A la poursuite de Callisto.
#1

(thème proposé.)


Respire la terre…
Respire l'écorce du petit bois et la mousse qui couvre les troncs épais de la forêt.

Tu sens cette énergie ? Cette énergie est ta mère.
On l'appelle Nature, et elle coule en chacun de nous.

Ferme les yeux, tu dois sentir ton cœur qui va au même rythme que la sève qui s'écoule.
Si tu n'entends rien, c'est parce que tes pensées parlent trop fort en toi.

Tu dois apprendre à faire taire ton humanité, tu entends ?
Tu dois apprendre à faire taire en toi l'homme, pour en faire ressortir la bête.

Quand tu arriveras à entendre la chute de la rosée sur les feuilles au petit matin, tu auras atteint le niveau.
Tu seras un cerf dans la forêt.

Il suffit de marcher sur la terre pour la comprendre.
C'était ce que pensaient les anciens.





C'est sur cette terre que Yava ouvre les yeux, son sourire s'étend comme la clarté recouvre l'horizon. Le soleil se lève, et la canopée du bois vrombit sous le vent qui se lève. Elle étend devant ses bras, les écarte, en fait craquer la moelle et les os, chaque pore respire la rosée qui s'est posée sur son corps de nymphe. Elle se redresse, comme un roseau, agile et flexible, ses longues mèches tombent en cascade dans le creux de ses reins. Elle ferme les yeux, quelques secondes, et respire l'odeur de l'herbe qui a connu la fraîcheur de la nuit. Elle a un sourire satisfait alors qu'elle finit de quitter le sol. Son regard d'émeraude se fixe sur le soleil qui dévoile ses premiers rayons, et bientôt le bois s'éclaircit lui aussi, et le vent souffle plus fort, faisant s'envoler les dernières feuilles oubliées par les blaireaux préparant leur terrier. L'elfe sourit. Elle se penche, attrape son épée et la fixe à sa ceinture. Un simple nerf de chevreuil et ses cheveux sont accrochés en un chignon négligé qui finira tôt ou tard par lâcher, mais ce n'est pas son problème. Comme Artémis au réveil, elle ferme les yeux et ses longues oreilles écoutent les bruits de l'eau qui court le sol et s'infiltre dans les profondeurs de la terre, pour s'imprégner de sa douceur comme de sa fureur. L'eau qui court ne s'arrête jamais.

« La nuit a été longue… » Les yeux émeraude de l'elfe parcourent le petit bois qui d'endroit en endroit s'éclaircit. « …mais jamais brouillard n'a vaincu l'aurore. »

Elle jette un œil derrière son épaule. Si la nuit a été longue pour elle, elle ne l'a pas été pour l'ours qu'elle poursuit depuis des nuits. C'est en parcourant au trot les longs mètres qui la séparent de la rivière, au regard des pas lourds qui ont tracé dans le sol une piste claire, qu'elle comprend qu'elle a été dupe en pensant que l'animal ne l'avait pas remarqué. Elle peste, la farouche, et relève les yeux sur le soleil qui n'a toujours pas effacé la lune à l'exacte opposé dans le ciel. Elle a faim, mais la faim est l'essence même de la bête qui sommeille en elle. Parce que c'est sa faim qui doit pousser ses pieds à aller plus vite que ceux de la biche coursée par les loups. Elle attendra donc la fin de sa chasse pour manger.

Elle attrape son arc et s'élance dans la rivière, tombe au plus profond du petit torrent et en ressort, ses longs cheveux collant à ses flancs. Elle agrippe une racine apparente et se tire à la force des bras sur la berge, le regard vif. Elle renifle l'air, mais l'animal n'est toujours pas là. L'ours… l'ours fuit, et elle perd du temps. Si elle ne l'attrape pas, elle ne deviendra jamais comme son père. Elle ne sera jamais digne. Elle se redresse sur ses pieds, se secoue et s'élance vers la forêt. Ses yeux cherchent dans l'horizon le mouvement, l'odeur, mais rien ne trahit la présence du prédateur dans les fourrées. Ses pas sont plus lourds avec l'eau qui a mouillé ses habits, et sa cape la ralentit de plus en plus. Elle s'essouffle sur la fin de la matinée, ralentit jusqu'à s'arrêter.

Le chasseur rencontre le gibier là où ils n'ont pas pris rendez-vous, Yava…
Attends toujours à ce que la bête surgisse quand tu ne penseras pas à elle.


Elle grimace, soupire, et finalement se détends doucement. Si son père a passé toute son existence à écouter l'écorce des arbres et a fini par devenir un archidruide respecté, c'est sans doute qu'il doit avoir raison. Enfin… pour ce qu'elle en sait, elle. Elle fait la moue quand elle voit passer sur le sol un mulot. Il attrape une graine tombée de son sac, jette un œil curieux à l'étrange chose rousse qui attends, et repart dans un buisson dans un petit « couiiiic » affolé. Elle hausse un sourcil, puis détourne le regard. Il semblerait donc qu'elle est perdu la trace de l'ours. Ça, c'est pas de chance. Pour sûr que ses frères sont déjà rentrés à la maison avec leur peau d'ours… Elle soupire, s'étire.
C'est encore une journée qui ne sera pas béni par les étoiles…

Le chasseur solitaire est le seul à connaître le prix que lui a coûté son gibier.
Cours Yava, cours parce que ce n'est qu'en imitant le cerf qui bondit entre les fourrées que tu peux comprendre où va le roi de la forêt entre les arbres…


Elle n'allait tout de même pas se rouler sur le sol pour savoir où était partit son ours, tout de même. Manger des baies, soit. Surtout que son estomac criait famine. Mais quand même… courir comme un ours, c'était encore une chose difficilement acceptable pour elle. Ça aurait été comme chasser le lapin en imitant la carotte. Ridicule. Une carotte...

Elle soupire.

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#2

Deux longues journées pour se rendre compte que l'ours n'avait pas pu traverser la rivière. A première vue, la forêt aux alentours de Miriath n'avait accueilli qu'un seul instant l'ours qui avait fini par fuir, au sud. Ou peut-être à l'est. Yava n'en savait de toute façon plus grand-chose. Perchée sur un arbre, elle se doutait bien que l'esprit de Callisto n'approcherait pas des gardes et resterait terrée plus loin derrière les fourrées. C'était donc à elle d'aller la débusquer. Si Yava rechignait à quitter le cocon que lui offrait la ville, il fallait bien qu'elle s'avoue que la meilleure des solutions était de suivre les pas de la bête, que c'était ainsi qu'elle réussirait à s'engager sur la voie des druides.

Faire des allers retours entre la forêt et la capitale n'allait pas l'aider. Elle avait donc le choix. S'engager dans la forêt. Ou rester dans la capitale. Rien qu'imaginait le visage de son père en la revoyant revenir bredouille était insupportable (et ô combien terrifiant). Il fallait donc songer à… entrer dans la forêt. Seule. Et pas vraiment expérimentée. Qu'importe ! Mère Nature l'aiderait. C'était tout du moins ce qu'elle voulait croire, parce que sans ça, il fallait bien avouer qu'elle n'allait pas avoir beaucoup de chance.

Partir, donc. Dès le premier pas en dehors des frontières de la capitale, la jeune elfe sylvaine su que ce n'était pas le bon choix. Le hululement morbide des chouettes n'avait rien de rassurant non plus. En traversant la frontière, celle à partir de laquelle on ne voyait même plus les lumières du village, Yava su qu'elle était seule. Ça n'avait rien de terrifiant, elle avait déjà vécu cette situation dans le passé, en suivant son père à travers les buissons, mais… il y avait quelque chose d'étrange tout de même, à se retrouver vraiment seule.

« Tu ne peux pas avoir peur de ça, Yava… tu y as déjà été y a trois jours. T'as déjà été plus loin que les premières frontières… » marmonna la jeune elfe, se rappelant très bien avoir été l'avant-veille plus loin. Mais l'avant-veille, il faisait jour.

L'elfe secoua la tête, chassant cette idée de sa tête. Elle n'avait pas à avoir peur de la nuit. D'ailleurs elle n'avait pas vraiment peur. C'était juste cette boule au ventre qui revenait de temps à autre, à savoir qu'un loup ou un ours pouvait surgir à tout moment d'un buisson et la mettre en pièce. Elle soupira, et posa finalement son sac sur le sol. Il ne servait à rien d'avancer plus loin dans l'obscurité, d'autant plus qu'un petit bivouac était plus utile qu'une nuit de marche en aveugle.

~*~

« Oh… ! noooon… ! »

Son pieds glissa sur le rebord d'une petite falaise, et aussitôt, ni une ni deux, ses deux jambes se mirent à marcher d'elles-mêmes, à courir même ! Mécaniquement, machinalement, elle détala comme un lapin pour finalement frôler de s'écraser la face contre le sol. Un petit tour sur elle-même, et hop, à genoux sur le sol. Quelques traînées de poussière suivirent de près sa chute qui finalement la laissa indemne. Elle se redressa, souffla sur ses mèches rousses tombées devant son visage, et remarqua devant elle un individu. Sa seule réaction fut de hausser un sourcil et de pencher la tête sur le côté, d'un air de dire…

« Bonjour… ? »

Pas de quoi avoir peur. Blond, longues oreilles. Une chance sur deux qu'il soit... un ami?

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#3
L'elfe qu'on appelait Crépuscule était trempé. Ce n'est pas qu'il avait plu, ni qu'il était allé se rafraîchir à quelque source pure. Non, l'elfe qu'on appelait Crépuscule était tout simplement tombé à l'eau. Fort élégamment, toutefois. Et pour son prochain. Quand bien même ledit prochain est un petit mulot s'accrochant désespérément à une racine pour ne pas être emporté par le courant. Racine dépassant elle-même d'une petite butte escarpée et boueuse, bien sûr. C'eut été trop facile autrement.

C'est donc en n'écoutant que son courage qu'il s'était penché au mépris des lois de la gravité en se retenant à une touffe d'herbe afin de sauver le petit rongeur en détresse. Pour entendre celle-ci céder dans un craquement sourd et se retrouver soudainement sous l'eau. Par chance, celle-ci n'était pas trop profonde, et le courant pas trop violent, ce qui lui permit de conserver sa vie, à défaut de sa dignité. Tout ruisselant, il avait continué sa marche.


Il faut avouer que Crépuscule n'était plus trempé, mais humide, tout au plus. La nuit avait eu le temps de couvrir la forêt de ses ténèbres, à peine troublées ici et là par le scintillement d'une étoile perçant l'épaisse frondaison quand il commença à rassembler des branches mortes. Il avait repéré une éclaircie de la végétation en bas d'une forte déclivité, où allumer un feu ne blesserait pas les arbres alentours. Ledit feu s'imposait, à moins de vouloir attraper la mort en passant la nuit avec des vêtements mouillés.

Le foyer était presque achevé lorsque ses préparations furent interrompues par un craquement, un cri étouffé et la glissade d'un corps entraînant mottes de terre et cailloux sur son passage.

« Bonjour… ? »

C'était une elfe rousse en habits de forestier, qui avait survécu à sa propre chute avec plus de dignité. Mais le talus était escarpé, les rochers pointus, et malgré l'obscurité on pouvait apercevoir du sang sur son épaule.

« Ne bougez pas ! Je m'occupe de tout ! »

A peine avait-elle eut le temps de réagir que l'elfe blond avait commencé à diriger les énergies des plantes alentours vers la plaie afin de la guérir. Quelques traînées d'un vert phosphorescent commençaient déjà à s'enrouler autour de ses mains avant de se diriger vers la blessée, quand tout à coup, plus rien. Quelques secondes d'un silence gênant passèrent, sans que l'un d'eux ne dise quoi que ce soit, permettant à l'elfe qu'on appelait Crépuscule de recommencer. Les arabesques vertes accomplirent cette fois ci leur rôle, tandis que leur invocateur se rendait compte de la réelle gravité de la blessure : une grosse écorchure.

Un nouveau silence gêné s'ensuivit.

« Euhm, salutations. On m'appelle Crépuscule. Et, euhm ... ça risque de gratter un peu durant les prochaines heures. »
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#4
Quand son père lui avait offert la possibilité d'un jour devenir comme elle, elle n'aurait jamais cru, jamais imaginé, une seule infime petite seconde, rencontrer quelqu'un sur son chemin. Mais voir ce garçon devant elle la ramenait brutalement à la réalité : cela faisait au moins deux semaines qu'elle n'avait plus vu un seul elfe, et au-delà de ça, qu'elle n'avait parlé qu'à elle-même.

« Ne bougez pas ! Je m'occupe de tout ! »
« De..q… »

Sa voix s'éteignit quand elle le vit tendre les bras vers elle. Les yeux émeraude de la jeune chasseresse se posèrent sur son épaule, puis sur les mains qui doucement se faisaient lécher par des arabesques de jade. Et… C'était sans doute ce que son père appelait un échec de la nature. Elle porta son regard sur le blond, puis sur son épaule, et à nouveau sur les mains qui semblaient chercher à guérir quelque chose, une blessure qu'elle ne parvenait toujours pas à voir ni à ressentir. Elle n'avait mal nulle part, et au-delà de ça, elle avait davantage mal au dos après sa chute et à la cheville droite qu'à… son épaule ? Elle pinça les lèvres, sage jusqu'à que son congénère cesse enfin ses tentatives désespérées sur son épaule intacte, à une égratignure près.

Elle le fixa, il la fixait. Le silence était pesant. La vérité c'était qu'elle n'avait jamais eu vraiment de conversation avec qui que ce soit. Les rares paroles échangées avec son père étaient des paroles de vieil homme, emplies de sagesse ; mais aucune d'entre elles ne pouvaient entrer dans la catégorie « introduction d'une conversation avec un parfait inconnu ». Quand bien même le fait qu'il lui fut entièrement inconnu n'était pas le souci. Même si elle l'avait connu, elle n'aurait pas su quoi dire.

« Euhm, salutations. On m'appelle Crépuscule. Et, euhm ... ça risque de gratter un peu durant les prochaines heures. »

Elle le fixa encore quelques secondes, et machinalement leva la main droite pour venir gratter son épaule « guérie » par le jeune elfe. Gratte, gratte. Ses yeux couleur de feuille glissèrent machinalement sur sa main qui grattait sa main, et la retira vivement, comprenant la situation.

« Oh ! » Elle regarda autour d'elle, un peu affolée, mais Callisto n'était toujours pas là, comme terrée. Elle esquissa une moue boudeuse avant de reporter son attention sur l'elfe : « J'imagine que tu n'aurais pas vu un ours blanc dans cette forêt ? Blanc aux yeux vert d'émeraude, dont on dit qu'ils sont si brillants que même dans la nuit, ils éclairent comme deux jades caressés par le soleil ? »

A la vue du visage de Crépuscule, c'était non. Elle eut un petit soupire et détourna le regard, soudainement fatiguée, comme si cela faisait des mois et des mois qu'elle tournait comme un vautour autour d'une proie invisible. C'était sans doute le plus frustrant. Elle commença à marmonner, plus pour elle-même que pour le jeune inconnu :

« Que dira Père... Si je n'arrive pas à la trouver, je n'arriverais jamais à devenir druide... Nom d'une luciole... Il me faudrait un signe... »

Elle soupira à nouveau. Rien ne viendrait. Peut-être était-ce parce qu'elle n'était pas à l'écoute, comme le lui avait souvent répéter son père depuis sa plus tendre enfance. Elle fit la moue, et reporta finalement son attention sur l'elfe, comme il n'avait pas bouger d'un centimètre. Elle haussa un sourcil. Ah. Oui. Elle tendit sa main, pinçant les lèvres, comme prise en flagrant délit quand pourtant elle n'avait rien fait.

« Où ais-je la tête, j'en oublis la politesse ! Je me présente, Yava ! Et je te suis éternellement reconnaissante de ton aide. »

Elle leva la main et se gratta l'épaule, machinalement.
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#5
"Il y a bien peu d'ours blancs, sous nos latitudes. Et bien peu d'ours dont les yeux verts luisent dans l'obscurité. Le seul dont j'ai entendu parler qui regroupe ces caractéristiques, c'est un centaure qui m'en a parlé. Il a partagé mon feu pour une nuit. Et il m'a raconté leur rencontre. Je ne me souviens pas de tous les détails, mais je peux te conter ce dont je me rappelle."

Se détournant de l'elfe rousse, Crépuscule acheva d'arranger le bois mort qu'il avait récupéré tantôt en un foyer, et enflamma le tout grâce à un silex et une mèche d'amadou qui disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus des plis de sa large cape.

"Mais tu as sans doute faim ?"

La question n'appelait pas de réponse, et c'est sans attendre qu'il sortit de son sac des baies, une miche de pain et quelques lanières de viande séchées, qu'il proposa successivement à cette invitée impromptue. Le jeune elfe s'assit ensuite, ajustant ses robes sous lui d'un geste absent et mécanique visiblement issu d'une longue habitude.

"Ce centaure..." commença-t-il, tendant ses mains vers le feu pour se prémunir de la fraîcheur de la nuit. "Il avait quitté leur cité de Naël'Kaldora depuis quelques lunes, pour accomplir un rite d'initiation. Il devait trouver un signe, avant de rentrer, bien qu'il ne sache pas lequel exactement. Son maître lui avait dit qu'il reconnaitrait l'évidence, mais sans en révéler davantage. Les premiers temps, il avait parcouru activement Pelethor, à la recherche de quelque édifice ancien, d'un esprit, d'un arbre hors du commun. Mais malgré de nombreuses lieues parcourues, il lui semblait presque tourner en rond, comme si la forêt elle-même voulait le faire tourner en bourrique.

Il finit par se résigner au fait qu'il allait passer plus de temps que prévu au sein de Pelethor, lui qui préférait les grandes prairies à l'ouest de Naël'Kaldora. Il passa non plus son temps à galoper en tous lieux en cherchant un détail qui ressortirait du tableau, mais plutôt à aborder calmement la forêt, à en observer les plus menus détails. La feuille d'un arbre qui tombe lentement sur le sol, une pousse qui dépasse de l'humus, un écureuil ramassant un gland avant de remonter en un éclair dans l'abri des frondaisons. Et une nuit, il fit une étrange rencontre."


Crépuscule marqua une pause, à la fois pour laisser apprécier les milles murmures de la forêt nocturne, et pour ménager le suspense. S'assurant d'un coup d'oeil que son unique auditeur était captivé, il retourna son regard vers le feu, ses iris vert pâle scintillant presque à la lueur des flammes.

"Un ours au pelage blanc comme la lune, qu'ils appellent Aletheria, et aux yeux brillants comme deux émeraudes le regardait fixement. Puis, une fois qu'il fut sûr d'avoir été vu par le centaure encore à moitié engourdi par ses rêves, il s'enfonça dans la forêt, lui lançant un regard comme pour l'inviter à le suivre. Ce que fit notre jeune centaure."

Une nouvelle pause.

"C'est dommage, mais j'ai oublié la fin !"

Celui qui disait s'appeler Crépuscule affichait un sourire mi amusé, mi désolé.

"Ce dont je suis certain, c'est que ce n'est pas lui qui a débusqué ton ours, mais que c'est plutôt l'inverse qui s'est produit. Je pense qu'on peut conclure cette histoire par le proverbe: "Ce n'est pas la destination qui compte, mais le voyage."
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#6
La légende de l'ours blanc nommée Callisto était assez mal connue, mais Yava ne doutait pas qu'un centaure, cet ami si proche de la nature, avait pu dire une once de vérité à un elfe sylvain. D'ailleurs, elle doutait rarement des choses qu'on lui disait, pourvu qu'elles fussent cohérentes pour elle. Elle se laissa guider du début à la fin, mangeant ses fines lamelles de viande, ses grands yeux vert figés sur la figure de son congénère. Ainsi donc, un centaure avait croisé un ours blanc aux yeux d'émeraude, dans des latitudes où il n'y avait que très peu d'ours avec un tel pelage ? Soit il existait deux ours, soit Callisto s'avérait plus présente dans la forêt que ne l'aurait cru son père.

En fin de compte, Yava se rendit compte que ça ne pouvait pas être Callisto. L'ours dont lui avait parlé son père était sanguinaire et folle de rage, furieuse dans la forêt et sa colère ne tarissait qu'au fil du sang qui abreuvait les racines de son antre. Jamais ô grand jamais elle n'aurait invité un centaure ; au contraire, le trouvant endormi, elle l'aurait mise en pièce, décorant la nature des viscères de la créature, comme pour fêter quelque chose dont elle ignorait encore l'étendu. A la place de se poser des questions, elle se disait tout simplement que l'ours tuait car elle en avait envie.

Cependant, la dernière phrase de Crépuscule eut un petit impacte en elle. Comme une révélation. Son petit sourire de fouine s'étendit, élargissant ses lèvres rose thé, et elle le regarda d'un air chafouin et joueur, comme une enfant qui découvre un autre petit garçon :

« Ce voyage m'aura au moins fait connaître un conteur d'histoire qui oubliait la fin. »

Un petit rire remonta et perça le silence de la forêt. Ici une chouette hululait, plus loin un loup appelait ses petits. La rousse eut un sourire attendri, et sur son visage dansait les ombres dessinées par le feu crépitant. La lune était déjà haute quand la rousse jeta dans les flammes quelques brindilles pour le ravivait de belles couleurs orangées.

« L'Ours que je cherche est unique. Un démon antique dit mon père, un ours au pelage blanc et aux yeux d'émeraude. De longues griffes rougies par le sang qui jamais ne sèchent au bout des pattes pour seule arme, elle hanterait une partie de la forêt, tapie dans une grotte qui, pour qu'elle survive, ne doit pas s'assécher en sang. Il y a de cela quelques années, mon père s'est retrouvé face à cette dernière, et elle lui arracha un bras dans une lutte terrible contre lui. Depuis ce jour, où il s'en est heureusement sortit vivant, elle le hante. Comme un fantôme… »

Elle baissa un instant les yeux, ses longs cils ombrageaient alors ses pommettes. Elle eut un sourire, un petit sur le coin des lèvres, relevant finalement ses prunelles de jade.

« C'est ma mission. Callisto est ma quête. »

Elle eut un petit sourire, amusée, et finalement reprit la conversation – plus légère – sur la fameuse blessure qui toujours la grattait. Ils parlèrent quelques longues minutes, peut-être même des heures, jusqu'au hurlement lointain du loup qui sonnait dès lors le début de la nuit. Elle se coucha auprès du feu, en face de son nouveau compagnon de route.

Et le sommeil rapidement s'abattit sur elle, comme la fatigue de cinq lunes pouvait fondre sur un être vivant en quelques minutes.

Son rêve, lui, contenait des images, des vapeurs. Quand elle rouvrit les yeux, c'était sur un monde pareil au sien, fait de végétaux et d'eau. Un petit ruisseau coulait à côté d'elle, et de longues tiges tout autour bordaient la rive, surélevées par des joncs marrons. Les troncs immenses des conifères formaient le bois. Un peuplier ici s'était cassé en deux, dévoilant son bois clair et sa sève. Yava eut une grimace d'horreur, s'approchant à vive allure et glissant ses doigts dans le sang de l'être végétal, marmonnant un juron. Qui avait pu oser ? Si elle n'avait pas été dans un rêve, sans doute aurait-elle pleuré. Ses yeux glissèrent sur le bois détruit. De profondes entailles étaient faites tout autour de la fracture, des entailles faites à coup de griffes. Elle se pencha, renifla, et sentit l'odeur des ours, caractéristique, pour finalement grimacer et se redresser. Callisto.

Ses sens à l'affût, elle sortit de son fourreau l'unique épée que son père lui avait donné avant de partir. Un regard circulait, mais personne n'attendait. Elle remarqua aussitôt après le feu de camp éteint sur le sol et se pinça les lèvres. Le feu était là, mais Crépuscule avait disparu. Elle commença à avancer, et remarqua sur le sol de grossières traces de pas. De pas d'ours. Ses pommettes rougirent mais d'effroi. Est-ce que la diablesse avait dévoré son ami ?! Sa raison lui criait que oui, mais son cœur criait l'inverse. L'espoir faisait vivre. Elle n'avait pas le droit d'abandonner aussi facilement. Elle commença à remonter les traces, mais plus elle avançait, plus la brume tombait autour d'elle, étouffante, oppressante. Ça avait tout l'air d'un piège, mais s'il y avait une chance de sauver Crépuscule, elle se risquerait à ce jeu.

Epée à la main, le regard vif, la brume commença à prendre des airs de vapeur, comme si le sol recrachait une vapeur délirante. Elle inspira de plus en plus d'air, et plus ses poumons s'en gonflaient, plus elle se retrouvait lourde et fatiguée, comme si elle avait été drogué. Le sol était tapis pourtant de rares champignons, banals. Rien qui aurait pu lui faire du mal.

Un rugissement retentit bien plus loin, la faisant sursautée, épée levée, prête à fendre une masse qui se serait présenté, mais rien. A nouveau le silence, le silence inhabituel et dangereux de la forêt qui s'est tue pour laisser place à l'action. Yava fronça les sourcils, fit un pas de plus et là, dans la brume, deux yeux brillèrent. Deux yeux verts. Vert pâle, luisant dans le nuage formé par la vapeur et la brume. Les mains du jeune druide commencèrent à trembler, violemment. La chose avait l'air immense dans la brume, immense…comme un ours ! Elle recula d'un pas, et la chose avançait d'un pas. Elle trembla plus fort, ses mains se serrèrent davantage sur son épée. Elle leva la lame d'acier, quand tout d'un coup, la chose sortit de la brume, laissant place à…

« Crépuscule ?! »

Un sursaut eut réveillé l'elfe sylvaine. Ses yeux, effarés, s'ouvrirent et elle se redressa aussi sec, tellement vite qu'une violente douleur lui traversa les deux tempes. Elle grogna et rouvrit les yeux, cherchant le druide, mais il n'était plus là. Yava se releva, à la va vite, les cheveux encore en crinière lourde, formant comme une flamme à l'arrière de sa tête. Elle regarda aux alentours, mais personne n'était là. Le feu était éteint, un arbre avait été cassé, ou peut-être était-il cassé depuis la veille ? Elle n'en savait rien, elle n'y avait pas fait attention. Elle se retourna, et au loin, quelque chose brillait.

Callisto ! Dans sa tête, c'était une évidence. Elle se mit à courir, les larmes aux yeux. Pourvu que ça ne soit pas trop tard, criait sa petite voix intérieure alors qu'elle sautait au-dessus des racines sorties du sol, pourvu qu'il ne soit pas mort… Arrivée près des deux lueurs, elle sortit son arme, furieuse, la brandit devant elle et…

« Mais… ?! »
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