[RP] Conquête
#44

Selinde n'était jamais entrée dans l'impressionnante salle du trône d'Yris. Jusqu'alors, Elene n'avait autorisé sa présence que lors d'audiences officieuses qualifiées tantôt de brimade, tantôt de privilège par la pyromancienne. Même lors de l'adoubement de son frère, elle n'avait pu passer le seuil, empêchée par la foule massée pour assister à la scène. Contrairement à l'aristocratie placée aux premières loges, elle n'avait rien vu de l'instant de gloire de son jumeau.

Elle n'en gardait que le souvenir de ces immenses voûtes sculptées et peintes aux couleurs et formes du panthéon divin, aperçues au dessus des têtes en liesse. Face à ces impérieuses divinités de marbre, elle s'était sentie ridicule et impuissante, tiraillée qu'elle était entre la fascination et le dégoût pour toute cette opulence de grâce et de fines dorures. Ce pénible sentiment d'infériorité n'avait fait que s'accentuer quand elle avait remarqué le regard immobile et sentencieux de ce dieu guerrier avachi sur sa lance, posé sur elle.

L'inflexible statue n'avait cessé de la fixer et de la juger de toute cette hauteur surplombante pour lui rappeler sa pathétique insignifiance. Mais Selinde avait relevé la tête en signe de défi et lui avait adressé son air le plus revêche. Silencieusement, elle l'avait questionné. Pensait-il que tout ceci était réellement juste ? Indéniablement, cela ne pouvait l'être. Edar le savait. Après tout, il n'avait pas eu besoin de l'être pour l'incarner aux yeux des mortels les plus fervents. Aux siens, il n'avait jamais été l'avatar de la justice, mais bien celui de la vengeance.

La vengeance… Cette voie qu'elle avait, elle-même, choisi d'emprunter pour défier le sort et conquérir le destin dont on l'avait privée à la naissance...

Le temps avait passé sans apaiser son coeur d'écorchée, mais ses pas foulaient à présent, les mosaïques florales qui ornaient le sol de la grande salle d'audience. De méfiance ou de déférence, on se poussait à son passage et à celui des hommes qui la suivaient.

La sorcière s'avança au seuil de l'escalier ornemental d'où la princesse et ses conseillers siégeaient et dominaient l'assemblée. Genou au sol, elle s'inclina devant sa souveraine, immédiatement imitée par Dione et le fantassin, tandis que Jalnis s'effondrait bruyamment, suite à un coup de fourreau sec et précis à l'arrière du genou. Selinde releva la tête pour s'adresser solennellement à la future monarque. Ses yeux noisettes, déterminés comme jamais, s'attardèrent plus que de raison dans ceux, bleu-gris, d'Elene.

“Votre Altesse Royale, vos Excellences, soyez assurés des plus sincères salutations de Balard et de son peuple.

Hélas, le caldrasir est en proie à une succession de bassesses, qui ont, une à une, rongé l'espoir de ses habitants, accablés par le plus pernicieux des poisons. La trahison.

L'insidieuse s'est glissée dans l'oreille de l'Avide par le biais des promesses licencieuses d'une elfe singulière. Si ces merveilles illusoires se sont achevées dans un incendie punitif au sein d'une grotte à proximité d'Andoras, le sang de Balard a coulé emportant avec lui autant de ses valeureux soldats que l'ensemble de sa famille régnante.

Mais le venin est resté présent. Dissimulé dans le sous-sol d'une bibliothèque, nous n'en avons compris la nocivité qu'une fois qu'il fut trop tard. Il a pris les traits de cet homme, respectable en apparence. Qui aurait pu se méfier que derrière son air avenant se cachait une nouvelle fois, une funeste trahison ?

L'infâme a voulu, et a pris ce que Balard a de plus précieux. Son avenir… Ses enfants à naître… Comprenez la souffrance de ses mères affligées par la duperie qu'il a distillé au plus profond de leurs êtres ! Comprenez la douleur de ses pères, ivres d'une rage vengeresse pour le sort d'esclaves serviles et dociles réservé à leurs héritiers ! Il n'est de plus épouvantable atteinte adressée à votre peuple.

Votre Altesse Royale, vous savez le mal infligé par un tel poison pour en avoir déjà vu les cruels effets bien qu'il fut vaincu par vos érudits à cette occasion.

Je vous implore, Votre Altesse Royale, d'offrir à Balard toutes les armes pour combattre les maux qui l'oppressent si durement et pour s'en protéger à l'avenir.”


Selinde se tut, et baissa de nouveau la tête, attendant la délibération d'Elene et de ses conseillers. Elle n'avait pu parler librement de crainte de paniquer la plèbe sur la réalité des manigances holdars sur la gestion du royaume talien. Mais elle ne doutait pas de la vivacité d'esprit d'Elene pour traduire ses métaphores en des faits bien réels.

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