Tant de droiture dans la perfidie
#1
¤ La rencontre se déroule plusieurs semaines avant la riposte contre les Trappistes et leurs alliés au Skovendor. Cendre vient de recevoir de Dione un présent et va provoquer une conversation inattendue... ¤



Conservez-là dans vos affaires. On ne sait jamais.

Le Chevalier de la Salamandre ne pouvait pas être plus énigmatique...
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#2
La Sentinelle fit tourner la rose à la boutonnière entre ses doigts, d'un air intrigué.

« Ce n'est pas la première fois qu'un homme me fait un cadeau et prend la fuite, mais ça m'étonne un peu de vous, Dione Belroza. »

Le sourire de Cendre était moqueur. Passé la surprise, il ne lui restait toujours que cet horrible petit minois narquois.

« Soyez un peu plus clair, qu'on ne tourne pas inutilement autour du pot. J'ai des choses bien plus urgentes à faire, et je ne doute que vous êtes un chevalier fort occupé. Alors... ? »

Elle lui montra la rose à la boutonnière.
Pour elle, ça ne pouvait signifier que quelques rares choses, et toutes étaient en rapport à la guerre sous-jacente qui se dessinait entre le nord et le sud.
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#3
Il lui rendit un regard sévère et distant. Quelque chose l'agaçait ou le préoccupait.

Faut-il donc toujours être efficace et direct en ce monde... Un tel pragmatisme m'ennuie.

Un sourire plus bienveillant se dessina lentement.

Ceci est l'une de nos marques de famille. Belroza, Bel-Rose, ..., soupira-t'il, avec peu d'affect pour le nom. Vous pouvez vous faire offrir un repas à Kandrian avec. Nous y avons quelques amis.

Sensiblement plus sérieux.
Ou autre chose, avec de l'imagination. Nous sommes joueurs et les règles sont dangereuses. Qui sait ce que la guerre nous réserve à chacun.
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#4
« La plupart des guerres sont l'œuvre de l'imagination. Le quiproquo est frère de la discorde. »

Voilà une rare chose qu'elle avait retenu de ses longues leçons sur les Arts de la Guerre à l'Académie d'Asteras. Les cours n'étaient pas ennuyeux, mais Cendre n'avait jamais eu l'âme d'une guerrière conquérante. C'était une érudit somme toute banale, avec pour seul objectif la recherche de la puissance… pour aucune autre raison que d'être plus forte. Pour être implacable, ce qu'elle n'était pas au fond.

La rousse eut un petit rire sincère à l'invitation, mais il sonnait quelque peu… amer.

« Je ne suis pas contre un repas, mais si c'est pour finir en face de mon frère, je préfère très sincèrement aller dans un petit bouiboui où je serais cent fois plus au calme. »

Un petit mouvement de main semblait vouloir dire qu'elle leur laissait Victor.

Elle allait faire un pas, mais s'abstint. Son regard mordoré brilla comme si quelque chose venait de lui passer entre les deux oreilles semi-pointues.

« Mais j'y penserais, chevalier Belzora. On ne sait en effet pas ce qu'il adviendra sous peu. »

La lettre de Seldzar avait été une nouvelle aussi exaltante que perturbante.
Cendre était sûre que quelque chose était en train de se tramer.

Elle hésita une seconde de plus, cherchant à savoir si sa vengeance serait plus savoureuse si elle venait à détruire le bonheur de Victor en face ou si elle serait plus douce encore apprise de l'oreille d'un proche.
Elle pencha pour la seconde solution et reprit :

« Ça me fait penser, Dione, si je peux me permettre » un sourire neutre se dessina sur ses lèvres pâles, « tu pourras apprendre à mon cher frère que ma mère est vivante. Elle se trouve en ce moment même à Cyrijäl auprès de la Reine Mélyriëlle. S'il s'intéressait encore à sa famille, je veux dire. »

Elle eut un sourire fier. C'était aussi savoureux qu'elle l'espérait.
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#5
Il écoutait la jeune femme en serrant avec application les lanières de sa cape, l'expression neutre. Levant des yeux placides vers elle quand elle s'exprimait, il semblait se préparer à partir.

Les dernières paroles semblèrent comme le sortir d'une rêverie.
Il était un parfum qui avait le pouvoir de captiver tout l'intérêt de Dione : celui de la haine. Il ne la regardait soudain plus de la même façon.


Vous le détestez tant.

Il se tourna vers elle. Une gravité sinistre venait de s'installer. Le chevalier devant elle n'exprimait plus aucune désinvolture qu'elle pouvait lui prêter de réputation. D'une façon ou d'une autre, il avait comme enlevé un masque de comédien suite à quelque chose qu'elle avait dit.

Sa présence ne vous sera pas infligée, alors. Notre clan a le sens de l'accueil.

Il semblait à son tour prendre le temps de se souvenir.

L'honneur aurait voulu que je prenne ma vengeance sur votre famille, savez-vous.

Léonide conspirant dans les couloirs de la forteresse de Skovendor pour que nos adversaires exécutent ma soeur.

Victor espionnant sa convalescence et usant de drogues pour la séduire, l'entraîner dans une relation humiliante et immature.

Certains sous-estiment gravement les conséquences de leurs actes. On oublie les brasiers dans des silences coupables. Vous semblez bien le savoir.


Il croisa les bras dans son dos. On entendait la torsion du cuir de ses gants.

Quelque chose pourtant, après que je me sois informé sur votre famille, a retenu mon geste. Cela m'a même inspiré de la peine.

Il était absolument sincère, sans l'ombre d'un doute. Cela rendait peut être la chose encore pire à entendre.

Rien n'y reste à détruire. Tout est déjà en ruines.
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#6
Le sourire de Cendre s'estompa doucement.
De la jeune fille insouciante et moqueuse il ne restait qu'une dame plus noble mais plus austère aussi. Une âme plus vieille piégée dans ce corps ridiculement petit, coincé dans les âges, coincé entre deux réalités. Le monde des elfes ne lui avait rien apporté qu'une éternelle jeunesse et qu'une infinie peine. Le monde des hommes, lui, ne lui avait rien offert qu'un tas de braise.
Après son triste monologue, il ne restait rien de Cendre que l'image d'une femme – et non plus d'une enfant – dont le regard était plus terrible que celui d'un dragon.

Après un instant de silence, elle osa finalement un sourire. Il était cruel ce sourire, mais elle ne s'était jamais targuée d'être bonne et délicate.

« On m'a affublée de ce nom, Cendre.
Et c'est bien tout ce qu'il restait de ma famille à ma naissance. Ma mère était visiblement visionnaire et aveugle à la fois. »


Un petit rire sardonique ponctua sa phrase.

Du bout de ses doigts elle mit la rose à son col avec une certaine délicatesse.
Son air posé tranchait avec la gravité de la discussion, lui donnant un air détaché. Elle avait l'air consciente des choses, mais elle avait aussi accepté. Elle n'avait pas baissé les bras, elle s'était seulement rendue compte qu'il y avait des choses contre lesquelles il ne servait tout bonnement à rien de lutter.

« Vous savez ce qu'on dit : on choisit ses amis, pas sa famille. Nous aurions pu être heureux si nous avions tous été plus honnêtes, si certains membres de ma famille n'avaient pas emprunté des chemins égoïstes et obséquieux. S'ils avaient fait honneur à leur condition de privilégié plutôt que de satisfaire leurs instincts primaires. S'ils avaient au moins mérité leur rang. »

En cela, elle parlait autant de Victor et que de Léonide. Le charmeur et l'alcoolique. Son ton d'ailleurs était monté d'une petite octave sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle l'avait peut-être accepté, mais pardonné était encore autre chose.

« Je suis la dernière braise, je le crains.
Victor n'a jamais été que du charbon. Son éducation l'a refroidi trop vite dans ses élans ; Lazare aura toujours une autorité divine sur lui. »

Elle remit en place une mèche de cheveux alors qu'une légère brise glaciale se levait.
« Si vous voulez en finir avec cette famille, c'est moi qu'il faut éteindre.
Pour qu'une terre meurt définitivement, la laisser brûler jusqu'à ce que les cendres recouvrent tout ne sert à rien. Au contraire, cela permet de fertiliser à nouveau ce qui était jadis boiteux et agonisant.
Mais je ne vous apprends rien, chevalier Belroza.
Et c'est aussi pour cette raison que vous ne ferez rien contre Victor ou Léonide. Vous savez qu'ils ne sont que des troncs morts, rongés par la maladie. »


Pour une rare fois, elle parlait ouvertement de cette rage qui la rongeait. Cela ne lui faisait pas peur. Lenwë savait déjà ce qu'elle pensait d'à peu près toute sa famille. Seule Lirulìn lui apportait un réconfort, et la savoir vivante renforçait encore cette rage vengeresse, cette rancœur face à l'injustice et la trahison.

« Je me demande juste pourquoi vous vous embarrassez d'un tel poids. Victor est plus pesant qu'un cheval mort. Que je le supporte s'entends encore – je suis sa sœur – mais vous… vous en particulier, Dione Belzora ? Pour votre sœur ? N'avez-vous pas peur que Victor éteigne tout d'elle ? Je sais selon les rumeurs qu'elle brûle d'un feu crépitant. Ce serait du gâchis. »

Son regard s'était fait plus perçant, à la manière des chats.
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#7
L'influence de votre frère rend ma soeur incroyablement terne et sans relief.", dit-il sur un ton inchangé. "Ses émotions flamboyantes s'estompent pour laisser la place à une femme banale, enchaînée à une romance naïve, si naïve. Selinde possède l'âme d'une conquérante, que ses sentiments pour Victor détruisent.

Il arborait la moue consternée d'un artiste insatisfait par son œuvre.

Il s'en est manqué de peu que je ne décide d'en terminer avec lui, lorsqu'après avoir été rappelé à l'ordre par notre Commandante suite à une arrogance de trop, il s'avisa de lever la main au-dessus d'elle pour la frapper. Aurait-il poursuivi son geste...

Dione soupira en étirant un rictus, sans finir la phrase.

On n'interfère pas si aisément dans une relation toxique de ce genre. Je devais faire en sorte que l'instinct de Victor pour détruire des familles ne s'étende pas à la nôtre. Une erreur de jugement de ma part y aurait contribué... Il me fallait me tenir aux côtés de ma soeur, continuer à lui porter conseil et assistance, et avoir de la patience. La décision de rompre ne pouvait venir que d'elle.

Il sembla remarquer qu'elle avait attaché la rose d'une façon visible. La tension s'estompa un peu et le geste parut lui faire plaisir, mais il n'en dit rien.

Aujourd'hui, elle exige de lui qu'il se comporte envers la Salamandre comme un aristocrate se doit de le faire. En tenant la dignité de son rang, sans pour autant nous manquer de respect. Tant que la situation en reste là, nous devrions éviter d'en venir à la violence entre nos familles.

Ses yeux se mirent à vagabonder sur le territoire d'Yris. Ils trahissaient un mélange de contrariété et d'inquiétude. Dione se fiait plus à ses intuitions qu'à sa logique. Ce qu'elles lui évoquaient en ce moment ne lui plaisait pas.

Vous savez... Je doute que les choses dans notre royaume s'arrangent. Le nord nous menace plus que jamais, rongé par des maléfices que nous n'avons encore élucidés, et notre souverain semble absent, silencieux alors que les frontières s'embrasent. Même les dieux ne doivent plus beaucoup nous aimer. Nous sommes en grand danger. Il leva légèrement le regard vers le ciel en disant cela.

Au sein de notre ordre, nous sommes préparés à avaler quelques couleuvres. La nécessité l'impose et nos origines nous ont appris à faire avec pour survivre. Je suis donc incliné à agir pour renouer des liens, et vous comprenez bien que c'est pour cela que nous avons cette conversation. Seulement, comment accorder notre confiance aux Sentinelles, après les évènements passés? Il faudrait l'assurance qu'elles soient commandées par quelqu'un qui ne fera jamais défaut à ses alliés.
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#8
« C'est l'effet que fait Victor aux femmes » s'amusa tout bas Cendre, presque en un murmure.

Elle reprit un air plus sérieux, laissant le vent glissait entre ses longues mèches. Elle jeta un regard à la plaine, imitant le regard vagabond de Dione. Il faisait un peu plus frais tout d'un coup, ou était-ce seulement une impression ?
Cendre fut la première à reposer son regard sur le chevalier, le détaillant cette fois avec une certaine intensité. Difficile de savoir pourquoi. Ça ne ressemblait en rien au regard des courtisanes ou des jeunes pucelles. Peut-être simplement à celui d'une femme curieuse et intriguée.
Elle ne pipa mot et l'écouta attentivement. Son visage rond, presque poupon, lui donnait des airs de collégienne.

« Vous n'accorderez jamais votre confiance. »

Elle eut un petit sourire doux et sincère.

« Que ce soit dans la rue comme dans les châteaux, une seule règle permet aux plus malins de survivre. C'est de garder leur confiance pour eux-mêmes. Vous ne me la donnerez jamais vraiment, et vous n'aurez jamais la mienne. »

Elle haussa dans les épaules avec un petit sourire mutin et malicieux, passant ses doigts sur la rose.

« Cependant, Elena est une militaire intelligente. Elle fait bien moins confiance en mon ivrogne d'oncle qu'en moi. De même, Lenwë est enclin à me faire confiance. A nous trois, nous sommes comme une flèche, toujours de l'avant, incapables de reculer. Nous nous sommes montrés à Tilador. Nous avons perdu la ville, mais pas notre honneur. Et nous nous montrerons dès que les terres du Concordat sera menacé. Nous sommes dans une période difficile, vous le savez, vous le sentez aussi. La colère gronde dans les rues. Il ne fait pas bon d'être isolé. Il faut des alliés. Les sauvages du nord ne se posent pas autant de question que nous. »
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#9
Il acquiesça lentement, ne manquant rien de son regard soutenu. La sien était redevenu plus terne, dépourvu de la haine qui y avait siégé quelques instants. Ce Dione là semblait désincarné, comme si sa substance brûlante lui avait été arrachée depuis fort longtemps pour ne laisser place qu'à une âme opaque, une surface calme qui devait bien cacher quelque monstruosité. Pour autant, elle mesurait fort bien qu'elle avait toute son attention, et qu'il ne perdait rien de ses attitudes, ni de ses paroles. Il lui retournait cet intérêt sans aucune pudeur.

Beaucoup de ceux que j'ai rencontré s'interrogent peu ou mal. Nous aurions pu renverser leur tyran en rapprochant nos forces, mais leurs actes obtus ont rendu toute coopération inconcevable pour le moment. Qu'importe les batailles que nous avons perdues et celles que nous perdrons. Nous finirons par prévaloir sur leur approche brutale et insensée de la guerre...

Un silence.

Si seulement nous avions un souverain en mesure de gouverner. J'aimerais songer à nos actions dans le Nord mais les affaires internes semblent plus critiques encore. Notre royauté demeure trop silencieuse au regard des évènements pour qu'il ne soit pas advenu quelque chose.

Il posa ses mains sur ses hanches en prenant une inspiration, avisant la jeune femme.

Je vais devoir vous laisser pour m'occuper des affaires de notre ordre. Cette conversation m'a finalement amené plus loin que je n'avais envisagé avec vous. A bien des égards. Vous avez raison concernant la confiance, et pourtant, je me suis montré à vous sous un jour que je préfère d'ordinaire garder pour moi. J'espère que vous ne me le ferez pas regretter... Vous êtes quelqu'un que j'apprécierais mieux connaître et fréquenter à l'avenir.
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#10
Un long silence passa, mais pas assez long pour que Dione ne s'éloigne vraiment.
Elle le fixait, l'air un peu songeur. Elle fit tourner deux fois sa bague autour de son doigt, signe de nervosité tout à fait flagrant, avant de reprendre, suspendant de nouveau le temps autour d'eux :

« Je ne devrais pas, mais… » Un petit sourire se figea sur son visage, authentique fragment d'un caractère bien trempé pour une gamine de la haute, « pour ne rien vous faire regretter, et puisque je suis née avec les oreilles plus longues que la moyenne, il se raconte en ce moment dans les couloirs d'Yris que le roi est mourant. Peut-être même qu'il serait mort mais qu'avec les attaques répétées des agars, on se servirait de son âge avancé comme excuses, pour ne pas inquiéter la population, pour ne pas que les ennemis en profitent aussi. »

Elle glissa son doigt sur la rose offerte plus tôt, d'un air songeur. Un regard vers le nord, toujours fade :

« J'ignore ce qu'il en est vraiment mais je me rends à une soirée dans quelques jours. Je reviendrais vers Kandrian peu après. Nous pourrions nous recroiser à l'occasion d'un dîner, avec ou sans votre sœur, sans mon frère bien entendu. »

La rancœur pouvait empoisonner n'importe quel cœur, mais il y avait quelque chose de beau à voir les yeux de Cendre brillaient d'une lueur sauvage.

« D'ici là, puisque vous vous êtes dévoilés, vous pouvez me tutoyer. Si on doit se fréquenter, c'est la moindre des choses. »
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