s'arrête.
C'était une jolie fin.

C'était parfait…



Son cœur se stoppa, quelques secondes.
Sous la fatigue.
Ou la douleur.




Il n'y avait rien dans la mort.
Ni souffrance, ni inquiétude.

Se laisser aller.



Mais penser, c'était encore vivre.
Elle se souvint qu'elle avait été en vie.
Qu'elle avait été fascinée.
Sans doute qu'elle avait aimé.

Elle se souvenait.
Alors elle n'était pas vraiment morte.







Le nouveau coup dans sa poitrine fut douloureux.
Son cœur se remettait à battre. C'était-il vraiment arrêté un jour de la tourmenter ?

Ce devait être un jeu pour lui aussi.
Comme elle le détestait…

Elle ouvrit un œil pour ne voir personne.

C'était déjà le crépuscule… Mais elle ne se souvenait plus s'il s'était passé un jour ou plusieurs jours.
Elle se souvenait juste de sentir le sang. Tellement de sang…

Elle se releva lentement, tenant sur le bout de ses doigts et jeta un regard au Troll qui à ses côtés dormait, le regard ouvert mais les yeux vitreux et déjà ailleurs. Il était déjà froid, mais c'était un cadavre frais.

De l'autre côté, ses yeux découvrirent Eäril, ou tout du moins ce qu'il en restait.
Les morceaux de chair et d'os éclatés de toute part. Ses morceaux de chair… Elle inspira profondément, retenant un sanglot qu'elle ne comprenait pas et se traîna à côté, juste à côté.

Elle tenait dans sa main sa main à lui. Quelques morceaux de phalanges brisées et sanguinolentes.
Elle la serra davantage.

Son regard était grave, profond.
Elle n'aurait pas pu dire un seul mot sans se mettre à pleurer, parce que c'était ce qui était : tout ici était triste à pleurer. Elle le haïssait. Il l'avait abandonné pour choisir la fuite. Il l'avait abandonné pour choisir la mort. Il l'avait abandonné, et il avait emmené le peu de bien qu'il restait d'elle.

Que lui restait-il à présent ?

Ne sois pas si dure, Quoth.

La voix était différente de celle du corbeau. Moins grave. Plus chantante.
Quand elle tourna les yeux, il était sur le corps du troll. Un fin limier aux poils soyeux.

Un lynx… ?

Elle se tendit légèrement, et si elle n'avait plus la force de diriger quoi que ce soit aujourd'hui, ni des esprits ni des âmes, elle se sentait au moins de lutter, encore, toujours. Comme si intérieurement, elle savait qu'elle ne pourrait pas abandonner.
Ce n'était pas son vice à elle.

Tu l'as tué.

Le lynx sembla sourire.

Tu l'as condamné.

Elle fixa le lynx, quelques longues secondes et détourna les yeux.
C'était faux. Elle n'avait rien fait. Elle n'avait rien fait…

Elle n'avait rien fait pour mériter tout ça.

Elle jeta un regard à ce qu'il restait du cadavre, sans savoir quoi faire.
Sans oser faire quoi que ce soit non plus.

Elle se reposa sur le flanc, les yeux fatigués, le corps las.
Fatiguée.

Ses doigts se coulèrent dans la chaire, elle sentit l'odeur de son sang remplir ses poumons.

Mon pèrrre m'a racontée l'histoârrre d'un homme.
C'est… l'histoârrre d'un homme qui s'est noyé dans les eaux frrroâdes de l'océan aprrès avoârrr perrrdu quelqu'un qu'il aimait. Il s'agit de l'histoârrre de l'homme qui est morrrt deux fois …
Je ne sais plus comment elle commence.
Je sais maintenant comme elle finit…


Quoth se redressa lentement, jetant un regard au cadavre.
Silence.

Que diable allait-elle faire à présent ?

Elle resta là, de longues secondes, à réfléchir, à l'observer.
Elle ne le reverrait plus jamais.
Estalia allait le lui voler, elle aussi.

Elle fronça les sourcils à cette idée que le monde entier ne cessait jamais de lui voler les choses qui lui appartenaient. Comme si elle n'avait pas le droit d'avoir.
De savoir, d'être…

Seulement le droit de souffrir.

Quoth enfonça ses doigts dans les résidus de chair et de sang. C'était encore poisseux.
Mais presque froid maintenant.

Les larmes lui brûlèrent les yeux et elle se mit à pleurer, de nouveaux.
Elle n'avait jamais autant pleuré qu'aujourd'hui, que ces jours auprès de lui.

Il lui semblait avoir perdu non pas un ami, non pas un amant – Eäril n'était rien de tout cela.
Eäril était tellement plus. Il était infini et intemporel. Il était son chaos et son ordre.
Son maître et son esclave. Ses yeux et sa bouche. Il était… Il était…

Mort.

Elle baissa les yeux, essuyant du revers de sa manche les larmes qui pleuvaient sur ses yeux, cherchant un instant quelque chose sur le sol. Où étaient-ils ?

Elle renifla en attirant vers elle ce qui restait de son visage. Quelques morceaux d'os, et des yeux, des billes. Elle eut un petit rire, perdu, dévasté, alors qu'elle arrachait des orbites qui ne tenaient plus rien les globes, les faisant rouler dans le creux de sa main.

Ne fais pas ça, Quoth…
Ne fais pas ça.
Tu vas le regretter.


La jeune femme jeta un œil au lynx et au corbeau.
Ils étaient encore là, l'observaient comme deux remparts.

Son visage se déforma sous la colère :

Comment osez-vous encorrre me donner des orrrrdres ?
Qui êtes-vous pourrr me dire ce que je doââ fairrre ?


Le corbac jeta un regard au félin, reculant docilement. Sa maîtresse n'avait jamais eu de hargne qu'après le Goupil. En mourant, Eäril avait cassé la machine, et elle était entièrement détraquée. Un petit robot sans plus de rouages, un neutron libre. Un neutron instable.

Je fais ce que je veux.
Je fais ce que je veux…


Elle ravala difficilement sa salive pour finalement prendre entre les lèvres les deux yeux vitreux. Elle fronça les sourcils et ses dents s'enfoncèrent dans la matière aussi élastique qu'amère. La sclérotique ne lâcha pas. Résistante, elle ne voulut céder aux dents de l'agresseur. Elle força, la sclère se déchira, libérant la gélatine pâteuse et noire qu'était le corps vitré de l'œil. Elle eut un haut le cœur mais au fond de son âme, cela ne la dérangeait pas véritablement.
Elle avala la substance sans un mot, et ses doigts rattrapèrent des bouts de chair qui traînaient, ici et là. Elle leva les doigts, amena à ses lèvres sanguinolentes de plus en plus de viande, de plus en plus de lambeaux de ce qu'avait été Eäril, de ce qu'avait été son idéal et qui ne serait plus.

Elle ne le laisserait pas à Estalia.
Son âme sera à elle, avec elle, pour toujours.
Parce qu'il était à elle, et à personne d'autre.

Ni Estalia, ni Hallista n'y feraient quoi que ce soit.

Quoth continua ainsi, de longues secondes, de longues minutes. Boulimique ?
Elle n'avait pas mangé depuis des jours, tout du moins c'était l'impression que lui donnait la faim. La faim qui la tiraillait.

L'aspect gras et gélatineux de la cervelle n'y changea rien.
Le sang sur son menton et tâchant sa robe non plus.
Le flasque de son foie.
Le rugueux de ses poumons.
Sa rate. Ses reins.

Elle agrippa ses cotes, tira dessus mais sans force, elle n'arriva pas à les briser.
Elle jeta un regard triste sur le restant.
Triste.

Elle inspira profondément et ses doigts remontèrent, dégageant des poumons attaqués par ses dents un peu plus tôt le cœur endormi. Elle tira dessus. Il résista. Les artères tenaient encore malgré tout. Elle tira plus fort. Les vaisseaux cassèrent.

Le cœur était sec. Le sang avait coagulé tout autour.
Elle jeta un regard au Lynx, mais il avait disparu.
Le corbeau, seul, restait, à l'observer, en silence, l'air morne.

Tu es complètement folle.
Il ne trouvera jamais le repos.


Elle eut un petit rire, et haussa les épaules.

Il le trrrouvera.
Avec moâ.

Quand je serrrais morrrte.
En attendant…


Elle jeta un regard au cœur qu'elle tenait entre ses griffes.

Il rrrestera avec moâ.

Le sourire fier de la gamine n'indiquait rien de bon.
Peut-être était-elle finalement vraiment folle…

Il l'observa faire son drôle de rituel, à savoir attraper le bâton pour se relever.
Son corps était lourd. Elle avait sans doute trop mangé.

Elle se pencha en avant, quelques secondes, mais un bruit la fit sursauter.
Dans son dos.

Elle releva le nez, et croisa le regard de Hobbes qui se tenait là.

Elle le fixa, et recula d'un pas. Ses jambes étaient encore faibles, aussi elle tomba en arrière. Hobbes fit un pas mais elle hurla, jetant sur lui un regard sombre.

Non ! Ne me touche pas ! Ne me touche pas !
Tu n'as pas le drrroââ ! Ne me touche pas !


Hobbes se pencha et l'attrapa comme elle était plus légère qu'une plume, d'une seule main, ou presque. Elle le frappa au visage mais il la secoua si violemment que son cœur rata un battement. Son ventre se serra pour ne rien relâcher.

Il lui jeta un regard sévère, silencieux quelques longues secondes.

Tu es stupide, gamine.
On te cherche depuis une semaine, et toi, qu'est-ce que tu fais … ?


Il jeta un regard au pauvre homme qui était étendu sur le sol, le ventre ouvert, la chair tantôt rongée tantôt en bouillis.
Un troll et deux gobelins. Il gronda.

Tu es stupide…
Goupil ne va pas être très content d'apprendre la nouvelle.


Il n'a qu'à pas êtrrre content, pesta-t-elle, dissimulant dans son haut le cœur sec, il n'est jamais content…

On va rentrer au camp…

Quoth le repoussa brutalement, Hobbes reculant de quelques secondes, abasourdi.
Elle se releva, rattrapant le bâton, fixant Hobbes du coin de l'œil.

Ne me touche plus jamais…
Ou je t'arrrrrache les yeux et les dévorrrre…


Hobbes la fixa, sifflant.

Qu'as-tu fait ?

Elle recula, reniflant. Mais elle n'avait plus de larmes.
Elle n'en aurait plus jamais, pour personne.
Plus maintenant.

Tu te rends compte que ça fait dix jours que plus personne ne t'a vu ?
Heureusement que les Ours t'ont vu aux frontières !
On a dit de toi que tu étais partit vers la Sorlin !
Imagine si tu étais morte !
Imagine !


Quoth fixa Hobbes, surprise. Ses yeux brillèrent, et elle éclata d'un rire, d'un rire sourd, dingue. Un peu fou aussi. Elle recula, se tenant le ventre, mais quelque chose lui brouillait l'estomac.

Je rrreviendrrrais demain, Hobbes.
Vivante.

Je dois finirrr, d'aborrrd…


Le loup l'attrape par l'épaule mais elle se débattit aussitôt.

Non !
Non ! Lâche-moi !


Elle se sentit décoller du sol et se mit à hurler, de rage, de haine.
Quelque chose n'allait plus dans son crâne.
Le loup le savait.
Et allait y remédier.

Elle tendait ses mains vers cet homme, ce cadavre.
A elle. A elle. Elle poussa un cri bestial, furieuse.

Laissez-le-moi ! Laissez-le moi, encore un peu !
Hooooobbes ! Lâââch-


Un coup sur le crâne et la Corbic retombait mollement dans les bras du totem canin.

Hobbes jeta un regard aux quelques cadavres et grimaça.
C'était sale et ça sentait mauvais ici.

Il soupira et finalement s'en alla. Ses pas s'éloignèrent.
Laissant derrière lui un passé, ouvrant un futur à celle qui survécut...





Fin.



Un grand merci à Opale pour ce formidable RP qui, en plus d'être inattendu, a été pour moi une véritable bénédiction, un véritable plaisir et tout le reste niais de remerciement. J'te haïs mon poulet !
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