Le camping fatidique.
#1
Balyth et Baltrud avaient toujours été considérés comme des nains bizarres, un peu en marge, des artistes. Ils avaient des manières étranges, qu'on ne comprenait pas trop à Karad Zirkomen:

Baltrud rigolait souvent d'un petit rire enfantin, au lieu du bon rire gras et gutural de la plupart des naines ; elle prenait souvent des bains dans de l'eau chaude, et se lavait les cheveux plusieurs fois par an !

Balyth, lui, qui pourtant était un magicien respecté par ses pairs pour sa maîtrise des sorts de magie pure, consacrait la plus grande part de son temps à créer des inventions :
- le cellovipède, qui consistait en deux roues de taille assez grande, reliées entre elles par une planche de chêne, et qu'on pouvait monter comme un poney, d'après Balyth ;
- le combonne à trou lisse, qui ressemblait à un bugle de chasse qu'on aurait rallongé et aplati ; cet engin bizarre était muni d'une pièce coulissante permettant de produire des sons comparables à des barrissements d'éléphanteau.
- le compotteur, dans lequel on mettait des ingrédients frais, et qui les mélangeait et les chauffait -- grâce à la force magique, -- jusqu'à obtention d'une pâte succulente. Baltrud utilisait souvent le compotteur pour ses conserves, et on trouvait toujours chez les deux nains des compotes de pomme, de sanglier, de tripes de gobelin ou de cervelle d'elfe (cette dernière recette était une des spécialités culinaires de Baltrud !),

Malgré leurs excentricités, on appréciait fort les deux nains: Baltrud était excellente cuisinière, et Balyth, toujours dans la lune, amusait tout le monde avec ses inventions dont on ne trouvait jamais trop d'utilité.
Le couple heureux avait mis au monde deux nains fort poilus: le premier, qui s'appelait alors Balruhf, âgé de huit ans ; et Agdar, à peine un an, qui commençait tout juste à marcher.


Pour se « mettre au vert », comme ils disaient, ils avaient décidé en cette journée d'été qui s'annonçait fort belle, de partir camper.
« Pour apprendre aux petits à chasser le sanglier ? demandèrent certains à Karad.
- Non, répondait invariablement Balyth. Pour se détendre. »

Se détendre ? En cette saison ? Alors que les groupes de bandits n'attendent que l'occasion de vous couper la gorge et la bourse ? pensait-on.
Puis on se dit qu'après tout, Balyth était un mage assez renommé, et qu'il connaissait bien les dangers de la montagne.
Personne ne dit rien, et la petite famille insouciante partit donc se mettre au vert sur les dangereux flancs de la chaîne des Relicanth.
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#2
Des années plus tard, Baruhf ouvrit le vieux carnet de recettes de sa mère Baltrud.
Il tomba par hasard sur une recette qu'il avait presque oubliée: le fameux pâté aux cervelles d'elfe !
Parmi l'écriture originale en lettres noires se distinguaient les annotations postérieures de sa mère, dans une couleur bleutée vieillie par le temps.



Recette de compotée de cervelle d'elfe aux morilles.

Entrée pour 6 pers

Pâte

250 gr de farine
1/2 cuil à café de sel
100 gr de beurre froid, coupé en morceaux
0,75 dl d'eau
1 jaune d'oeuf

Farce

300 gr de cervelle d'elfe, coupée en dés ou hachée par votre boucher.
ATTENTION: la cervelle d'elfe étant pleine d'eau, elle réduit beaucoup à la cuisson;
300 gr est un minimum pour donner du goût au pâté.

3 cuil à soupe de madère
50 gr de lard
1 échalote hachée finement
5 gr de morilles séchées, marinées, rincées, égouttées et hachées
0,75 dl de crème entière, froide
75 gr de pâté de foie de porc (préparé à l'avance)
30 gr de noix hachées
Sel poivre
1 jaune d'oeuf, dilué dans 1 cuil à café de lait


Pâte : mélangez la farine et le sel, ajoutez le beurre. Travaillez du bout
des doigts, puis former un puits. Mélangez l'eau et le jaune d'oeuf et versez dans le puits.
Roulez la pâte en boule (sans la pétrir). Enveloppez et réservez au frais 30 mn.


Farce : ajoutez le madère à la viande, couvrez et réservez au frais 2 h au minimum.

Dans le compotteur, faites fondre le lard à puissance magique minimale,
ajoutez l'échalote et les morilles. Etuvez et réservez au frais.
Mixez la viande marinée avec le jus et la crème. Ajoutez le pâté de foie, les noix.
Mélangez et assaisonnez.

Disposez dans le moule beurré les 2/3 de la pâte. Etalez uniformément la farce dans le moule.
Tassez en tapotant le moule sur la table. Recouvrez avec le reste de pâte.

Mettez à cuire dans la partie inférieure du four pendant 35 mn à feu doux pour
préserver la saveur de la cervelle d'elfe (petit goût de légume)
Laissez refroidir dans le moule, réservez au frais.

Démoulez le pâté, découpez en tranches.
En barrique, le pâté se conserve 1 semaine.



Dans la tête de Baruhf se matérialisa un instant le plat délicieux.

[Image: Pate-Lorrain.jpg]
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#3
Arrivés dans la forêt non loin de la table des géants, ils décidèrent de camper. On installa le petit Adgar dans un joli couffin en osier, à l'ombre d'un grand noyer qui semblait sourire aux nouveaux arrivants.
Pendant que Baltrud préparait le dîner, Balyth expliqua à Balruhf qu'on ne pouvait pas manger les noix toute l'année, car elles sont pleines d'eau avant que la coquille ne se forme.
En fin pédagogue, il finit sa leçon par une petite blague sur les elfes qu'ils avaient rencontrés en chemin.

« Tu sais Balruhf, les elfes, ça a des cerveaux comme des noix.
− Ah oui ? demanda l'enfant intéressé.
− Oui. Tu vois, les deux tiers du temps, c'est plein d'eau. Quelquefois, la coquille est dure mais c'est pas souvent.
− …et quand on la casse, on peut faire des bons plats avec l'intérieur ! rajouta Baltrud tout en remuant les saucisses à la graisse d'Auroch des montagnes qui rissolaient dans sa poêle magique (encore une invention de Balyth !). »


[flashforward]
Ce n'est que bien plus tard, dans un vieux livre de cuisine, que Balruhf apprit que la cervelle d'elfe était un terme technique culinaire pour référer à la cervelle d'Auroch qu'on conservait dans du lait, ce qui avait pour effet de la rendre plus onctueuse et goûteuse. Le terme venait de la similarité entre l'organe des deux espèces: « Même couleur, même contact, même goût. », avait-il lu avec intérêt.
[\flashforward]


Balruhf rigola bien, accompagné par Agdar qui gazouillait dans son berceau.
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#4
Baruhf tourna la page et tomba sur une recette qui lui rappela soudain cet été fatidique, si loin dans le temps mais si proche dans ses souvenirs.
Il huma la page qui sentait encore le gras de porc, se rappela de la teinte un peu jaune que prenaient les saucisses de sa mère après leur cuisson dans la graisse d'Auroch, et repris sa lecture:


Saucisses à ma façon.


Tout d'abord, après que le cochon soit tué et pelé, découper les morceaux à garder: rôtis, côtes de porc, tête pour le boudin…
Acheter des boyaux, les rincer et les dessaler.

Hacher la viande et le gras avec une grille moyenne.

Pour chaque kilo de viande hachée pour la saucisse fraîche, mettre 17 g. de sel et 3 g. de poivre moulu.
Pétrir la mêlée afin de bien mélanger le sel et le poivre avec la viande hachée.

Cuire un peu de chair à saucisse pour la goûter et vérifier que l'assaisonnement est correct.

Après cela, monter le boyau sur l'entonnoir, mettre en boyaux la saucisse et l'égoutter sur des torchons.
Attention, les torchons sales donnent un mauvais goût à la viande ! Penser à utiliser des torchons lavés dans l'année.

La saucisse se déguste rissolée dans de la graisse, si possible de la graisse d'Auroch des montagnes.


[Image: saucisses-grill-eacutees-thumb4889144.jpg]
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#5
Balyth était tout fier de sa trouvaille.
Tout le monde savait que rajouter de la poussière de mana dans la loupe de fer, après réduction du minerai, rendait le fer ouvert au champ magique : cela était bien utile pour la confection des armes arcaniques.
Balyth avait eu l'idée de fabriquer une poêle de cette manière, de manière à pouvoir cuisiner à toute heure, en tout lieu, et en toute occasion.

« Comme ça, pas besoin d'allumer un feu ! avait-il dit à un de ses collègues magiciens, alors qu'ils réglaient un petit différend avec un groupe de gobelins belliqueux.
− Je ne saisis pas trop l'intérêt, souffla l'autre après avoir lancé un sort et carbonisé les petites saletés en un seul coup. Tout le monde a un feu allumé chez soi, à tout moment !
− Pas en forêt, rétorqua Baruhf.
− Mais tu ne penses tout de même pas commencer à faire mijoter des ragoûts en pleine forêt !
− Et pourquoi pas ? demanda Baruhf sérieusement. Ça serait super pratique !
− Bah vla la furtivité… chuchota le deuxième mage. »

Baruhf ne se vexa pas, et de retour chez lui, prépara les plans de son invention.

Plusieurs semaines plus tard, il offrit la poêle magique à Baltrud, qui trouva l'invention fort ingénieuse, et décréta qu'elle la prendrait avec elle, la prochaine fois qu'ils se « mettraient au vert ».

[Image: poele-mineral-b-element-2-n.jpg]
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#6
Pour la cinquième fois, Baltrud demanda à Balyth si il avait installé l'alarme automatique et le bouclier arcanique autour du camp.
« Ne t'inquiète pas pour ça, je le fais tout de suite ! répondit-il. J'explique d'abord à Balruhf comment distinguer les champignons comestibles des vénéneux ! Je fais ça juste après.
− D'accord… Comme tu veux. Les saucisses sont bientôt prêtes. »

Baltrud alla vérifier si Agdar allait bien. Elle le trouva très agité.
« Bizarre, lui qui est toujours si calme… »


Tout à coup, en pleine phrase, Balyth s'arrêta de bouger. Plus un mot, plus un geste, plus un souffle.
Balruhf s'inquiéta :
« Papa !
− …
− Papa ?
− …
− Papa… »
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#7
Quand Balruhf se réveilla, la nuit était tombée, noire et silencieuse. Il avait mal à la tête.

Un hululement de chouette, quelque part au dessus de sa tête.
« C'est bon la chouette farcie, se dit Balruhf. Surtout avec des morilles. »
Qu'est-ce qu'il avait mal au crâne…



Mais que faisait-il, aussi, dans une forêt en pleine nuit, déjà ?
Penser lui faisait mal. Il s'assit. C'était pire.
Une légère brise se leva. Ça faisait du bien.

Alors qu'il reprenait douloureusement ses esprits, Balruhf remarqua que les nuages se dissipaient et qu'à travers les arbres, la lune éclairait les environs d'une lueur blafarde.

Il aperçut Balyth, et se souvint vaguement des événements. Ce n'est qu'avec l'esprit comme embrouillé dans un halo confus qu'il s'approcha laborieusement de son père. Il n'avait pas bougé.
Toujours pas un mot; toujours pas un geste… toujours pas un souffle.


Sans comprendre trop ce qu'il faisait, il retourna au camp, et saisit machinalement une saucisse froide qu'il commença à grignoter.
Il fut intrigué par une masse blanche qui gisait singulièrement à côté de lui; il s'approcha.
C'était le corps de Baltrud, imbibé par son propre sang qui reflétait les rayons de la faible lune. Plusieurs flèches avaient crevé son ventre de part en part, et on voyait des morceaux de tripe ressortir à leur extrémité.

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#8
Chouette farcie aux morilles.


Ingrédients (pour 5 personnes) :

- 1 chouette bien grasse
- quelques morilles fraîches
- 2 oignons
- 15 patates
- 20 cl d'eau
- 10 cl de vin cuvée Y.


Préparation :

Hachez les oignons et la moitié des morilles
Dans une poêle, faites revenir ce hachis dans du gras. Retirez du feu.
Farcissez-en la chouette et déposez-la au centre d'un gros plat rond.
Coupez les patates en rondelles épaisses et les champignons restants en lamelles. Disposez tout cela autour du volatile.
Enfournez pendant 1 heure. Arrosez régulièrement avec l'eau et le vin blanc en alternant. Salez et poivrez.

[Image: poulet-morilles.jpg]
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#9
Il lâcha sa saucisse, pris de stupeur. Balyth ? Baignant dans ses tripes ? Elle qui les préparait justement si bien ??
Il se souvint soudain de tout : son père qui n'avait pas installé le dispositif anti-bandit, l'attaque surprise. Tout cela s'était passé si vite !
Son père lui avait souvent parlé du sort de pétrification qui ralentissait tous les mouvements de la personne touchée. Il lui avait dit de prendre garde à ce que la puissance combinée de plusieurs mages (même de niveau médiocre) pouvait augmenter les effets du sort, ces effets pouvant aller jusqu'à la paralysie totale de la cible.

Il réfléchit. De toute évidence, Balyth avait été victime de ce genre de choses. Balruhf n'avait aucune idée de quand son père se réveillerait; une seule chose était sûre dans son esprit : il ne fallait pas traîner dans les parages...
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#10
Tripes à la mode de Khan.

INGREDIENTS

1 kg de tripes de boeuf (panse, feuillet, bonnet et caillette)
1 pied de boeuf fendu en deux
1 feuille de laurier
1 branche de thym
1 bouteille de cidre brut
3 cl de calavdos
2 clous de girofle
200 gr de carottes
200 gr d'oignons
4 gousses d'ail


PREPARATION

-Rincer et faire tremper la panse dans de l'eau froide pendant 2 heures en changeant l'eau de temps en temps (pas obligé).
Tailler la panse en lanières.
-Suer les carottes et les oignons au beurre dans une marmitte.
Ajouter les tripes et le pied de boeuf.
Déglacer au cidre et au calvados. Réduire un peu.
-Assaisonner et ajouter les clous de girofle, l'ail, le thym et le laurier.
Cuire à feu très doux (voire très très doux) pendant 3 heures.
Rajouter de l'eau ou du vin !! si nécessaire. Rectifier l'assaisonnement.
Servir brûlant avec des patates !

Note historique: Khan est un héros du peuple nain, c'est un général ayant servi Baram II dans les circonstances qu'on connait.


[Image: 407675_c.jpg]
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#11
Balruhf pleurait de rage; et tandis que de grosses larmes roulaient sur ses joues crasseuses, il faisait ce qu'il avait à faire.

Il avait rangé le campement et caché les corps inanimés de ses deux parents dans une espèce de grotte qu'il avait recouverte de branchages, puis il avait nettoyé toute trace de leur passage.
Il avait gardé un peu de pain de chataigne aux raisins, un peu d'eau et une poêle au cas où il trouverait des champignons en chemin. Il savait qu'il devait aller vers l'Est, et il avait à peu près retenu le chemin de l'aller. C'est donc fin prêt qu'il partit vers Karad Zirkomen, le couffin de Agdar dans un bras et ses menu provisions dans l'autre.
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