De Glace et de Sang
#7

Assis dans la salle commune de l'auberge de Cyrijäl, Israfel contemplait d'un air absent le fond de bière qui restait dans sa choppe. Il était encore tôt et seuls quelques piliers de comptoir peuplaient déjà la salle, et lui qui avait une chambre dans l'établissement. L'ambiance s'améliorait au fur et à mesure que les liquides descendaient dans les verres. Deux bûcherons étaient en plein débat avec le tenancier sur l'état des stocks de bois pour la mauvaise saison tandis qu'un troisième client écoutait en hochant silencieusement de la tête, les yeux braqués sur la serveuse, qui lui souriait dès qu'elle croisait son regard. Un quatrième Elfe des Neiges essayait de restituer tant bien que mal un semblant de mélodie sur une petite flûte et un cinquième, déjà plus saoul que les autres, semblait déjà prêt à s'endormir sur le comptoir. Le mande-orage était assis à l'écart, à une table située dans un coin de la salle.
Il prit sa choppe et, après en avoir fait légèrement tourner le contenu, en avala une gorgée.

L'attente était insoutenable mais, au moins, elle se faisait dans une meilleure ambiance qu'au début de son séjour. Si les Elfes des Neiges se méfiaient de lui, avec le temps, le tenancier et les habitués de la taverne avaient fini par l'accepter comme si il faisait partie du décor. Personne ne lui adressait la parole plus que nécessaire mais les conversations continuaient en sa présence et les regards en coins avaient cessés. Tant qu'il gardait une distance raisonnable, du moins.

Lui-même se demandait pourquoi il était encore là. Cela faisait un long moment qu'il avait demandé asile dans la ville et une audience avec la Reine Mélyriëlle. Mais si on l'avait laissé entrer sans faire d'histoire, sa demande d'audience, elle, semblait avoir été oubliée.
Il attendait, n'osant plus y croire, avec un silence assourdissant pour seule réponse. Pas même un refus, qui aurait au moins eu le mérite de lui faire savoir ce qu'il en était. Pas d'assentiment à sa requête non plus. Juste une attente qui n'en finissait plus et, dans une ville où tout le monde le regardait avec méfiance, qui prenait des allures d'éternité.
Il avait gardé espoir tout au long de la première semaine, se persuadant que la reine était occupée, qu'elle avait sans doute d'autres préoccupations dans l'immédiat et qu'il serait reçu quand elle en aurait le temps. La seconde semaine, il s'était demandé si on ne l'avait pas simplement oublié. Depuis, le désespoir et l'alcool aidant, il en était venu à douter que sa demande soit seulement arrivée aux oreilles d'une autorité compétente.

Il avait songé se présenter directement au palais royal pour renouveler sa demande, mais l'entrée semblait en être strictement restreinte. Lors de sa première visite, c'était Lahta qui était venue à lui, il n'avait pas été reçu dans ce qui semblait être le seul bâtiment administratif de la ville, même alors que sa demande d'audience était acceptée. Et si les gardes de la porte n'avaient pas relayé sa demande à qui de droit, il y avait peu de chance que ceux du palais agissent différemment. Ce qui rendait une audience avec Lahta ou la Reine simplement impossible.
Israfel avait bien essayé de retrouver la Grande Prêtresse Lìrulìn dans la ville, mais il ne l'avait pas croisée depuis sa première visite, avant l'expédition dans le plan gelé des Xalari. Vu la présence de Lenwë en ville, il se doutait que Yùla était déjà au courant que sa mère était en vie, et qu'il lui avait sans doute transmis plus d'informations que le simple "Lìrulìn va bien, elle est à Cyrijäl" que lui-même aurait pu envoyer. Mais, à défaut, la Grande Prêtresse ne semblait pas se méfier des elfes de la capitale autant que ses congénères et peut-être qu'elle aurait pu lui dire ce qu'il s'était passé avec ce convoi. L'histoire n'avait plus d'importance pour son père, qui avait investi ailleurs depuis et avait renfloué la fortune de la famille, mais après des semaines de mutisme, pouvoir discuter avec quelqu'un, même pour quelques minutes, lui aurait été plus salutaire que n'importe quel alcool de l'auberge.

Son regard se posa sur le bois de la table à laquelle il siégeait. Il était gonflé, noirci par la crasse incrustée et dégageait un fumet d'alcool rance. La table penchait légèrement et avait quelques entailles par endroits. Des marques qu'il avait fini par apprendre par cœur à force de les contempler. Encore et encore…

C'en était assez.

N'y tenant plus, Israfel vida ce qu'il restait de sa choppe d'une traite et jeta bruyamment quelques pièces sur la table. Il se leva, balança sa cape sur ses épaules et se dirigea vers la sortie de l'établissement.
Il y avait au moins une personne dans cette ville qui accepterait de lui parler. Une personne qui devait être tout aussi isolée que lui à l'heure actuelle, et qui détenait des informations ô combien importantes pour l'avenir des peuples de Synca. La Xalaro Yuel.
Une fois à l'extérieur, le froid lui fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. La différence importante de température couplée à son excès d'alcool ne fit pas bon ménage et, se tenant au mur de l'auberge, il finit par régurgiter tout ce qu'il avait dans le ventre. Après avoir passé quelques minutes à profiter de l'air frais pour se remettre, il entreprit de déambuler dans les rues à la recherche de la démone. Une tâche dont il était sûr qu'elle serait rapide : la Xalaro pouvait difficilement passer inaperçue à Cyrijäl.

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