La Chute de Singarth
#1
Citation :N'hésitez pas à utiliser ce sujet pour poster votre propre récit/vision des choses sur cet affrontement concluant l'Interlude. On se retrouve bien vite durant la prochaine manche.

[Image: 2.png] Evrran, nous devoirr tuer éklairreurr ! Lui dirr cinq garrdes ! Ça, mensonge ! Moi savoirr kompter ! Eux, bien plus nombrreux !

[Image: 1.png] Singarth, on t’a dit ! C’est le nom de la ville, pas le nombre des effectifs ennemis…

[Image: 2.png] Ça, pas ville ! Babylios, ville ! Ça, rruine mais pas belle rruine ! Jada, ça êtrr belle rruine !

[Image: 1.png] T’es venu discuter architecture ou te baigner dans le sang de tes ennemis ?

Le gnoll médita les paroles du traqueur. Il s’imaginait déjà dans un grand bac en bois en train de rendre poisseux ses poils avec le sang des elfes et des centaures tués. Le bruit des lames qui s’entrechoquent et les hurlements guerriers poussés par la première ligne d’assaillants le ramenèrent rapidement à la réalité. Avant de penser aux célébrations de la victoire, il fallait d’abord triompher de ses adversaires. Ceux-ci allaient se révéler particulièrement pugnaces.

Les mercenaires de la Conseillère Hafsa avaient lancé l’assaut sur le dernier bastion des exilés depuis la porte sud, l’accès le plus proche de leur point de débarquement, après avoir fait tomber son gardien sylvestre. Ils ne savaient pas qu’au même moment, les Royaumes du Nord avaient déjà bien enfoncé les premières défenses kaldoriennes depuis la porte nord et s’apprêtaient à ouvrir un second front depuis la porte est. Le Concordat rentrerait à son tour dans la mêlée quelques temps plus tard depuis la porte ouest, non sans avoir intelligemment sapé la plupart des lignes de ravitaillement des autres alliances qui se disputaient ce lopin de terre.

Lorsqu’Ekryrr encocha une flèche, une voix familière commença à murmurer dans l’esprit du gnoll, comme si une conscience s’éveillait lentement au travers du fétiche d’os accroché à son arc. Même s’il ne l’avait connu que bébé, le fils d’Ell Tranchebauge savait de manière inexplicable que c’était  Wynn Fend-les-ombres, le chaman de la meute de sa mère, qui lui parlait. Mort à Kerr'o'Yawo, le Domaine du Loup, son esprit rôdait toujours en Ecridel, veillant sur les enfants volés par les bourreaux de Jada, attendant son heure pour leur susurrer des mots de trahison et éveiller leur désir de vengeance. En suivant ses enseignements, le Chasseur d’Os avait appris les rudiments de la magie de sang, une version corrompue de la magie de vie qui amenuisait lentement les forces de ses victimes.

[Image: 90833.gif] Rrregarrrde cet elfe rrrampant... Il crrroit pouvoirrr fuirrr… Il a le dos tourrrné… Tue-le…
 
Le tir en cloche qui s’en suivit finit directement entre les omoplates de l’archer d’élite sylvain. Korri triomphait de Peletor. Le gnoll ricana. Il pensa subrepticement à ces paroles d’un sage du Protectorat : « tant que ça saigne, cela peut être tué… ». 

La résistance des exilés était toutefois solide. Les troupes du Pacte étaient disciplinées et menées par de puissants commandants. L’Archidruide Lylariel avait longtemps ralenti les forces du Protectorat en appelant la flore locale à les enchevêtrer et en chantant des paroles qui refermaient les plaies béantes des elfes sylvains et centaures blessés. L’enchanteresse Tuvianaelle avait failli les mener à leur perte en tentant de les attirer dans une embuscade dans le sud-est de la cité mais les hélions et les hommes bêtes n’étaient pas tombés dans le panneau. La gardienne centaure Héléa fut la dernière de son contingent à tomber, totalement exsangue et les veines noires après avoir été longuement exposées aux poisons virulents concoctés par les alchimistes de Babylios.

Un sifflement retentit dans le dos du gnoll. Ce n’était pas Evrann qui appelait ses molosses mais une silhouette musclée, à la peau noire, qui le hélait.

[Image: 9.png] Hé le gnoll, ramène-toi par ici ! On a de nouveaux ordres… L’homme panthère vient aussi.

L’archer avisa quelques cibles faciles pour finir son carquois avant de rompre l’engagement et de prendre connaissance des nouvelles directives.

Bientôt Singarth tomberait.

Même si la victoire ne lui était pas attribuée, la Conseillère Hasfa avait sa vengeance. L’Argent allait s’éteindre sur cette île perdue de la Sorlin dans un massacre qui ne laisserait nul survivant tandis que l’Or brillerait telle la fureur divine de Solaris, défiant toutes les puissances d’Ecridel de s’y brûler les ailes.

Le sang appellerait le sang.

C'était inéluctable, même si l'avenir reste à Ekryrr...
Répondre
#2

« Qu’est-ce qu’il adviendra quand nous aurons réussi à prendre Singarth ? »

La gamine était agenouillée au bord de l’eau. Elle plongeait ses mains dans le cours de la rivière d’un air pensif. Cela faisait plusieurs jours qu’ils avaient reçu l’ordre de se rendre au centre et de reprendre la ville. Aux dires des sentinelles, ils y rencontreraient la résistance du Pacte de Kaldora mais pas seulement.
Des mouvements au sud et à l’ouest étaient à prévoir. Les autres alliances y seraient aussi. Le Protectorat, notamment.

Shaushka retira ses mains légèrement bleuies de l’eau glacée. Elle ne tremblait pas. Au lieu de ça, elle les serra seulement pour en faire blanchir les jointures. Ces dernières étaient abîmées de crevasses douloureuses et rouges, encore boursouflées depuis le dernier affrontement. Ses yeux céruléens se plissèrent, on aurait dit une chatte furieuse, sauvage ou mal léchée.

« On sera payé, grassement, et pour certains, y aura des permissions. Y a un convoi pour Bjornhill pour ceux qui survivent, et un repas offert par la Maison. »

Les doigts froids de la jeune agar passèrent sur ses lèvres. Des vies contre un peu de viande, un peu de pain, beaucoup d’alcool. Des vies, des familles, des destins brisés contre quelques pièces. Et elle, que faisait-elle déjà ici ? Qu’est-ce qu’elle avait appris finalement de tout ce chemin soi-disant trop long pour une enfant ?
Avait-elle perdu quelque chose dans l’histoire ?

« Tu comptes rentrer ? » lança la gamine à l’aide de camp qui se grattait nerveusement la nuque.
« Oui, dès que j’peux… ça fait tellement longtemps qu’on est ici… J’ai envie de revoir ma femme et mon fils. On a tous envie de revoir nos familles, je crois bien. »

L’homme eut un rire gêné, maladroit. Comme si montrer ses sentiments, aussi sincères, dans un contexte aussi terrible étaient une honte. Shaushka eut un sourire amical, et se redressa finalement, secouant ses mains endolories pour les sécher.

Elle suivit des yeux le regard de l’aide de camp qui se tournait instinctivement vers Björnhill.
Au contraire de l’homme, Shaushka détourna le regard, rapidement.

…*…

« Non, pas d’hydromel. »

Le géant lui jeta un regard d’abord surpris, puis méprisant, avant de marmonner quelque chose dans sa barbe en partant. La gamine le suivit d’un œil revêche et puis reposa son regard sur son épée qu’elle lustrait avec attention. Le chiffon coincé dans se creux de sa main, elle murmurait doucement, du bout des lèvres, une vieille chanson agar qu’elle avait pu entendre toute petite de la bouche de sa tendre mère, et sans doute l’avait-elle elle-même entendue de la bouche de sa mère, Dagmaer, avant.

Chanter lui permettait de se concentrer sur la bataille qui s’annonçait pour le lendemain. Ce serait le dernier bivouac avant leur entrer dans la ville, avant qu’elle ne retrouve Thorkell et sa balafre. Shaushka eut un petit sourire amusé pour elle-même, se mordilla la lèvre inférieure bêtement et puis se jura à elle-même que si elle survivait, elle lui volerait un baiser.
Le premier de sa vie, un doux baiser au goût de sang.

…*…

Les guerriers devant, les mages derrière. Les archers ? Pas d’archer.
Pas besoin d’un corps d’archer, avait marmonné la gamine, le menton appuyé sur son écu planté dans le sol. Pas besoin de plus. Ils iraient à l’est, et comme une meute, ils rabattraient le gibier. Après un dernier accord par messager interposé, Shaushka se retourna auprès des autres pour échanger sur le plan. Dagmaer, véritable puit de sagesse, exposa d’abord d’une voix posée. Aesar reprenait, rejointe rapidement par les plus bavards, jusqu’à obtenir un plan. Ou quelque chose y ressemblant.

Parce qu’il n’y avait fondamentalement pas besoin de plan. Les loups n’en n’ont pas. Ils savent.
Shaushka avança la première, écu sur le bras gauche, épée dans la main droite.
Les centaures et les elfes s’attendaient à leur arrivée, mais ils n’avaient pas imaginé qu’une seconde patrouille contournerait le flan. Ils ne rencontrèrent aucun obstacle notable sur la route. Un Tréant n’avait pas suffi à les arrêter – qui le pourrait vraiment ?

Le cristal sentinelle n’eut pas le temps de les surprendre qu’ils étaient déjà à l’intérieur. Le bruit strident du cristal entrant en résonnance avec les autres cristaux vrilla les tympans de la gamine, mais c’était trop tard.
Les Loups étaient dans Singarth.

L’épée fila dans les airs, se figea dans un corps, puis en trancha un autre, le laissant tituber pour être terminé par Thedric ou Thorad qui la talonnaient. Les deux maîtres-lames dansaient comme deux furies tout droit sortis des enfers. Dans le crépuscule, l’odeur du sang s’éparpillant sur le sol pavé commençait à prendre à la gorge, mais Shaushka humait seulement plus fort comme un taureau furieux. Le cœur battait à tout rompre dans sa cage thoracique, et chaque coup portait plus loin dans la chair, portait plus fort contre les os, au fur et à mesure que le sang pulsait dans ses veines.

Et elle hurlait alors, n’offrant plus à la vue l’image de l’adolescente mais bien celle d’une guerrière aguerrie, expérimentée, d’une Trompe-La-Mort comme on n’en voit que sur les champs de bataille les plus sanguinolents.
Quand il ne resta plus une seule âme vivante face à elle, l’œil de Shaushka s’alluma de nouveau. La lune était haute.

« La commandante n’est pas morte », entendit-elle derrière.
« Il faut la trouver. »
« Il faut sa tête. »

La gamine fit tourner le pommeau de son épée dans sa main poisseuse, sans la faire tomber. Elle leva le visage vers le ciel et huma à la façon d’un animal l’air. La bise du soir portait avec elle les embruns des centaines de mort qui jonchaient désormais, en pile grotesque, les rues des ruines de Singarth.
Mais il y avait encore une âme.

Shaushka avança avec Aesar, en tenaille. Les deux louves se regardaient. Aesar fut la première à surprendre une ombre sur un pan de mur cassé. Quand la gamine termina de contourner, elle signifia d’un signe de la main que c’était bien un ennemi – une proie.

Elle continua à contourner, jusqu’à fermer toute retraite, rapidement rejoint par Thedric – elle était certaine qu’il s’agissait de lui. Même dans l’obscurité, ses oreilles étaient éclairées par les derniers rayons de lune.
Une belle lune pour mourir.

Sans se faire prier, Shaushka rabattit la commandante contre la paroi, et ce malgré les lianes qui jaillirent du sol. Elle grogna seulement, abattant son épée pour rompre les liens magiques. Un épieux de glace planta la sylvaine contre le mur. Shaushka se mit au niveau de la jeune femme qui la dévisageait derrière ses mèches blondes rendues lourdes par le sang.

La gamine lui offrit un regard, mais aucune compassion. Dans l’obscurité, et sans qu’on ne puisse le voir, elle enfonça autant qu’elle le put le tranchant dans le ventre tendre de l’enchanteresse.  Une gerbe de sang glissa sur les lèvres pâles de l’elfe. Elles échangèrent de nouveau un regard, sans haine, sans un mot.

« Les sentiments ne s’expriment pas seulement par les mots. »

La voix de son père lui revenait encore, comme un fantôme sournois… Pas mort, et pourtant, c’était bien l’impression que lui donnait ce semblant de conscience. Il ne l’aurait pas ainsi. Elle n’était pas faible comme lui. Elle ne le serait jamais.

Shaushka retira son épée, et la regarda s’échouer sur le sol dans un bruit sourd.
Son regard passa sur tous les visages, d’aucun qui ne ressemblait à celui de son voisin. Tous tournèrent le dos, prêts à poursuivre. Des choses à faire, il en restait encore des tonnes, à tous. La gamine jeta un regard à Thedric qui la regardait aussi. Un sourire fleurit sur ses lèvres, et elle lança en passant à côté de lui :

« Après ce soir, je ne laisserai personne dire que tu es la moitié d’un elfe, Thedric. Tu en vaux au moins trois. » Le regard de Shaushka tomba sur le premier ennemi venu du Sud. « Maintenant, montre-moi combien tu vaux de ces babylossiens… »

Elle fit tourner l’épée dans sa main et s’avança, avec un petit rictus.
Répondre


Atteindre :