[RP] Longue vie au Roi !
#37
Avisant de la tombée de la nuit, la sorcière avait reporté son interrogatoire arcanique au lendemain pour se diriger, perchée sur sa monture féérique, vers les quartiers du port. A cette heure, les rues sont désertées des braves et honnêtes gens, et seules demeurent éveillées les âmes délictueuses affairées à leurs coupables offices. Selinde n'en croisa aucune, le martèlement des sabots sur les pavés attisant la crainte d'une patrouille nocturne. Cela n'avait pas d'importance ; nul ne l'aurait importunée. Sa chevelure blanche caractéristique était connue ici, dans ces rues où elle était née vingt-cinq ans plus tôt.

A l'angle de la ruelle, elle s'arrêta un instant, le regard évasif scrutant l'étroite artère à sa droite. Malgré l'insistance de Dione à ce sujet, elle n'y retournerait pas, non. Sa mère pouvait bien aller au diable. Après ce bref temps d'hésitation, elle éperonna sa licorne noire et bifurqua sur la gauche. Ce n'est que devant la devanture d'une modeste échoppe qu'elle s'arrêta. La lueur des bougies qui perçait faiblement derrière les fenêtres poussiéreuses l'informa de la présence de son propriétaire.

Le lieu ne différait pas de ses souvenirs. Rien n'avait changé entre les fissures qui lézardaient les murs ternis par les intempéries et le temps, et la pancarte de bois, branlante, qui indiquait en des lettres effacées “Librairie”. Un tel commerce pouvait paraître incongru dans ce quartier, mais nul n'y prêtait plus attention. Il avait toujours été là, de mémoire d'homme, avec son vieux conteur dont on avait oublié l'âge vénérable par la force de l'habitude, mais dont on savait que, chaque matin, il serait là à raconter ses histoires à qui voudrait les entendre.

Après avoir mis pied à terre, elle poussa la lourde porte dont le grincement sourd fit sursauter le vieillard penché sur un ouvrage.

“Je suis désolé. Nous sommes fermés pour ce soir et…”, commença-t-il par réflexe, sans prendre la peine de relever la tête de sa littérature avant d'être interrompu froidement par la jeune femme.

“Bonsoir Vieil Homme.”

Cette voix, qu'il ne connaissait que trop bien, le fit tressauter et aviser du regard la nouvelle venue. Il écarquilla ses petits yeux fatigués et éclata d'un rire jovial.

“Selinde ! Par les dieux, quelle joie ! Je ne pensais jamais te revoir !”


Il se leva de sa chaise aussi prestement que son grand âge le lui permettait, aidé dans sa démarche rendue difficile par l'arthrose, par une canne de bois. Il enlaça la sorcière chaleureusement qui le lui rendit bien volontiers. Bien vite, Selinde retrouva un air grave.

“Tu t'en doutes, Vieillard, ce n'est pas une visite de courtoisie. J'ai besoin de tes services.”

“Après un recueil de fables subversives, de quel ouvrage victime de la censure aurais-tu besoin ? Si tu ne trouves pas ton bonheur dans ces rayons, je ferai mon possible pour te dénicher ton bonheur par le biais de quelques connaissances.”

Il fit un vague geste de la main afin d'attirer le regard de la pyromancienne sur les étagères remplies de livres et de grimoires tout autour d'eux. Sa collection traitait de sujets divers et se composait tout aussi bien d'ouvrages de référence que de traités réputés introuvables pour leur caractère transgressif.

“Je parlais de ton autre activité.”

Le libraire se tut un instant et soudainement ragaillardi, se dirigea vers la porte de son établissement qu'il verrouilla à double tour après avoir vérifié l'extérieur d'un oeil soupçonneux. Il se tourna vers Selinde et lui jeta un regard entendu. Sans un mot, elle s'exécuta, s'agenouillant pour rouler un vieux tapis miteux et en révéler une trappe dissimulée.

Armés d'une torche, tous deux descendirent dans la mystérieuse où les attendaient le surprenant matériel du conteur d'histoires. Des parchemins et des plumes de tout type, des loupes, des cachets officiels… parfaitement imités. Il s'installa à sa table de travail, déjà épuisé par ce faible effort sur ces vieux os. Selinde sortit de son corset un papier qu'elle déplia et tendit à l'ancien.

“J'ai besoin de références crédibles, mon ami. Ce L., j'ai besoin qu'il me recommande à Mierelli.”

Sceptique à l'évocation du nom du caldras de Balard, le vieil homme s'empara de la missive sans un mot. Tout au long de sa lecture, son visage se décomposa et prit une extrême pâleur. Ses mains s'agitaient faisant trembler le papier de manière inquiétante.

“C'est… Selinde, c'est trop ! Tu m'aurais demandé n'importe quel laissez-passer officiel, je te l'aurai fourni. Mais ça ! Ca, ça va bien trop loin. On parle de l'empoisonnement de notre bon roi par un des seigneurs les plus puissants du royaume !”

Elle haussa les épaules et le fixa de toute l'intensité de ses iris noisettes.

“Je sais, et c'est pour cela que je fais appel au meilleur faussaire de la capitale. J'ai bien conscience du risque pris, mais c'est la manière la plus efficace pour moi d'approcher assez près du caldras pour lui soutirer la vérité. Fais-le pour moi, Samaël. J'ai besoin que Mierelli me voit comme son alliée de circonstance, comme l'alliée de ce fameux L. plus exactement.”


Il soupira. Il connaissait la jeune femme depuis bien des années, alors qu'elle n'était qu'une gamine rachitique et famélique ; il savait qu'il ne lui ferait pas changer d'avis et elle ferait appel à un autre s'il refusait.

Il se souvenait encore la manière dont elle était restée plusieurs jours d'affilé, assise et immobile, devant sa librairie à attendre qu'il accepte de lui apprendre à lire et écrire. Il avait fini par la prendre en pitié et à céder face à ce regard accusateur qui ne cessait de le suivre dans ses moindres faits et gestes. Depuis, il n'avait jamais su lui dire non.

“Très bien, je trouverai les mots. Donne-moi quinze jours pour réaliser ta commande.”

“Sept jours. Pas un de plus,” exigea-t-elle fermement, bien qu'elle envisageait déjà d'user de ce délai pour visiter la demeure du caldras à Balard. “Evidemment, pas un mot de tout ceci quiconque.”

“Cela va s'en dire,” soupira-t-il, vaincu sans même avoir combattu.
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