Retour à la confrérie du griffon
#1
La ville haute. Des bourgeois couverts de bijoux, des nobles enfarinés, quelques érudits encombrés de parchemins et deux trois mages égarés dans leurs arcanes. Tout ce petit monde s'écartait bon gré mal gré dans le sillage de Léonide.

L'armure y était pour beaucoup, la rigidité du métal et l'élan avec lequel Léonide marchait continuellement offraient une perspective violente à ceux qui voudraient rester immobiles dans son axe.

Le sang séché qui maculaient encore ses armes et ses jambières y était aussi pour quelque chose. L'hémoglobine offrait un spectacle peu ragoutant et avait fait blanchir les visages de quelques âmes sensibles parmi la foule.

Le vieil homme rentrait tout juste de mission, plus d'un mois s'était écoulé durant lequel il avait suivi une expédition initiée par les Sentinelles afin de reprendre la forteresse du Skövendor, avec l'aide d'autres volontaires.

Sans prendre le temps de rentrer à la villa des ronces (son charmant domicile), Léonide avait pris la direction de la confrérie du griffon pour y faire un rapport immédiat. Il y a quelques dizaines d'années, Léonide aurait d'abord visité sa demeure pour y embrasser son épouse, mais aujourd'hui, plus personne ne l'attendait dans la villa déserte.

Quelques gardes avaient installé poste de contrôle à l'issue d'une grande rue fréquentée. Sans ralentir le moins du monde Léonide approcha et salua les soldats.


- Comment vont les frères Virel ? Toujours endetté jusqu'au cou ?

- Et toi Peris, nous devons encore finir notre partie de cartes. Espères-tu que j'ai oublié ?


Sa voix résonnait forte et grave comme un roulement de tambour. Elle passait pardessus de toutes les conversations et autre protestation des badauds.

Après quelques échanges de politesses, il avait traversé le poste et arriva face au siège de la confrérie du griffon. Vaste bastide fortifiée en forme de U, parcouru en permanence par des centaines de soldats, de capitaines, de machines de guerre et autres chariots de ravitaillement, tous marqués par le symbole du griffon.

Il n'entra pas par la porte principale de l'édifice, celle-ci trop encombrée par les jeunes recrues et les civils qui venaient présenter leurs doléances aux officiers de quart. Préférant s'offrir le luxe d'emprunter la porte réservée aux paladins nommés, il se glissa alors vers une allée secondaire, plus discrète, mais assez large pour laisser passer tous les gabarits d'armure.

L'allée n'était pas couverte et seules quelques vieilles toiles tendues épargnaient à ceux qui l'empruntaient d'être aveuglés par l'astre du jour. Les murs eux étaient couverts de maximes sobres et martiales tels que « Les guerres sont gagnées sur les champs d'entrainement, pas sur les champs de bataille » ou encore « des moutons dirigés par un lion sont plus redoutables que des lions dirigés par un âne », brutalement gravé à coups de burin au cours des générations par les divers chevaliers ayant servi sous la bannière du griffon.


- Mot de passe.

Au bout du couloir, une lourde porte de bois barré d'épais barreaux. Une ouverture grillagée permettait à celui qui se tenait de l'autre côté de contrôler les identités en évitant toute éventualité de flèche dans l'orbite. Léonide fit une moue et soupira.

- Il n'y a pas de mot de passe, Nobiel, espèce de gros imbécile, ouvre donc cette porte.

- Alerte ! Les Agars attaquent la confrérie !

Quelques rires éclatèrent derrière la porte après cette tirade de toute évidence prononcée sans le moindre sérieux. Le vieil homme plissa les yeux pour essayer de voir au travers la grille. Ce n'était pas le premier à s'être moqué du casque nordique qu'il avait finalement décidé de porter.

- C'est bien, tu as bien rigolé à présent. Maintenant, ouvre cette porte où par Edar je te traine derrière mon cheval jusqu'à Asteras et même ta sainte mère ne pourra pas faire la différence entre ta charogne puante et le cul d'un sarautarque.

Le verrou sauta et la porte s'ouvrit dans un silence de mort. Léonide apparu sur le seuil, poussant le bois la porte avec celui de sa lance, cherchant du regard le dénommé Nobiel. Puis un sourire apparu sur ses dents, un sourire bon enfant et chaleureux.

- Crétin écervelé.

Et la tension retomba dans des éclats de rire.

Léonide passa alors quelques heures dans ces quartiers réservés aux paladins. Il prit un bain, lava son armure, ses armes et changea de vêtements. Ensuite, il tailla sa barbe et sa moustache, rédigea quelques notes à partir de plusieurs parchemins qu'il avait recueillis, fuma une pipe, puis une seconde, dévora une miche de pain, refusa une partie de dé, lustra une dernière fois son équipement comme on lui avait appris lorsqu'il n'était qu'un simple écuyer et quitta enfin les quartiers.

Il était temps de rejoindre ceux de sa responsable hiérarchique, Evaline Luciferi.

A nouveaux pris dans la foule de la soldatesque, Léonide se fraya un passage (de manière nettement moins évidente qu'en rue) vers le bureau de la redresseuse de tort. Il passa à côté des cours d'entrainement où des officiers de recrutement criaient des ordres aussi répétitifs qu'abrutissants.


- Debout ! Coucher ! En garde ! Coucher ! Assis ! Trois tours du terrain !

Il avait un peu de pitié pour tous ces bougres qui commençaient la vie de soldat, ce n'était clairement pas la période la plus palpitante qu'ils connaitraient. Avec un peu de chance, ils seraient peut-être sur le terrain dans quelques mois et auront de meilleurs adversaires que de ridicules mannequins de bois.

Léonide arriva enfin à destination. Il déposa ses armes et son bouclier dans un râtelier prévu à cet effet, à quelques encablures de la porte du bureau et s'adressa aux deux écuyers qui étaient de faction devant celle-ci.


- Vous pouvez annoncer à Dame Luciferi que le Chevalier Léonide Di Scudira est de retour pour lui faire son rapport.
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