[RP] Terrible sarabande
#1

(Musique)

La bise fraîche d'un été mesuré parcourait dès le crépuscule la plaine de l'Erioss jusqu'à Galär. Ni Asteras, ni Yris n'étaient épargnées. Les pays grelottaient, les yeux rivés au nord, dans l'attente de quelque chose, d'un signe ou d'un mouvement. Pour certains ce n'était que le glas mordant, pour les autres, le claquement de leur dent était surtout la signe de la peur qui grandissait.
Pour Cendre, emmitouflée dans sa cape en laine brodée, ne tremblait quant à elle pas d'un poil.
Seule en déplacement à Yris, la trésorière des Sentinelles s'était arrêtée dans une auberge de moyenne envergure. « Au Cochon Rond ». C'était un établissement modeste et calme, de petite réputation. De son regard toujours curieux, Cendre avait parcouru les rares clients qui étaient encore là. Elle s'était faite la réflexion que les gérants devaient douloureusement gagner leur vie. Peut-être même que la femme derrière le comptoir était seule pendant que son mari était ailleurs, à la cueillette du bon raisin talien. Les vendanges se finissaient d'ici deux semaines à ce qu'elle avait entendu. La récolte avait été bonne et la fête de la Saint Martin ne saurait tarder à faire résonner toutes les chansons grivoises entre tous les murs de Galär.
Elle rentrerait peut-être dans la maison qu'elle habitait encore, une fois dans l'année, celle qu'on avait jadis laissé à sa mère – une magnifique longère et quelques dépendances. Cendre était née là-bas, dans le lit conjugal. C'était peut-être la raison pour laquelle son père n'y avait plus jamais mis un pied.

« Vous désirez quelque chose, ma Dame ? »

Les yeux mordorés de la jeune fille se posèrent sur l'interlocutrice qui venait de la tirer de ses pensées. Elle serra contre elle le livre de plus en plus lourd qui ne la quittait jamais.

« De quoi boire et manger. Quelque chose de léger. »
« Du vin ? »
« Un bon vin. Le meilleur. »
« Aucun vin que je possède ne serait assez bon pour vous, ma Dame. »
« Le meilleur que tu possèdes fera l'affaire. Je n'en dirais que du bien. »


La tavernière esquissait un sourire ravi mais mielleux.
Cendre ne sembla pas réagir et prit une place dans une table au fond, loin des regards indiscrets. Elle retira à l'occasion sa lourde cape carmin, la repoussant de sur ses épaules. Elle portait une simple chemise de laine, serrée par un bustier bas de cuir noir. Un pantalon de cuir bouilli sobre mais efficace. Elle ne portait pas sa robe enchantée, ce qui signifiait qu'elle n'avait pas prévu de rejoindre le front, ni qu'elle en revenait.

Elle était en « vacation ». Seule, et en paix.

Soupirant à l'idée, elle imagina ce qu'était en train de faire Lenwë. Il avait insisté pour retourner à Cyrijäl le mois passé. Elle avait refusé. Elle ne voulait pas revoir cette cité qui lui rappelait sa mère. La capitale des elfes des neiges était à l'image de Lirùlin, blanche et sereine. Un petit havre de paix entouré par des enfers froids. Des enfers glacés, même.
La tavernière arriva et déposa le plateau bien garni qu'elle avait préparé à son invitée de marque. Cendre la remercia pour le geste et ne fit aucun commentaire sur ce qu'elle avait cru commander en premier lieu, à savoir quelque chose de « léger ».
Elle refusa d'un petit geste de la main qu'on ne lui serve du vin et préféra le faire d'elle-même. Pendant ce temps, elle replongeait dans ses pensées. Lenwë à Cyrijäl. Il n'avait pas donné de nouvelles, mais devait être à peine aux portes tant le voyage était long et pénible. Le chemin jusqu'au nord était dangereux.

En avisant son verre cramoisi, elle se demandait si elle pouvait survivre à une seconde perte de grande ampleur. Quelque chose de terrible. Elle fronça légèrement les sourcils et estima qu'elle le pouvait.
Quelques minutes plus tard, elle se peignit d'un petit sourire en se faisant la remarque qu'à l'heure tardive qu'il était, Lenwë était peut-être dans les bras d'une demoiselle exquise. Elle en nourrissait une certaine jalousie, mais aucune haine. Elle aurait aimé qu'il soit là, juste au moins pour avoir un peu de conversation.

Et c'est justement à ce moment là qu'un garçon d'une dizaine d'années, un coursier, entra dans la Taverne. Le petit bonnet sur le haut de sa tête était troué à plusieurs endroits et son visage souillon lui donnait des airs de Gavroche indomptable. Cendre eut un sourire moqueur, mais il s'effaça doucement quand le gamin s'approcha d'elle. Ses yeux se firent perçants et elle étendit sa main sur la table.

« Dame Meneldä ? »
La talienne fut surprise. Elle haussa d'ailleurs un sourcil, un peu confuse.
« Je-Votre oncle m'a dit que je vous trouverais ici. J'ai… ça, pour vous » dit-il, tendant avec hésitation un courrier scellé d'une cire bleue.
« Je te remercie. »
Elle attrapa la lettre, la fit tourner pour découvrir le sceau de Cyrijäl. Au vu de la cire, ça ne pouvait pas mentir. Elle l'ouvrit, en tira la lettre, avant de remarquer que le gamin n'avait pas bougé d'un pouce.
« Tu as faim ? »
« Oh..Oh oui ma Dame ! »
« Bien, alors mange. »

Elle repoussa le plateau, ne gardant que le vin à sa portée. Le garçonnet s'installa sans gêne et sans crainte à sa gauche et fut bien trop absorbé par avaler un maximum de chose de la plus sale des manières pour faire attention à la sorcière.
Cendre ouvrit le courrier et pencha la tête.

La lecture la laissa abasourdie.
Elle se sentait comme… prise entre deux étaux. D'un côté une joie immense, celle d'avoir retrouver sa génitrice et la seule personne qui ne l'ait jamais aimé (en dehors de Lenwë), et de l'autre, une douleur affreuse qui lui remuait déjà les boyaux. Comment… Pourquoi ? Après tant de temps ? Après tant de larmes, de crises, d'envies d'en finir… ? Après… l'acceptation ?
La sorcière serra d'un air terrible la lettre qui aussitôt s'enflamma. Le Gavroche sursauta, tirant vers lui le plateau par instinct, et jeta un regard affolé à la jeune femme.
« Est-ce que ça va, ma Dame ? »
Le regard d'or de la talienne se planta sur le gamin, ne désirant qu'une chose à ce moment, le crucifier sur place. Mais elle ne fit rien. Elle resta comme ça, quelques secondes qui parurent des heures entières au gamin.
Puis finalement, petit à petit, son regard se mit à briller et son sourire à s'étirer d'une bien cruelle façon. Le garçon se mit à sourire bêtement aussi. La sorcière se mit à rire, d'un rictus qui sonnait comme un tremblement venu des enfers – quelque chose de sinistre et d'inquiétant. Lui aussi se mit à rire, mais sa voix grelotait comme tous les citoyens d'Yris ce soir-là.

« Ma… Dame ? »
« Tout va bien » répondit Cendre en se calmant doucement, lui tendant par la même occasion une grosse pièce d'or qui aurait fait au gamin le salaire d'un mois de travail, « comme dans le meilleur des mondes. »

Elle eut un nouveau petit rire narquois et finalement, elle le noya dans le vin de sa coupe.

Répondre


Atteindre :