Le mystère de l'Ornelune
#1

Je sortais à peine d'Asteras, lorsqu'une jeune elfe décocha une flèche dans ma direction. De nouveau elle banda son arc court et l'arme de jet piqua vers le bas avant d'avoir atteint sa cible. Moi. Je haussai les sourcils, étonnée, puis me baissai pour arracher de la terre la hampe en bois.


Peut-être qu'elle s'entraîne.. me dis-je en observant l'archère.


Il me sembla que c'était une novice car elle n'était équipée que d'un arc. Un petit arc dont la verge en bois avait été rafistolée avec de grands bandages. Le genre d'objet que l'on vend une soixantaine de pièces d'or à l'armurie du coin.


En parlant de monnaie.. il ne te reste pas grand chose... En effet, j'ai acheté dans une échoppe plusieurs potions de vie, et autres breuvages. Ah ! Tu vois que la ville a du bon ! Tu peux trouver à Asteras ce que tu ne trouveras nulle part ailleurs. Il est vrai, néanmoins on peut toujours s'approvisionner dans divers villages. Tilador est d'ailleurs sur notre route.



Je retirai mes souliers en cuir pour enfiler de vraies bottes de marche puis je me mis en chemin. La route dallée qui menait jusqu'à Tilador était peu fréquentée à cette heure de l'après-midi. Et ce n'était pas pour me déplaire. Aussi, les personnes qui tour à tour croisaient mon chemin ne m'adressaient point la parole. Pour tout dire, je ne faisais pas attention à elles non plus. Cependant, un Haut-Elfe attira mon regard. Il s'agissait d'une femme. Sa peau bleutée semblait vouloir m'hypnotiser. Un hâlo de lumière grisâtre l'enveloppait et donnait l'illusion qu'elle flottait au dessus du sol. Je remarquai combien sa silhouette était élancée et ajoutait à sa grâce. Sa chevelure, épaisse mais souple, lui arrivait au milieu du dos et s'agitait dans le vent. Il y avait en elle quelque chose de mystérieux, voire même de mystique.
Etait-elle un songe ? Il fallait que je découvre si elle était plus qu'un mirage. De plus, la curiosité m'avait piquée.

Alors je m'approchai doucement de l'individu, feignant de ne pas l'avoir vu. A sa hauteur, je vis que l'elfe tenait un bâton ô combien extraordinaire. C'était une branche d'un arbre millénaire avec une extrémité noueuse dans laquelle était logée une pierre précieuse, ou quelque chose de brillant. Soudain, je devinai ce qui diffusait cette lumière grisâtre, parfois nacrée.

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#2

Soudain, une lueur argentée aveuglante émana du bâton. J'étais éblouie ; je ne comprenais pas, plus, ce qu'il se passait. Il me sembla que l'étrangère parlait et ceci, très rapidement.

A qui parlait-elle? Me parlait-elle à moi?

Les mots chuchotés s'emmelaient et s'entremêlaient. Par l'ouïe je perçus néanmoins qu'il était question d'Aletheria. Aletheria, un mot à caractère sacré que l'elfe accentua et articula.

Dans ma tête, toutes mes pensées se désordonnèrent. Et puis celles-ci me quittèrent, comme soulevées par le vent. Mon corps quant à lui tremblait. Chaque parcelle de ma peau était soumise à quelque pression, à quelque coup. Et puis mon corps ne trembla plus, et j'étais bien. La transe dans laquelle j'étais entrée avait cédè la place à un bien-être profond et réconfortant. Les anaphores construites autour du mot de la déesse ne me perturbaient plus. Mon âme s'était libérée de ses troubles, et mon corps de ses douleurs. La curiosité me reviendrait sans doute plus tard. Pour l'heure, je ne voulais penser à rien. De fait, l'incantation faite par la mystérieuse femme avait réussi. Mes jambes n'étaient plus engourdies. Aussi, me semblait-il, je me regénérais de l'intérieur.
Je sentais la mana dégouliner de mon bâton de sorcier. La volupté de la magie mouillait le bourgeon placé en son extrémité puis descendait tout coulant sur mes doigts.


Tandis que j'assistais à ma propre transformation, le ciel s'assombrissait peu à peu. La nuit s'abattait sur Asteras et les contrées alentours, sonnant la fin des combats et l'heure de rentrer aux foyers. Pour ma part, il n'y avait pas de foyer. Il n'y en avait jamais eu. Ou plutôt si, mais il y a fort longtemps.
Je me dis que la nuit était une belle chose, un phénomène physique d'une grande poésie. Et même, d'une poésie infinie. Le royaume de la nuit m'inspirait la nostalgie et le mystère... l'image même de la créature qui se trouvait devant moi et qui avait invoqué la déesse de la lune.

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#3
La magicienne observa l'elfe d'Asteras qui s'approchait d'elle, innocemment, le regard rivé sur l'éclat du fragment enchâssé sur son bâton.
Soudain l'éclat devint plus fort, d'une lune pâle dans le brouillard du soir, il devint lune pleine d'une belle nuit d'été.

Hilary perçut l'afflux de magie soudain se précipiter sur elle, l'envelopper.
Epuisée l'instant d'avant elle sentait peu à peu la fatigue la quitter, son corps se délasser, ses muscles se détendre.
Une douce chaleur frissonnante parcourut son corps, le temps d'un lent clignement de paupières.

Puis lorsque le plaisir, fugace, eut laissé place à la réalité, ce fut pour qu'Hilary aperçoive la magicienne sélénique s'éloigner de sa démarche lente et sensuelle, en direction de Tilador Erdana.
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#4

Lorsqu'enfin je retrouvai tous mes esprits, la bonne elfe avait passé son chemin.

Je l'aperçevais encore, mais je me dis que bientôt elle serait hors de mon champ de vision. Cette idée m'attrista au plus haut point. Je ne pensais d'ailleurs pas être capable de tristesse, n'étant point douée de sentiments. Si on ne définit pas le mépris comme un sentiment. Nombre d'elfes m'exaspéraient mais jamais ils n'avaient fait naître un sentiment chez moi, qu'il fût de haine ou d'amour. Les aventuriers de pacotille et les guerriers nés n'avaient de moi que l'indolence des gens qui se retirent de la société. La nature était mon lieu d'habitation, mon mode de vie, ma croyance. Et peut-être avait-elle développé ou exalté quelque sentiment jusqu'à lors méconnu en mon coeur.

Déjà, m'avait-elle donné un regard. Le regard des gens qui savent voir. Un regard empreint de sensibilité.
Et à travers ce regard, je voyais en l'étrangère qui s'éloignait l'expression même de la nature. La personnification de la nuit et de son astre, de ses étoiles et de ses légendes.


Pour moi, il ne faisait nul doute que j'allais la suivre.

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#5
Partout, des combattants.
Maitres-Lames, champions, Mages et Grands mages.
Elfes et nain s'affrontant animés d'une haine farouche, d'une rancœur tenace.

A nouveau Naaëmsin ressentit, plus fort que jamais, cette sensation de solitude, cernée qu'elle était par les gens de son peuple.
Le froid, la neige, proches maintenant, ravivaient sa mémoire.
D'autres temps, d'autres lieux, souvenances lointaines, bousculaient le présent.

Couchée dans la neige, son pelage la protégeant du froid, la queue enroulée autour de son bassin, les pattes ouvertes et la gueule laissant échapper la pointe d'une langue rouge vif.
Le grand gris s'approchait, fort et beau, à l'odeur musquée, les oreilles dressées, les crocs apparaissant sous ses babines retroussées, empli de désir pour la louve bleue.

Les images se succédaient maintenant rapidement, souvenirs heureux et douloureux d'un bonheur éphémère.

Son corps frissonnait à l'évocation de ces étreintes.
Sa robe bleue, finement tissée de lin, laissait deviner, sur son corps vibrant de féminité, les signes de son trouble.
La conscience des regards des guerriers posés sur elle s'imposa à son esprit.

Elle aperçut alors cette jeune elfe, elle aussi devant assumer sa remarquable beauté, qui la suivait depuis quelques jours. Elle sortait du village et la rejoignit bientôt, essoufflée d'avoir tant couru pour la rattraper.
Autour du couple singulier qu'elles formaient, maintenant proches l'une de l'autre, Naaëmsin voyait les guerriers se rassembler, le sang rouge carmin s'échappant de leurs blessures et teintant leurs armures des couleurs de la guerre, de la souffrance et enfin de la mort.

Apercevant ce guerrier s'écrouler, victime de ses blessures, ses vieux instincts se réveillèrent aussitôt.
Elle s'était pourtant juré de ne plus participer à ces combats.
Mais face à l'émotion enfantine perceptible sur tout être à l'instant de sa rencontre avec la Dame des contrées lointaines, celle que d'aucuns n'osent pas nommer la mort, elle ne sut rester impassible.

Elle fit alors appel au dragon de nuit, mère des cieux, protectrice des faibles et des innocents; Innocence que tout être, à l'instant de sa mort, redécouvrait en lui.
Chacun des guerriers et guerrières autour d'elle put voir et ressentir la formidable aura baignant la sensuelle créature dont le visage disparaissait dans la nuit de son capuchon.
Chacun d'eux put sentir les nouvelles énergies parcourant leur corps, apaisant les muscles, refermant les blessures.

Chacun d'eux put alors observer l'elfe gracile, fragile et forte à la fois, refermer les pans de son manteau autour de son corps, dont la fébrilité si prégnante l'instant d'avant avait maintenant disparu.
Elle reprit sa marche interrompue quelques instants, en direction du nord, du froid et de la neige.
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#6
- Quelques heures auparavant.. -


Après m'être reposée quelque instant, je repris ma route. Une route que l'inconnue m'avait déjà toute tracée. L'elfe, néanmoins, marchait d'un pas rapide et il était bien difficile de la suivre. Ses pieds touchaient à peine le sol et il me sembla même qu'ils bondissaient.

Ainsi, je suivis la bonne magicienne - pas tout à fait sur ses talons - jusqu'à une grande prairie. Là, un groupe d'elfes s'était formé. Des guerriers nés et des aventuriers en papier affluaient, gémissant, grognant, éternuant ou parlant gaiement, emplissant peu à peu l'endroit de bruit.


Cette vision me fait pâlir. Allons donc, remets toi, ce ne sont que des elfes. Tu sais bien comme je suis en marge de la société, et comme les elfes m'agacent ! Tantôt ils m'indifférent, tantôt ils enclenchent le mépris. Tous sont empêtrés dans les convenances, et s'improvisent héros. Et d'ailleurs, j'ai toujours dit..

Un jet de lumière nacrée me frappa de plein fouet, interrompant mon monologue intérieur.



Soudain, je baignai dans une lumière tiède et la fatigue m'abandonna. Sans doute avais-je été touchée à nouveau par la bonté de la magicienne. Chacun de mes membres paraissait s'épanouir, se déployer comme les ailes neuves d'un jeune oiseau.


Lorsque cette sensation disparut, que je revins à moi, je compris que d'autres avaient été touchés par le sortilège. En effet, parmi les elfes en cercle autour de la mystérieuse femme, certains avaient fait un soubresaut et radicalement changé d'attitude. Les personnes présentes s'interrogeaient sur ce qu'il venait de se passer. A l'évidence, beaucoup d'entre elles n'avaient pas été formées à l'Arcane et ne connaissaient rien à la magie. Un homme blessé, non loin de moi, avait vu ses blessures cicatriser puis disparaître en quelques secondes. Par des " ah " et des oh!", sa surprise n'avait eu de cesse de s'exprimer. La magicienne venait de semer le trouble dans l'esprit de chacun et je la soupçonnai fortement d'en profiter pour s'enfuir.


« J'en étais sûre...» murmurai-je, attirant le regard indiscret d'un épéiste.



L'étrange elfe que je m'acharnais à poursuivre s'en allait en sautillant. Alors, je traversai la foule avec un certain dégoût pour la rejoindre au plus vite. A ma grande surprise, une elfe se détacha du groupe et m'emboîta le pas. Elle semblait aussi intriguée que moi par la magicienne. La cape qu'elle baladait dans son dos était si nauséabonde que je devinai qu'il s'agissait là d'une aventurière et une vraie de vraie. Le genre ermite.

Une ermite, ainsi qu'une paria - moi - et une étrange magicienne : cela me plaît. Personne ne parlera à personne. Personne ne cherchera l'amitié de personne.


Je lançai un rapide regard à celle qui m'avait suivie, puis me tournai vers celle que je suivais. Cette dernière s'éloignait, presque avalée par le brouillard qui flottait autour d'elle.

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#7
Je marchais aux côtés de l'elfe à la cape, lorsque j'entendis un craquement de branche. Je relevai la tête et m'aperçus que nous traversions un bout de forêt. De petits oiseaux au plumage ambré piaulaient et déterraient des vers du sol. Un sol recouvert d'humus et de feuilles mortes délavées. Cet environnement me réconforta. Je me sentais chez moi. Néanmoins, la nature me semblait triste ici. Ou fatiguée, peut-être. Les arbres avaient perdu, tels des fleurs qui fânent, la quasi-totalité de leurs pétales. Aussi, le ciel s'ennuageait-il un peu plus chaque seconde, ajoutant à la poésie du paysage. De fait, les lieux s'imbibaient de romantisme. Ici, nos sens et notre imagination l'emportaient sur notre raison. D'ailleurs, j'étais souvent restée béate devant la faune et la flore des forêts, que la végétation fut luxuriante ou mourante.


« Nous entrons dans une région froide », fis-je doucement, sans chercher à parler à l'elfe qui me suivait.


Au sortir de la forêt, je vis une vaste étendue de neige sur la colline. La magicienne s'était aventurée par delà le manteau blanc dans un endroit méconnu de moi. Je retirai mes bottes de marche afin de sentir la texture de la substance glacée. Malgré le nombre de mes périples, je n'avais jamais approché la neige.
Quelle drôle de sensation ce fut lorsque je posai mes pieds nus sur le duvet blanc !

J'expirai longuement pour voir se former de ma bouche un épais et tiède nuage dans le froid. Chacune de mes bouchées d'air me glaçait la gorge, et les poumons.
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#8

Je marchais depuis des heures, lorsque j'aperçus la magicienne. Elle se tenait debout dans la blancheur éclatante du paysage et semblait m'attendre. Ses cheveux voletaient dans le vent, s'emmêlant inextricablement. Un frisson me parcourut. Le visage de l'elfe semblait avoir disparu. Comme effacé derrière une chevelure trop sombre.


« J'ai mal vu sans doute...», fis-je à voix haute.


Mon regard se porta ensuite sur l'elfe à la cape qui était arrivée à notre hauteur. Elle m'observa silencieusement avant de s'agenouiller. Là, elle enfonça ses doigts dans la neige. Je devinai que l'elfe cherchait la sensation du froid. Par ailleurs, ses mains avaient rougi et gonflé. Du rouge, elles avaient viré au violet et enfin, au bleu. Je pensais que nous trois, la magicienne, l'inconnue et moi, étions aux couleurs de l'hiver. Une saison ô combien magnifique qui souffrait d'une image trop sévère à mon goût.

Je n'eus pas le temps d'y songer bien longtemps. La magicienne s'engouffra dans un passage assez sombre.


Où veut-elle te mener? Tu devrais être prudente. Je ne saurais l'expliquer, mais je lui fais confiance...


A mon tour, j'empruntai le chemin, avec l'elfe à la cape sur mes talons. Le sol me parut tout à coup humide, le chemin détrempé. Peut-être nous dirigions-nous vers des marécages ou quelque autre chose de ce genre ? Mes pieds s'enfonçaient à mesure que je marchais.


Ne se croit-on pas dans des sables mouvants? Un peu..


Néanmoins, l'inconfort de la marche laissa vite place à l'agréable. L'endroit dans lequel nous nous rendîmes était d'une grande beauté. Les lieux étaient déserts. Peut-être étaient-ils méconnus des elfes et des nains? La neige était partout en couche uniforme, sans traces de pas, aucunes. Des bancs de terre étroits émergeaient de la neige comme pour nous saluer.

En haut d'une pente légère, il y avait un étang. Celui-ci s'étalait devant nos yeux et débordait sur la glace. L'eau serpentait jusqu'à nous et butait contre nos chaussures, produisant de petites lézardes sur la surface blanche et moelleuse du sol. Et tout autour, sur les coteaux, se tenaient des conifères, imposants, sages et droits. Mélèzes et sapins affrontaient fièrement la froidure hivernale. La cime et les branches de ceux-ci étaient recouvertes d'une neige immaculée. On aurait dit que chaque arbre avait attrapé des flocons pour empêcher ces derniers de se fondre et mourir dans la blancheur du sol.

Plus loin, derrière l'étang, le frimas avalait la forêt, nous laissant seulement imaginer le paysage.

« Suivez-moi...» souffla alors la magicienne, avant de s'éloigner encore.

Je frottai un peu ma tunique pour déloger la neige d'entre les plis du tissu, puis je suivis l'elfe. Au bout de quelques minutes, j'aperçus un petit feu. Apparemment, ce n'était pas l'oeuvre de la femme au bâton. Un voyageur avait-il découvert ce lieu paisible, dressé son camp et oublié d'éteindre son feu en partant? Je ne savais qu'une chose : le froid bientôt me quitterait.
Lentement, je m'approchai de l'elfe à la peau bleutée puis je m'installai face au feu. La présence d'un semblable à mes côtés n'était pas quelque chose de familier pour moi.

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#9
Naaëmsin se saisit d'une branche et balaya une petite zone autour du feu, avant d'y déposer une couverture et de s'y assoir.
Sur les braises elle déposa sa petite casserole en fer, y plaça de la neige, quelques plantes, puis patienta jusqu'à ce que son infusion soit chaude.
Saisissant un verre en bois elle le remplit, en offrit à Hilary, puis s'en servit une tasse et but ce chaud breuvage avec plaisir.

Les ours, deux de ses plus anciens amis, heureux de profiter à nouveau de la visite de leur protégée, l'accueillirent avec chaleur, à tous les sens du terme.
Ils entourèrent la frêle elfe et lui firent effectivement profiter de leur fourrure.

Soudain, l'elfe se raidit, redressant la tête elle sembla écouter des paroles que nul autre qu'elle n'entendit, comme si elles étaient portées par les pâles rayons de la lune nimbant les environs de leur luminosité nacrée, habillant les étendues enneigées d'éclats de lumière gelée.
Puis, se levant, l'elfe à la peau bleutée marcha droit vers l'ouest. Si au début tout était normal, elle fut rapidement prise dans une nappe lumineuse semblable à du brouillard et disparut aux yeux des éventuels observateurs.

Seuls restaient les ours et tous les petits animaux de la forêt, vaquant à leurs occupations habituelles.

Quelques jours passèrent avant que Naaëmsin ne réapparut.
Comme lors de son départ, une nappe de brouillard la précéda et se répandit alentours.
Quelques instants plus tard des ombres apparurent au cœur de la brume.

Naaëmsin n'était pas revenue seule.
Une groupe inattendu, composé d'elfes et de nains, accompagnait la magicienne.
Ensemble ils pénétrèrent dans la yourte de l'étang des ours, celle-là même où Hilary, quelques heures auparavant, avait été envoyée dans le monde des rêves par des adversaires qu'elle n'avait pas identifié précisément.
Elle savait uniquement que c'était des nains, des guerriers au vu de leur équipement.

Nul ne revit sortir la compagnie de la Yourte.
Les animaux expliquèrent à Naaëmsin qu'un tunnel permettait de sortir des tunnels souterrains construits sous la yourte, à l'est de l'étang, en bordure de forêt.
Naaëmsin en conclut que ses compagnons temporaires avaient du aller jusqu'au bout de leur mission.

Quant à elle, elle reprit son attente, retrouvant son feu, son infusion refroidie et ses deux amis.
Elle était impatiente. Son corps soupirait et son âme se languissait.
Les ours, soudain, relevèrent le museau, tournant leur énorme tête blanche vers le nord-ouest.

Là-bas, dans la forêt, quelque chose bougeait...
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#10
Il fallut patienter.
L'on pouvait entendre le son de bruissements légers que seul un habitant de la forêt pouvait différencier du vent dans les branches ou de la rumeur forestière.

Puis, à l'orée du bois, debout sur ses quatre pattes, l'échine courbée et le museau au ras du sol, apparut la bête.
Un magnifique, imposant et vieux loup gris.
Sa fourrure épaisse l'était plus encore à son encolure, lui accordant de faux airs de crinière.
Son poil, dont la robe allait du gris clair à l'anthracite, laissait par endroits apercevoir la peau, cicatrices d'anciennes blessures.
Il prit le temps de humer l'air froid, un petit nuage de vapeur s'échappant de ses naseaux.

Son regard se porta au loin, non pas vers l'elfe sélène dont l'attention toute entière était fixée sur le loup, mais vers d'autres elfes, disposés non loin du campement, observateurs se voulant discrets mais oh combien inopportuns.
Il décida cependant de se diriger vers Naaëmsin, de sa démarche de loup, trottinant aisément dans la neige durcie par le froid.

L'elfe et le loup se réunirent. C'est le mot qui convient.
Se retrouvèrent, se humèrent, se caressèrent.
Leur étreinte d'une sensualité dérangeante fut cependant rapidement interrompue par l'approche d'une elfe.

Leur attention portée sur l'intrus, ils virent les deux ours de l'étang rejoindre l'elfe et pressant leurs flancs sur son corps, l'obliger à reculer et à laisser un peu d'intimité au couple étrange.

Le crépuscule maintenant s'achevait. A l'ouest, le soleil disparaissait au bord du monde et la nuit, peu à peu s'installait.
Quelques étoiles commençaient à briller dans le ciel dont le bleu s'assombrissait.
Et la lune, blanche, ronde, rassurante, baigna doucement l'étang de sa lueur froide.

Le paysage prit une teinte violette et fantasmatique.
Curieusement, alors que le froid mordant pénétrait les vêtements, tendait la peau, givrait les cheveux, des lucioles apparurent, voletant en une lente farandole à la surface de l'étang.

Là-bas, s'étant éloignés de quelques pas vers la forêt, hors du halo rougeoyant produit par le feu de leur campement, les amants, puisque c'était ainsi qu'il fallait les nommer, avaient repris leur étreinte.
On pouvait parfois voir luire quelques reflets de lune sur la peau bleutée de Naaëmsin, dont le corps dévêtu roulait dans la neige, uni en une étreinte sauvage, espiègle, combattive, avec le vieux loup gris.
On pouvait entendre ce dernier gronder, on pouvait imaginer ses crocs retroussés, son poil luisant dressé sur son échine, son poitrail puissant imposant sa force à l'objet de son désir.

L'intensité de cette étreinte, la force de la passion qui s'en dégageait, autant que la pudeur peut-être des observateurs de cette scène bestiale et tendre à la fois, les obligea à détourner le regard et à rendre aux deux amants leur intimité dérobée un moment.

Au petit matin, alors que toute la nuit une passion dévorante s'était exprimée dans l'atmosphère glacée et fantastique de l'étang de l'ours, les deux elfes dont Naaëmsin avait toléré le regard purent observer, dans la pâle lueur de l'aube naissante, les adieux des amants.
Naaëmsin, nue dans la glaciale humidité accompagnant la rosée matinale, était telle qu'on l'attendait, beauté sensuelle aux courbes affolantes, créature éthérée rayonnante d'une aura lunaire.
Mais son compagnon, le vieux loup gris, pour autant que ce fût lui, se tenait debout, nu lui aussi, la peau de la même teinte que celle de cette nuit hivernale. Il avait un corps d'elfe, des oreilles pointues qui s'échappaient de sa longue chevelure aux multiples teintes de gris.
Après un dernier regard d'une intensité émouvante, il bondit dans les buissons.

Lorsqu'il réapparut entre deux arbres, quelques coudées plus loin, le loup gris courait rapidement vers le nord, tournant fréquemment sa gueule dans la direction dont il venait.

Naaëmsin se rapprocha du feu mourant, saisit sa robe qu'elle enfila sur son corps maintenant transi de froid.
Tel un manteau de solitude, jusqu'à la prochaine nuit du huitième jour des bourgeons, où elle pourrait, le temps de quelques heures, goûter de nouveau à cet amour, qu'elle perdrait à nouveau, comme chaque année depuis si longtemps...
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#11
Suite à un séjour imprévu dans le pays des rêves, je revins près de l'étang, ce lieu de biodiversité préservée ô combien étonnant. La magicienne avait disparu, sans laisser de trace autre qu'un feu de camp. Celui qu'on avait trouvé à notre arrivée. Alors, j'étais partie me fondre dans la forêt environnante en quête de baies. Soudain, j'avais vu un petit buisson à fruits sur l'autre rive. Ne pouvant résister à cet appel, j'avais traversé le point d'eau à la nage dans le but de l'atteindre. Quelques minutes plus tard, une langue râpeuse avait trempée ma main de salive ; deux ours avaient fait leur entrée près du buis. Après s'être frottés contre moi, ceux-ci s'étaient éloignés, laissant des empreintes de pas dans la neige. J'aurais pu poursuivre ma cueillette, mais la curiosité m'avait piquée. J'avais de ce fait marché sur leurs traces, jusqu'à ce que mes pieds n'en puissent plus, et découvert une habitation des plus sommaires.

Si seulement je n'avais pas franchi cette porte. C'est regrettable. Néanmoins,l'appel de la vie est plus fort que le regret. Ne ressassons pas ces souvenirs, vivons le présent.

Le présent était beau. Les arbres n'avaient pas bougé, comme s'ils avaient attendu mon retour. Sapins et mélèzes étaient branches dessus dessous comme à notre première rencontre. Leurs écorces rêches et vieillies s'arrachaient d'elles-mêmes, telles des croutes sur la peau. Je les caressai afin de sentir les crevasses sous ma main. La nature offrait mille et une formes et mille et une textures. Comme une pluralité de couleurs. Pour celui qui ne savait voir, il y avait une forêt... mais pour le fin observateur et le poète, il y avait des arbres. Des arbres aux troncs droits ou biscornus, des branches dans toutes les directions, vers le ciel ou la terre, créeant des lignes ou des courbes, du bois brun-rouge ou blanc et lustré comme celui de l'épicéa, un pêle-mêle de formes et de coloris.

Quel beau spectacle, fis-je tout bas.


Soudain, alors que je regardais les oiseaux qui secouaient les branches et en faisaient tomber la neige, il y eut un craquement de branche. Je me dis que c'était un animal. Mais mon attention fut attirée par une silhouette.

Ce n'est pas la silhouette d'un animal ça...

Probablement la silhouette d'un elfe.

Que cherche-t-il? Pourquoi se cache-t-il? Est-il seul?


Autant de questions qui resteraient sans réponse. Et tant mieux. Ainsi, je conserverais l'ignorance des personnes dont l'âme ne se trouble pas. Je décidai de continuer à marcher, en direction de l'étang cette fois. Mes pieds s'enfonçaient dans la neige, ma gorge et mes poumons se glaçaient. Lorsqu'enfin j'arrivai sur le campement, je reconnus l'étrange elfe à la peau bleutée. Elle était revenue. Là. Là, parmi les ours. Je n'eus pas le temps de lui demander la raison de son absence, qu'elle s'était déjà éloignée. Et ce fut à cet instant précis, qu'entra en scène un loup blanc aux pattes grises. Celui-ci montra des crocs largement enchâssés dans la gencive et bondit sur la magicienne. Il la renifla, lécha son visage, hurla et jappa pour exprimer son plaisir, puis se roula sur le dos. Leur échange presque amoureux dura un moment. Moment durant lequel je fus mise à l'écart. Les ours s'étaient mis entre le couple et moi, tels des remparts, me faisant tomber au passage. Je me relevai, dépoussiérai mes habits et fouillai dans ma besace. Dans un sourire, je fis glisser deux baies rougeoyantes sur le sol. Comme espéré, l'un des ours s'avança vers le fruit, le toucha de sa patte et l'avala. Lorsque je replongeai à nouveau ma main dans mon sac, il saliva. Son regard bleu azur croisa le mien, et j'y décelai la tendresse. Presque touchée par l'attitude de l'animal, je plongeai mes doigts dans sa fourrure moelleuse, en oubliant presque les ébats de l'elfe et du loup. A peine eussé-je relevé la tête, que le loup avait disparu. Non. Il s'était métamorphosé en elfe. Un elfe à l'allure étrange. Il avait conservé des oreilles pointues recouvertes de poils et d'autres traits du loup. L'elfe posa un baiser empli d'amour et de tendresse sur le front de la magicienne. Je devinai qu'ils se retrouvaient après une longue absence de l'autre, une période de souffrance, de vide, de rien.

L'homme canidé donna un dernier regard d'espoir à sa chère et tendre. Un regard que je ne connaissais pas. Que l'on ne m'avait jamais donné.



Puis il partit.

Il y avait tant de choses à dire. Tant de choses à décrire. Par où devait-on commencer? C'était comme une chanson triste, à l'intérieur. La lumière s'éteignait sur ses dernières paroles. Une pièce de théâtre tragique. Il n'y avait rien à dire. Juste à écouter. Ecouter les sanglots, les sanglots de l'elfe abandonnée. Le chagrin la ronger dans un mal de tête epouvantable, dans les pleurs et les crises effroyables. Tout à sentir. Sentir ses larmes couler abondamment sur les joues. Les perles salées humidifier et nourrir ses lèvres. Sentir ses yeux s'emplir de nuages, de sel ; sa vue se brouiller. Sentir ses dents se serrer, son visage se crisper, son estomac se nouer et se rétrécir. Vouloir pleurer encore et encore, ne jamais vouloir en finir, en finir de pleurer, de pleurer encore et encore. Pleurer pour se sentir exister, voir combien l'on peut souffrir en pensant. Perséverer dans notre être, cet être éphémère qui a encore tant à apprendre, et tant à pleurer. Il faut se faire mal à la tête, et continuer. Continuer jusqu'à ce que nos joues, nos yeux et notre front nous brûlent. Se repasser ce refrain de l'âme qui nous précipite vers notre fin. Mais la fin repoussons-la. Souffrons encore. Encore un peu. Souffrons car c'est le seul moyen de s'effacer du monde en existant. Clignons des yeux et sentons la peau des paupières s'étirer, s'irriter. Irritons nous, encore et encore. Faisons couler les larmes, jusqu'à être sec comme le désert. Vivons, profitons de ce mal, avant que s'évapore notre âme, notre vie, sous la chaleur écablante de ce désert. Ce désert de neige et de solitude.

Ainsi était la magicienne, seule au clair de lune.
Un peu comme moi, me dis-je
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#12
Pendant qu'Hilary s'interrogeait sur la scène, Fragorn restait abasourdi et raide. Il n'avait pu s'empêcher d'observer ce qui s'était passé entre Naaëmsin et l'elfe-loup. Il sentait bien sur que sa présence était déplacée, mais il s'était trouvé là au mauvais moment, et après l'arrivée du loup, il n'avait pu détacher son regard de l'étrange et magnifique scène... L'Elfe était honteux, lui qui d'ordinaire détestait se mêler de l'intimité des autres. Une fois l'elfe-loup repartit, Fragorn resta un instant sur place, songeur. Il savait que, malgré les branchages, Naaëmsin et les deux ours l'avaient repérés depuis longtemps.

Finalement, prenant son courage à deux mains, il s'avança, s'inclina respectueusement devant le grand ours qui se trouvait entre lui et Naaëmsin, qui semblait pleine de chagrin, puis prit la parole d'une voix faible et chargée de remords.

"Ma Dame... Je suis confus d'avoir ainsi observé votre intimité. Mon intention n'était pas de vous espionner, mais je me suis trouvé là par hasard, alors que j'allais chercher un objet oublié dans la yourte. Je... J'ai bien conscience que ma présence était très inopportune, et j'ai honte de moi. Mais je n'ai pas pu détacher mes yeux de la beauté du spectacle."

Fragorn marqua une pose, puis s'agenouilla devant la Dame.

"Vous me semblez emplie de chagrin, et je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps. Je vous prie juste de me pardonner d'avoir vu tout cela. Si je puis vous rendre le moindre service en réparation, ordonnez et j'obéirais."
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#13
Naaëmsin avait du mal à comprendre comment il était possible de s'excuser de quelque chose que l'on a délibérément choisi de vivre.
Il n'était pas dans sa nature de ne pas assumer ses choix.
Ces elfes devaient bien se douter qu'elle les savait présents lors de ses ébats avec son cher amour.
Si elle avait voulu échapper à leur présence, elle aurait pu aisément le faire.
S'ils avaient voulu détourner le regard ou quitter l'étang, rien ne les en empêchait.

Comprendraient-ils que ce faisant elle avait cherché à leur prodiguer un enseignement sur leur propre nature, sur leur propre histoire ?
Comprendraient-ils que l'intérêt de ce qu'ils venaient de vivre ne reposait pas sur la qualité de leur relation avec elle mais sur la qualité de leur relation avec la vie sauvage, avec leur histoire trop souvent oubliée par la plupart ?

Asteras, la magie, l'étude des armes et du combat, la guerre contre les nains, la quête de puissance et de pouvoir, tout ceci était dorénavant au centre de l'existence des elfes lui semblait-il...
Seuls certains d'entre eux semblaient trouver leur propre chemin de lumière au milieu de tous ces faux-semblants.

Il était temps que les chemins soient de nouveau envahis par les ronces et les baies.
Il était temps que les elfes ré-apprennent à marcher en dehors des sentiers battus, qu'ils renouent avec leur héritage.
Oui, Ecridel était à eux, c'était leur terre, leur territoire, comme tout aussi légitimement les loups pouvaient le revendiquer, ainsi que les busards, les rats musqués, les faucons crécerelles, les abeilles, les vieux chênes et les jeunes pins.

Elle salua Fragorn, à genoux devant elle, assise dans la neige, les bras enserrant ses jambes repliées contre elle.
Elle se leva, lui tendit la main et l'aida à se relever, pour autant qu'un petit corps comme le sien puisse aider un solide guerrier comme l'était Fragorn.
La main de l'elfe était douce, elle rayonnait d'une douce chaleur, étonnante quand on voyait les frissons parcourir la peau veloutée de la troublante créature.
Vous ne me dérangiez pas, messire, je vous remercie de votre aide.
Mais il n'est rien à réparer, rien n'a été brisé.
Je n'ai rien dont je puisse vous tenir rancune.

Je dois partir, maintenant, une longue, très longue tâche m'attend.


Elle savait quelle réponse elle allait donner à son Roi.
Avec un dernier regard pour les ours, jouant sans lui accorder la moindre attention avec l'elfe trempant ses pieds dans l'étang et leur offrant des baies, elle se détourna et prit la direction du sud.
Cette elfe a trouvé le sentier de sa mémoire, pourvu qu'elle ne s'égare pas, pensa-t-elle.
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