Après le glas
#1
« ‘Pa, les enfants du village, y disent que si t’as arrêté d’faire la guerre, c’est parce que t’es qu’un peureux. C’est pas vrai que t’es un peureux ! Moi j’leur dis que t’as peur de rien, ‘Pa, mais… Pourquoi tu veux plus faire la guerre ? »
« Shaushka », un petit sourire désolé se grave sur le visage paternel, « il n’y a rien de honteux à avoir peur d’aller à la guerre. La guerre, c’est terrible tu sais. »

A cette époque, j’aurais aimé t’entendre me répondre que c’était de la faute de Maman ou de Mémé. J’aurais aimé que tu me dises que ce n’était pas vraiment de ta faute, que c’était celle des autres qui t’empêchent d’être ce héro que j’aurais aimé que tu sois. J’aurais aimé que tu me mentes, pour ne pas te ternir à mes yeux, pour rendre peut-être la vérité moins douloureuse.

Mais je crois que je comprends maintenant, ce que tu voulais dire par là. Oh, je devine même ce que tu me dirais si je te le disais, là, tout de suite. Tu serais là, tu sourirais encore, avec ce sourire que je déteste et tu me dirais tout doucement qu’il n’est jamais trop tard pour apprendre.

C’est faux, ‘Pa, c’est faux.
Parfois, c’est trop tard et on ne peut rien y faire.


…*…


La mêlée la retenait à l’écart. Elle vit simplement Thorkell reculer, à bout de souffle, le visage ensanglanté. Dans la même direction que Mémé qui tenait encore bon. Les mages étaient encerclés. Les flèches pleuvaient comme autant de coups d’épée. 

Elle vit le sorcelame se rapprocher dangereusement du sorcier, entre deux épaules.
Elle retint son souffle, le cœur au bord des lèvres. Ses ongles s’enfoncèrent profondément dans sa paume, à en percer l’épiderme, à en faire blanchir ses jointures.

« Thorkell ! Att… »

Le cri termina dans un hurlement guttural, puissant et blessé à la fois. Son épée s’abattit brutalement, pour se frayer un chemin, mais la gamine ne visait plus. Elle tentait seulement vainement d’arrêter ce qui se tramait de l’autre côté – en vain.
Un second cri retentit alors que Dagmaer tombait à son tour, à genoux, le chignon défait.

Les yeux clairs de Shaushka s’écarquillèrent, et alors elle n’était ni plus maître de son épée ni de ses mouvements. Elle avala en quelques pas seulement la distance entre elle et un pauvre archer, utilisant alors non plus son épée mais son espadon pour en fracasser le corps et l’armure à son tour.

Quand ce ne fut plus lui, ce fut un autre, puis un autre, courant presque désespérément après les derniers survivants. Courant jusqu’à ne plus avoir de souffle, plus de force, plus que cette déchirure à l’intérieur, hurlant comme ils disparaissaient dans l’horizon, abandonnant le combat.

Était-ce une victoire ?
Était-ce une défaite ?

Est-ce que cela importait vraiment de le savoir désormais ?


…*…


Assise face au lac, l’adolescente rejeta sa tête en arrière. Ses cervicales lui faisaient mal, de même que ses omoplates. L’armure déposée au sol, juste à sa droite, elle écartait ses épaules comme pour remettre en place chaque os, chaque nerf, faisant rouler sous ses doigts les muscles endoloris.

Thorkell et Dagmaer avaient finalement réussi à être sortis de la mêlée tant bien que mal et amener au campement pour être soignés. Etaient-ils vivants ou morts, ils ne le sauraient que si un messager croisait leur route – ce qui risquait d’être difficile avant quelques jours.
Mais c'était ce qui empoisonnerait chacune de ses pensées en attendant.

« Ne faites pas de feu » avait dit un guerrier derrière elle, « ça risquerait d’attirer les bêtes. »

Un rire sardonique plus tard, tout le monde s’agitait, se rincer le visage dans l’eau claire du lac, frissonnant car la bise était fraîche au-dessus de l’eau. Pas aussi froid que la bise au nord de l’Ingemann.

Jetant ses bras en avant, se pliant délicatement en deux pour étirer ses jambes, Shaushka se demanda si elle était assez cher payée pour faire ce qu’elle faisait. A combien était la solde déjà ? Deux, quatre pièces par jour ? Elle inspira profondément, revit la  lame passant au travers de Thorkell et de son armure de glace. L’expression de son visage. Celui de Dagmaer, noble jusque dans la chute. Une dignité très mal héritée par sa seule petite fille.

Juste avant, Aesar, la rousse. Courant, et pourtant abattue au milieu d’eux, en une petite fraction de seconde. Sa tête rousse, son auréole de sang. Le fer de son armure attaquée par une magie corrosive.
Barn et Bjorn aussi… La gamine, est-ce que la gamine était encore vivante ? Le vieux allait survivre. Mais la gamine…

Shaushka passa ses mains jusque dans sa nuque, cherchant à défaire les nœuds sous la peau, mais elle se fit à l’idée qu’il faudrait s’y habituer. Au moins jusqu’au moment où ils sauraient qui Asagerìm avait gardé auprès de lui.
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