Liaison dangereuse
#22

"Vous êtes donc né hors mariage si j'en crois vos non-dits. Dans le cas contraire, vous n'auriez jamais eu à subir de tels quolibets."

Elle réfléchit un court instant, le doigt sur les lèvres.

"Je vous sais lier à cette pyromancienne un brin prétentieuse, Cendre, je crois. Cette soeur ainée dont vous m'aviez parlé des ambitions pour Cyrijäl et ses alentours. Serait-ce elle l'enfant légitime ?"

Ses yeux se posèrent sur les assiettes que l'aubergiste venait de déposer devant eux, pas sans un regard suspicieux sur la sorcière. S'il savait qu'il pouvait perdre malencontreusement son établissement dans un fulgurant incendie... Elle attrapa à son tour les couverts et ajouta avec un sourire.

"Bon appétit. Qu'avez-vous commandé au final ?"

Son ton badin aurait pu sous-entendre qu'elle ignorait délibérément la question de Victor sur son passé. Mais ce n'était pas le cas. Il souhaitait connaître l'origine de son ressentiment face à la noblesse ? Soit. Il en apprendrait tout autant sur la haine viscérale qu'elle vouait à sa mère. Elle prit une profonde inspiration et commença son récit, tâchant de se dissimuler sous un voile d'indifférence.

"Il était une fois, au niveau des ruelles les plus miteuses qui entouraient le port d'Yris, quatre enfants qui jouaient avec une fourmilière qu'ils avaient repéré dans des gravas. Plus mendiants qu'enfants, leurs haillons déchirés et poussiéreux laissaient entrevoir des membres squelettiques. Mais ils riaient ensemble, de cette cruelle innocence si chère aux bambins qui expérimentent toute sorte de tortures sur des insectes. Insouciants.

Exaspérée, leur Mère vint à eux afin d'agripper par le poignet son ainée, celle dont les joues ne cessaient d'être maculées de suie, et l'emmener sous leur toit à quelques pas de là.

Elle l'installa sur un tabouret bancal et commença à coiffer les longs cheveux laiteux de sa fille. Elle la débarbouilla pour la première fois, du moins de mémoire de la fillette qui n'avait pas encore treize printemps. Les marques d'affection de sa génitrice étaient bien rares que l'enfant se mit alors à rêver que sa mère l'aimait enfin. Elle en savourait chaque instant, confiante et sereine. Mère ne l'avait-elle pas apprêtée d'une robe toute propre ?

Mère la conduisit alors dans cette gigantesque maison et l'y abandonna dans une chambre sans un mot. La fillette fut rapidement rejointe par un adolescent de quelques années plus âgé. Il portait du violet sur ses toilettes."


Elle s'arrêta un instant pour boire une gorgée de vin. Elle en resterait là, la suite n'était qu'évidence sur la duperie de sa mère. Elle observa Victor en quête de sa réaction suite à cette confession. Avait-elle eu raison de se fier à ce jeune homme ?

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