Chapitre 2 : GrisePatte
Les larmes coulèrent malgré sa volonté. Il ne voulait offrir ce plaisir aux contre-maîtres.
"
Relève-toi, sale voleur ! Ramasse ta pioche et creuse. Cria Briseur. Les prisonniers ne se souvenaient plus de l'origine de ce surnom, mais il était une chose sûre, c'est qu'il le méritait. Devant ses yeux, il avait cassé le bras d'un tueur qui refusait de piocher, comme ça, sans effort ni remords.
Deux mois plus tôt...
Dans les Bas-Fonds de la cité naine.
Les bas-fonds... le sale quartier de la capitale. Quelques dizaines de mètres sous la capitale s'étendait un réseau de galeries qui formait une véritable seconde ville, peuplée non seulement de nains mais aussi et surtout de rats, qui atteignaient la taille de petits renards. Leurs yeux brillaient d'une lueur malfaisante lorsque la lumière blafarde d'une torche se reflétait dans leurs yeux. Ivrognes, voleurs et naines de joie arpentaient les ruelles, ces dernières offrant leurs services aux plus offrants dans des maisons closes, interdites à la surface.
"Tu as ce que je voulais", demanda une voix grave à l'intérieur d'une maison miteuse où s'entassaient un ensemble hétéroclite d'armes et armures ?
Sans répondre, GrisePatte sortit de sous sa longue cape en noire une dague magnifiquement ouvragée. Rubis, saphirs et autres pierres précieuses scintillèrent à la lumière de la chandelle posée sur la table. Puis, attrapant la poignée, il fit glisser la lame dans un doux chuintement. Le fil de la lame n'avait aucun défaut et le miroitement ne laissait aucun doute quant à l'utilisation de mithril pour forger une telle œuvre. Des runes, en or, argent et autres métaux décoraient le plat de la lame. Un sourire carnassier défigura la bouche du vieux nain, dévoilant des dents de fer et d'or.
"Magnifique, quel bijou GrisePatte. C'est toujours un plaisir de faire affaire avec toi. Le plus grand voleur de notre temps à n'en pas douter. Vas-y, quel est ton secret ?"
La capuche noire qui dissimulait son visage se baissa et un rire clair résonna, contrastant avec l'allure dangereuse du personnage.
"Mes secrets m'appartiennent. Les voleurs ne répètent pas leurs astuces.
- Ah, si tous les voleurs pouvaient être aussi talentueux que toi ! Voilà ta part ! Mon client a été très généreux. C'est déjà la troisième fois qu'il fait appel à mes services et il est enchanté du résultat. Apparemment, il n'est pas aisé de récupérer un héritage familiale. Mais cela va bientôt se conclure. Il n'a plus qu'un objet de ses ancêtres à récupérer. Et ce ne sera pas chose aisée de l'obtenir."
- Laissez-moi en juger... Le poignard déjà n'était pas aisé à récupérer et voilà qu'il trône au milieu de votre table.
Le vieux nain à la denture très métallique hocha gravement la tête, en caressant d'un geste distrait le pommeau de l'arme. Puis, il glissa une main sous la table et actionnant un mécanisme, il ouvrit un tiroir dissimulé dans le chêne.
"Voilà ce qu'il m'a écrit. L'objet à récupérer est un sceptre, taillé dans une pierre noire, où sont incrustés des morceaux d'obsidienne. Des gravures runiques le couvre intégralement. Il fait cinq mains de long et est orné d'un globe, en obsidienne lui-aussi."
Le voleur écoutait attentivement, buvant les paroles pour les incruster profondément dans sa mémoire. Nul papier ne sortait jamais de cette pièce. Mais le nain continuait sa lecture.
"Le sceptre noir est enfermé dans le coffre de l'école de magie, celui au sous-sol vraisemblablement. Vu la difficulté de la mission, la récompense sera plus importante que jusqu'alors et... il m'oblige à partager la récompense équitablement."
GrisePatte sourit dans l'ombre de sa capuche. Les derniers mots semblèrent écorcher vif le maître voleur. Partager les gains avec un subordonné n'était pas dans ses habitudes. Au mieux donnait-il un tiers de la récompense. En réalité, GrisePatte n'avait que faire de cet argent, mais le simple fait de voir ce nain, dont il ne connaissait pas le véritable nom, seulement un pseudonyme, l'obligeait à ne rien dire.
"L'école de magie... Hum hum... Je sens que notre client est encore moins pur que nous." Les objets dissimulés là-bas possèdent un grand pouvoir, surtout lorsqu'ils sont enfermés dans le coffre runique. Le coffre runique était la salle forte de l'école, dans laquelle les objets les plus empreints de magie étaient stockés, pour éviter qu'ils ne soient mal utilisés. Même le Thain disait-on, n'avait pas dans son propre palais de salle plus sûre. Mais... la sûreté de cette salle avait un gros point faible, à savoir qu'aucun garde ne surveillait jamais la porte. Des objets avaient disparu des entrailles de l'école sans que jamais les professeurs ne s'en doutent. L'inventaire aurait pris trop de temps et remarquer la disparition d'une broche, d'un collier ou d'une bague était quasiment impossible. Peu de voleurs connaissaient la combine, mais quelques uns avaient réussi à soudoyer des professeurs. L'ouverture de la salle n'était possible qu'en prononçant une formule runique, alors même que cinq bagues étaient encastrées aux bons endroits.
"Difficile mission, prononça doucement GrisePatte.
J'espère que la paie est conséquente.
- Alors, tu acceptes ?
- Bien sûr... Mais il me faudra du temps pour préparer un tel coup.
- Le client n'est pas pressé, il veut juste qu'une fois le sceptre volé, il le récupère dès le lendemain. Préviens-moi quand tu agiras...
- Que l'ombre vous dissimule.
- Que l'ombre cache tes pas, récitèrent-ils, habitués aux rituels des voleurs des Bas-fonds.
Il parcourut une dernière fois le papier, en se dirigeant vers la porte, puis, ostensiblement, jeta l'ordre de mission au feu. D'une porte dérobée, il s'esquiva de ce lieu. Un escalier en colimaçon le mena jusque dans le hall d'un bordel. Une naine se dirigea, peu vêtue, vers GrisePatte, mais d'un mouvement de main, il la congédia et sortit. Au détour d'une galerie, il avait disparu.
Deux semaines plus tard...
Quelques minutes avant que le Soleil ne disparaisse...
Sur le toit d'une armurerie.
Karad offrait une protection naturelle contre le climat rude de l'extérieur mais quand le blizzard soufflait sur le Septentrion, la bise glacée s'infiltrait jusque dans les ruelles de la capitale, glaçant les quelques passants. Des lanternes, des torches furent allumées par les patrouilleurs. Mais là-haut, sur les toits, seuls l'ombre et le froid régnaient. Le cliquetis des armures et des chausses en acier s'estompèrent dans le lointain. GrisePatte bougea, silencieux. Il avait planché sur le vol de ce soir depuis deux semaines, ne laissant rien au hasard. Un rat, dressé par une éleveuse des Bas-fonds avait transporté son message succin jusqu'au maître voleur.
« Ce soir, nous allons fêter cela. »
Les patrouilleurs disparurent de son champ de vision. Prenant son élan, il sauta. Ce jour-là, nulle cape m'encombrait ses épaules. Seule une foulard et un bandeau dissimulaient sa tête et retenait ses cheveux. Il avait revêtu une tunique noire, trop petite pour sa carrure et des bottes, dont les semelles, travaillées dans le cuir d'auroch, rendaient ses déplacements silencieux. Une petite bourse accrochée à sa ceinture, deux poignards, un ensemble de crochets et une corde complétaient sa panoplie. Il atterrit deux mètres plus bas, sur le toit d'un autre magasin. Puis il courut. L'école de magie était trois rues plus loin, isolée de tout autre bâtiment. Pendant un bref instant, il ne serait plus abrité par le couvert rassurant des toits, mais devrait courir à découvert. Il avait surveillé quatre nuits d'affilé les abords de l'école, cherchant la faille. Et la faille était comme toujours la relève. Pendant un instant, les gardes, fatigués d'être restés en poste devant l'école grommelleraient quelques mots avec leurs remplaçants, sans faire attention à ce qui se passerait. De l'arrière du bâtiment, GrisePatte sauterait sur la caisse et commencerait son escalade du mur. Les gros blocs de granite grossiers qui constituaient les murs se révélaient être une véritable échelle pour quiconque se montrait assez agile. Et c'était chose rare chez les nains... mais pas chez lui.
Les minutes passèrent. Son cœur, étrangement calme, ne battait pas la chamade. Il devrait être en possession de tous ses moyens pour escalader le mur abrupte jusque l'une des poutres en moins d'une minute. Du coin de l'œil, il entraperçut la relève. Encore cinq pas et les gardes disparaîtraient de son champ de vision.
« Que l'Ombre me dissimule
Que l'Ombre cache mes pas
Voleur, jamais je ne simule
Lorsque je dérobe ici-bas »
Récita-t-il. La
complainte du Voleur. Elle comprenait de nombreux couplets, mais c'était celui-là qui résumait la vie des Voleurs. La pointe de la dernière lance disparu derrière la roche plutonique. Un murmure, un souffle simplement accompagnèrent son saut. Puis il passa, entre les halos de deux torches. Les bras en avant, il escalada une caisse. D'un saut bien ajusté,il bondit vers le mur. Trouvant dans le noir des aspérités que personne n'aurait trouvé même en plein jour, il grimpa, telle une araignée. Lorsque la prochaine prise était trop haute, il s'élançait dans le vide pour la saisir. Et bientôt, le contact froid de la pierre laissa place à la rugosité de la poutre.
Trois poutres, puis le soupirail pensa le voleur, alors qu'il franchissait, dans un équilibre instable les différents obstacles. Si chute il y avait, nul doute qu'il se serait rompu le cou. Mais il atteignit le soupirail. Il ne fallait plus faire de bruit, les quelques secondes durant lesquelles les gardes relevés passeraient sous lui. Du bout des doigts, il sortit une lame extrêmement fine et un crochet. En deux temps, trois mouvements, le loquet sauta en silence, permettant au voleur de pénétrer dans ce haut-lieu de la magie. Il avait visité de jour l'école, se faisant passer pour un coursier et avait mémorisé une bonne partie du dédale de couloirs. Grâce à d'autres voleurs, plus âgés, l'accès à la salle souterraine n'était plus un secret. Caché derrière une tapisserie représentant Thuri entouré de runes se trouvait une porte en chêne. La serrure n'avait somme toute rien de particulier et après quelques minutes et un crochet brisé, l'escalier de pierre se dévoila devant lui.
Une étrange lueur éclairait les dernières marches, projetant un halo bleuté. La lumière exhalait d'un saphir de la taille d'un melon. Quatre autres pierres de plus petite taille formaient un trapèze.
Le sceau runique, s'émerveilla le voleur. Ouvrant délicatement la bourse de cuir qui pendait à ses côtés, il fit glisser cinq anneaux. Ces anneaux, inimitables, appartenaient à des professeurs respectés. Mais lors des deux dernières nuits, ces anneaux avaient été dérobés à leur insu. Et malheureusement pour l'école, les vieux sages ne prêtaient guère attention à ces objets qui ne révélaient leur pouvoir qu'au contact des pierres du sceau.
Il posa le premier anneau en murmurant pour chacun d'eux, le nom d'un métal. Fer, Argent, Or, Etain et Mithril. Les anneaux étaient positionnés. Il ferma les yeux et se concentra. Il n'aurait le droit qu'à un seul essaie. Si la formule se révélait fausse, les portes se fermeraient et il serait capturé.
Par Thuri, Seigneur des Runes, Grand Protecteur de notre magie, Toi qui veilles sur notre savoir, Aujourd'hui, ouvre les portes de la connaissance.
Une première série de runes s'illuminèrent et deux lignes, descendant des pierres supérieures s'illuminèrent pour rejoindre le saphir central.
Il posa sa main sur une pierre qui se trouvait quelques pouces en dessous du saphir et continua à psalmodier :
Runes et Fer mènent le peuple Khazad à la victoire,
Par le puissance du Dieu Forgeron
Par la sagesse du Dieu des Runes
Par l'Amour de notre Déesse
Par le sang de nos frères,
Ces objets jadis créés, aujourd'hui enfermés
Seront à nouveau révélés.
Deux autres lignes de runes partirent des dernières pierres pour rejoindre le saphir. Puis, des couronnes concentriques d'écriture apparurent. Les rouages se mirent en branle et bientôt, la pierre immobile dans sa main pu se déplacer. Il la tira vers le haut, comblant l'anneau qui était apparu autour de la gemme bleu. Un déclic fut suivi d'un mouvement global du mur. Reculant d'un pas, il attendit que les portes runiques entament leur rotation. Des lumières éclairèrent petit à petit les murs de la pièce, répandant d'abord un doux halo bleuté, qui se mua en une intense lumière blanche. La pièce était immense. Bien plus grande qu'il ne se l'était imaginé. Chaque objet avait sa place. Bagues, anneaux, colliers, pendentifs remplissaient des loges dans des étagères de pierre, mais une multitude de haches, d'épées et d'armures complétait cette incroyable collection.
"Par Thuri !" siffla le voleur, ébahi.
"Si je volais ne serait-ce qu'une fraction de cette réserve, je serais richissime."
Il frôla nombre d'objets, sans réellement les toucher. Perdu au milieu de ce spectacle, l'objet de sa quête s'effaça un instant. Il put contempler son reflet dans une armure polie, il vit des armes comme il n'en avait jamais aperçues. Des armes à quatre lames, deux paires de chaque côté d'un court manche en mithril, d'autres indescriptibles. La quantité d'anneaux était impressionnante. Sous chacune des caches qui abritaient ces minuscules objets, était écrit le résumé de son pouvoir. Il y avait même un anneau capable de rendre son porteur invisible un instant. La tentation était grande, mais jamais ou presque il n'avait volé autre chose que ce qu'on lui demandait. Bien sûr, au démarrage, quelques pièces d'or et coutelas avaient rejoints sa besace, mais cette mauvaise habitude n'avait pas duré. Puis, dans une loge dans le mur il tomba face à lui. Le sceptre avait une place particulière. Planté dans la roche, il semblait absorber la lumière environnante, tant la noirceur du bois et de la pierre contrastaient avec la féerie de ce qui l'entourait. Des runes, finement ciselés, jaillissaient en torsade du globe d'obsidienne et dévalaient le bois en torsades. L'ouvrage, bien que magnifique mit mal à l'aise GrisePatte. Une sensation de noirceur se dégageait de l'objet. Délicatement, il empoigna l'artefact, car il méritait un tel nom. Une poignée avait été aménagée au tiers supérieur et sa main rentra parfaitement dedans. Il respira à nouveau lorsque nulle chose néfaste ne déferla.
Maintenant il devait faire vite. Traversant la salle runique à toute vitesse, il prononça simplement :
« Merci » pour causer la fermeture de la pièce. Les anneaux une fois récupérés, la remontée fut rapide et, une minute plus tard, il refermait le soupirail derrière lui, ni vu, ni connu, le sceptre accroché entre ses omoplates pour ne pas gêner sa descente. En trois bonds, il se retrouva au sol. Un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à cause lui dévoilèrent qu'il était seul. Il détala au triple galop.
"Mais..." Grogna-t-il. Ses pieds refusaient de se lever. Une voix inaudible murmurait quelque chose. Une douleur le saisit, douleur qui remonta le long de ses jambes.
"Qu'est ce qu'il m'arrive ?!" Se débattit GrisePatte.
"Mes jambes... Non, mes jambes !
- ...Sont lourdes, siffla une voix rauque derrière lui.
GrisePatte si je ne m'abuse... Aujourd'hui sera votre dernier vol. Cela ne vous appartient pas."
Le fil aiguisé d'une hache se posa contre sa gorge, tandis qu'une seconde main dégrafait le sceptre de son dos. N'osant tourner la tête à cause de l'arme brandit sur sa gorge, GrisePatte ne put qu'apercevoir un bras tatoué de runes. Il tenta à nouveau de dégager son pied, mais ils étaient enfermés dans une gangue de pierre.
"Il est ici ! Cria le mage derrière lui. De nombreux nains, armées de haches, apparurent aux coins des différentes ruelles. Des mages les accompagnaient.
- Laissez-moi partir, gronda GrisePatte,
j'ai de quoi vous rendre rich..."
Le mot s'éteignit dans sa gorge. La lame s'était enfoncée de quelques millimètres et de l'entaille coulait un mince filet de sang. Des nains le menottèrent tandis que le sortilège libérait peu à peu ses jambes. D'un geste rageur, le plus vieux nain du groupe arracha le morceau de tissu qui dissimulait son visage.
Evrann... Non... ce n'est pas possible...
- Maître...
La main du nain trembla. Il fixait celui qui avait été son élève depuis des années, d'un air ahuri.
"Pourquoi Evrann ? Pourquoi ?"
Mais à ces questions, le voleur ne répondit rien. Il avait la gorge serrée et, détournant la tête, il refusa de regarder celui qui lui avait enseigné le maniement de la hache. Un sac de toile couvrit sa tête, le cachant au regard des passants... Ses armes lui furent retirées, ainsi que la bourse contenant les anneaux.