Racines du mal
#1
Racines du Mal

Ils attendirent la nuit tombée pour attaquer.
Singarth ne serait qu’une énième victoire sur le tableau du Clan de l’Hiver. C’était du moins ce que les plus jeunes et les plus naïfs s’étaient dit en surprenant la patrouille et en l’éliminant aussi sec.

Shaushka passa en premier. L’épée la démangeait, et comme à chaque fois qu’elle voyait du sang, son myocarde s’accélérait dans sa poitrine. Non pas par envie sadique, mais par excitation franche. Ce sentiment de chasse, de traque, qui la rendait similaire à ce père Chasseur de Dragon des Mers.

Elle s’humecta les lèvres et d’une geste rapide enfonça son épée entre les épaules d’un autre elfe, le laissant tomber au sol dans un bruit lourd.

Elle fit un petit geste dans l’obscurité indiquant que le champ était libre.

La Lune accompagnait les pas de la fille de l’hiver, donnant à ses cheveux blancs des reflets d’argent et de sang – une couronne cramoisie bien mal choisie pour celle qui avançait, tête baissée, au sein de la bataille. Le regard aveuglé, avec seulement le désir ardent de trouver – enfin – un adversaire digne d’elle.

Elle siffla une nouvelle fois, imitant le bruit de la chouette, avant d’entrer dans une clairière qui offrait aux immenses remparts de Singarth une vue parfaite sur le flot d’ennemis en approche. Fort heureusement pour eux, la nuit noire cachait certains d’entre eux.

Ce que Shaushka ne comprit pas en revanche, c’est que ce voile obscur cacherait également certains ennemis à sa propre vue et qu’elle se ferait également surprendre.

Dans les ténèbres, au niveau de l’entrée nord de Singarth, on entendit des craquements végétaux, comme de l’écorce qui rompt. Une masse informe s’éleva lentement, exaltant puissance et immensité. D’un coup de pieds dans le dos, Shaushka écarta l’elfe qui combattait au sol, le claquement du bec de son aigle s’approchant dangereusement du visage déjà grimé d’Aesar, mais plus rien ne lui importait que de voir ce qui s’élevait plus loin.

Face à elles, une montagne – non, pas une montagne – un arbre immense s’était élevé de la terre. De ses pieds faits de racines, des ronces s’étaient propagées tout autour de lui et formaient désormais une porte, empêchant quiconque de pénétrer dans la cité. Etaient-elles là avant lui ? Shaushka ne s’en souvenait pas. Mais tout ça lui rappelait d’étranges souvenirs, comme dans ce conte que son père parfois lui lisait. Cette fois, pourtant, elle était certaine : aucun prince, aucune épée n’aurait su couper à travers la broussaille épaisse.

Si la peur aurait dû la tenailler, Shaushka n’eut rien d’autre qu’un immense sourire. Un petit cri de victoire, peut-être. Enfin ! Oui, enfin ! L’adrénaline parcourait son corps d’un spasme agréable, presque euphorique.

Elle leva son bouclier, éblouissant un instant le visage épais de l’Arbre-Monstre qui se tourna vers elles.

« Qu’Asàgerim me touche si je meurs ! »

La gamine fit un pas en avant. Le Tréant avança à son tour, éclipsant un instant la Lune qui jusqu’à maintenant les éclairer. Sur son écorce, un épais manteau de magie semblait l’habiter. Elle n’était pas mage, mais elle se souvenait de ses rituels tout au Nord. Elle douta pourtant, car elle ne vit jamais de créature si grande, même au sein de Melfred…

L’arbre leva haut dans le ciel une branche et l’abattit la seconde d’après, avec la force de cent taureaux. Shaushka chercha d’abord à l’esquiver, mais comprenant qu’elle n’y arriverait pas, leva son bouclier.

Le choc lui coupa le souffle.

Comme on aurait enfoncé un clou dans le sol, elle sentit ses jambes encaisser le choc et son corps tout entier se tasser sous le bouclier. Tout autour d’elle, le tremblement se propagea, déséquilibrant également Aesar et Hallbera qui était arrivée entre temps, juste par le souffle de l’impact.

Les bras encore tremblants, Shaushka retira lentement son bouclier d’au-dessus sa tête. Ses yeux écarquillés, hallucinés peut-être par cette montagne de puissance ou simplement d'avoir survécut, elle observa de nouveau le bras-branche immense se levait au-dessus de leur tête. Son myocarde se mit à battre à tout rompre, pas d’excitation cette fois, mais d’un sentiment d’urgence, de danger imminent – d’un danger de mort.

Elle jeta un regard derrière elle, et siffla, non pas à la façon d’une chouette cette fois, mais d’un sifflement strident, disant : fuyez.

Alors que la branche s’abattait de nouveau sur elle, le sifflement s’arrêta.
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