Sauriez-vous être fidèle?

[Hilary ewilan]

La Légende du Cercle

Dans le ciel d'encre, deux hiboux au plumage moelleux volaient silencieusement. Leurs serres recourbées pendaient telles des feuilles à une branche sous leur corps soufflé et densément tacheté. Ce dernier chatoyait sous le clair de lune, apportant un peu plus de mystère à la nuit.

Après le survol des collines, l'un des rapaces nocturnes se posa à terre. Ses pattes acérées déchiraient l'herbe grasse parfaitement brossée. Le hibou s'avança jusqu'à un rocher, ne laissant derrière lui que des plantes en lambeaux. Une fois qu'il fut près de ce qui était pour lui une montagne abrupte, l'animal ouvrit ses ailes et hulula.

Le vent dans son souffle, apporta ces mots : "zz.. Éloignez-vous ..zz.. de la cabane ..zz"

Notre regard se portera non plus sur l'oiseau mais sur le rocher qu'il atteint. De fait, la masse de pierre presque enracinée dans le sol portait une longue et mystérieuse histoire.

On y rattachait l'existence d'un cercle. Un cercle dont nul ne connaissait les membres, les valeurs ou encore les desseins. Existait-il vraiment ? L'énigme demeurerait à jamais. Quiconque tentait de trouver des réponses la concernant, devenait fou. Aussi, ne parlait-on pas de ce cercle. Parfois certaines histoires doivent se lover dans les légendes, et y rester.

Le hibou, le cerf, et autres animaux forestiers savaient cela. Quelque peu curieux, ils avaient observés les nombreux aventuriers désireux de trouver l'entrée du cercle. Ces derniers, empreints de crainte et d'impatience, avaient fournis de lourds efforts dans leur recherche. Cependant, tout cela leur avait semblé vain, car jamais ils n'avaient trouvé la moindre réponse. De plus, de ces efforts infructueux naissaient des crises de folie. Passagères d'abord, durables par la suite.

Tel était le souvenir de ce cercle, impérissable. Et aussi impénétrable. L'une des règles fondamentales du cercle était de protéger sa propre histoire, récit de son intimité. Et à cela, il était très fort. Cette loi n'avait jamais été violée car outrepasser le règlement, l'enfreindre, signifiait être un traître. Seuls les membres du cercle avait connaissance de l'activité du cercle, et donc, seuls les membres du cercle étaient dans la mesure de trahir le secret. Ainsi, peut-on affirmer avec justesse que le cénacle rassemblait les hommes et les femmes les plus fidèles de ces terres nacrées.

Et vous, sauriez-vous être fidèle ?



De nombreux elfes et nains avaient fondé guildes et compagnies. Tous tournés vers les mêmes projets, nourrissant les mêmes désirs, et partageant ainsi leur destin. Tous portaient de petits écus en étoffe sur leurs vêtements qui leur donnaient quelque notoriété. Certains utilisaient l'aura de leur clan afin de bénéficier de certains privilèges, d'autres se contentaient d'exister au sein d'un groupe. Mais toutes ces guildes, toutes ces compagnies, tous ces clans, et tous les noms que vous leur donnerez, n'égalait en rien le Cercle. Chaque confrérie donnait à voir ses talents qu'ils fussent en diplomatie ou sur le champ de bataille. A l'usure, ces groupes disparaitraient...


Réunir des individus autour d'un but, c'était trop facile. Autour d'une idéologie, encore plus. Le Cercle, selon les dires de certains, était un rassemblement de personnes dont l'histoire, les coutumes et la façon de penser demeurerait communes à tout jamais. Leur vie, semble-t-il, serait marquée par des rites de passage, des épreuves diverses pour prouver leur loyauté, et un total dévouement à leur cercle.


Mais voilà, personne n'avait vraiment percé le mystère. Pour seul témoignage, il restait un carnet aux pages jaunies par le temps et délavées par la pluie, échoué sur une plage.


Avec un pareil témoignage - et écrit en plus ! - la chasse au Cercle serait lancée. Tous les aventuriers voudraient découvrir ce que cachent les pages du carnet.

S'ils lisaient entre les lignes, s'ils étaient patients et réfléchis, ils finiraient par trouver ce que la carte du journal signifiait. Il fallait simplement une once de courage, et beaucoup d'imagination.

Mais lequel de ces aventuriers en était capable ? Le livre aux pages froisées et cornées était-il une source sûre? Après tout, il n'était que le reflet de la pensée d'un elfe intrépide. Peut-être se trompait-il, peut-être son repérage était-il un morceau de vérité, ou au contraire un mirage. Il n'y avait de toute évidence que lui pour le savoir. Cependant, cette personne avait péri, elle n'était plus qu'un souvenir...


Ou peut-être pas.

Suite à d'incurables insomnies et de longues journées de marche douloureuse, cet homme avait perdu la raison. Son âme avait péri dans le néant, mais cela n'indique pour le moins aucune mort. Sans réponses, il avait peu à peu sombré dans la folie pour ne plus jamais en sortir. Presque rongé par la déception de n'avoir su trouver l'entrée du Cercle, il se retira du monde civilisé. Dans un profond soupir, il balança son petit carnet dans le fleuve. Et c'est ainsi que le précieux objet gagna la mer, et enfin, se déposa sur une plage de sable fin, aux abords d'Asteras.


Le journal d'une vie entièrement consacrée à la recherche de quelque chose qui, peut-être, était de l'ordre du mythe, resterait de longues années enfouies dans le sable blond.

A moins que...

A moins qu'un reptile n'engloutisse l'objet, et qu'il ne disparaisse pour toujours.

A moins que...

A moins qu'un aventurier bien renseigné ne chasse la bête, ne la tue, et ne lui reprenne le carnet.

A moins que...

A moins que cet aventurier ne devienne fou à son tour et décide de jeter le journal dans le fleuve...