De Glace et de Sang
#1
« Debout. La leçon n'est pas encore terminée. »

Israfel, toujours sonné par le choc, se redressa tant bien que mal. Son nez était cassé et sa lèvre inférieure fendue. Du sang lui coulait abondamment sur le visage.

« Tu abandonnes déjà ? Cela devient une habitude. »

Le mande-orage fronça les sourcils. Il cracha le sang qui lui emplissait la bouche et se releva. Redressant son épée, il se remit en garde face à son père.

« Non… Ça, jamais… »

“ Plus jamais… ” ajouta-t-il en pensée.


Quand il avait créé les Sentinelles d'Argent, il souhaitait s'échapper. S'échapper de cette vie qu'il trouvait monotone, s'échapper de l'autorité parentale, s'échapper des murs d'Asteras. Retrouver le convoi dans lequel son père avait investi n'avait été qu'un prétexte. Une fuite en avant.
Il avait bien donné d'autres objectifs à la guilde, notamment des intérêts dans le nord, mais c'était surtout pour faire plaisir à Lenwë et Yùla, les cofondateurs des Sentinelles. À l'époque, il n'avait qu'un peu de curiosité pour le nord, qui n'était rien de plus pour lui qu'une contrée dont on parlait dans les livres d'histoires et où sa famille trouvait ses lointaines racines. Il était encore bien loin de partager l'attachement profond qu'avaient ses deux amis pour ces terres glacées.


Son père entama la passe par une estocade, qu'Israfel dévia aisément. Il en éprouva même un certain agacement : l'attaque était prévisible et facile à parer. Son père le ménageait.
Alors qu'il s'apprêtait à riposter, il vit la pointe de l'épée ennemie se diriger rapidement vers son visage. Il eu à peine le temps d'esquiver le coup. L'estocade n'avait été qu'une ruse.


Alors que la guilde se développait, il avait peu à peu pris conscience de certaines réalités. Par exemple, que l'Asteras riche et nacrée dans laquelle il avait grandi n'était qu'une façade visible seulement depuis les hautes tours de la noblesse. La corruption était partout, la limite entre crime et justice plutôt floue et la distance entre puissants et honnis bien mince.
Mais surtout, il avait pu voyager, et voir de ses propres yeux certaines situations dont il n'avait connaissance que par certains communiqués officiels vagues et rassurants. Et il avait amèrement regretté, pour une fois, que la réalité ne soit pas celle que le gouvernement elfique s'évertuait à répandre. La situation au nord était catastrophique. Les routes commerciales étaient inexistantes et les territoires loin d'être sûrs. Les Agars s'étaient même avancés jusqu'à Tilador Erdana et n'en avaient été repoussés qu'à grande peine, alors qu'ils n'étaient qu'une poignée.
Le puissant empire elfique n'existait plus que dans les vieilles histoires, et leurs cousins mourraient dans la neige pendant qu'eux se prélassaient dans l'indolence en se croyant à l'abri sous leurs tours d'ivoire.


Le coup portée vers son visage l'avait déséquilibré, et si Israfel avait pu l'éviter, il ne vit pas venir le coup suivant, qui lui entama profondément le bras. Il recula vivement, arrivant tout juste à garder son épée en main tant la douleur était vive.

« Ton esprit vagabonde. Tu dois te concentrer sur ce que tu fais. Enfin, vu ton état, nous continuerons cela un autre jour. »

Alors que son père s'apprêtait à rengainer sa lame, Israfel fit passer son arme dans sa main gauche et se mit de nouveau en garde avant d'invectiver son adversaire.

« … Quoi, tu abandonnes déjà ? »

Il avait le souffle court et il saignait, mais il pouvait encore se battre. Son père eut un rictus moqueur avant d'engager à nouveau le combat.


Cette prise de conscience avait considérablement augmenté l'intérêt d'Israfel pour le nord. Des elfes comme lui souffraient pour l'Empire depuis des dizaines d'années dans l'indifférence générale. Des elfes qui avaient tout sacrifié pour cette nation qui les ignorait, et pour laquelle ils continuaient à lutter malgré tout.
En revanche, si Israfel souhaitait plus que jamais en apprendre plus sur ces elfes des neiges et leur venir en aide, ce n'était pas le cas des autres Sentinelles. Une réaction qu'il aurait du prévoir : en constituant la guilde de personnes d'horizons variés en leur présentant comme mission principale d'aller chercher un convoi perdu dans le nord, il était évident qu'ils se désintéresseraient du nord une fois cette tâche accomplie. Les elfes des neiges étaient la préoccupation de Lenwë, Yùla et lui, pas des autres membres.
Devant des intérêts devenus par trop divergents, Israfel avait préféré quitter les Sentinelles pour se consacrer pleinement au nouveau but qu'il s'était fixé : aider les elfes de neige du mieux qu'il le pourrait. Une noble cause, si pour cela il n'avait pas abandonné ses compagnons et la guilde qu'il avait lui-même créée.

“ Plus jamais… ”


L'assaut fut d'une rare violence. Le mande-orage se retrouva désarmé et jeté au sol avant d'avoir pu comprendre ce qu'il lui arrivait. Allongé sur le dos, le souffle coupé, il regarda son père le toiser avec un regard dur.

« Tu réfléchis trop. Tu ne peux triompher de ton adversaire uniquement avec ton esprit. En combat, tu n'as pas le temps de penser à tout avant de réagir. Cela doit devenir un réflexe, si tu veux pouvoir survivre. »

Le vainqueur se détourna et rengaina son épée avant de commencer à se diriger vers la demeure familiale. Israfel se redressa sur les coudes pour le regarder s'éloigner.

« Tu as encore un long chemin à faire, mon fils. »

Après avoir quitté les Sentinelles, le sorcier s'était retrouvé bien incapable de se débrouiller seul dans la nature sauvage. Il avait abandonné ses compagnons pour se consacrer à un objectif que sa faiblesse l'empêchait de réaliser. Après plusieurs tentatives malheureuses, il était rentré chez lui, à Asteras, dans un bien triste état. Il se souvenait du regard de son père, subtil mélange de colère et de déception, quand il avait du lui expliquer pourquoi il revenait aussi misérablement.

Israfel se laissa retomber sur le dos en soupirant. Il n'avait reçu qu'une formation d'élémentaliste à l'académie, et il lui fallait une formation à l'épée si il espérait pouvoir se débrouiller seul. Si il était rentré chez lui, ce n'était pas pour abandonner une fois de plus, mais pour s'aguerrir, s'endurcir. Pour avoir une chance d'accomplir son but.
Alors qu'il entendait sa mère se rapprocher avec le nécessaire médical, Israfel ferma les yeux et ne put s'empêcher de sourire. Pendant une seconde, alors que son père se détournait, il l'avait clairement vu sourire, lui aussi…

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#2

De la neige jusqu'aux genoux, l'elfe transi de froid se frayait péniblement un chemin vers le nord.
Israfel ne voyait que du blanc à perte de vue autour de lui. Le borée hurlait à ses oreilles et la seule chose qui lui permettait de ne pas s'égarer dans tout ce blanc était la masse sombre de la Corne de Melfred qui se dressait au nord-ouest. Après avoir une fois de plus contemplé la sinistre silhouette pour vérifier son cap, le mande-orage resserra sa cape de voyage autour de lui. La seule vue de cette montagne maudite suffisait à le faire frissonner, comme si la neige n'y suffisait pas déjà.
Le jeune noble fit une pause peu après. Exténué et tremblant de froid, il avait besoin de repos. Après avoir trouvé un bouquet d'arbres qui le protégerait partiellement du vent, Israfel fouilla la neige à la recherche de petit bois et entrepris de faire un feu. L'humidité du bois ayant rendu la tâche impossible avec un briquet traditionnel, le mande-orage dut se résoudre à user de sa pyrokinésie pour faire prendre les flammes. Un rapide coup d'œil dans sa besace lui apprit que ses rations commençaient à manquer. Étant un piètre chasseur, le voyage allait devenir intenable si il s'éternisait encore. L'elfe adressa quelques mots à Fryelund, priant pour ne pas s'être perdu dans cet enfer blanc, puis entama son frugal repas à base de viande séchée et de pain rassis. Israfel se reposa ensuite auprès du feu et en profita pour se remémorer le voyage qui l'avait mené jusque là.


Après d'interminables séances d'entraînement, Israfel s'était senti enfin prêt et s'était de nouveau lancé sur les routes du nord. Cette fois, il avait choisi de longer la côte vers le nord, espérant que la faune y serait plus clémente.
En chemin, il fit la connaissance d'une talienne nommée Valériane. La jeune femme l'avait intriguée car elle arborait une cape blanche marquée d'un blason bleu, la marque des Sentinelles d'Argent, son ancienne guilde. Il l'avait abordée pour prendre des nouvelles de ses anciens compagnons et les deux jeunes gens avaient rapidement sympathisé. La zélote souhaitant elle aussi longer la côte vers le nord, ils firent route ensemble, et furent rejoint en chemin par deux autres membres des Sentinelles, Evrard et Léonide.
Après avoir bourlingué ensemble, leurs chemins s'étaient finalement séparés aux frontières de l'Ingemann. Israfel n'avait alors plus qu'à prendre plein nord pour arriver à Cyrijäl. Depuis, il était seul, avançant tout droit dans un paysage d'une blancheur immaculée. Blanc. Blanc. Du blanc partout…


Le craquement d'une branche dans le feu tira l'elfe de sa torpeur. Il avait failli s'endormir, une erreur mortelle dans ce pays gelé où le froid attendait la moindre occasion pour vous prendre. Le jeune noble se secoua un peu avant d'éteindre le feu et de reprendre la route. Cyrijäl n'était plus très loin, il ne pouvait pas échouer maintenant.


Le soir commençait à tomber. De petits flocons tombaient doucement, ajoutant à l'épaisse couche de neige et de glace qui couvrait déjà le sol. Peu à peu, le doute commençait à prendre l'elfe. Il aurait du être en vue de la capitale septentrionale de l'empire depuis une heure déjà. Si il s'était vraiment égaré, il allait finir en congère avant peu.
C'est alors qu'il la vit. Au milieu de la neige, une rampe de pierre grimpait doucement vers une ville nichée à l'ombre de la montagne. Cyrijäl. Enfin.
La pente douce était flanquée d'une arche ouvragée et gardée par deux sentinelles. Les factionnaires avaient une attitude de défi et semblaient prêts à en découdre. Le fait qu'Israfel soit un elfe n'avait visiblement aucune espèce d'importance pour eux. Ici, la guerre faisait rage, et tout visiteur non-annoncé s'exposait à de lourdes sanctions. Il s'arrêta dont à distance respectable et lança aussi fort qu'il le pu pour couvrir le hurlement du vent :


« Je m'appelle Israfel Aedarion, fils d'Aldys Aedarion, Haut-Elfe d'Asteras. Je vous demande asile, ainsi qu'une audience avec l'ambassadrice Lahta Meletya. »

L'elfe émit un léger soupire une fois sa demande formulée. L'ironie de la situation ne lui échappait pas : alors qu'il avait quitté les Sentinelles d'Argent pour accomplir l'objectif qu'il s'était fixé, c'était finalement grâce à l'aide de trois d'entre eux qu'il était à Cyrijâl en ce jour. Et maintenant, alors qu'il avait souhaité échapper à l'ombre de son père, voilà qu'il faisait à nouveau usage de son nom en espérant qu'il lui octroie des faveurs. Chassez le naturel, il revient au galop… Il avait encore du travail à faire avant de s'émanciper autant qu'il le voudrait.

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#3
Malgré la mésaventure de Hemdl, Israfel avait réussi à entrer sans encombre à Cyrijäl. Autour de lui, les différentes prêtresses de Fryelund passaient et le regardaient d'un drôle d'air. Ce n'était pas qu'il était étrange, mais l'on voyait assez rarement d'elfes d'Asteras ici. Encore moins qui aurait demandé à parler à Lahta, la « préfete d'Asteras » en ces lieux.
Son rôle ingrat n'était ni plus ni moins que de faire une sorte d'éponge entre les caractères impérieux et impériales des deux souveraines. Ce n'était pas une question de femme, pas plus qu'une question de caprice, mais Ashtalia et Mélyriëlle avaient toutes deux des objectifs communs et divergents.
Quand il s'agissait de la protection des murs de Cyrijäl, Lahta répétait toujours que c'était une « priorité dans le temps ». La reine ne s'en contentait pas, et c'était bien ça le problème.

C'est donc entourés d'hommes et de femmes bien silencieux qu'Israfel fut accueilli.

Il fallut attendre qu'enfin un garde ne rapporte la nouvelle à Lahta pour que la préfete sorte de sa demeure. Elle avança calmement vers le fils d'Aldys. Il se tenait d'ailleurs au milieu du cimetière. Cela faisait trois mois qu'il n'y avait pas eu de nouvelles tombes, et tous les jours Sylléüs allait au Temple pour prier que plus jamais on ne creuse ici.
Il n'y avait guère que les cimetières de guerre d'Astéras pour faire rougir le parterre d'asphodèles.

[Image: 91125.png]« Je ne sais pas ce que vous venez faire ici, jeune homme, mais je doute qu'ils puissent vous répondre. » s'introduisit Lahta, se planta aux côtés d'Israfel Aedarion, avec un sourire calme. Le froid endurcissait même le plus doux des cœurs. « Lahta Meletya. Vous me cherchiez ? »
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#4

Israfel, perdu dans ses pensées, contemplait le cimetière de Cyrijäl.
Au vu de leur état, certaines des tombes devaient être récentes car ni le vent, ni la neige, ni la végétation n'avait encore de prise sur elles. Cette seule constatation mettait le moral de l'élémentaliste en berne. Si le tribut d'une guerre s'évaluait au nombre de nouvelles fosses, alors, indéniablement, les elfes de Cyrijäl en payaient le prix. Les Elfes des Neiges avaient besoin d'aide depuis longtemps, et elle n'arrivait pas. Vu les préoccupations des habitants de la capitale, elle n'arriverait peut-être même jamais.

Il fut tiré de ses rêveries quand Latha lui adressa la parole. Le mande-orage se tourna vers la préfète et afficha un léger sourire de composition, à travers lequel on pouvait percevoir une pointe de tristesse.

« Je regardais simplement si mes ancêtres avaient encore une tombe ici. » s'expliqua-t-il. Il s'inclina ensuite légèrement en se présentant.
« Je m'appelle Israfel Aedarion. Et en effet, Dame Meletya, j'ai demandé à vous voir. »

L'élémentaliste hésita une seconde sur la manière dont il devait poursuivre la conversation. Il n'était pas en droit de demander des comptes à Lahta concernant la passivité d'Asteras, et il y avait de toute façon fort à parier que l'envoyée de la capitale n'ait rien à voir là dedans. Au contraire, étant elle aussi une habitante de Cyrijäl, elle serait aussi en danger que les Elfes des Neiges si l'empire continuait de faire la sourde oreille. Elle n'avait donc aucune raison de rester passive.
Israfel n'avait aucune idée de ce qui pouvait motiver un tel manque de réaction de la part de l'empire. Mais il doutait que la préfète confie ce genre d'information à un inconnu tout juste arrivé. Il lui faudrait d'abord prouver qu'il était digne de confiance. Et les problèmes ne manquaient pas à Cyrijäl, cela il en était sûr. Autant d'occasions pour lui de faire ses preuves.

Il posa son bouclier sur le sol et mis un genou en terre, sa longue chevelure blanche retombant devant son visage. L'usage aurait sans doute voulu qu'il dégaine son épée et la tende à Latha, mais il n'était pas en train de prêter serment et il préférait laisser son arme dans son fourreau. L'atmosphère avait déjà semblé suffisamment tendue à la porte.
L'élémentaliste releva ensuite la tête vers elle, le regard empli de détermination.

« Si je suis venu ici, c'est pour aider les Elfes des Neiges, nos frères qui souffrent dans l'indifférence de l'Empire depuis trop longtemps. Je sais que je ne vaux pas l'armée dont vous auriez besoin, mais je vous conjure de me laisser vous aider de la manière qui vous semblera la plus appropriée. »

Israfel ne jugea pas nécessaire d'ajouter qu'il était prêt à remplir les tâches les plus ingrates au besoin. La préfète en était sûrement consciente et il ne doutait pas qu'elle en profiterait pour qu'il prouve la hauteur de son engagement. D'un autre coté, il n'était pas impossible qu'elle le considère comme un gêneur et tente de le dissuader en lui donnant une tâche qui lui serait impossible à réaliser. Mais la situation des Elfes des Neiges lui semblait suffisamment désespérée pour qu'elle ne puisse pas se permettre de refuser une aide extérieure, aussi insignifiante soit-elle.
Mais avant, il aurait sans doute à répondre à des questions le concernant. Lui-même, quand il était encore à la tête des Sentinelles d'Argent, n'avait jamais pris de décision concernant un postulant à la guilde sans en avoir appris un peu plus sur lui au préalable. Israfel espérait seulement que l'interrogatoire aurait lieu dans un lieu un peu plus chaud et à l'abri du vent que le cimetière. Et si possible après qu'il ait eu l'occasion de se reposer de son éreintant voyage dans la neige.

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#5
La préfète n'était pas affectée par la tristesse éventuelle de l'élémentaliste. Il n'y avait plus rien qui perçait son cœur de pierre depuis longtemps, principalement car les températures de l'Ingemann avaient fini par durcir son myocarde à tout jamais.

Elle l'observa d'un air terrible. Lahta n'avait pas le caractère le plus simple de la capitale du nord. Pour tout dire, elle était plus bornée encore que Mélyriëlle et en ces heures sombres, leur cohabitation était rendue de plus en plus difficile. Il y aurait un temps où ça ne serait plus le cas, car l'une ou l'autre finirait par empiéter définitivement sur les plates-bandes de sa rivale.
La préfète ne doutait pas de qui.

[Image: 91125.png]« Personne ne peut aider les Elfes des neiges en ces temps sombres. »

La préfète croisa les bras d'un air emprunté. Il était rare qu'elle soit vulnérable, surtout devant le premier venu, mais elle avait vu les elfes d'Asteras s'entretenir en urgence avec la Reine un instant plus tôt. Les portes du palais étaient fermées pour les curieux. Même elle n'avait pas les autorisations requises pour écouter les discussions royales.

Lahta était perdue. Elle ne savait pas comment aller grandir la situation, et elle savait aussi qu'elle était à deux doigts de se retrouver au milieu d'un bras de fer musclé entre la dernière descendante légitime du trône et sa cousine lointaine par alliance qui n'avait guère d'intérêt que pour Asteras la Blanche.

[Image: 91125.png]« Avec vos maigres forces, tout ce que vous pouvez faire, c'est attendre. Attendre que quelque chose se passe. Ça ne va pas tarder, mais pour l'instant, il n'y a rien à faire. »

La préfète recula d'un pas pour apercevoir les portes du palais royal s'ouvrir en grinçant. Elle vit plusieurs elfes d'Asteras sortir, puis Lösse à leur suite. Elle fronça légèrement les sourcils :

[Image: 91125.png]« Quelque chose comme ça, peut-être… » murmura-t-elle en s'approchant également de l'étrange cortège.
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#6

La réponse de Lahta le déstabilisa un peu. Il ne s'était pas attendu à une telle réponse, tant il imaginait les problèmes nombreux dans les provinces du nord. Il n'imaginait pas se voir confier une mission diplomatique dès le premier jour, mais il était prêt à accomplir la tâche la plus quelconque. Cependant, il n'y avait rien à faire. Rien qui puisse aider ces gens à sortir de leurs temps difficiles ou, à défaut, de rendre leur calvaire plus supportable. Rien non plus qui puisse justifier son départ des Sentinelles ou toutes ces heures passées à s'entraîner pour se frayer un chemin jusqu'à la capitale. Rien qu'un grand vide béant, qui happait ses espoirs.
Comme pour souligner cet état de fait, il vit Lenwë, son vieux camarade auquel il avait tourné le dos en même temps qu'à la guilde, faire son apparition. Il n'y avait rien de vraiment surprenant à le croiser à Cyrijäl. Après tout, la capitale septentrionale était la ville d'origine du mage, et il était normal qu'il y revienne une fois sa formation à Asteras achevée. Pourtant, Israfel était à la fois surpris et honteux à la vue de son ami, qui arrivait juste à temps pour contempler l'ampleur de son échec et la futilité de ses résolutions.

La mine déconfite, l'élémentaliste cherchait quoi répondre à son camarade qui ne manquerait pas de le remarquer quand Lahta attira son attention sur une petite procession de Hauts Elfes qui sortaient du palais. Il reconnu quelques visages parmi eux, certains ayant participé à la capture de Valyrielle de Maldorne quelques temps plus tôt. Ils faisaient partie d'une guilde nommée "Compagnie d'Investigation Avancée". Cette constatation lui fit légèrement froncer les sourcils.
Si des mercenaires étaient admis dans la salle du trône, c'était soit qu'ils travaillaient pour le gouvernement local, soit qu'il se passait quelque chose de grave. À en juger par l'aspect important du soldat qui les accompagnait, ce devait sans doute être la seconde option, un gradé n'ayant aucune raison de faire escorte à des mercenaires qui prendraient un contrat ou viendraient chercher leur prime. Et pour qu'Asteras dépêche une telle délégation au lieu de diplomates obséquieux, il devait vraiment se passer quelque chose d'important.

L'occasion d'échapper à Lenwë étant trop belle, Israfel emboîta le pas de Lahta et pris la direction du petit attroupement. Peut-être pourrait-il glaner quelques informations dans les conversations et ainsi satisfaire sa curiosité. Et si la situation s'avérait grave, il pourrait toujours proposer son aide. Après tout, il n'avait rien d'autre à faire désormais.

C'est alors qu'il était presque arrivé à hauteur de ses compatriotes que la reine Mélyriëlle d'Alcascyr en personne sorti du palais pour se joindre au cortège, accompagnée de son familier et de la prêtresse Lìrulìn. L'élémentaliste se figea quelques secondes, l'air interdit.

[Image: 91091.png] « Lahta ! Garde Cyrijäl pendant mon absence ! »

[Image: 91125.png] « Entendu Reine Mélyriëlle. Où... Où allez-vous ? »

Cet échange avait mis le cerveau d'Israfel en ébullition. Ce qui avait mené les membres de la Compagnie d'Investigation Avancée à Cyrijäl devait être de la plus haute importance pour que la Reine se déplace ainsi en personne. Et vu l'escorte plutôt restreinte qu'elle emmenait, soit elle était très confiante en son entourage soit elle était inconsciente du danger qu'elle courrait au dehors alors même que sa sœur avait déjà été enlevée à l'intérieur des murs de la capitale.
Dans tous les cas, Israfel jugeait de son devoir d'accompagner la Reine dans cette expédition. Elle était le cœur de Cyrijäl, et sans elle, il doutait que les Elfes des Neiges puissent tenir bien longtemps. Mélyriëlle d'Alcascyr devait survivre, il le fallait. Le salut des elfes de l'Ingemann dépendait d'elle.

Après avoir parcouru la faible distance qui le séparait encore de l'attroupement, l'élémentaliste alla s'incliner devant la reine des neiges, sa chevelure blanche tombant à nouveau devant son visage.

« Mes hommages, Majesté. Je me nomme Israfel Aedarion et, avec votre permission, je souhaiterai me joindre à votre escorte afin de m'assurer qu'il ne vous arrive rien. »

L'idée de repartir si vite dans le grand froid ne l'enchantait pas vraiment. Mais il était venu dans un but précis : aider de son mieux ses cousins du nord qui souffraient dans l'indifférence de l'Empire. Et ce but exigeait qu'il reprenne la route pour protéger celle qui avait su guider son peuple malgré les souffrances… Si la Reine acceptait qu'il se joigne à la troupe, bien sûr. Nul ne pouvait braver la volonté de l'héritière légitime à la couronne.


Citation :HRP : La composition du groupement ayant évolué depuis hier soir, j'ai du adapter mon message en conséquence. Désolé pour la gêne occasionnée, amis lecteurs.
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#7

Assis dans la salle commune de l'auberge de Cyrijäl, Israfel contemplait d'un air absent le fond de bière qui restait dans sa choppe. Il était encore tôt et seuls quelques piliers de comptoir peuplaient déjà la salle, et lui qui avait une chambre dans l'établissement. L'ambiance s'améliorait au fur et à mesure que les liquides descendaient dans les verres. Deux bûcherons étaient en plein débat avec le tenancier sur l'état des stocks de bois pour la mauvaise saison tandis qu'un troisième client écoutait en hochant silencieusement de la tête, les yeux braqués sur la serveuse, qui lui souriait dès qu'elle croisait son regard. Un quatrième Elfe des Neiges essayait de restituer tant bien que mal un semblant de mélodie sur une petite flûte et un cinquième, déjà plus saoul que les autres, semblait déjà prêt à s'endormir sur le comptoir. Le mande-orage était assis à l'écart, à une table située dans un coin de la salle.
Il prit sa choppe et, après en avoir fait légèrement tourner le contenu, en avala une gorgée.

L'attente était insoutenable mais, au moins, elle se faisait dans une meilleure ambiance qu'au début de son séjour. Si les Elfes des Neiges se méfiaient de lui, avec le temps, le tenancier et les habitués de la taverne avaient fini par l'accepter comme si il faisait partie du décor. Personne ne lui adressait la parole plus que nécessaire mais les conversations continuaient en sa présence et les regards en coins avaient cessés. Tant qu'il gardait une distance raisonnable, du moins.

Lui-même se demandait pourquoi il était encore là. Cela faisait un long moment qu'il avait demandé asile dans la ville et une audience avec la Reine Mélyriëlle. Mais si on l'avait laissé entrer sans faire d'histoire, sa demande d'audience, elle, semblait avoir été oubliée.
Il attendait, n'osant plus y croire, avec un silence assourdissant pour seule réponse. Pas même un refus, qui aurait au moins eu le mérite de lui faire savoir ce qu'il en était. Pas d'assentiment à sa requête non plus. Juste une attente qui n'en finissait plus et, dans une ville où tout le monde le regardait avec méfiance, qui prenait des allures d'éternité.
Il avait gardé espoir tout au long de la première semaine, se persuadant que la reine était occupée, qu'elle avait sans doute d'autres préoccupations dans l'immédiat et qu'il serait reçu quand elle en aurait le temps. La seconde semaine, il s'était demandé si on ne l'avait pas simplement oublié. Depuis, le désespoir et l'alcool aidant, il en était venu à douter que sa demande soit seulement arrivée aux oreilles d'une autorité compétente.

Il avait songé se présenter directement au palais royal pour renouveler sa demande, mais l'entrée semblait en être strictement restreinte. Lors de sa première visite, c'était Lahta qui était venue à lui, il n'avait pas été reçu dans ce qui semblait être le seul bâtiment administratif de la ville, même alors que sa demande d'audience était acceptée. Et si les gardes de la porte n'avaient pas relayé sa demande à qui de droit, il y avait peu de chance que ceux du palais agissent différemment. Ce qui rendait une audience avec Lahta ou la Reine simplement impossible.
Israfel avait bien essayé de retrouver la Grande Prêtresse Lìrulìn dans la ville, mais il ne l'avait pas croisée depuis sa première visite, avant l'expédition dans le plan gelé des Xalari. Vu la présence de Lenwë en ville, il se doutait que Yùla était déjà au courant que sa mère était en vie, et qu'il lui avait sans doute transmis plus d'informations que le simple "Lìrulìn va bien, elle est à Cyrijäl" que lui-même aurait pu envoyer. Mais, à défaut, la Grande Prêtresse ne semblait pas se méfier des elfes de la capitale autant que ses congénères et peut-être qu'elle aurait pu lui dire ce qu'il s'était passé avec ce convoi. L'histoire n'avait plus d'importance pour son père, qui avait investi ailleurs depuis et avait renfloué la fortune de la famille, mais après des semaines de mutisme, pouvoir discuter avec quelqu'un, même pour quelques minutes, lui aurait été plus salutaire que n'importe quel alcool de l'auberge.

Son regard se posa sur le bois de la table à laquelle il siégeait. Il était gonflé, noirci par la crasse incrustée et dégageait un fumet d'alcool rance. La table penchait légèrement et avait quelques entailles par endroits. Des marques qu'il avait fini par apprendre par cœur à force de les contempler. Encore et encore…

C'en était assez.

N'y tenant plus, Israfel vida ce qu'il restait de sa choppe d'une traite et jeta bruyamment quelques pièces sur la table. Il se leva, balança sa cape sur ses épaules et se dirigea vers la sortie de l'établissement.
Il y avait au moins une personne dans cette ville qui accepterait de lui parler. Une personne qui devait être tout aussi isolée que lui à l'heure actuelle, et qui détenait des informations ô combien importantes pour l'avenir des peuples de Synca. La Xalaro Yuel.
Une fois à l'extérieur, le froid lui fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. La différence importante de température couplée à son excès d'alcool ne fit pas bon ménage et, se tenant au mur de l'auberge, il finit par régurgiter tout ce qu'il avait dans le ventre. Après avoir passé quelques minutes à profiter de l'air frais pour se remettre, il entreprit de déambuler dans les rues à la recherche de la démone. Une tâche dont il était sûr qu'elle serait rapide : la Xalaro pouvait difficilement passer inaperçue à Cyrijäl.

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#8

De retour dans la salle commune de l'auberge, Israfel grattait frénétiquement un parchemin de la pointe de sa plume. Il fit une petite pause et pris une gorgée de la bière posée près de lui en relisant ce qu'il venait d'écrire. Non, cela ne convenait pas. Il reposa sa choppe en émettant un claquement de langue agacé puis froissa le parchemin et l'envoya rejoindre les autres brouillons insatisfaisants qui brûlaient déjà dans le foyer.

Le mande-orage posa sa plume, le poignet un peu endolori par sa longue séance d'écriture infructueuse.
Le messager était toujours là, adossé au bar, trinquant et discutant bruyamment avec les autres clients des nouvelles qu'il venait d'apporter. L'ambiance était au beau fixe : les Nordiens venaient d'essuyer une cuisante défaite près de Nitraën, et l'amoindrissement de leurs troupes qui en résultait allait offrir une période de tranquillité plus que bienvenue pour Cyrijäl.
Certains allaient plus loin et célébraient déjà la fin de la guerre, le rapport faisant mention d'un manque de cohésion dans les rangs ennemis. Le mot "traîtrise" avait même été prononcé. Pour Israfel, croire la victoire déjà acquise était un grave écueil : le Concordat avait déjà essuyé plusieurs défaites contre les Nordiens par le passé et qu'il y ait eu du relâchement dans leurs rangs cette fois ne signifiait pas que cela allait se reproduire. L'ennemi les avaient peut-être sous-estimés, mais laisser cette victoire leur monter à la tête risquait de les amener à commettre la même erreur. Mais le peuple de Cyrijäl avait déjà beaucoup souffert dans ce conflit et avait besoin de se remonter le moral. Cette victoire du Concordat leur offrait un prétexte idéal pour oublier temporairement leurs tracas, et il ne pouvait les blâmer pour cela.

Ce qui avait surtout retenu l'attention d'Israfel dans cette nouvelle était que les Sentinelles d'Argent avaient pris part à cette bataille. Même maintenant, alors qu'il avait quitté la guilde depuis longtemps, il observait toujours leurs exploits de loin avec un peu d'orgueil et de satisfaction comme le ferait un père devant les réussites de son enfant.
Il se demandait aussi si ses anciens membres avaient pu trouver le temps de faire ce qui leur tenait à cœur. Cette victoire était une preuve que Lenwë se battait pour protéger son peuple. Il se doutait également que Yùla avait pu retrouver sa mère qu'on croyait disparue avec un convoi de marchandises. Mais il se demandait si Illaria avait pu découvrir le sort de son père, lui aussi membre du convoi, si Elena avait réussi à dompter sa jeune élève ou si Dyanèse avait eu raison de la vieille guerrière, si Devian arrivait à participer à toutes ces aventures sans se salir, … Il se demandait aussi lesquels avaient pu être blessés durant ces batailles, et avec quelle gravité. Comment ils avaient changé après leurs épreuves et si ils étaient toujours aussi enjoués et insouciants qu'autrefois.

Le mande-orage secoua légèrement la tête pour se sortir de ses rêveries. Il n'avait pas le temps pour la nostalgie, pas avec toutes les menaces qui planaient sur Écridel en ce moment. Il devait finir cette lettre au plus vite et la remettre à qui de droit.

Il reprit donc sa rédaction sur un parchemin vierge, s'appliquant pour que le ton de la missive ne soit pas trop acerbe après le temps qu'il avait attendu sans réponse. Il était venu dans le nord avec pour intention d'aider les Elfes des Neiges de son mieux, et il savait qu'il devrait d'abord gagner leur confiance. Mais c'était chose impossible si il était maintenu à l'écart, sans tâche à accomplir ou d'oreille pour écouter les informations qu'il apporterait.
Il ne pouvait pas les forcer à accepter son aide, pas plus qu'il ne pouvait les forcer à le recevoir. Il ne pouvait pas non plus forcer le destinataire de la lettre à la lire et encore moins à la prendre en considération, mais il s'en serait voulu de ne pas tenter une dernière chose avant son départ.

La missive rédigée et remise à un garde du palais, Israfel balança son sac de voyage sur son dos et resserra sa cape de voyage autour de ses épaules.
Alors qu'il passait l'arche qui marquait l'entrée de la cité, il ne pu s'empêcher de sourire. Son voyage à Cyrijäl était plutôt décevant, si on prenait en compte le temps et les efforts qu'il lui avait fallu pour s'y rendre et les résultats qu'il en avait tiré. Il n'avait pas pu aider les Elfes des Neiges ou alléger leurs fardeaux de quelque façon que ce soit, il n'avait pas pu s'entretenir avec la grande prêtresse Lìrulìn au sujet du convoi disparu et la démone Yuel était restée introuvable, et avec elle des informations cruciales sur les Xalari. Mais malgré tout, il savait qu'il reviendrait vite à Cyrijäl : une guerre menaçait Synca, et si il était plus utile au siège du pouvoir elfique pour l'instant, il savait que le conflit se jouerait ici, dans le nord. Là où restait la Xalaro repentie et où Vi'aria dissimulait son repaire. Peut-être qu'alors, il aurait à nouveau l'occasion d'aider les Elfes des Neiges.
Mais pour l'heure, il était plus important d'écarter la menace démoniaque définitivement. Pour ce faire, il avait besoin d'informations. Et il savait où en trouver. Il était temps qu'il rende visite à de vieux amis…

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#9
L'elfe émergea doucement, arraché des songes par quelques bruits ambiants. Il entendait des murmures et des pas qui résonnaient dans la pièce et, plus étouffée, une sorte de clameur toute citadine, mélange de bruits de pas, de chevaux, de conversations et de cris divers.
Il avait froid. Son corps entier le faisait souffrir, comme si un cheval lui était passé dessus en prenant soin de briser chaque os. Chaque seconde qui passait rendait Israfel plus sûr d'une chose : il était en vie. Il ne s'expliquait pas comment, mais il avait survécu. Il se risqua à ouvrir les yeux, qu'il du rapidement refermer, ébloui par la lumière douce qui baignait l'endroit. L'exclamation de surprise toute proche l'informa qu'il n'était pas seul. Quelqu'un était à son chevet.
Lentement, la bouche pâteuse et la voix rauque, il prit la parole.

« … Où suis-je ? Comment… ? »

Une douleur lancinante au torse lui arracha une quinte de toux. On lui posa un linge humide sur le front, et une voix douce lui répondit tout bas.

« Doucement, Ninquë. Tu es encore faible, il ne faut pas parler. »

Cette voix lui était familière. Et ce surnom… Elle l'avait appelé comme ça la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, alors qu'ils n'étaient encore que des enfants. Ils avaient passé de nombreuse années ensemble mais le nom était resté. Il ouvrit doucement les yeux pour s'assurer que ce n'était pas une divagation de son esprit embrumé. Il ne vit d'abord que du blanc, puis les formes et les couleurs se précisèrent pour laisser apparaître son amie d'enfance qui lui souriait tristement. Elle était assise près de lui, le bras en écharpe, toujours élégante malgré sa robe cobalt abîmée et sa chevelure blonde en bataille.

« … Elerina ? C'est bien toi ? »

« Tu ne pensais quand même pas que je raterai une fête pareille ? »

La jeune femme, fille du Comte de Lilótëa, étudiait à la capitale pour devenir politicienne. Vu son statut social plus élevé que le sien, il était évident qu'elle serait à la fête organisée par Ezuri Rian'cir. Il frémit à l'idée qu'elle aussi avait du échapper de peu à un sort funeste. Il n'avait pensé qu'à lui et à sa famille avant de perdre conscience, sans se douter qu'il avait d'autres proches dans l'assemblée qui courraient les mêmes risques.
Il allait s'enquérir de la gravité des blessures de son amie quand il remarqua qu'elle triturait nerveusement un mouchoir dans sa main valide. Des larmes commençaient à se former aux coins de ses yeux en amande. Quelque chose n'allait pas.

« Mes parents… Où sont-ils ? »

Israfel se redressa pour chercher aux alentours. Il n'eut le temps que de voir le sol du temple de Fryelund jonché de cadavres et de blessés auprès desquels les prêtresses s'affairaient avant que la douleur ne le force à se recoucher.

« Oh, Israfel… Ils n'ont pas… »

Elle éclata en sanglots avant la fin de sa phrase. Il n'avait pas besoin d'entendre la suite pour comprendre.
La nouvelle lui fit l'effet d'un coup de massue. Le monde s'écroula et disparu de son champ de vision. Même les sanglots d'Elerina se firent lointains. Il était seul dans les ténèbres, face au chagrin et à la mort.
Il s'écoula quelques secondes avant qu'il pose une main sur celle de son amie, qui sanglotait toujours. Lui-même était trop hébété pour verser une larme, comme si son cerveau refusait d'assimiler l'information, mais la jeune femme semblait vouloir pleurer pour deux. Elle n'aurait pas semblé plus attristée si elle avait elle-même perdu un membre de sa famille…
L'horrible pensée lui traversa l'esprit. Était-elle venue seule à la réception, ou était-elle accompagnée ? Et si elle avait perdu un être cher à la réception, elle aussi ? Les mots s'étranglèrent presque dans sa gorge quand il se résolu à poser la question.

Il n'obtint pas de réponse. La noble lui serra la main alors que le chagrin déformait ses traits. N'y tenant plus, elle s'écroula sur son torse et se mit à pleurer pour de bon. La détresse de son amie finit par lui arracher les larmes qui refusaient jusque là de couler.

Une prêtresse, alertée par le bruit, vint s'enquérir de son état. C'est elle qui apporta autant qu'elle pu des réponses aux questions d'Israfel.
Il ne devait sa survie qu'aux soins d'Halko, un membre de la Compagnie d'Investigation Avancée, dont les soins avaient atténués les effets du poison et éloigné la mort assez longtemps pour qu'il puisse être pris en charge au temple. C'était Elerina qui l'avait amené tant bien que mal au dispensaire malgré ses propres blessures, en même temps que le reste des rescapés arrivés dès qu'ils avaient pu fuir la réception. On ignorait ce qui se déroulait dans le manoir depuis leur fuite quelques heures plus tôt.
L'elfe conserverait des cicatrices et les blessures empoisonnées laisseraient des traces noirâtres sur sa peau, mais il vivrait.
En revanche, Aldys et Cassia Aedarion comptaient parmi les victimes de la cérémonie sanglante, au même titre qu'Alcar et Linye Carnil. Elerina Carnil, qui continuait de pleurer dans ses bras, était devenue Comtesse de Lilótëa. Quant à lui, Israfel était désormais Baron et dernier représentant de la famille Aedarion.
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#10
Le réveil fut difficile. Israfel avait une migraine digne de ses lendemains de fête les plus mémorables. L'épine glacée qui lui semblait fourrager dans son cerveau jusque là laissa peu à peu place à une douce chaleur qui se répandit jusqu'à la base de sa nuque. Il s'en était allé.

Soulagé, l'elfe se releva péniblement. La première chose qu'il remarqua fut la bile qui tachait sa tenue. Il y avait donc eu au moins une partie de réalité dans ce qu'il avait vu.

Générant un peu d'eau pour nettoyer son vêtement, l'elfe observa les alentours.

Il était à Andoras. La haute tour d'Isaroth était bien visible à l'horizon, sans relief entre eux pour obstruer sa vue. Les falaises qui ceinturaient le royaume étaient toutes proches.
À ses pieds se dessinait un cercle démoniaque semblable à celui trouvé dans la caverne un peu plus tôt. À la différence que celui-ci n'avait ni pilier ni chaîne pour s'alimenter.

Il en sorti rapidement, craignant que sa présence interfère si quelqu'un ou quelque chose tentait d'utiliser ce cercle. La dernière chose qu'il souhaitait était d'être à nouveau transporté sans savoir où il allait atterrir.
L'idée d'attendre près du portail qu'il se réactive lui traversa l'esprit, mais il abandonna rapidement l'idée. Elle s'était montrée prudente et l'ouverture du passage lui avait coûté. Si elle était toujours en vie, elle ne l'ouvrirait pas à nouveau.

De lointains cris de skilithes le tirèrent de ses réflexions. Si Asteras avait pu détecter le dégagement de magie produit par l'activation du cercle, les holdars le pouvaient aussi. Et avec leurs montures volantes, ils seraient là avant peu.
Il avait besoin d'un endroit sûr où se laver et réfléchir. Et Andoras était tout sauf sûr.

Tissant rapidement autour de lui quelques enchantements d'aéromancie destinés à lui permettre de passer prestement les hautes falaises, Israfel s'enfuit sans demander son reste.
Il reviendrait, il en était convaincu. Tôt ou tard, ses pas le ramèneraient à Andoras. Mais ce serait quand il l'aurait décidé.
La prochaine fois, il serait prêt.
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#11
Israfel pénétra une fois de plus dans le siège de l'Inquisition elfique.
Pour quelqu'un qui ne faisait pas partie des troupes inquisitoriales, il entrait un peu trop souvent dans le bâtiment à son propre goût. Il n'avait jamais été à l'aise au milieu de tous les tueurs de mages qui y circulaient, et cette visite ne ferait pas exception à la règle.

Faisant de son mieux pour paraître détendu, il s'approcha de la personne chargée de s'occuper des visiteurs. Le mande-orage fut soulagé de constater qu'il ne s'agissait pas de la même personne que celle qu'il avait rencontré quand il était venu livrer des informations sur les Xalari à l'Inquisition.

Il s'était alors fait sèchement renvoyer, comme si l'Inquisition se fichait purement et simplement de ce qu'il avait à raconter. Cela n'avait fait que renforcer à ses yeux le sentiment d'incompétence qui émanait de l'institution.
Si le savoir était un pouvoir, Enwina Hràvan s'en était volontairement dépossédée. Une erreur fatale face à une ennemie comme Vi'aria, qui savait sans doute utiliser la désinformation à son avantage.

Il ne chercherait pas à collaborer avec eux. Plus cette fois. C'était une autre raison qui l'avait amené dans les salles de l'Inquisition, un geste tout à fait banale au vu de la correspondance qu'il entretenait avec elle depuis un certain temps.

« Venntaï. J'aimerai parler à l'inquisitrice Lhuste, s'il vous plaît. »

Israfel doutait que l'inquisitrice soit déjà rentrée de l'expédition qu'ils venaient d'effectuer. Il avait d'ailleurs, glissé dans sa veste, un message à lui laisser si elle était absente.
Mais il ne connaissait pas toutes les possibilités offertes par son lignage, et lui-même avait fait un détour par Yris. Il était possible que la jeune femme soit déjà rentrée. Auquel cas, il préférait lui parler face à face.
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#12
Au milieu du hall d'entrée de l'inquisition se tenait une chaise - les visiteurs n'étaient pas autorisés à s'asseoir - un bureau où reposaient un plumier et quelques parchemins. Si des plantes occupaient les coins de la pièce, la décoration restait assez sommaire. L'inquisition n'était pas, de toute façon, le lieu des grandes réceptions.

L'homme en armure assis sur la chaise soupira en voyant le mage entrer. L'accueil n'était pas le plus plaisant, et voir défiler les mages se plaindre de leur traitement ou requérir une audience auprès de leur dirigeante pour échapper à leur traitement l'épuisait. Et il se douaite qu'Israfel faisait partie de ces geignards.

Sa demande fut surprenante, même si Lhuste était connue des services, et il dût ravaler sa réponse toute préparée. Prétextant un "je vais voir", il disparut un instant par la porte du fond, avant de revenir avec une très jeune femme, une adolescente au cheveux ébouriffés portant une armure d'apparat, de piètre qualité en comparaison avec celle du garde à l'accueil. Celle-ci lança au mande-orage.

Elle n'est pas encore revenue de son périple. Je suis aspirante paladin, et écuyère de Dame Lhuste. Puis-je vous aider dans votre requête ?
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