Aux rives de l'Elion.
#1

Il s'éleva dans l'air le son du clapotis de l'eau, ce bruit si particulier et harmonieux qui ne semblait en rien déranger la nature environnante. L'oiseau continuait de chanter, la biche élégante avançait pour venir s'abreuver au bord du ruisseau. Elle tendait son cou avec grâce et trempait tout d'abord son museau sur le rebord de l'eau avant que sa langue ne vienne laper l'eau douce qui s'écoulait. Le fleuve Elion donnait à boire à bon nombre de créatures, il était un lieu de rassemblement, autant pour l'herbivore sage que pour l'ours qui venait dans les eaux peu profondes se contenter de quelques carpes et saumons. Toute la nature semblait si paisible, calme, comme si jamais le mage noir ne les avait inquiété, comme s'il n'était qu'une petite chose dans ce monde et qu'il ne troublerait en rien leur existence. Comme si Halista n'en avait cure.

Au bord du ruisseau, Yava releva les yeux. Elle venait de courir de longues semaines, tantôt sous la terre, tantôt au-dessus. Elle n'était pas fatiguée du chemin ardu, mais sa patience avait été mise de nombreuses fois à rude épreuve, aussi bien par leurs cousins elfes que par les nains. En sortant de la caverne et en se retrouvant seule, à la poursuite de Nagoth, elle avait retrouvé quelque chose. Un instinct. Un sentiment. Le regard droit sur l'horizon, la bise caressant ses cheveux, elle ne pouvait pas s'empêcher d'être persuadée d'être déjà venue ici. Cette nature lui semblait familière, cet endroit lui semblait si…. Il n'y avait pas de mot pour expliquer ce qu'elle pouvait ressentir à ce moment. Peut-être était-ce de la tristesse ? Elle fronça doucement les sourcils. Son esprit s'embuait pas de multiples pensées, et elle n'arrivait pas à les dissocier les unes des autres. Elle voyait son père, puis sa mère, mais n'avait-elle jamais ignoré qui était sa mère ? Elle se frotta plus fortement les tempes et rentra dans l'eau. Sa tignasse rousse flottait au-dessus de sa tête alors qu'elle avançait quelques centimètres sous l'eau. Le courant était fort, mais elle avait déjà vu bien pire jadis.

Elle mit un pied sur l'autre rive et regarda devant elle. La plaine s'étendait et elle pouvait voir loin malgré les collines qui parfois s'élevaient. Au fond du plateau verdoyant, les hautes cimes de l'Ingemann se dressaient comme un mur imposant et effrayant, l'aura sombre s'en dégageant détonnant avec le blanc de sa neige. Elle eut un sourire et dans ses yeux se réanimèrent les flammes de l'assurance.

A nouveau elle s'élança.



La montagne se rapprochait, et le danger avec. La rousse n'avait pas cessé de courir dès qu'elle le pouvait. Sur une colline perchée, elle avait posé ses yeux sur un nain attaqué par une haute-elfe qui l'accusait d'avoir lui-même agressait un centaure. Yava ne s'arrêta pourtant pas. Les querelles alentours, d'aussi loin qu'elle les avait vu, ne la touchait pas personnellement. Elle avait gardé de son père une nature implacable et juste, aussi il ne lui semblait pas approprié d'intervenir dans le conflit. Un autre, bien plus grand, l'attendait. L'Ingemann était proche. Elle pouvait d'ici même voir la neige, mais elle resta sur l'herbe. Dormir sur le froid même de la montagne ne lui semblait pas une bonne idée de campement, et quelque chose la poussait à ne pas y mettre les pieds. La peur de Callisto ? Peut-être.

L'Ours devait être terré quelque part, la chassant, et Yava devait encore rester prudente. On ne tuait pas un esprit-ours, fût-il démoniaque, comme on tuait un loup. Il fallait bien davantage de force, et ça aurait été s'épuiser que de couper par la neige pour rejoindre le village où Crépuscule se dirigeait – comme il l'avait averti quelques jours plus tôt pour lettre. Elle attendrait au pied de la montagne jusqu'au lendemain, quoi qu'en en dise.

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#2

Il faisait noir. Très noir. Comme si le soleil ne s'était plus jamais relevé. Yava ouvrit doucement les yeux, et ne découvrit pas davantage de lumière. Au loin quelque chose brillait, mais ce n'était sans doute qu'une luciole tant sa lueur était faiblarde. Elle voulut remuer les doigts, mais elle se sentait prise au piège. Elle désira respirer, mais sa bouche était baignée dans un liquide chaud qu'elle ne pouvait pas avaler. Il se passa de longues secondes sans que rien d'autres ne se passe, puis un étau sembla la prendre, comme pour la brisait. Elle se crispa, brutalement, et le froid qui prit son corps la fit cette fois-ci poussait toute sa colère en dehors dans un grand cri, dans un grand cri de… bébé.

Elle ouvrit les yeux, pleurnichant comme une enfant alors qu'en face d'elle, le visage de son père était recouvert de sang. Il la tenait entre ses doigts et la berçait sagement. Son sourire carnassier était immense, fendant en deux un visage tendre qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Etait-il si beau ? Avait-il eut un jour un visage entier ? Elle se tendit, d'une petite frayeur, alors qu'il la posait sur quelque chose qu'elle ne pouvait pas voir. Elle le fixait, terrorisée, et il cherchait frénétiquement quelque chose. Qu'était-ce ? Elle serra ses mains, mais il lui sembla qu'elle n'avait plus d'énergie, plus de force, plus rien. Il leva finalement un couteau au-dessus d'elle, la fixant comme si elle n'était qu'un vulgaire animal, et ricana. Il parlait, mais elle ne l'entendait pas, ce n'était qu'un charabia sans queue ni tête. Elle leva les mains et le couteau s'abaissa à une vitesse effrayante, mais quelque chose l'arrêta. Brutal.

Une patte d'ours venait d'envoyer le couteau et son porteur à quelques mètres plus loin. Un grognement remonta des entrailles de la créature qui s'avança et surplomba l'enfante. Asafël hurla quelque chose, peut-être était-ce des incantations, et un grand cercle rouge de feu se forma autour de l'ours. L'animal ne se laissa pas faire et se dressa sur ses deux pattes, le buste gonflé et le poil hérissé. Elle montrait ses pattes comme un ultime avertissement, mais l'elfe revint à la charge. Au-dessus d'eux l'air sembla devenir plus lourd car même l'enfant ressentit le poids de la pression sur son thorax. Yava voulait se débattre, hurlait, mais rien, rien ne semblait vouloir sortir de sa gorge, pas un son.

Le feu s'éteignit par la seule volonté de l'animal qui s'élançait sur le mage. La gueule de la bête se referma sur le bras de l'homme, et alors que les pattes pressaient le corps au sol, un simple coup de gueule le lui arracha. Les ligaments et les tendons qui reliaient les deux parties du corps s'étirèrent longuement avant de finalement lâcher dans un « clac » horrible. La chaire sanguinolente se montra au jour et l'odeur du sang ne fit qu'attisait davantage la faim de l'animal. L'enfant pleurait toujours, prise au piège de son propre corps qui ne lui permettait que d'être la triste spectatrice. Elle hurla à nouveau quand un coup de patte s'abattit sur le visage du mage, les griffes perçant jusqu'à l'œil émeraude et beau du jeune elfe. Bientôt son visage ne ressembla plus qu'à un bout de viande saignant. L'Ours se leva sur ses membres arrières, sure d'elle, prête à battre à nouveau le mage quand une boule d'énergie la propulsa plus loin en arrière.

Le mage se leva rapidement et attrapa sans douceur, en hâte, le corps de l'enfant de son bras libre, abandonnant derrière lui son bâton. Collée contre le torse de l'homme, elle jeta un œil au-dessus de son épaule et remarqua que l'ours ne bougea pas. Entre ses pattes, un corps avait été égorgé, et on pouvait voir – comme elle était entièrement nue – que ses pentacles de toutes sortes avaient été marqués, gravés à l'aide d'une lame à même la peau. Un cristal de mana, transparent, attendait sur sa poitrine, vidé de toute son énergie comme il semblait bien terne.

« Ne t'inquiète pas Yava… Ne t'inquiète pas… »

Un sursaut brutal la fit tomber de la branche où elle s'était perchée pour dormir. Son dos se fracassa contre le sol et elle leva aussitôt la main. Ses joues étaient mouillées, humides et ses yeux encore suintants de sentiments liquides. Des larmes. Elle les essuya rapidement en se rendant compte de sa stupidité et jeta un regard circulaire pour être bien sûr que personne n'avait rien vu. Elle renifla mais resta sur le sol comme ses jambes avaient du mal à se décider de bouger. Le regard à l'affût, quelque chose allait arriver.

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