Les chroniques éternelles : récits du temps des Elfes - Prologue
#1
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Citation :Ere antique – an 690
Le noble Eriossar d'Alcascyr repousse une horde de monstres venus des marais Tenagos. Salué par la foule, il est couronné premier roi d'Asteras.
1 - L'ouïe

Rien ne peut bouleverser autant les sens d'un être que sa présence sur un champ de bataille.
Le bruit assourdissant des armes qui s'entrechoquent, des lances qui volent en éclats, des boucliers qui se brisent et des os broyés, rien d'étonnant à ce que ce jeune elfe se tienne la tête à deux mains, tentant vainement d'atténuer le vacarme ambiant.

Des cris furieux des assaillants, jusqu'aux borborygmes infâmes des monstres agonisants tout avait de quoi l'impressionner, lui qui participait à ce qu'il convenait d'appeler l'assaut final des monstres de Ténagos.

- Bouge de là trouffion !, lui asséna un capitaine au casque conique étincelant. Prends ces flèches et va les apporter aux archers en haut de la colline. Et, constatant le regard inquiet de l'intéressé il ajouta d'un ton péremptoire : IMMEDIATEMENT !

Le teint diaphane du nouveau s'altéra encore un peu plus. A l'arrière de la mêlée il avait déjà du mal à supporter la violence de la lutte qui se déroulait devant lui. Alors traverser un champs de bataille infesté des créatures les plus viles que cette terre ai sans doute jamais portée lui semblait infaisable.

Regardant autour de lui les yeux déjà embués de larmes, il cherchait désespérément un endroit ou fuir, quand un coup derrière son crâne vint faire sauter son crâne mal ajusté. Les lignes reculaient, sous les coups de boutoir d'un lézard d'environ 3 mètres de haut, et un lancier venait de le percuter de l'arrière de son arme. Prenant conscience de la proximité actuelle du danger, il ramassa vivement sa calotte de cuir, prit un fagot de flèche sur le chariot à côté de lui et couru à toutes jambes au travers des lignes de bataille, cherchant autant à fuir l'instant présent qu'à accomplir sa mission.

Un cor de guerre sonna une nouvelle charge de l'armée elfique, il baissa la tête et accéléra encore. Il ne savait même pas s'il prenait la bonne direction mais il courait, plus vite qu'il ne l'avait jamais fait. Qu'est-ce qui pouvait préparer un individu à vivre une telle situation ? Rien sans doute. Ce qu'il faisait là n'avait aucun sens, mais il ne pouvait plus rester immobile. Il leva la tête et vit autour de lui les casaques opaques des cohortes noires d'Erios. Il avait déjà entendu de parler de ces phalanges composées de guerriers-mages issus des plaines du nord-ouest d'Astéras, mais les voir à l'oeuvre était une toute autre histoire. Alliant maîtrise de leurs lames et maîtrisent des éléments, ils alternaient l'usage de l'un et de l'autre pour faire reculer l'ennemi et le terrasser du même coup. L'élégance qui se dégageait de cette scène n'avait d'égal que la cacophonie ambiante qui régnait, mélange d'incantations brèves et subtiles, alliées à de puissants coups de lames venant trancher les chairs, faisant s'échapper les pires grognements des gueules adverses.

Serrant plus fort que jamais son paquetage, il traça néanmoins son chemin vers sa destination. Les circonvolutions du novice ne semblaient perturber en rien les combattants aguerris qui se trouvaient sur sa route. Mais l'incroyable se produisit alors, des tentacules géantes sortirent de terres et mirent à terre un à un ceux qui l'entourait, une gigantesque mâchoires fit son apparition comme sortie tout droit des entrailles du marais. Les combattants étaient engloutis un à un, les plus chanceux restaient étourdis par cet assaut aussi violent que soudain.

Le jeune elfe se mit à son tour à crier, le premier son qu'il émettait depuis le début de la bataille, puis se tut sous l'impact d'un des appendices noueux du monstre. Projeté à terre, mais pas assommé, il rampa au sol, cherchant à se relever mais perdant ses appuis à chacun de ses pas. Il se retourna, comme appelé à sa propre mort, le temps d'apercevoir les crocs acérés de l'ignoble créature prêts à le déchiqueter.
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#2
2 -L'odorat

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Surplombant les marais, le général observait ses troupes à l'assaut des orcs et autres créatures pestilentielles qui peuplaient ce marais. Cette bataille, il le savait, était le prélude nécessaire à la construction d'un avenir plus grand.

L'unité par le sang, l'unité dans le sang.

Eriossar en avait conscience, la victoire était adossée à l'unité que saurait afficher son peuple. Depuis des siècles, ils peuplaient Ecridel, mais les clans étaient trop nombreux, et leurs rivalités aussi longues que leurs existences. Pour forger l'unité nationale, il fallait un ennemi commun. Le mourir ensemble, comme prélude au vivre ensemble, c'est ainsi que le pragmatique soldat qu'il était concevait cette guerre.

Mais il ne pouvait laisser sa vision du futur des elfes, prendre le pas sur l'instant présent. Si ces monstres avaient choisi cet endroit précis pour mener la bataille finale, ce n'était certainement pas un hasard. Rien n'était un hasard.
Observant les colonnes elfiques s'articulant dans un concert encore inconnu ou chaque famille, chaque région, arborait une couleur distinctive, il arrêta son attention sur les solistes de son orchestre.

Les légions noires d'Erios ne faillissaient pas à leur réputation. Leur organisation était un modèle du genre. Avec méthode, ils défaisaient les lignes ennemies avec une facilité déconcertante, progressant de plus en plus rapidement vers les lignes arrières où se tenaient les shamans adverses. Si Eriossar les avaient placé à cet endroit, au centre de la bataille, ce n'était pas un hasard, il fallait que l'armée ennemie soit divisée en deux. Supérieure en nombre, il fallait dissoudre son avantage dans la boue soufrée de cette morne plaine.

A plus d'un titre leur réussite serait celle de leur peuple. Leur dévouement, un modèle dont pourrait s'inspirer toute une génération pour nourrir sa ferveur. L'énergie qu'ils déployaient, et l'aisance avec laquelle ils progressaient, portait déjà à ses narines le parfum la victoire.

Mais à la guerre, la stratégie n'a de valeur que celle des hommes qui la porte. L'air se chargea soudainement d'une brise asphyxiante. Des profondeurs du marais surgit une immense créature tentaculaire, chariant avec elle toute la fétidité contenue en Ténagos. Ses appendices noueux s'excavèrent de la boue à une vitesse incroyable, fendirent les cieux dans toutes les directions, et frappèrent au hasard la foule assemblée.

Voilà où voulait en venir l'ennemi. Réveiller un monstre séculaire, par le vacarme des armes, l'odeur du sang ou la magie de leurs sorciers, et l'amener à combattre pour eux.

En quelques secondes, Eriossar voyait le cours de la bataille basculer. Ses troupes d'élites volaient dans les airs tels des fétus de paille sur les plaines de Galär. Ne sachant où attaquer, ne pouvant reculer ou s'organiser, les guerriers elfiques ne parvenaient à endiguer la progression de la créature.

A la vitesse de l'éclair, le généralissime elfe brandit sa splendide lame de mithril pur, une immense épée à deux mains, dont la légende dit qu'il pouvait la manier d'une seule.
Sa voix retentit comme le vacarme du tonnerre, lorsqu'il fit se cabrer sa monture et ordonna à sa garde rapprochée : POUR ASTERAS !!!

La colline vrombit sous l'impact de la charge des cavaliers elfiques. Une odeur flagrante d'ozone fondit sur le champ de bataille, la foudre allait s'abattre sur les ennemis des elfes.
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#3
3 – Le goût

La cavalerie du général fondit sur le monstre tel l'aigle aux serres déployées sur sa proie. La garde rapprochée d'Eriossar était constituée des meilleurs guerriers d'Ecridel, surnommés les lions d'Astéras. Ce petit groupe d'elfe était le fruit de ce que des siècles d'élitisme pouvaient produire de meilleur, tant leur maîtrise des arts de la guerre était aboutie.
Pourtant, depuis plusieurs décennies maintenant, ces fiers combattants, issus des quatre coins du monde connu d'alors, avaient été réduits au rôle de simples spectateurs des luttes de leur peuple. Au service d'une aristocratie qui n'avait su s'organiser afin de défendre l'intérêt commun, ils étaient, en tant que gardes d'Astéras, le dernier rempart d'une caste de nantis sans ambition.

L'ascension d'Eriossar avait été perçue comme l'éveil d'une lumière incandescente venant chasser l'ombre dans laquelle ils se terraient depuis trop longtemps. Sa fierté contagieuse avait rendu leur vigueur à ces hommes oubliés sous les alcôves porphyriques de la cité blanche.

Fort de leur appui, il avait su convaincre les plus récalcitrants des nobles d'adhérer à son programme d'envergure : faire du peuple des elfes la puissance hégémonique d'Ecridel, bâtir une nation, fonder un empire.
Mais ce processus était douloureux, qualifié d'autocrate par les uns, déifié par les autres, sa stature seule ne suffisait pas à asseoir sa légitimité. Il lui fallait des victoires et le prestige qui les accompagnait pour sceller chaque pierre de l'édifice étatique qu'il se faisait un devoir de construire.

La garde du lion était là pour ça.

Leur charge héroïque avait eu raisons des quelques orcs qui avaient profité de cet instant de flottement pour atteindre les lignes arrières des elfes. Mais rapidement, il fallait mettre pied à terre pour atteindre leur objectif au cœur de ces marais.
L'immense créature qui leur faisait face défiait l'imagination. Aucun vent ne saurait le souffler hors de ces marécages, son envergure gigantesque rendait impossible un quelconque contournement, il fallait la vaincre le fer à la main.

Prenant la tête de la troupe assemblée, Eriossar par son attitude galvanisa ses hommes qui s'organisèrent derrière lui. Les porte-boucliers se placèrent au premier rang, le second rang était composé alternativement de guerriers armés de lourdes haches et marteaux, tandis que le troisième était composé de lanciers aguerris. Ils se mouvaient ensemble telle une colonie d'insectes mus par l'instinct. Dans un étrange ballet, redoutable et fascinant, de pelisses léonines immaculées, ils progressèrent en direction du centre du conflit.

A leur suite, les soigneurs s'occupaient de relever les blessés et de transporter les tués, pendant qu'ils contraient avec méthode les assauts furieux de la bête, tantôt esquivant ses tentacules, tantôt les frappant du tranchant de leurs armes et parfois encaissant en commun ses coups de boutoir répétés.

Mais combien de temps pourraient-ils tenir à ce rythme ? Sauver les leurs était une chose, vaincre ce monstre en était une autre. Eriossar perçu un goût métallique dans sa bouche, cette sensation lui rappelait qu'il était vivant. Il avait, à cet instant présent, la pleine certitude d'être là où il devait être, que son destin s'accomplirait ce jour ou ne s'accomplirait pas. Ce goût serait-il celui de la victoire, ou bien un prélude funeste à l'amertume de la défaite ? Quel qu'ait été son sentiment profond il avança irrémédiablement, l'épée à la main, vers son destin et celui de son peuple.

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#4
4 - La vue

L'obscurité organique qui enveloppait l'elfe siphonnait ses sens chahutés par le chaos antérieur.

Engloutie dans les tréfonds poisseux et morbides de la créature, sa vie glissait le long d'un tube digestif moribond.
Les borborygmes atroces, l'odeur pestilentiel, le goût infâme et le toucher visqueux des entrailles du monstres se disputaient la palme de la pire sensation que pouvait ressentir un être vivant. Alors que sa vie le quittait, les secousses perpétuelles de l'organe avait su ranimer l'étincelle qui l'habitait toujours. A ce moment précis, il aurait souhaité être mort sur le coup, plutôt que de vivre les tourments inimaginable d'un délitement sans fin par les sucs digestifs d'un monstre millénaire.

Puis ce fut la panique qui prit le dessus, s'agitant en tous sens, cherchant sa respiration, vomissant, s'agrippant, glissant, se contorsionnant, il se débattait inutilement telle une proie saisie dans son sommeil par un reptile à l'étreinte mortelle. Après de longues minutes de lutte, ses forces l'abandonnaient, le désespoir avait pris l'ascendant, rien ne pourrait le délivrer du funeste destin qui l'attendait.

Pleurant, seul dans l'obscurité épaisse qui l'entourait, il se recroquevilla sur lui-même, tel un enfant à naitre dans la matrice maternelle. Les yeux ouverts, contemplant la mort qui l'attendait, inexorable ennemie qui l'aurait cueillit trop tôt, il s'absorba tout entier dans cette absence de lumière. Tantôt secoué, tantôt bloqué au sein de ce tube écœurant, son esprit s'exila là où son corps ne pouvait se rendre.

Il revit sa mère qu'il avait peu connu, il contempla les champs dont il s'était occupé, il se souvint de celle, qu'une fois, il avait embrassé. Était-ce donc tout ? La vie n'avait-elle que cela à lui offrir ? Des plaisirs fugaces au milieu d'un océan d'injustice, de misère, de désespoir ou de guerre, n'y avait-il que cela à espérer ? Son enfance lui avaient été volée, sa vie même. Il n'avait jamais été personne, pour quiconque, le peu qu'il avait jamais eu lui avait déjà été pris. Les chimères d'un avenir meilleur s'étaient envolées en même que son innocence. Torturé par ce vide qui le rongeait, il voulut crier, mais noyé par les glaires d'une déglutition de la bête haletante, ne lui échappa qu'un hoquet lamentable.

De l'expression de sa rage même il était privé. Se plongeant à nouveau dans les ténèbres visqueuses qui le portaient, il se résigna. Abandonnant toute haine, lâchant prise à sa pitoyable existence, ainsi qu'à sa fin encore plus insignifiante, il se focalisa sur l'instant. Le visage collé à la paroi répugnante, ses yeux désormais habitués à l'obscurité perçurent un léger vacillement dans ce noir opaque. Plaquant ses deux mains sur la face interne de cet œsophage, où désormais il stagnait, il perçu le battement régulier d'un rythme cardiaque.

Son coeur à lui suspendit un instant sa cadence. Un fol espoir naquit soudainement en lui, une idée que seul un homme au seuil de la mort pourrait concevoir. Cherchant à agripper la paroi qui lui faisait face, il agita les bras, sa main gauche rencontra la dureté d'une tige de bois. Il s'agissait à n'en pas douter d'une des flèches qu'il transportait lorsqu'il fut avalé par la bête, il s'en saisit et l'extrayant de la poche de mucus où elle s'était fichée se mit à frapper de toutes ses forces à l'endroit même où il avait perçu un changement de lueur.

Et s'il avait raison, et s'il existait un espoir ! Son esprit apathique reprit vie, et une fougue jamais ressentie le pénétra. Un seul mot résonnait désormais dans sa dernière part de conscience, alors que la paroi se déchirait sous ses assauts furieux : Vivre, Vivre, VIVRE, VIVRE !!!!
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Atteindre :