13-08-2012, 20:53:21
Chapitre 6 : En pleine nature.
Huit ans plus tard...
Versant Ouest de la pointe sombre...
Le Soleil faisait scintiller les neiges éternelles des sommets du Relicanth. Là-haut, sur les cols, la température avoisinait les zéros degrés mais dans la vallée, le temps plus clément, laissait s'épanouir les plantes. Les bourgeons des chênes, frênes et if s'ouvraient alors que le chant des oiseaux résonnait à nouveau dans la vallée. Le printemps, bel et bien là, annonçait le retour des jours nouveaux. Les animaux sortaient de leurs terriers, les chamois remontaient sur les sommets et les ours sortaient de leur longue hibernation, les femelles accompagnées d'oursons qui pour la première fois apercevaient les rayons solaires. Et là-haut sur les sommets, les gardes de la Confrérie des Haches sortaient de leur torpeur. Durant les longs hivers, ils étaient plus trappeurs que soldats. Peu de voyageurs s'aventuraient dans les cols et les ennemis n'osaient braver les éléments. Alors, ils partaient chasser dans ces paysages blancs et rapportaient lièvres, hermines et renards. Les fourrures seraient vendues aux premiers commerçants ou troquées contre d'autres marchandises que ne fournissait pas la Confrérie aux courageuses sentinelles qui gardaient les sommets.
Sur le flanc ouest de la montagne dite de « la pointe sombre », un poste de surveillance, encore à moitié couvert de neige s'éveillait. La lourde prote glissa sur ses gonds, laissant l'air glacial pénétrer à 'intérieur. Un nain, de marron vêtu, le visage camouflé par une capuche en peau de lièvre et le col relevé de sa tunique en chamois dissimulaient son visage, ne laissant que deux yeux noirs visibles. Dans son dos, un carquois en cuir contenait une trentaine de flèches empennées de plumes d'oie, blanche. Deux couteaux étaient fixés à sa ceinture et un poignard à sa jambe droite. Des bottes fourrées accompagnaient la panoplie du chasseur. Des gants renforcés d'acier couvraient chacune de ses mains et un brassard son avant-bras gauche. De sa main droite, il tenait un arc long en if. Derrière Evrann, venait un nain plus âgé mais pareillement vêtu.
Les dernières congères de neige fondraient en quelques jours et les marchands passeraient ce col d'ici une semaine, mais jusque-là, ils pouvaient partir chasser l'esprit tranquille, deux autres nains seraient suffisants pour assurer la défense du col.
- On descend à la cascade ?
- Pourquoi pas, il y aura peut-être une harde de cerfs. J'en ai aperçu avant-hier. T'as pris des flèches pour les oiseaux ?
- Oui, j'en ai une dizaine, et une vingtaine à pointe de fer.
Le nain plus âgé se prénommait Valmir Morneroche, mais les nains avaient pour habitude de l'appeler Val. Il avait, huit ans auparavant sauvé Evrann d'une mort certaine, dans le sanctuaire de la déesse Araignée. Il était le nain qui avait tiré le trait explosif, mettant en feu les œufs maudits des gobelins. La secte gobeline avait ensuite été traquée pendant des mois dans un dédale toujours plus profond de galeries, mais nul n'en avait réchappé vraisemblablement. Les œufs, une fois ouverts, furent identifiés comme des œufs de Krytchr, ces insectes géants, voraces et dangereux. Certains auraient même pu donner des reines. D'où venait ce culte, ils ne purent le découvrir. Ce qui comptait, c'était que les disciples avaient été éradiqués.
Mais aujourd'hui, les choses s'étaient tassées. Ils faisaient partie de la Confrérie des Haches, dans un poste avancé, à surveiller l'Ingemann de ces hauteurs. Ils avaient repéré un troupeau de caribous la veille au soir près d'un lac dégelé et autant de viande ne pouvait passer sans que les nains n'en prélèvent un morceau. Et s'ils avaient de la chance, deux ou trois canards, voire des oies se poseraient sur cette étendue d'eau.
La descente fut des plus pénibles. La terre, gorgée d'eau s'était muée en boue immonde et les bottes des nains, malgré leurs lourdes semelles, peinaient à accrocher la surface glissante. Plus d'une fois, ils menacèrent de tomber. Dans les arbres, batifolant au milieu des épines des épicéas, des écureuils roux les observaient et semblaient se moquer de l'aspect balourd de ces nains. C'est ainsi que, trempés de sueur, ils atteignirent la cascade. Malheureusement, nul gibier n'était en vue. Pas même un canard. Ils allaient devoir encore plus descendre, jusqu'aux plaines déneigées. Elles se situaient au milieu d'un cirque. Aurochs et reines, et quelques fois orignaux venaient s'y nourrir et se désaltérer à la petite rivière. Seulement, l'étendue plane laissait peu d'abris pour chasser à l'affût. Il fallait ruser et… la réussite n'était pas toujours au rendez-vous.
- Pas sûr qu'on ramène d'la viande p'tit. J'aime pas aller là-bas, on risque de s'péter une jambe à chaque fois. Ou d'se faire empaler par un Auroch.
- Bah, au moins on se dégourdit un peu plus les pattes, ça fait pas d'mal. Je commençais à en avoir marre de rester enfermé dans le chalet.
- Vivement qu'il fasse beau, cette foutue neige m'insupporte.
Fidèle au peuple Khazad, il râlait, toutjours. Lorsqu'il y avait de la neige, il en avait marre, mais, pour peu que le soleil se pointe un peu trop à l'horizon, les « il fait trop chaud » ou « j'vois rien à cause de la lumière » redoublaient. Cela amusait Evrann, qui lui aimait sentir le vent sur son visage, le soleil sur sa peau. A vrai dire, Valmir aussi préférait cent fois vivre à la surface plutôt que dans les entrailles de la terre. Mais il n'allait pas souvent le reconnaître.
La forêt d'épicéas s'arrêta nette sur la paroi rocheuse. Le cirque s'étendait, là, sous leurs yeux. Féérique auraient pu dire les elfes, surtout ceux qui s'était installés dans la forêt. Foutrement impressionnant préféraient s'exclamer les nains qui le voyaient pour la première fois. S'étendant sur quatre mille foulées de nain environ, il jurait avec le reste du paysage, découpé de cols et de pics enneigés. Au centre du cirque coulait une rivière limpide que les nains n'avaient même pas daigné appeler. La rivière du cirque sombre, en référence à la Pointe Sombre, la montagne qui le surplombait, leur suffisait amplement. Le gibier était au rendez-vous, purent-ils voir du premier coup d'œil. Une harde de biches broutaient l'herbe tendre et, plus à l'est, dans une zone marécageuse, des orignaux, plongés dans l'eau jusqu'aux épaules, mangeaient des herbes aquatiques.
Accroche la corde, on descend en rappel, lança Valmir à Evrann. L'un après l'autre, ils sautèrent dans le vide. La confrérie des haches avait aménagé un autre passage, plus commode, pour les marchands qui passaient par la Pointe Sombre, mais le trajet était beaucoup plus long et mené à une zone peu giboyeuse. Alors, ils avaient installés un réseau d'échelles de cordes, d'échelles plus solides, pour descendre dans la « plaine ». Dans des caches, des arcs et flèches ainsi que des dagues et de l'amadou étaient entreposées, au cas où un groupe de nains étaient pris dans le blizzard.
- Viens, suis moi, souffla Evrann à son mentor lorsqu'il atteignit le sol. En descendant, j'ai repéré une...
- Sérieusement, comment tu fais… T'es descendu aussi vite, voire plus que moi et t'as eu le temps de faire du repérage et ce, sans te rompre le cou. J'pige pas. Moi j'ai pas pu décoller les yeux d'mes pieds.
- Moins fort, je t'apprendrai peut-être un jour à pas avoir peur du vide.
- J'ai pas… Sa phrase fut coupée par le poing relevé de l'ex-voleur. A deux cents pas venait d'apparaître la proie. Elle ne les avait pas encore repérés mais s'ils continuaient à parler, elle ne tarderait pas à partir. Ils s'accroupir doucement, avec des mouvements les plus lents possibles puis, sans bruit, ils avancèrent vers un buisson de houx.
Petit à petit, telle la lionne qui se prépare à bondir sur sa proie, ils s'approchèrent de la biche. Nulle brindille ne se brisa sous leurs pieds, nulle feuille ne frémit. Et puis, en même temps, ils décochèrent leurs flèches. Une flèche perfora la poitrine de la bête, l'autre le cou. Alors qu'elle détalait, gravement blessée, une deuxième salve la fit chuter. Ils coururent vers l'animal pour abréger ses souffrances et protéger la viande. Non seulement, des loups ou des tigres à dents de sabre pouvaient rôder dans les environs, mais surtout les premières mouches étaient sorties de leur léthargie et la chair chaude allait immanquablement les attirer. Valmir alluma un feu avec son briquet en silex pendant qu'Evrann ouvrait la gorge de la bête avec son long couteau de chasseur. Puis, au niveau de l'entaille, il ouvrit sur toute la longueur la peau de l'animal. D'un geste précis et rapide, il ouvrit et vida l'abdomen. Puis, aidé de Valmir, l'animal fut rapidement dépecé. Morceau de viande par morceau de viande, la bête fut fumée. La majeure partie de la carcasse put ainsi être protégée des insectes, mais, l'avant main, plus charnue, dégagée en dernière dut être abandonnée sur place. Ils avaient de toute manière assez de viandes pour eux et leurs amis et, le va et vient d'ombres dans les herbes hautes indiquait que nulle morceau n'allait être perdu. Une fois les sacs chargés, ils prirent le chemin du retour.
- Qu'est ce que c'est… cria Evrann en pointant quelque chose à l'horizon.
- J'regarde où je pose mes pieds, p'tit, chuis pas un chamoix, grommela le ranger tout en se tournant doucement vers l'horizon.
- On dirait des cavaliers. Ils tracent. Ils viennent de Karad… J'croyais qu'on devait fermer l'col.
- Ouep, par où ils sont passés ces zigotos… Aller, on grouille, j'ai un mauvais pressentiment.
C'est au pas de course, malgré la charge sur leur dos, qu'ils gravirent la montagne. Ils mirent tout de même plus de deux heures et demi à rejoindre leur abris. Ou plutôt, ce qu'il en restait.