De retour dans la salle commune de l'auberge, Israfel grattait frénétiquement un parchemin de la pointe de sa plume. Il fit une petite pause et pris une gorgée de la bière posée près de lui en relisant ce qu'il venait d'écrire. Non, cela ne convenait pas. Il reposa sa choppe en émettant un claquement de langue agacé puis froissa le parchemin et l'envoya rejoindre les autres brouillons insatisfaisants qui brûlaient déjà dans le foyer.
Le mande-orage posa sa plume, le poignet un peu endolori par sa longue séance d'écriture infructueuse.
Le messager était toujours là, adossé au bar, trinquant et discutant bruyamment avec les autres clients des nouvelles qu'il venait d'apporter. L'ambiance était au beau fixe : les Nordiens venaient d'essuyer une cuisante défaite près de Nitraën, et l'amoindrissement de leurs troupes qui en résultait allait offrir une période de tranquillité plus que bienvenue pour Cyrijäl.
Certains allaient plus loin et célébraient déjà la fin de la guerre, le rapport faisant mention d'un manque de cohésion dans les rangs ennemis. Le mot "traîtrise" avait même été prononcé. Pour Israfel, croire la victoire déjà acquise était un grave écueil : le Concordat avait déjà essuyé plusieurs défaites contre les Nordiens par le passé et qu'il y ait eu du relâchement dans leurs rangs cette fois ne signifiait pas que cela allait se reproduire. L'ennemi les avaient peut-être sous-estimés, mais laisser cette victoire leur monter à la tête risquait de les amener à commettre la même erreur. Mais le peuple de Cyrijäl avait déjà beaucoup souffert dans ce conflit et avait besoin de se remonter le moral. Cette victoire du Concordat leur offrait un prétexte idéal pour oublier temporairement leurs tracas, et il ne pouvait les blâmer pour cela.
Ce qui avait surtout retenu l'attention d'Israfel dans cette nouvelle était que les Sentinelles d'Argent avaient pris part à cette bataille. Même maintenant, alors qu'il avait quitté la guilde depuis longtemps, il observait toujours leurs exploits de loin avec un peu d'orgueil et de satisfaction comme le ferait un père devant les réussites de son enfant.
Il se demandait aussi si ses anciens membres avaient pu trouver le temps de faire ce qui leur tenait à cœur. Cette victoire était une preuve que Lenwë se battait pour protéger son peuple. Il se doutait également que Yùla avait pu retrouver sa mère qu'on croyait disparue avec un convoi de marchandises. Mais il se demandait si Illaria avait pu découvrir le sort de son père, lui aussi membre du convoi, si Elena avait réussi à dompter sa jeune élève ou si Dyanèse avait eu raison de la vieille guerrière, si Devian arrivait à participer à toutes ces aventures sans se salir, … Il se demandait aussi lesquels avaient pu être blessés durant ces batailles, et avec quelle gravité. Comment ils avaient changé après leurs épreuves et si ils étaient toujours aussi enjoués et insouciants qu'autrefois.
Le mande-orage secoua légèrement la tête pour se sortir de ses rêveries. Il n'avait pas le temps pour la nostalgie, pas avec toutes les menaces qui planaient sur Écridel en ce moment. Il devait finir cette lettre au plus vite et la remettre à qui de droit.
Il reprit donc sa rédaction sur un parchemin vierge, s'appliquant pour que le ton de la missive ne soit pas trop acerbe après le temps qu'il avait attendu sans réponse. Il était venu dans le nord avec pour intention d'aider les Elfes des Neiges de son mieux, et il savait qu'il devrait d'abord gagner leur confiance. Mais c'était chose impossible si il était maintenu à l'écart, sans tâche à accomplir ou d'oreille pour écouter les informations qu'il apporterait.
Il ne pouvait pas les forcer à accepter son aide, pas plus qu'il ne pouvait les forcer à le recevoir. Il ne pouvait pas non plus forcer le destinataire de la lettre à la lire et encore moins à la prendre en considération, mais il s'en serait voulu de ne pas tenter une dernière chose avant son départ.
La missive rédigée et remise à un garde du palais, Israfel balança son sac de voyage sur son dos et resserra sa cape de voyage autour de ses épaules.
Alors qu'il passait l'arche qui marquait l'entrée de la cité, il ne pu s'empêcher de sourire. Son voyage à Cyrijäl était plutôt décevant, si on prenait en compte le temps et les efforts qu'il lui avait fallu pour s'y rendre et les résultats qu'il en avait tiré. Il n'avait pas pu aider les Elfes des Neiges ou alléger leurs fardeaux de quelque façon que ce soit, il n'avait pas pu s'entretenir avec la grande prêtresse Lìrulìn au sujet du convoi disparu et la démone Yuel était restée introuvable, et avec elle des informations cruciales sur les Xalari. Mais malgré tout, il savait qu'il reviendrait vite à Cyrijäl : une guerre menaçait Synca, et si il était plus utile au siège du pouvoir elfique pour l'instant, il savait que le conflit se jouerait ici, dans le nord. Là où restait la Xalaro repentie et où Vi'aria dissimulait son repaire. Peut-être qu'alors, il aurait à nouveau l'occasion d'aider les Elfes des Neiges.
Mais pour l'heure, il était plus important d'écarter la menace démoniaque définitivement. Pour ce faire, il avait besoin d'informations. Et il savait où en trouver. Il était temps qu'il rende visite à de vieux amis…
De Glace et de Sang
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26-11-2017, 01:46:40
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