Il ne fallut qu'un instant au jeune Hélion pour trouver la garde, surveillant de prêt les festivités. Les meurtres dans la nuit n'étant malheureusement pas des faits rares à Babylios, les gardes prirent aussitôt les mesures appropriées. Miraak fût mené devant le capitaine de la garde, Hassan Femarr. C'était un homme dans la force de l'âge, un corps solide sous sa tunique de la garde, il avait les cheveux coupés courts et une barbe fournies poivre et sel. Son regard se fit immédiatement inquisiteur lorsqu'il le porta sur le jeune homme. Après quelques explications, Hassan ordonna à deux gardes d'escorter Miraak dans sa demeure familiale tandis que d'autres gardes recevaient la mission de récupérer le corps et de nettoyer la scène du crime. Il ne fallait pas risquer de déranger les festivités ou de montrer une mauvaise image aux représentants des autres peuples, aussi tout devait être effectué rapidement et discrètement.
« Nous vous attendons dans deux jours à l'aube à la caserne nord pour votre témoignage, nous feront tout ce que nous pourrons pour que ce crime ne reste pas impuni. » Assura Hassan au jeune homme.
Deux jours, pour ne surtout pas gêner les festivités et l'image politique du gouvernement de Babylios. Miraak se laissa mener chez lui un goût amer dans la bouche, mais il n'y avait rien à faire de plus. Son père était encore aux festivités à son arrivée, sa grande sœur déjà couchée. Quant à sa mère, elle avait rejoint les ambassadeurs du peuple Talien et devait les accompagner dans leurs terres pour passer quelques mois avec sa famille. Valid, le maître de maison, responsable des serviteurs de la demeure des Dal'Vë, fit venir de l'eau fraiche du puits pour que Miraak puisse se détendre. Le festin familial ne l'intéressait plus désormais et il ne trouva presque pas le sommeil cette nuit-là.
Le lendemain matin, Babylios était inhabituellement silencieuse. La ville se remettait doucement de la fête de la veille, et seuls quelques rares marchands étaient au rendez-vous sous les tentes de toile multicolores des souks. Les marchands les plus riches restaient à dormir ou à décuver de l'alcool de cactus absorbé la veille, seuls les plus pauvres qui ne pouvaient se passer du gain d'une journée de labeur étalaient leurs marchandises à cette heure matinale. Mais le soleil était au rendez-vous : Solaris avait visiblement décidé d'accorder un an de plus ses lumières à son peuple. La fête du soleil n'avait donc pas été si sombre cette année, pensa amèrement Miraak.
Galan, le père de Miraak, prit l'annonce de la mort du jeune Yal Ben'al comme une leçon pour son fils. « La politique est parfois sanglante, tâche de te servir de cette épreuve pour t'endurcir… Et savoir te montrer plus prudent à l'avenir ! »
La politique de Babylios est peut-être sanglante parfois, mais son ami était mort pour une bourse de pièces d'or, pas parce qu'il s'opposait à un politicien de peu de scrupules. Yal n'avait rien fait pour mériter son sort pensa Miraak, mais il se contenta de hocher la tête.
De profondes cernes sous les yeux, il rejoint en premier lieu ce matin-là la ruelle du drame. Rien ne laissait à penser qu'un jeune noble de Babylios avait expiré là, quelques heures plutôt. Il n'y avait comme témoin de ces faits que quelques traces rouges sur l'une des façades, qui avaient probablement échappé à l'attention des gardes venus nettoyer en pleine nuit.
Le jeune Hélion rejoint ensuite la villa des Ben'al. Située au sud de la ville, c'était une bâtisse plus modeste que sa propre demeure. Un petit jardin de roses avec son puits réservé à la famille présentait bien un signe évident de richesse dans Babylios, mais sinon la maison n'était pas beaucoup plus impressionnante par sa taille que les maisons des quartiers marchands. Miraak fût annoncé par les domestiques et quelques minutes plus tard il était convié au petit-déjeuner familial. Il n'avala que quelques dattes, pour la politesse, et s'efforça de répondre aux questions du père de Yal et de ses quatre sœurs. La mère de Yal était morte en mettant au monde sa dernière fille, plusieurs années auparavant.
Cette obligation passée, Miraak prit congé des Ben'al. Il ne reviendrait peut-être jamais plus dans cette demeure, pensa-t-il. Le jeune homme reprit la direction des souks, qui avaient peu à peu reprit vie. Des camelots vantaient la qualité de leurs poissons fraîchement pêchés dans la rivière Loreline, pourtant à trois jours de marche de Babylios. D'autres leurs alcools de cactus ou encore leurs tissus exotiques. En général, Miraak ne disait pas non à un peu d'alcool avant le déjeuner. Mais sans Yal, le liquide aurait eu un goût de cendre il le savait, aussi continua-t-il son chemin. N'ayant aucune envie de rentrer chez lui et de devoir faire comme si tout allait bien devant son père, qui insisterait probablement même pour qu'il rejoigne ses cours d'ancien Adœlath, le jeune Hélion commença à se promener de ruelles en ruelles à travers les quartiers marchands de Babylios. Il croisa dans les rues Maître Razul, qui lui donnait des cours de maniement à l'épée un jour par semaine, ainsi que quelques condisciples d'études à la grande bibliothèque de Babylios, mais ne s'attarda pas et refusa les propositions d'aller boire un verre dans l'une des tavernes de la ville.
Finalement, le soleil commençant à descendre à l'ouest, Miraak sentit son estomac lui rappeler le peu qu'il avait bien peu mangé depuis la veille. Il décida de s'attabler pour avaler un petit quelque chose tout de même. Il choisit une auberge au hasard, au coin d'une rue, "Au couteau tiré" annonçait la pancarte. Pas franchement rassurant, mais au moins cette auberge ne devait pas avoir trop de problèmes avec les mauvais payeurs pensa-t-il. Il choisit une chaise sur la terrasse et une jeune serveuse vint le voir. Une jolie jeune femme qui devait avoir à peu près son âge, de longs cheveux blonds laissés libres aux vents, des yeux bleus dans lesquels se noyer… Il fallut qu'elle demande trois fois ce qu'il voulait pour que le jeune homme se ressaisisse et commande le plat du jour. La terrasse bordait la route commerçante et Miraak laissa son regard vagabonder en attendant sa commande. On lui servit un ragoût de chameau et un verre d'eau citronnée pour l'accompagner. Le jeune homme donna quelques pièces d'or en pourboire à la jeune serveuse qui le gratifia d'un sourire radieux et, aux anges, il s'attaqua à son repas. Il se demanda vite si en fait de chameau on ne lui avait pas plutôt servis du rat, car la viande était élastique au point qu'il finit par la laisser de côté. Les légumes, issus du commerce avec les Hommes-bêtes alliés des Hélions, étaient bien cuisinés au moins.
Miraak finit son plat. Il pencha sa chaise en équilibre contre un muret derrière lui observa les alentours pendant qu'il digérait. Il passait tout un tas de gens différents dans la ville. Des mendiants habillés de morceaux de lins récupérés çà et là et assemblés ensembles avec plus ou moins de succès aux marchands portant des robes de toutes les couleurs possibles et imaginables. Il vit même passer deux hommes bêtes, un homme à tête de cerf et une femme à tête d'ours, qui se dirigeaient vers le cœur de la cité. Et puis il remarqua soudain quelque chose… Au-dessus du pas de la porte de l'auberge, un petit dessin avait été gravé. Un dessin que Miraak n'oublierai probablement jamais : une hyène semblable à celle tatouée sur le bras de son agresseur de la veille.
Préférant faire preuve de prudence, le jeune homme décida de mettre les voiles sans parler de sa découverte aux employés. Il rentra droit à la demeure des Dal'Vë, arrivant chez lui alors que le soleil commençait déjà à disparaitre derrière les murs d'enceinte de la ville. Après avoir mangé une orange, fruit réservé à la haute société hélion une fois de plus car même la magie des Hommes-bêtes peine à faire pousser des oranges à Babylios, il rejoint son lit. La fatigue le rattrapa finalement, et il sombra presque immédiatement dans le sommeil.
Le lendemain à l'aube, conformément à ses instructions, un serviteur vint réveiller son jeune maître pour son rendez-vous avec le capitaine de la garde. L'esprit encore légèrement embrumé, Miraak partit donc, accompagné par ce même serviteur pour raison de sécurité de si bonne heure, en direction de la caserne nord de Babylios.
Dans la caserne, le jeune Hélion découvrit des gardes déjà occupés à s'entrainer au maniement des armes. Pour la plupart avec des lames courbes, quelques-uns préféraient néanmoins l'usage de masses. Hassan Femarr accueilli Miraak dans son bureau, une pièce au mobilier très simple, et le convia à s'assoir.
« Un peu d'eau fraiche ? Je suis désolé, nous n'avons pas d'alcool ici. Commença Hassan.
- Oui de l'eau ce sera parfait merci, de toute façon je ne bois pas d'alcool de si bonne heure. »
Le capitaine se leva pour poser deux verres sur son bureau et les remplir avec une carafe d'eau. Il s'assit ensuite de l'autre côté du meuble, face au jeune homme.
« Bien. J'aurai besoin de toutes les informations dont vous pourriez vous souvenir à propos de ces tristes évènements d'il y a deux jours. Racontez moi tout je vous prie. »
Miraak passa quelques minutes à raconter les évènements tels qu'il se les souvenait. Il passa rapidement sur l'après-midi festif en compagnie de Yal qui n'avait guère d'intérêt et expliqua comment ils s'étaient engagés dans la rue, non sans discuter de la bourse pleine de son ami. Il décrit ensuite la courte lutte telle qu'il se la souvenait, en évitant toutefois de passer pour trop faiblard bien que son ami lui ait clairement sauvé la vie avec son étoile de jet. Il termina enfin sur le tatouage sur l'avant-bras de l'agresseur, ce qui fit hausser les sourcils d'Hassan remarqua-t-il.
« Bien, avez-vous autre chose à ajouter ? Votre ami avait-il un ennemi qui puisse vouloir sa mort à tout hasard ? Demanda le capitaine.
- Euh… Non je ne pense pas. Miraak compris que le capitaine sous entendait que l'agresseur ait pu être un assassin payé pour son œuvre et ajouta : Je pense que l'appât du gain est seul en cause.
- Une vague idée qui pourrait aider à faire avancer l'enquête peut-être ?
- Eh bien, celui qui nous a attaqués a perdu un œil. Sans doute pourriez-vous questionner les prêtres de Solaris sur les blessures de ce type qu'ils…
- Il est très improbable que ce genre de canaille se soit rendu au temple. Ils ont leurs propres caches où se faire soigner. Mais cette blessure pourrait sans doute l'identifier si nous pouvions découvrir à quel groupe il appartient…
- La hyène ! Hassan s'interrompit pour le regarder.
- J'ai mangé hier dans une auberge dans la rue marchande, à quelques pâtés de maisons du souk où nous avons été attaqués. Et j'ai remarqué quelque chose d'étrange, il y avait une gravure qui…
- Au-dessus du pas de la porte ? Une hyène comme celle tatouée c'est ça ? »
Miraak regarda le capitaine surpris.
« Oui, oui c'est bien ça. Mais Comment ?
- C'est un signe habituel. Les caches d'assassins et de brigands de Babylios fonctionnent toutes avec des signes gravés. Des signes qui indiquent les lieux où trouver amis, refuge ou encore un butin intéressant. Le tout est d'identifier ces signes, ce qu'ils signifient et à quels groupes ils appartiennent. Le capitaine se leva et se tourna vers la fenêtre qui donnait sur la cour d'entrainement de la caserne. Vous avez eu beaucoup de chance, reprit-il. La hyène est bien un symbole connu d'un groupe opérant dans Babylios, mais pas un groupe de simples coupe-jarrets. Ce sont des assassins royaux.
- Des quoi ? Des assassins au service du Cheikh' vous voulez dire ?
- Non. Enfin ça peut arriver. Disons que ce sont des assassins haute-gamme, qui font des contrats au service de gens influents.
- Vous les connaissez et vous les laissez faire ? Vous ne faites rien contre eux ?
- Doucement mon garçon. Ce n'est pas si simple, et non nous n'allons pas rester sans réagir. Un jeune noble a été tué pour sa bourse… Ce n'est visiblement pas un contrat mais un acte crapuleux. Même si le coupable fait vraisemblablement parti d'un groupe d'assassins d'élite, cela change tout. Disperser les Hyènes du désert est impossible, mais négocier pour obtenir un de leurs assassins n'ayant pas sus être discret…
Le capitaine fit une pause, semblant réfléchir. Miraak se tut et attendit.
« Bon. Reprit le capitaine. Je vais te demander de rester un peu à l'écart de la ville pendant quelques jours. Ne te déplace pas seul en ville, et évite au maximum de sortir de chez toi en dehors de tes cours. J'enverrai quelqu'un te tenir au courant de l'avancée de l'enquête occasionnellement.
- J'aimerai être là si vous arrêtez celui qui a fait ça.
- Ce serait sans doute trop dangereux…
- S'il vous plait.
- Soit, j'enverrai quelqu'un te chercher le moment venu. Ne pose pas d'avantage de questions, et évite de parler de notre discussion pour le moment s'il te plait. Il s'agit de ta propre sécurité.
- D… D'accord. Je ne parlerai de rien. »
Le capitaine sourit et donna congé au jeune Hélion. Le serviteur de la maison Dal'Vë qui l'avait accompagné à l'aller l'attendait toujours devant la porte et ils reprirent la route de la maison directement, sans mot dire. Miraak sentait le regard du capitaine sur son dos tandis qu'ils s'éloignaient de la caserne.
Miraak Dal'Vë
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01-12-2013, 09:41:58
Il y a dix ans (2)
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