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La plaine est bruyante. Un peu trop bruyante.
Entre les coups d'épée et l'odeur des flammes, impossible à dire ce qui a réveillé en premier l'animal squelettique mais fort qui s'élance dans le ciel, solitaire aguerri planant au-dessus de la Mort elle-même. Son œil avisé observe en contrebas le spectacle macabre dont il se réjouit un moment, avant de comprendre qu'il s'agit d'une opportunité en or. Pour eux. Pour lui.
Ils ne font pas attention aux cieux, mais il est bien présent.
Il ordonne à la monture ailée de tracer un cercle au dessus d'eux, comme un oiseau de proie qui attendrait le bon moment pour frapper.
Et il va frapper.
Saleté de démons, infâmes traîtres... Ma lame trouvera le chemin de votre coeur...
Telles étaient les pensées de Dyanese lorsqu'elle avait mené l'assaut contre Vi'ria et Rajaat. Mener est un bien grand mot, en réalité elle était juste en première ligne pour subir les foudres ennemies.
Et elle ne fut pas déçue de la riposte. Des Xalari à peau épaisse cassaient la charge pendant que les séductrices et autres mages bombardaient le concordat de sortilèges. Mais les lignes tinrent bon au point d'éclaircir les rangs ennemis.
Est-ce la témérité ou l'abus de confiance qui poussa la jeune elfe à aller de l'avant ? Toujours est-il que l'abandon de sa position lui coûta de nombreuses blessures par les sceaux du vide de Rajaat...
Ce traître avait failli lui régler son compte, avant qu'il ne succombe aux attaques synchronisées des arrière lignes du Concordat. Vi'ria allait suivre le même chemin lorsqu'un hurlement se fit entendre. Ce cri lui rappela des mauvais souvenirs.
Encore ces maudits volatiles de la bataille sur l'Erion ? Peuvent pas nous laisser tranquilles?
Le champ de bataille venait de prendre une tournure des plus inattendues. Alors que les forces du Concordat tenaient difficilement, mais vaillamment, un front face à Vi'aria et ses sbires, Selinde resta un moment interdite devant l'arrivée des Holdars. Ils étaient impressionnants dans leurs terrifiantes armures. Ils le furent encore plus lorsqu'ils forcèrent la Dame infernale à la fuite. Les cartes venaient d'être redistribuées. Le chasseur était devenu proie face à un nouveau prédateur.
Un sourire sarcastique se dessina sur ses lèvres. Démons et holdars ne prêtaient plus guère d'attention aux mortels, ne leur envoyant que quelques larbins pour les ralentir. Ils survivraient s'ils ne faisaient pas preuve d'une arrogance folle pendant que les deux ennemis à l'humanité s'entretuaient. L'appât savoureux que représentait une démone majeure en position de faiblesse tiendrait les holdars éloignés des Concordiens pour un temps.
Fallait-il en profiter pour fuir un combat perdu d'avance contre deux menaces de taille ? Fallait-il au contraire, profiter de la situation pour achever l'œuvre létale des holdars, s'assurant ainsi d'un unique ennemi à l'avenir ? La pyromancienne secoua négativement la tête à cette pensée, après avoir ciblé par réflexe d'un trait de feu le skilithe qui l'agaçait avec ses insupportables hurlements.
La défaite potentielle de Vi'aria ne la réjouissait pas. Du moins, pas tant que la démone ne leur avait pas révélé certaines informations pour contrer les holdars efficacement. Tout portait à croire que leur nuisance gangrénait les royaumes de l'intérieur. Qu'ils arboraient les traits et les atours de la haute aristocratie pour enterrer sournoisement toute résistance. Vi'aria savait assurément comment les confondre malgré leurs illusions. Pour cette seule raison, elle devait survivre encore un temps.
Selinde talonna sa licorne qui s'ébroua avant de partir au galop vers le sud-ouest. Il serait probablement trop tard, mais elle devait essayer. Essayer quoi d'ailleurs ? Elle n'en savait rien encore.
Et puis, Ekairos devait être dans les environs, lui qui arrivait depuis Kandrian. Il agirait à bon escient, elle en était persuadée.
Citation :Alheran le Censeur a bousculé Martin Bêcheur
Le temps que l'inquisiteur Bêcheur reprenne son équilibre, le grand illusioniste holdar - qui agonisait devant lui il y a quelques secondes encore - avait disparu. Le dénommé Alheran, qui semblait être le chef du petit groupe holdar qui les avait perturbé lors de leur combat contre les démons, avait donné de sa personne pour permettre la fuite du grand illusionniste. Il n'en avait pas fait autant pour son champion et son archer qui étaient tombés quelques instants plus tôt, submergés rapidement par le nombre de combattants du Condorçat du Phénix.
Les guerriers du Condorçat faisaient maintenant front face à Alheran. Rassuré par leur nombre, Martin se permit d'apostropher l'ennemi :
Nous savons qu'en affaiblissant les démons nous faisons votre jeu et inversement. Donc je voudrais que tu nous expliques pourquoi être venu nous empêcher de défaire la démonne Vi'Aria alors que nous avions pris le dessus sur elle ? J'ai d'abord pensé que tu n'étais qu'un opportuniste voulant achever notre travail. Mais au lieu de ça, tu as permis sa fuite. Était-ce volontaire de ta part ou alors la malencontreuse preuve d'une affligeante… hum… incompétence ?
La chasse du censeur et de ses hommes poussa le Concordat jusqu'aux frontières d'Andoras. Les hommes bleus montés sur des volatiles au cri percent avaient fait fuir les démons et empêché la traque de ces derniers. Étaient-ils alliés ou cherchaient-ils à garder le privilège de porter le coup fatal ?
Dyanese n'osait croire en une alliance de ces deux camps sans but commun et dont tout opposait. Un conseil de sq mento lui revint en mémoire : une trêve improbable est une stratégie déroutante pour avoir le dessus en ne gardant qu'une seule ligne de front !
Aux portes d'Andoras, le Censeur avait reçu de l'aide de ses congénères tapis à flanc de montagne déchaînent flèches et sorts sur les poursuivants. La retraite s'imposait sous peine de subir de lourdes pertes. La guerrière protégeait la fuite pour garder en vie les compagnons moins résistants. Mais une question la turlupinait au point de la poser à ses ennemis.
Pourquoi nous avoir empêcher d'assassiner la démone? N'êtes-vous pas ennemis ?
Si les démons la révulsaient, les holdars l'intriguaient.
L'épaisse porte de bois de l'auberge de la Salamandre s'ouvrit bruyamment, laissant apparaitre une jeune femme aux traits durs et fatigués par les combats. Encrassée de la tête aux pieds par la boue, la sueur et le sang, elle avançait d'un pas furieux au milieu des clients attablés. Leurs cris et rires s'étaient tus à son entrée. Sans doute mesuraient-ils dans l'épuisement manifeste de l'arrogante commandante toute l'étendue de la menace qui avait failli s'abattre sur eux. Sur Kandrian.
L'avant-poste n'avait connu de tels troubles si près de ses hautes murailles de granite depuis longtemps. Des démons. Des holdars. Il n'en fallait guère plus pour réveiller les plus tenaces des peurs dans le cœur de la population. Mais la menace avait été repoussée. Et les excès de toute sorte avaient, alors, accompagné la liesse de la victoire.
Pour autant, Selinde ne se souciait pas de ces regards curieux et scrutateurs, et de ces murmures dont elle n'entendait s'il s'agissait de médisances ou d'éloges, qui l'escortèrent jusqu'au comptoir. Elle fulminait intérieurement, et cela se devinait extérieurement à l'insoutenable chaleur qui l'enveloppait. Sans attendre qu'elle s'installe, Vittorio lui avait déjà servi un verre. Habitué aux débordements de colère de la pyromancienne, le tavernier avait appris à anticiper ses demandes et apaiser ainsi ses ardeurs ravageuses.
« Félicitation pour cette éclatante victoire. » murmura-t-il à la sorcière, à présent accoudée au comptoir, qui éclata d'un petit rire nerveux.
« Mais quelle victoire ? » répliqua-t-elle sèchement en agrippant le verre qui s'enflamma immédiatement. Elle resta silencieuse un temps pendant que la flamme bleue répandait, peu à peu, les arômes de l'alcool dans l'air.
« Nous n'avons pas vaincu, nous avons survécu. Une nuance de taille, ne penses-tu pas ? »
Selinde se massa lentement la tempe gauche, cherchant à atténuer les bourdonnements encore incessants qui martelaient ses oreilles. Si elle n'avait miraculeusement eu à déplorer aucune blessure physique, les insupportables hurlements des skilithes résonnaient encore dans son crâne. Ses yeux se perdirent dans le vide quand elle commença à narrer les combats.
Elle raconta ainsi comment Vi'aria s'était, une nouvelle fois, manifestée aux abords de la forêt de Kandrian pour protéger l'Amiral Rajaat et ses acolytes, comment les armées démoniaques avaient rapidement déferlé sur les combattants, faisant quelques blessés graves avant que les renforts n'arrivent en nombre.
« Peu à peu, au prix de notre sang, nous avons repris le dessus. La Dame Infernale, elle-même, montrait quelques signes de faiblesse qu'il nous fallait exploiter pour la vaincre. Mais d'autres que nous souhaitaient profiter de cette occasion. Les Holdars sont apparus.»[b]
Elle but quelques gorgées avant de reprendre et lança un regard perçant au brave homme qui l'écoutait gravement.
[b]« Je n'ai pas honte d'avouer qu'à cet instant, j'ai eu peur en voyant ces êtres imposants dans leurs lourdes armures, faites de ce métal unique qui absorbe la magie. Très peur même. J'imaginais déjà notre fin à tous. Mais nous n'étions rien à leurs yeux. Ils n'étaient pas venus pour nous, mais pour l'achever, elle.
Ils ont lamentablement échoué dans ce projet. »
Elle continua son récit en décrivant la fuite de Vi'aria et de ses généraux vers le sud, pourchassés par ce qui lui semblait être un héros parmi les siens et quelques-uns de ses guerriers, et de la manière dont le Concordat en avait profité pour diminuer drastiquement les forces aussi bien démoniaques que holdars. Elle termina sur le Censeur s'écroulant sur l'herbe verte de la plaine, accablé de coups et de sortilèges.
« Une démone majeure en déroute… Et un chef holdar mort… N'est-ce pas ce que l'on appelle une victoire ? »
Selinde secoua la tête négativement, presque à regret.
« Je n'ai pas dit qu'il était mort, mais que je l'avais vu tomber sous nos lames.
Alors que l'orgueil nous a porté à poursuivre l'un de leurs illusionnistes qui se repliait vers Andoras grâce à une brèche dans la falaise, il est réapparu sous deux formes spectrales que nous avons rapidement dissipées. Ainsi, l'avons-nous réellement tué ? Je n'en ai aucune certitude.
Par contre, je sais qu'en pénétrant le territoire holdar, nous avons attiré un escadron bien plus important et redoutable. Que s'ils avaient eu d'autres intentions que de nous repousser, ils auraient marché sans effort sur Kandrian. Nous avons failli commettre l'irréparable.»
Vittorio garda le silence, comprenant enfin ce qui irritait réellement sa supérieure. Jamais ne l'aurait-elle avoué à voix haute, mais elle s'angoissait à l'idée d'une invasion holdar après avoir contemplé leur puissance. Il le comprenait à présent, elle éructait de sa propre faiblesse.
Soudainement, la sorcière se redressa et se retourna vers la salle bondée. Celle-ci avait repris une activité plus ordinaire et ripaillait gaiement. Elle déclara, couvrant le brouhaha de sa voix forte et autoritaire :
« Votre attention, s'il vous plait !
Toute personne capable de fournir à la Salamandre des informations sur la localisation d'un vieux temple ou sanctuaire, probablement abandonné et oublié aujourd'hui, en hommage à Edar le Juste, se verra offrir repas et boisson à volonté en ce lieu jusqu'à la fin de ses jours. D'avance merci pour votre collaboration.»
Selinde soupira et s'intéressa à nouveau à l'aubergiste à qui elle adressa un bref sourire entendu. Il recueillerait les renseignements pour elle, pendant qu'elle délasserait ses muscles endoloris par l'effort dans les vapeurs réconfortantes d'un bon bain.
Elle avait besoin de silence, aussi, si les séquelles des skilithes le lui permettaient. D'oublier ces derniers événements et les souvenirs qu'elle avait gardé pour elle, omettant volontairement la violence des combats. Les images des combattants happés par la souffrance et la douleur des malédictions holdars, celle d'Ekairos notamment, se tordant sous la torture psychique des mages masqués, demeuraient persistants dans son esprit.
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