L'histoire à chute
#1
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La perte du monde



Je tombais.


Lentement, mes pieds s'arrachèrent de la terre. Les talons en équilibre sur le sol, j'ouvris les bras comme pour accueillir la mort. Le temps me sembla se suspendre. Tout, autour de moi, se ternit pendant que je restais coite. Les couleurs perdaient de leur intensité, les contours des formes disparaissaient ne laissant plus rien de distinct. Je tombais sous un soleil indolent abrité par un ciel joyeux. Ce même ciel qui m'avait vu naître, bienheureux d'assister au spectacle de la vie, m'observait et me laissait choir. A travers mon regard, le monde dépérissait telle une fleur qui se fâne. Les plantes étiolées sans parfum ni éclat signaient le déclin du monde. De fait, mes sens se désagrégeaient. Les sensations, en même temps que l'instinct, s'étaient dissouts dans le vent et avaient volé loin de là.

Soudain, le ciel s'ennuagea et couvrit mes yeux de brume.

Tout devint imprécis. Chaque élément du paysage, ce tableau animé, devint flou. Je fronçai vainement les sourcils pour rendre au monde sa limpidité. Mes yeux nébuleux me donnaient cet air qu'ont les gens aveugles. Et aveugle je fus.

Voilà que le jour avait décliné, me plongeant dans les ténèbres de la nuit.

Des hommes portèrent ce corps - qui devait être le mien - à travers les coteaux vers la majestueuse et méprisable cité. Etendue dans un brancard improvisé, je devinai la sinuosité des chemins dans le tremblement des bras.

Au bout de quelques jours, je me retrouvai dans l'enceinte d'Asteras, à l'intérieur de ce qui semblait être un temple. Là, mes paupières vibrèrent et se levèrent, révélant deux grands yeux violets étincelants. On aurait dit ceux d'un enfant en bas âge ; emplis de malice et de curiosité. Néanmoins, il n'y avait plus ni malice ni curiosité. Je restai là, allongée parmi d'autres blessés, sans bouger. J'en étais incapable. Mon corps était paralysé. Le cou, les bras, les mains, les doigts, les jambes, les pieds et les orteils. Pourtant, une poignée de prêtres croyaient en ma guérison. Ils serpentaient entre les malades et faisaient traîner les pans de leurs grandes robes brodées sur la dalle.

Quelques visiteurs allaient et venaient par l'entrée principale. Pour moi, c'était un vrai vacarme. Impuissante, je suivais les battements de la porte comme si fixer cette dernière pouvait la bloquer. Avec ma main gauche, hors des draps et du lit, je tentai de reproduire les mouvements de la porte mais elle ballait dans le vide immobile. D'autres personnes, comme moi, semblaient paralysées mais leur mine était réjouie. L'atmosphère du temple les berçait et les rassurait. Ce n'était assurément pas mon cas. Je me sentais oppressée.
Prisonnière.

L'idée d'être aussi dépendante, dépendante des prêtres et de leurs bons soins, me transperça le coeur de dégoût. Je ne pouvais recevoir cela. L'idée même de ces soins me détruisait. Il n'y avait pas que du dégoût. Il y avait aussi de la peur. Par delà tout le courage dont j'avais su faire preuve lors de mes périples, il y avait la peur de l'autre. Errer seule dans la forêt était une habitude, reposer là, claustrée, au milieu d'une dizaine d'elfes, était un supplice.


Mes yeux me brûlaient.

Je voyais nettement la pièce et ses occupants. Chaque détail m'apparaissait comme à la loupe. Dans cette partie du temple, de larges rideaux bleus brodés habillaient les fenêtres et de nombreux textiles tissés recouvraient les murs. Il me sembla que cette infinité de couleurs et de contours m'enfièvrait. Le sol tout craquant paraissait crier sous les pas des visiteurs affolés. A chaque instant, un elfe surgissait dans une panique monstrueuse pour pleurer sur les épaules d'un malade. Tous ces sanglots et ces gémissements me donnaient la nausée.

Je me concentrais pour ignorer le vacarme quand une prêtresse coiffée d'un bonnet s'installa à mon chevet. Sans retenue, elle me fixa droit dans les yeux et approcha son visage du mien. Alors, elle posa sa main glacée sur mon front et marmonna quelque chose au convers à côté d'elle.

Sa présence me gênait. Elle gênait ma vue, ma respiration, et aussi mon ouïe et tous mes autres sens. Pareille à un grand chêne devant un jeune arbuste, elle cachait le ciel, l'horizon, et me privait d'oxygène. Mon teint devint livide. La prêtresse à mes côtés dut le remarquer car elle m'imbibait déjà la peau d'un liquide vert. J'ouvris la bouche pour prononcer quelque chose.

« Qu'y a-t-il ? Avez-vous soif ?

- D...des..arbrees », fis-je, presque en m'étouffant.

A ces mots, la soigneuse écarquilla les yeux. Sur son visage, je lisais l'incompréhension mais aussi la suspicion. Elle avait raison de tant de défiance, car aussitôt je quittai mon lit.

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#2
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Le chemin retrouvé


Mal en point, je ne pus aller bien loin. Mes jambes et mes bras étaient recousus mais il n'en restait aucune énergie. Je traînais lamentablement les pieds sur la dalle d'Asteras et cherchais quelque refuge verdoyant comme si ma vie en dépendait.

Toujours, ma tête me brûlait.

Pervers et incessant, le feu qui saisissait chaque partie de mon corps, amoindrissait mes capacités à penser et surtout m'empêchait de fuir la cité. Il me semblait que l'on fêtait l'été à l'intérieur de moi, que l'astre du jour me dorait les entrailles et que cette chaleur insoutenable essoufflait mon coeur. Et quel coeur ! Ce dernier, par mille temps sportif, s'adonnait allégrement à la fainéantise comme pour me punir de l'avoir trop fait courir. Pendant un instant, je l'imaginai exsangue, comme l'étaient mes lèvres. Ne pouvait-il pas tenir encore un peu ? Le temps que j'atteigne quelque endroit où la végétation est luxuriante. Que je respire ?

Ma gorge était tout enrouée, rouge de l'intérieur.


Dès lors que je toussais, mon ventre se creusait et mes abdominaux se contractaient.


Je marchais sans savoir où j'allais quand j'aperçus une arche en pierre surmontée d'une sphère en ivoire. La porte d'un jardin sublime ; les jardins du palais royal.

Un terrain presque entièrement recouvert d'herbe s'étalait jusqu'au palais, troué çà et là par un bassin ou par un carré de fleurs. Héllébores, roses, agaves et pensées fleurissaient de part et d'autre du jardin principal et délivraient de doux parfums.
Il m'était facile de dissocier les senteurs de chaque plante parce que seul mon odorat n'avait pas faibli. En revanche, je ne distinguais plus ni les formes ni les couleurs.

Fatiguée, je m'assis sur une petite butte, sous une feuillée, bien à l'abri du soleil brûlant et des regards des gardes. Là, je fermai les yeux, étendis mes jambes et me laissai doucement tomber dans l'herbe moelleuse.

A nouveau, tout était noir. Néant.
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#3
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Langage désagrégé

Néant.

Qu'il fait sombre. Est-ce la nuit ? Je n'ai pas vu la journée passer. Après le matin, la nuit. Et rien entre les deux. Un peu de souffrance physique, rien de plus.
Comme cela est doux de se parler à même. Soi. Soi-même... les mots semblent m'échapper, semblent se dissoudre dans ce ciel d'encre, cette toile obscure posée tout contre mes yeux. Aussi, les phrases traînent en longueur, se pavanent, se déploient, pareilles à des parchemins que l'on déroule et déroule et déroule... et dé...roule... cela roule sous moi, ce sont des billes transparentes qui ont pour dessein de me faire tomber... peut-être veulent-elles que je roule aussi.. comme une bille. Tiens, sans doute suis-je une bille. Et si je roulais ? Ces images reviennent, s'emmêlent, non, s'entrechoquent et se contredisent ; et je me revois enfant, avec ces cailloux de verre dans les mains, à genoux ou en tailleur, à jouer près des pieds des gens. Gens... gentil.. gentilhomme dont le visage est profondément marqué par la vanité. Va, va, va petit noble te perdre dans les bois. Cela est ma terre, mon royaume, là que je vis, que je bois. Sonnez le glas, amis de Fryelund, je ne fais que dormir. Point d'adieu à ce peuple que je ne connais pas, dont je méprise les qualités... Il n'existe pas, a-t-il déjà existé ?

Des arbres, dans l'obscurité je les entrevois.

Que cela souffle sur mes bras. Le vent, léger mais froid, rafraîchit ma peau fa... fati..fatiguée... guet, oui... cet immense chêne sous lequel je me trouve.. fait .. le guet. Je suis gai. Heureuse, fati... gai.. fati.. guet.. ou... peut-être que je ne le suis pas parce que .. pas à pas, dans mon rêve, je découvre.. je .. couvre.. dés.. comme il mais dix fit cil deux part lait.. jeu noeud con prend riz hein ?
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