Les destins empoisonnés
#1
Dans une maison vétuste de la capitale, vivait un archiviste oublié de tous. Tout le monde avait fini par se lasser de ses histoires, et les échoppes s'étaient débarassées de ses oeuvres. Si bien que désormais, il vivait reclus. Reclus dans une demeure délabrée et vide de vie. La poussière recouvrait le mobilier de chaque pièce et s'accumulait sous les tapis. Un peu partout disséminés, des morceaux de solitude, et dans les coins, tels des métiers à tisser, d'immenses toiles d'araignées. Des chaises étaient allongées sur un plancher en très mauvais état, avec des vêtements en lin mis en boule. A en croire ces lieux, il y avait de la négligence. Mais si l'on entrait dans la pièce la plus profonde de la maison, on réalisait combien l'homme qui résidait là était méticuleux. De fait, la pièce en question était aménagée avec goût et rangée à la perfection. Chaque chose était à sa place comme si elle n'avait jamais été dérangée.


Le vieil elfe avait allumé les quelques bougies d'un chandelier ornementé qu'il avait ensuite posé sur un large bureau. Une douce lumière flottait au-dessus du meuble sur pieds. Et dans la pénombre, on devinait une bibliothèque fournie tout contre le mur. Les livres qui se tenaient sur les étagères étaient parfaitement alignés, classés par volume et par taille.


Après un long et bruyant baillement, l'archiviste suranné s'empara d'un minuscule ouvrage rangé tout au bout d'une tablette. Il l'ouvrit.


« Quelle belle histoire, fit-il à voix haute, comme si quelqu'un l'écoutait. Elle a empreint des générations d'elfes, et porte en ses pages le symbole de l'amour. C'est l'histoire d'amour par excellence, l'archétype du coup de foudre. On y découvre une violence sans fin et on y souffre des affres de la passion. Entrez-donc dans la destinée de ces deux personnages, à une époque où les mystères ne sont pas résolus, et où les villes sont encore raisonnablement peuplées. Revenez en 1690 sous le règne d'Osirwë, plongez dans un siècle qui est l'apogée de notre civilisation ! »


L'archiviste s'interrompit et feuilleta quelques pages du livre qu'il tenait sur ses genoux.


« Quelle belle époque, murmura-t-il, nostalgique. Ce ne sont plus les moeurs d'aujourd'hui... mais sachez qu'en ces temps, la plupart des elfes étaient de petites gens, des coeurs justes. Tous évoluaient dans un havre de paix avec un sentiment de sécurité. De fait, les armées elfiques avaient étendu le territoire au-delà de nos frontières, repoussant toujours plus loin les tribus barbares. Il n'y avait plus ni peur ni menace. Et alors, une grande bonté soufflait sur l'Empire. De nombreuses activités naissaient ou se développaient. C'est à cette époque notamment, que l'on vit l'émergence du Théâtre en Erioss. L'Empire portait un intérêt soudain à la musique et à la littérature... mais il connaissait tout juste ses plus beaux personnages et ses plus grands héros... »
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#2
Le soleil était bas dans le ciel.
Il chevauchait depuis l'aube, sa chevelure noire flottant au vent tout comme sa cape de même couleur.
L'herbe défilait sous son coursier alors que son fourreau battait furieusement son flanc.
Les arbres à sa droite s'effacèrent alors, lui offrant une vue d'ensemble de la vallée qui s'étendait devant lui. Il arrêta son cheval un instant et balaya le paysage de ses yeux d'un bleu profond.
Un fleuve courrait dans la plaine à ses pieds. Après quelques méandres, le cours d'eau pénétrait les murs d'une magnifique cité blanche dont les flèches de bronze et d'ivoire s'élançaient vers les cieux.

<< Asteras... Enfin. >> pensa le voyageur. Il se pencha alors, approchant son doux visage de l'oreille de son cheval et lui murmura quelques mots elfiques. La monture s'élança alors dans la plaine à vive allure, toute fatigue semblant l'avoir quitté.

Le soleil était couché depuis un moment déjà quand il arriva aux portes d'Asteras. Le cavalier passa les portes de la ville, le visage caché sous son capuchon, et mena son coursier dans les rues larges et éclairées. La plupart des bâtiments étaient faits de pierres claires. Le moindre espace des façades était ciselé avec une habileté étonnante, chaque maison étant recouverte d'arabesques différentes. Une douce lumière, sans cesse réfléchie par la blancheur des habitations, donnait à la ville une atmosphère douce et paisible.

Le cavalier se rendit dans les quartiers marchands du sud de la cité. Un peu moins bien éclairé, ce quartier n'en restait pas moins vivant. Quelques camelots étaient toujours affairés à leurs étals et il y avait toujours des clameurs s'élevant de quelque auberge proche, malgré l'heure tardive. Le voyageur quitta l'artère principale et s'engagea dans des rues plus étroites. La lumière et la vie semblait disparaitre au fur et à mesure qu'il s'enfonçait dans ce dédale sans fin de rues et d'impasses.
Le cavalier finit par arriver sur une petite place vide, seul le murmure de l'eau provenant de la fontaine en son centre brisait le silence nocturne. Il attacha son cheval près de la fontaine et s'engagea ensuite dans une petite ruelle sombre. Le voyageur s'arrêta devant une bâtisse laissée à l'abandon : la façade de pierre blanche était couverte de lierres et des fissures courraient par endroit, fendant les arabesques usées par le temps.

Le jeune Elfe toqua plusieurs fois à la porte, selon le code établi. La porte s'entrouvrit légèrement et un visage méfiant entouré d'une longue crinière grise apparut dans l'interstice. De petits yeux perçants dévisagèrent longuement le nouveau venu, qui se contenta de réciter une devise en elfique, impassible devant le regard inquisiteur.

L'homme aux cheveux gris, satisfait, laissa le voyageur se faufiler par la porte à demi ouverte. L'intérieur de la bâtisse était aussi délabré que l'extérieur. Le parquet était défoncé par endroits et une épaisse couche de poussière recouvrait les meubles. Quelques personnes étaient assises dans des fauteuils déchirés ou moisis, disposés en cercle autour d'une table basse sur laquelle trônait un chandelier. Certaines discutaient à voix basses, d'autres lisaient à la lueur des bougies. D'autres encore semblaient assoupis.
L'Elfe aux cheveux gris referma la porte derrière le voyageur et, lui faisant signe de le suivre, s'engagea dans un long couloir, une lanterne à la main.

Le corridor, plongé dans la pénombre, semblait infiniment long, le peu de lumière projeté par la lanterne ne permettant pas d'en voir le bout. Cependant, cette partie du bâtiment semblait avoir moins souffert. Le parquet était plus régulier et la peinture des murs ne s'écaillait que par endroits.
Une autre personne prit le relai et mena ainsi le nouveau venu jusqu'à une lourde porte en fer frappée d'un étrange symbole : deux épées croisées, lames vers le bas, entourées d'un long serpent.

- Il vous attend déjà. Vous êtes en retard.

Le vieil Elfe s'en alla ensuite, laissant l'homme seul. Celui-ci ôta sa capuche et ouvrit la porte en fer, qui pivota sans un bruit. Il entra ensuite dans la pièce avant de refermer la porte derrière lui.
La salle était envahie par les ombres, seule une petite bougie placée à coté de la porte éclairait les murs de sa lueur dansante.

- Enfin. dit une voix d'un ton glacial.

Une silhouette se détachait devant une fenêtre. Un homme était debout derrière un bureau, dans une partie de la pièce qui était plongée dans le noir.

- J'ai été retardé, frère. dit le voyageur d'une voix blanche.

- As-tu accompli la tâche qui t'avait été assignée? dit la voix d'un ton légèrement radouci.
- Voici ce que tu m'avais demandé.

Écartant un pan de sa cape noire, le voyageur montra un vieux parchemin roulé et le déposa sur le bureau. La silhouette s'avança un peu, prit le manuscrit et en lu rapidement quelques lignes.

- C'est bien, Haden. C'est très bien...
- Ce ne fut pas facile de me procurer cet écrit. répondit Haden, qui regardait avec insistance là ou auraient du se trouver les yeux de son interlocuteur.

- Je n'en doute pas. C'est bien pour cela que je t'ai recommandé aux autres pour accomplir cette mission. Je savais que tu saurais la mener à bien.

La silhouette déposa sur le bureau une bourse de cuir bien remplie dont s'éleva un tintement de pièces.

- Voici un petit dédommagement. Ça devrait suffire pour rembourser tes dépenses en femmes et en boissons.

Haden regarda la bourse, légèrement amusé.

- On dirait que tu connais mes goûts. dit-il tout en attachant la bourse à sa ceinture.

- Tu fais partie du clan depuis un moment déjà, Haden. J'ai appris à te connaître.
Maintenant va t'amuser. Je pense pas le clan n'aura besoin de toi avant un moment.


Haden salua son frère avant de sortir de la pièce.
Une fois de retour dans la ruelle, le jeune Elfe ne put retenir un sourire.
La nuit était tombée depuis quelques heures à peine. Maintenant qu'il avait les poches pleines et qu'il était de retour en ville, Haden avait bien l'intention de passer un peu de bon temps.
<< Asteras. On dit que ses femmes sont aussi belles que ses tours... Voyons si cela est toujours aussi vrai que lors de ma dernière visite >>.
Il retourna donc à pied jusqu'à la rue principale et se rendit dans une taverne plutôt fréquentée. Après avoir balayé la salle du regard, Haden, déçu par l'absence de belles demoiselles, s'assit au comptoir et demanda à boire.

Quelques heures - et quelques bouteilles d'absinthe - plus tard, Haden ressortit en titubant de la taverne, un flacon de spiritueux à la main. Son gilet de cuir noir était ouvert, de même que le col de sa chemise ample.
Il fit quelques pas, pas vraiment droit, avant de s'écrier :

- HOULA! ÇA T... - Hips! - TOURNE!
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#3
Quelques heures plus tôt...

Lanaë étudiait la musique, comme souvent, avec le professeur qu'avait designé son père. Un homme trappu et robuste, à l'air farouche. Il avait quelques poils sur la pointe du menton, une peau épaisse aux pores dilatés, et des cheveux cassants. Maître Apolis - c'est ainsi qu'il se nommait - n'avait rien de la grâce des elfes. Cependant, il possédait nombre de qualités, et surtout, une intelligence exceptionnelle. Il avait mis cette dernière au service de la musique. Cette passion, il la transmettait à Lanaë, son élève depuis deux années maintenant. Il l'appréciait grandement, car attentive et talentueuse.

« Préfère une autre note à celle-là » conseilla-t-il alors qu'elle jouait un morceau à la harpe. L'instrument avait coûté très cher, mais la volupté du son valait tout l'or d'Ecridel. Aussi, la harpe demandait-elle une extrême finesse dans le doigté ainsi qu'une attention toute particulière. Lanaë consentit sans réserve à rejouer pour s'améliorer. L'exercice lui plaisait, et rien, ni aucune remarque ne pouvait entâcher ce plaisir. L'elfe caressait les cordes de la harpe tout en fermant les yeux. Elle emporta l'enseignant loin de sa demeure, loin d'Asteras, loin d'Ecridel, très loin et très haut dans le ciel.

A la fin du cours, Lanae remercia maître Apolis et passa la porte. Il faisait déjà nuit. Le ciel d'un noir de jais était sans lune ce soir. Le vent soufflait mais se faisait muet, trop respectueux du silence. En effet, les rues de la cité étaient désertes à cette heure-ci et il régnait un calme absolu.

Sa suivante l'attendait devant la porte, sagement.
« Allons-y » annonça Lanaë à celle qui était devenue son amie.

Elle accrocha sa cape d'argent autour de son cou, et pressa le pas.
Les silhouettes des deux elfes s'approchaient de la taverne. Leur ombre sur le sol dallé s'effaça à la lumière des lanternes extérieures. Celles-ci pendouillaient gaiement à chaque extrémité de la bâtisse en pierre. Et dans cette lumière, il y avait un homme titubant.
La servante , Acle, prit la main de Lanae et l'entraîna avec elle.

« Passons notre chemin » fit-elle, inquiète.

Mais l'elfe restait figée sur place. Déconcertée, elle suivait la scène. Elle qui ne sortait pas dans Asteras, sauf pour son cours de musique - sur décision de son père-, n'en voulait rien perdre. Elle lâcha la main d'Acle.

« Non. Je vois bien que quelque chose ne va pas pour cet homme... » Puis, en se tournant vers sa suivante : « Penses-tu qu'il est blessé ? Il m'a l'air bien mal en point : il boîte. »

L'interrogée haussa les épaules.


L'elfe titubant était désormais à terre. Il semblait qu'il s'était emmêlé les pieds dans sa très longue cape sombre. Le motif de sa chute n'importait que peu. Lanaë était entrée dans le cercle des prêtres par amour pour les autres. De nature aidante, et attentionnée, elle se plaisait à panser les blessures de guerre et à soigner n'importe quels maux qu'ils fussent douloureux ou non.

La prêtresse s'avança alors vers l'étranger. Elle constata qu'il était inconscient. Elle constata aussi, et surtout, qu'il avait bu. C'était donc cela ; ivre mort, le pauvre homme n'avait su mettre un pas devant l'autre et avait fini par trébucher. Et voilà son corps inerte en plein passage !

Lanaë reconnut l'odeur de l'alcool bien qu'elle n'en eût jamais bu. C'était une odeur de liqueur, particulièrement puissante. Les vêtements détrempés de l'ivrogne transpiraient l'absinthe.

« Aide-moi à le relever, je te prie, ordonna Lanae.
- Pourquoi ne pas le laisser là ? » lança Acle, de mauvaise foi.

Lanaë, dont le visage était d'habitude si doux, transperça son interlocutrice du regard. Un regard noir qu'on ne lui avait jamais vu.

« Aide-moi » répéta la prêtresse.

Elles s'y attelèrent ensemble, tant bien que mal, et parvinrent à relever l'elfe. Elles supporterent ce dernier jusqu'au palais. C'est là que vivait le père de Lanaë, un elfe riche et influent. Il était convenu que la visite nocturne d'un ivrogne au palais demeurerait secrète.

« Mon père ne doit pas savoir » fit encore Lanae, d'une voix grave.

Les deux elfes conduisirent l'étranger dans une chambre. Le corps inerte de ce dernier reposait à présent sur un grand lit à baldaquin. En femme expérimentée, Lanaë envoya Acle chercher un linge propre, et un récipient empli d'eau. Elle s'approcha de l'elfe inconscient et défit les deux boutons, les seuls à ne pas avoir été arrachés, de son gilet en cuir.

« Merci » fit Lanaë, en s'emparant de la pièce de tissu.

Elle plongea le linge dans l'eau tiède et le passa sur le visage de l'homme. Ensuite, elle versa dans son cou trois gouttes d'huiles essentielles contenues dans un minuscule flacon vert.

« Tu peux te retirer, je vais rester » déclara Lanaë à l'adresse de sa suivante. Une fois seule avec l'étranger, elle s'autorisa quelque observation. Son père lui avait interdit de dévisager quiconque à grands coups de "cela ne se fait pas", " c'est indécent pour une elfe de ton rang " ou encore " te voilà honteuse ". Mais qu'importe ! L'homme était allongé là, tout près d'elle, et personne ne le saurait jamais.

L'observant avec plus d'interêt, elle remarqua son large front encadré de cheveux sombres, fort épais. Ses sourcils étaient tres noirs, plantés net, droits, soulignant l'architecture ordonnée du visage. Elle pensa qu'il était séduisant, et s'endormit à son chevet sur cette pensée.
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#4
Haden commença lentement à revenir à lui. Une douleur lancinante lui transperçait la tête, obscurcissant ses pensées. Tout était encore noir autour de lui, mais ses autres sens semblaient lui revenir peu à peu.
Ses doigts touchaient une matière délicate, douce et molle comme il n'en avait pas senti depuis longtemps. Une étoffe d'une grande douceur, sans doute. De la soie, peut-être?
Et cette fragrance... Ce parfum à la fois subtil et enivrant qui parvenait jusqu'à ses narines. Qu'était-ce donc? Haden ne le savait pas, et peu lui importait. Cette atmosphère, cette douceur, cette chaleur faisaient voyager l'esprit du jeune Elfe dans de lointains souvenirs...


<< La dernière fois que j'ai senti cela... Quand était-ce?
Avec elle, je crois... Quel était son nom, déjà? Indis? Non, c'était une autre... Anarya, peut-être?
Ah, ça me revient... La douce Aredhel... Une bien jolie elfe que celle-là.
Une longue chevelure dorée, nouée en tresse dans son dos. Un visage beau et fin, des lèvres charnues qui ne demandaient qu'a être embrassées. Et ses courbes... J'en ai rarement vu d'aussi belles que les siennes.

Je m'en souviens comme si c'était hier...
J'étais entré dans cette taverne, en quête d'un peu d'alcool pour m'hydrater le gosier. Je me suis approché du bar et là, je l'ai vue.
Elle portait un plateau vide et retournait vers le bar quand un vieux poivrot, saoul jusqu'au trognon, l'attrapa par la taille et essaya de l'embrasser.
Je n'aurais jamais cru qu'on puisse tuer un homme avec un vulgaire plateau en bois avant ce jour. Certes, Aredhel ne tua pas cet homme mais, en seul coup, elle lui avait suffisamment fracassé la tête pour que l'ivrogne se mette à cuver son alcool dans la seconde.
La belle créature avait alors repris sa marche vers le comptoir, comme si de rien n'était.

Cette scène provoqua l'hilarité générale. Bien que cela aurait rebuter les autres mâles présents, il me fallait tout de même tenter ma chance : tant de beauté et de caractère dans une femme, c'était trop rare que pour la laisser passer. Il me fallait l'avoir.
Je m'installai donc au bar et demandai à boire. Quand elle me donna mon verre, je profitai de l'occasion pour lui glisser quelques mots.
Je réussis à la faire sourire. Un bon début si je voulais l'amener dans mon lit.
Au fur et à mesure de la soirée, nous faisions plus ample connaissance, la demoiselle revenant auprès de moi entre deux tournées à servir. Lentement, imperceptiblement, je parlais avec elle de choses et d'autres et laissais mon charme opérer.
Elle m'appartenait déjà.

Je finis par être le dernier client dans la salle. Alors que je déposais l'argent de ma note sur le bar, je lui racontais un dernier calembour. Son rire cristallin résonna dans la salle et je ne quittais pas ses lèvres du regard.
N'y tenant plus, je pris cette elfe, objet de mon désir, dans mes bras et l'embrassai. Je finissais de lui ôter son tablier, son doux parfum m'emplissant les narines, quand elle m'emmena dans l'étable juste à coté et s'allongea avec moi dans le foin.
Je ne dormi pas beaucoup, cette nuit-là.
Et au matin, j'étais parti. Jamais plus je ne revis Aredhel.

Je ne me suis jamais attaché à une femme. Les sentiments sont une perte de temps. Si je peux m'amuser un peu avec elles, tant mieux. Sinon, tant pis. Aucune femme n'est irremplaçable... >>



Alors qu'il se remémorait tout cela, Haden se libéra peu à peu de l'engourdissement qu'éprouvait son corps. Lentement, il ouvrit les yeux. La vision trouble et la tête douloureuse, le jeune elfe se redressa et regarda autour de lui.
Il se trouvait dans une magnifique chambre, richement décorée. Des dorures ornaient les murs, les meubles et les plafonds. Il était allongé dans un lit à baldaquin drapé d'une étoffe d'un vert profond.

<< Mais... Où suis-je? Je ne connais pas cet endroit... Tout ce que je me rappelle, c'est avoir marché dans la rue, après être sorti de la taverne. Puis... rien. Le trou noir.
Comment diable ai-je atterri ici? >>


Alors qu'Haden se posait ces questions, la poignée de la porte pivota et la porte s'ouvrit.
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#5
La porte s'ouvrit sans grincement et Lanaë apparut un plateau entre les mains. L'objet était de forme ovale, fait de bronze et de fer parsemé de pierres précieuses. Un très bel objet de famille. D'une démarche prudente et alentie, la prêtresse avança jusqu'au centre de la pièce. Là, elle posa le plateau sur une table basse qui occupait l'espace.

De son lit, l'inconnu pouvait voir le bon repas qu'elle lui avait préparé.


Lanaë s'était faufilée en cuisine, sans rien en dire à son père, et avait confectionné quelques mets sous le regard surpris des servantes. Par ailleurs, Acle lui avait glissé des mots à l'oreille, attitude qui avait soulevé bien des interrogations. Mais finalement, les servantes, trop occupées, ne s'étaient pas attardées sur ces faits suspects.


« Vous voilà réveillé ! s'exclama l'elfe. J'espère que vous êtes remis comme il faut. »

Elle esquissa un sourire, et poursuivit : « Nectar de mûre, pastez de chevreuil au cassis et sanglier à l'hypocras accompagné d'un potage au potiron et de purée de fèves. Si vous avez faim après tout cela, je vous propose quelques parts de gâteau aux noix ainsi que des fruits frais. »


Il semblait que l'homme salivait à ses mots. Il avait faim et il allait pouvoir se rassasier. Lanaë remarqua combien ses cheveux étaient sales, presque gras, et ébouriffés. Peut-être ne mangeait-il pas à sa faim ? Elle se prit à penser qu'il venait de quelque village pauvre, mais après tout elle ne connaissait rien au sujet de cet homme. La seule chose dont elle était sûre, c'est qu'il était affâmé. En le regardant manger comme un animal, Lanaë afficha un air de dégoût. Puis, elle se rappela la chair de chevreuil au goût de gibier et son visage se détendit.

« Quel est votre nom ? » demanda-t-elle d'une voix douce, comme pour l'apprivoiser.

Pas de réponse.

L'homme se nourrissait et n'était pas attentif à ce qui se passait autour de lui.

« Je vous laisse manger », fit-elle gentiment.

La prêtresse saisit les assiettes vides et posa ces dernières sur la table. Alors qu'elle était dos à l'étranger, elle sentit quelque chose dans le bas de son dos. Une main?

Effrayée, et en même temps blessée, elle lâcha les assiettes qu'elle tenait et s'enfuit en courant, bouscoulant la table au passage.

Elle laissa l'homme seul dans cette chambre immense avec pour toute animation le crissement sur le sol de mille morceaux de verre.
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#6
Haden fut surpris de voir la jeune femme lâcher les assiettes lorsqu'il lui toucha la partie supérieure et charnue de la hanche. Les femmes qu'il côtoyait d'habitude semblaient plutôt apprécier ce genre de comportement de sa part. C'est donc avec un mélange de stupéfaction et d'amusement qu'il regarda la jeune femme s'enfuir.

L'elfe resta là un moment, à essayer de comprendre l'étrange réaction de celle qui l'avait recueilli.
Pourquoi lui était-elle venue en aide et l'avait-elle emmené chez elle si elle ne désirait rien en échange? Il lui avait pourtant semblé apercevoir cette lueur dans les yeux de la dame, signe qu'il ne lui était pas indifférent.
Haden finit cependant par hausser les épaules. Peut-être avait-il mal vu? Cela n'avait plus grande importance maintenant.
Il était repu, reposé et bien décidé à trouver une femme pour s'amuser un peu.

Il se rhabilla donc et sortit, ses bottes crissant sur les débris répandus sur le sol.
L'elfe ne croisa que peu de personnes en sortant du palais, mais toutes semblaient à la fois dégoutées par sa tenue et étonnées par sa présence. Il était visiblement peu commun que des roturiers se trouvent dans les appartements des nobles sans travail entre les mains.

- Hé! Vous, là bas, avec la cape noire.

Haden se retourna. Cinq gardes en arme s'approchaient de lui d'un air soupçonneux. Amusé, le jeune homme s'inclina très bas, un sourire aux lèvres, avant de s'élancer dans la direction opposée.

- Arrêtez-le! crièrent les gardes tout en se lançant à la poursuite d'Haden.

Le fuyard passa une porte, choisie au hasard dans sa course folle. Un grand escalier de marbre s'ouvrait devant lui, le hall principal en contrebas.
L'elfe dévala les marches quatre à quatre et sortit du palais, provoquant l'étonnement des gardes à la porte.


Quelques heures plus tard, Haden sortait d'une ruelle comme si de rien n'était, son capuchon sur la tête.
Il avait eu de la chance que les gardes, encombrés de leurs armures, ne le poursuivent longtemps à travers la ville.
Pendant sa fuite, Haden avait essayé de se rappeler où il avait laissé son cheval, sans y parvenir. Et voilà deux heures déjà qu'il écumait les rues à la recherche de son coursier, sans succès.

De retour dans la rue principale, Haden fut surpris par le spectacle qu'il y découvrit.
Devant ses yeux ébahis, des dizaines de marchands de divers horizons montaient des stands en bois, d'autres arrangeaient leurs marchandises, d'autres encore décoraient étals et rues...
Le marché! Le lendemain se tenait le grand marché d'Asteras, qui n'avait lieu qu'une fois par saison. Son cheval avait certainement dû gêner le passage d'un chariot et on avait déplacé la monture.
Comme d'habitude, un bureau de doléances avait été ouvert dans la ville à l'occasion du marché. Dans la foule générée par cet évènement, nombreux étaient les objets perdus et habiles étaient les voleurs. Si on avait déplacé son destrier, les responsables du bureau le sauraient forcément.
C'est donc avec cette idée en tête qu'Haden se rendit au bureau de doléances, situé près des portes de la ville.

Quand il arriva au bureau, la file d'attente était déjà longue, au point même de se prolonger en dehors du bâtiment. N'ayant aucune envie de faire la queue pendant des heures, le jeune elfe contourna la file et entra dans le bâtiment, provoquant l'indignation des personnes présentes.

- Suivant! fit une voix aigüe alors qu'Haden entrait dans la bâtisse.

Il en profita et, bousculant au passage la personne dont c'était le tour, s'avança jusqu'au comptoir.

- Excusez-moi, mais j'avais attaché mon cheval sur une place et...

- Monsieur, vous devez faire la queue, comme tout le monde. dit le responsable d'un ton cassant.

- Écoutez, mon cheval a...

- Non monsieur, c'est à vous d'écouter. Allez faire la file et attendez votre tour.

Haden soupira légèrement, sans quitter des yeux la tête de fouine du fonctionnaire qui le dévisageait avec un air hautain.

- Je veux simplement...

- Il suffit! Puisque vous ne voulez pas faire la file, je vais devoir vous demander de sortir.

Il fit alors un signe aux deux gardes derrière lui qui étaient jusqu'ici restés immobiles. Les hommes d'arme s'approchèrent alors, pointant leurs hallebardes vers le jeune elfe.
Haden n'eut même pas à dégainer son épée. Il se contenta de lever les mains et de prononcer rapidement quelques formules magiques.
Les deux gardes prirent feu quasi-instantanément. Poussant de grands cris, ils lâchèrent leurs armes et commencèrent à courir dans la pièce. L'un finit par se rouler au sol, essayant d'éteindre le brasier grandissant dont il était le centre, tandis que l'autre s'élançait au dehors, boutant inconsciemment le feu à tout ce qu'il touchait.
La foule, prise de panique, se dispersa en criant. Les gens couraient dans tous les sens, semblant avoir abandonné toute raison pour se joindre à la frénésie collective.

Le mage regarda la file disparaitre, puis reporta son attention sur le gratte-papier. Le fonctionnaire était toujours assis derrière son comptoir, légèrement tremblant. Son front était couvert de sueur et la terreur se lisait sur son visage.
Impassible, Haden plongea son regard dans celui du responsable et dit lentement, sur le ton de la menace :

- Je vous repose donc ma question : où se trouve mon cheval?
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#7
Le lendemain, le fait divers avait déjà traversé toute la ville. Les elfes chuchotaient la rumeur dans les tavernes, les échoppes et même dans la rue. On voyait plus de gardes qu'à l'accoutumée devant l'entrée des grands bâtiments d'Asteras. Deux gardes, comme eux, avaient été tués par un étranger quelque peu impatient. Aussi avait-on redoublé de précaution.


Alors que le soleil s'approchait du zénith, les dires parvinrent aux oreilles d'un elfe de haut rang. Ce jour-là cet homme, nommé Danthanel, ne travaillait pas, et c'est pourquoi il n'apprit la nouvelle que tard dans la matinée. S'il avait été dans les bureaux de l'administration, il aurait sans doute été alerté très rapidement. Pour l'heure, Danthanel lisait dans son salon, confortablement assis dans un large fauteuil.


Pendant ce temps, dans la salle d'eau, sa fille Lanaë prenait un bain. Tout autour d'elle, trois servantes, tour à tour, la massaient, la peignaient et la frottaient avec du savon parfumé.

« Vous n'avez pas eu d'ennuis avec monsieur votre père? » questionna Acle, toujours très attentionnée avec sa maîtresse.

Les deux autres domestiques regardèrent Lanaë, sans comprendre.

« Évitons d'en parler », dit-elle à voix basse.

Suite à cela, l'elfe se leva, révélant un corps harmonieux. Les courbes très prononcées de sa taille et de ses hanches contrastaient avec la petitesse de sa poitrine. Fermes et ronds, ses jeunes seins faisaient taire les traits presque trop accusés de son bassin. Les servantes enveloppèrent Lanaë dans de grands linges blancs et l'emmenèrent hors de l'eau. L'elfe fit un signe de la main, et elles se retirèrent sans bruits. Lorsqu'elle fut seule, elle s'installa à sa coiffeuse. Là, elle sortit un peigne en corne et en or ciselé qu'elle passa dans ses longs cheveux blonds. Tout en contemplant son reflet dans l'immense miroir, elle s'interrogea sur le destin de l'ivrogne.

« Votre père vous demande pour le souper, fit une voix de femme derrière la porte.

- Dites-lui que j'arrive »

Quelques instants plus tard, Lanaë arriva présentable dans la salle du repas. Son père leva les yeux à son entrée, charmé.

« Asseyez-vous ma douce enfant. »

Sur la table en bois de chêne avait été posée une nappe de tissu brodée, et sur cette nappe, de nombreux plats, ainsi qu'un service en argent. Une odeur délicieuse s'échappait de bols en verre givré. De petits récipients peints à la grisaille avec des rehauts d'or.

Quand les domestiques s'éclipsèrent, la famille réunie autour de la table commença à manger. Comme à chaque repas, la conversation tournait autour des activités pratiquées par Lanaë, notamment la musique. Mais ce jour-là, elle fut écourtée par une triste nouvelle.

« Deux de nos gardes ont trouvé la mort avant-hier, déclara Danthanel. L'homme qui a commis cet acte est décrit différemment d'un témoin à un autre. En tous cas, ceux qui ont vu la scène s'accordent à dire qu'il était grand, vêtu d'une cape noire et d'un gilet en cuir. Ils disent que c'était inattendu et terrifiant. De surcroît, il aurait prononcé de sombres formules d'Arcane. »

Le père porta son gobelet à sa bouche, il but une gorgée, et poursuivit :
« Ce matin, un marchand a affirmé qu'il avait les cheveux bruns.. enfin, au regard des mèches qui tombaient sur son front. »

A cet instant, Lanaë avala de travers. Il lui sembla que l'inconnu qu'elle avait recueilli il y a quelques jours correspondait à cette description. Vu la façon dont le dépeignaient les habitants d'Asteras, ce devait être un vil personnage. Aussitôt, elle fut saisie d'un sentiment de culpabilité. Ses joues rosirent peu à peu. Elles devinrent bientôt cramoisi. La prêtresse baissa la tête pour dissimuler sa gêne.

« Qu'y a-t-il ma fille ? demanda Danthanel, tiré de son discours par l'attitude de Lanaë.

- Il n'est rien, murmura-t-elle.

- Dans ce cas, pourquoi êtes vous rouge écarlate?

- Il n'est rien », répéta Lanaë, doucement.

Elle était de nature obéissante, mais l'état d'ébriété d'un elfe l'avait poussée à violer les règles. Le soir où elle avait vu cet homme saoul dans une ruelle, elle avait pris la décision de l'aider, malgré les mises en garde d'Aclé. Et désormais, elle allait le payer.

« Appelez moi Acle », ordonna Danthanel à une suivante qui s'executa.

Après deux battants de porte, la demandée fut dans la pièce. Ses yeux se posèrent sur sa maîtresse puis sur le maître de la maisonnée.

« Vous êtes à mon service, n'est-ce pas Acle?

- Oui monsieur

- Aussi, je sais que vous et ma fille êtes d'une grande complicité. Je me trompe?

- Non monsieur

- Alors pouvez-vous m'expliquer pourquoi ma fille rougit lorsque j'évoque l'évènement meurtrier survenu hier?

- Je.. je ne sais pas, monsieur, balbutia Acle

- Avez-vous eu connaissance de quelque rencontre entre ma fille et un homme ? Bien que je le lui ai défendu... »


La servante resta muette, et le père demeura sans réponse.

Danthanel, excédé, déchira ce silence : « Dites-moi ce qu'il s'est passé Acle ! »


Finalement, Acle raconta ce qu'il s'était passé, et ce devant Lanaë. Un simple ordre l'avait fait plier, malgré sa dévotion.
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#8
Après avoir entendu ce qu'il s'était passé, une colère sourde naquit dans le coeur de Danthanel. Mais cette hargne n'était pas dirigée contre sa fille.
Il était déçu que Lanaë ait bravé ces interdits, bien sûr, et plus encore qu'elle le lui ait caché. Mais cet étranger avait passé une nuit avec sa tendre enfant, sans que personne d'autre ne soit présent. Seuls les dieux savaient ce que cet être sans scrupules avait osé faire à sa fille chaste et pure.

Le père de Lanaë se leva sans un mot et sortit de la pièce.
Alors qu'il traversait le hall du palais d'un pas rapide, la fureur submergea Danthanel. Une seule chose comptait à présent : retrouver cet assassin, lui arracher la vérité, de force si il le fallait, et le châtier en conséquence...

Le noble sortit dans la grand rue et s'approcha d'un des marchands proches.

- Commerçant! Il me faut trouver un grand elfe, vêtu d'une cape noire. Auriez-vous vu cet individu malsain que je cherche?

Son ton était très sec, sans appel. Loin de sa diplomatie habituelle. Le marchand, qui était plongé dans ses marchandises, se retourna vers son interlocuteur et retint un hoquet de surprise en voyant Danthanel, autant à cause de la flamme qui dansait dans les yeux du noble que parce qu'il l'avait reconnu.

- J-Je ne sais pas, Seigneur... Nombreux sont les clients qui passent par ici, et il me serait impossible de me rappeler leurs visages... Peut-être est-il passé, mais je ne saurais vous dire où il est allé...

- Vous feriez mieux de rapidement retrouver la mémoire. Sinon, votre commerce pourrait en pâtir...

En effet, Danthanel travaillait aux services des Grands Comptes. C'était lui qui était chargé de la gérance des ressources du Royaume. Rien ne serait plus facile pour lui que de faire en sorte que ce commerçant soit moins approvisionné qu'un autre...
Le marchand, effrayé, ne put lui indiquer qu'une vague direction. Le noble emprunta donc la direction désignée et demanda à plusieurs reprises aux commerçants si ils n'avaient pas vu passer un grand elfe correspondant à la description d'Haden.
Néanmoins, peu se souvenaient l'avoir aperçu et moins encore pouvaient lui indiquer où il était allé.

Il chercha ainsi pendant longtemps, sans grand succès.
La piste l'avait ramené sur la grand rue. Marchant parmi la foule chamarrée, il balayait les badauds du regard, cherchant quelqu'un vêtu d'une cape noire au milieu de toutes ces couleurs.
Et, juste au moment où il commençait à désespérer de ne jamais retrouver cet individu, Danthanel le vit. Il vit l'être odieux qui avait passé une nuit avec sa fille.

Il était là, marchant nonchalamment au milieu des étals.
Le père de Lanaë se rapprocha alors de l'elfe qu'il avait tant cherché, bousculant sans retenue les gens qui le séparaient de son objectif.

Haden, inconscient qu'il était suivi, s'engagea dans une rue adjacente.
Le fonctionnaire du bureau des doléances lui avait finalement révélé où son cheval avait été déplacé. Le jeune elfe se rendait à l'écurie dans laquelle se trouvait son destrier quand soudain, quelqu'un le héla.

- Vous là, le sieur avec la cape noire. J'aimerais vous parler.fit Danthanel d'une voix cassante.

Haden se retourna vers son interlocuteur. La rue, plutôt étroite, était déserte à l'exception de lui et d'un elfe assez âgé, aux cheveux grisonnants.
L'inconnu était vêtu d'une longue robe bleu nuit, toute brodée d'or et d'argent. Il portait aussi une cape rouge, brodée également, attachée par une lourde broche d'or ouvragé. Les différentes pierres précieuses que l'homme arborait à ses doigts et à son cou lui suffirent à deviner que c'était un noble qui se tenait devant lui.
Intrigué par ce qu'un membre de la haute société pouvait bien lui vouloir, le jeune elfe consentit donc à écouter ce qu'on avait à lui dire.

- Et que puis-je pour vous, monsieur? dit Haden d'un ton un peu moqueur.

- Puis-je savoir ce que vous avez fait à ma fille ? enchaîna le père de Lanaë.

- Votre fille? Il va falloir être plus clair, j'en ai peur...

- Ma fille vous a amené au palais il y a deux jours. Pourquoi y êtes-vous venu ?

- Ah, cette fille là... Voyez-vous, cher monsieur, j'étais saoul, ce soir là. Aussi, même si l'envie m'avait pris de résister à la belle demoiselle, je n'aurais pas pu.

La discussion semblait beaucoup amuser Haden. Cet homme n'était visiblement pas au courant de ce qu'il s'était passé cette nuit-là. Cette jeune fille avait donc gardé ça pour elle? Voilà qui était intéressant...
Danthanel, lui, fut loin d'être satisfait de cette réponse. Ses poings se serraient lentement.
Dominant sa rage, il reprit d'un ton qu'il voulait calme.

- Qu'avez-vous fait à ma fille?

- Moi, lui faire quelque chose? Je crois qu'il y a méprise, répondit Haden avec un sourire.

- Vous ne me ferez pas croire qu'un meurtrier sans scrupules tel que vous a agi en bien avec une jeune fille, reprit le noble, qui commençait sérieusement à s'énerver de l'air détaché du jeune homme.

Je vous repose donc ma question une dernière fois : qu'avez-vous fait à ma fille?

- Je doute que mon état m'ait permis de lui faire quelque chose ce jour-là, et encore moins de m'en souvenir une fois cela fait.

Le père de Lanaë fulminait. Si ça n'avait tenu qu'à lui, cet insolent aurait déjà été au sol en train de se tordre de douleur. Mais il devait rester calme. Ce n'était pas à lui de se faire justice lui-même. Les nobles n'agissent en tous cas pas de la sorte.
Aussi, le noble se contenta de serrer les dents et dit d'un ton empreint de menaces :

- Je vous somme de quitter la ville sur le champ, et de ne jamais y revenir. Croyez-moi, cela vaudrait mieux pour vous...

Sans même attendre une réponse, Danthanel tourna les talons et commença à s'éloigner.
Haden lui lança alors avec insolence :

- Mes amitiés à votre douce fille. Dites-lui qu'elle cache ces seins que je ne saurais voir...

C'en était trop pour le père de Lanaë. Danthanel, se retourna rapidement et commença à prononcer des formules magiques, des flammes jaillissant de ses paumes dirigées vers le jeune Elfe.
Haden, d'une rapide incantation, absorba l'énergie du sort. Les flammes s'éteignirent dans un crépitement, laissant le noble sans défense.
Le jeune elfe relâcha alors la décharge d'énergie pure, la dirigeant sur Danthanel d'un mouvement de main. Le père de Lanaë, complètement stupéfait, ne put esquiver et reçut la sphère de magie pure dans le ventre.

Il s'écroula alors au sol sans un cri. Tout le coté droit de sa robe était entaché de sang.

Haden regarda le corps inanimé du noble se vider lentement de son sang.

- J'y suis peut-être allé un peu fort...

Quelques mots et un mouvement de main. C'est tout ce qu'il avait fallu à Haden pour le terrasser. Ce sort, qui n'aurait eu aucun effet sur un guerrier, s'était avéré particulièrement redoutable sur le noble, qui lui avait pourtant semblé être un puissant mage.

Un peu étonné des effets dévastateurs de son sort sur cet inconnu, Haden tourna les talons et s'éloigna.
Il lui fallait effectivement quitter la ville, mais pas tout de suite. Il avait encore certaines choses à faire ...
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#9
Quelques heures plus tard, alors que la nuit tombait, Danthanel se réveilla. Sa tête était lourde, et souffrait encore du choc de la chute. Il tenta de remuer ses doigts mais n'y parvint pas. Ces derniers étaient comme un moule sur lequel aurait été versée de la matière. Ses mains et tout son corps était paralysés de douleur.


Il inspira profondément avant de fermer les yeux et de murmurer quelque incantation. Là, il se mit à plat ventre et, retrouvant la force de ses bras et ses jambes, se releva.
Une fois debout, il songea à sa famille qui l'attendait, et peut-être s'inquiétait.


« Me voilà en retard », grommela l'elfe qui devinait sa femme et sa fille déjà à table.


Le père de Lanaë était un homme honorable, droit, et aussi ponctuel. Jamais il n'était arrivé en retard pour le souper. Et être absent était plus impensable encore. Ce serait manquer à son devoir de chef de famille. Pour cette fois, en revanche, il lui faudrait bafouer ses principes.


« Tout ira bien... », soupira le Haut fonctionnaire, comme pour se convaincre.



Il se mit en chemin, une main en compresse sur son ventre ensanglanté. Il marcha ainsi environ une heure puis il s'arrêta devant une vieille bâtisse en bois. Une habitation trapue avec un toit débordant. Une fois qu'il fut sur le seuil de la porte, il sonna trois fois la cloche qui pendait là. Une tête coiffée d'un chapeau apparut alors entre les rideaux d'une fenêtre. Furtivement, l'homme regarda qui se trouvait devant sa porte et disparut. L'instant d'après, il ouvrait à Danthanel.

« Bien le bonsoir Sieur Danthanel, entrez vite », fit-il en scrutant les alentours.


L'hôte était tant aux aguets qu'il semblait ne pas voir le ruisseau de sang à ses pieds. On aurait dit qu'il redoutait quelque chose, ou plutôt la venue de quelqu'un.

« Entrez, entrez », dit-il à nouveau, d'un ton pressant.



Danthanel suivit son ami de longue date à l'intérieur de sa demeure. Tout à coup, il se sentit plus en sécurité, comme protégé par des remparts. Traîner dans les ruelles sombres d'Asteras était fortement déconseillé, et encore plus déconseillé si l'on dégouttait de sang. Le Haut fonctionnaire se souvint avec aigreur du vil personnage qui l'avait blessé. Mais bientôt, il retrouverait sa forme physique.


« Allons dans mon cabinet. »

Les deux hommes sortirent du vestibule et empruntèrent un petit couloir mal éclairé. Ils traversèrent une pièce de séjour tout en longueur et enfin, trouvèrent le cabinet. C'était un endroit surchauffé, surplombé par un plafond plutôt bas. Les meubles qui s'y trouvaient étaient sans décoration. Tous deux se carrèrent dans de larges fauteuils faiblement garnis.



« Que me vaut une visite à une heure si tardive ? », questionna l'homme au chapeau.

Soudain, son teint devint blanc. Ses yeux s'étaient figés sur l'énorme blessure de Danthanel. Il avait trouvé la réponse à sa question.

« ... qui vous a fait une chose pareille? »


Le père de Lanaë parut gêné. Il n'avait jamais été confronté à une telle situation. Une situation humiliante à ses yeux. Par ailleurs, il demandait rarement de l'aide.

« J'aimerais que cela reste secret, dit-il à voix basse.

- Entre nous, il ne vaut mieux pas que vous m'en informiez. Je me contenterai donc de ce que je fais le mieux...», déclara l'homme dans un large sourire.

Danthanel, laissa échapper un petit rire. Son vieil ami était l'un des meilleurs prêtres qu'il n'avait jamais connus. Celui-ci était un prêtre très demandé chez les Hauts elfes. Au cours de sa carrière, il avait beaucoup voyagé et avait prodigué des soins aux quatre coins de l'Erioss. L'Arcane et la médecine n'avaient plus de secrets pour lui. Aussi, agissait-il sur ses patients avec une précision remarquable. Seule une extrême maitrise de la magie pouvait le permettre. Et de fil en aiguille, de bouche en oreille, il s'était doté d'une solide réputation. De fait, le gouvernement avait requiert ses services. C'était là une période de lumière et de fortune pour ce prêtre qui d'origine vivait principalement de ses soins. Puis, on l'avait accusé de quelque expérience douteuse sur l'un de ses patients. Et peu à peu l'avait-on oublié... C'est pour cela, que Danthanel avait fait appel à lui. Pour ses qualités de soigneur, mais surtout pour la confidentialité.


Après qu'il eut prodigué les soins, l'homme au chapeau se leva de son fauteuil et tapa sur l'épaule de son invité. Danthanel se leva à son tour et fut reconduit à la porte.

« Vous allez vous en remettre, Sieur Danthanel », dit-il, confiant.

Il plissa le front puis fronça le nez avant d'ajouter :

« ...Mais ne laissez pas la rancune obscurcir votre jugement.

- Cette personne a voulu m'ôter la vie », répondit simplement le père de Lanaë.

En effet, un homme l'avait attaqué, le laissant inconscient, à même le sol. Il avait failli le tuer. Aussi, devait-il payer. Et par delà la vengeance d'un homme, il y avait la vengeance d'un père. Un père qui avait été humilié par un scélérat et qui se demandait toujours si ce dernier avait touché sa fille. Trop de raisons pour expliquer les sentiments de haine que Danthanel nourrissait à présent. Il trouverait ce malfrat, et il était plus déterminé que jamais.
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#10
Pendant ce temps-là, Lanaë, dans une tenue convenable pour le souper, interrogeait sa mère et Acle sur l'absence de son père. Aucune des deux ne semblait détenir la réponse.
Pourtant, la jeune femme ne se décourageait pas et émettait mille hypothèses.


« Peut-être que père a été retenu par l'Administration du royaume. Ce ne serait pas étonnant... avec toutes ces affaires, en ce moment. »


La mère acquieça, sans un mot. Son visage ne laissait passer aucune émotion. Souriante et exempt d'agitation, elle ne prenait jamais réellement part aux conversations. Contrairement à sa fille d'une gaieté aimable, elle affichait rarement sa joie. Tandis qu'elle s'effaçait en société, Lanaë allait au devant des autres pour les intéresser. Néanmoins, celle-ci conservait les grands yeux turquoise de sa mère, pareils aux gisements de pierres précieuses, avec leur gangue vert-de-gris. Elle avait par ailleurs hérité de sa bouche longue et charnue.


« Ou peut-être s'est-il passé quelque chose de grave en ville qui a requis sa présence. »

De nouveau, la mère de Lanaë acquiesça.

« Peut-être aussi que ... »

Un claquement de porte se fit entendre, interrompant toute spéculation. Un homme dynamique, grand et robuste, entra dans la pièce. Danthanel apparut radieux, comme si de rien n'était, dans des vêtements tâchés de sang. Sa femme, prise d'incompréhension, ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais la referma aussitôt.


« Père qu'est-il arrivé ? », se risqua Lanaë, bien que son père détestât qu'elle prît la parole sans la lui avoir demandée.

Celui-là ne prêta pas attention au questionnement de sa fille, et appela des servantes.


« Je m'en vais me baigner dans ma salle d'eau. Mes habits seront dans le panier en bois, sur le seuil de la porte », renseigna-t-il.

Les servantes opinèrent et partirent en direction de la blanchisserie du Palais.


Dès lors, tout le monde quitta la pièce. la jeune prêtresse reçut l'ordre de gagner sa chambre, et de se coucher. L'elfe était fatiguée ; ses leçons de harpe de la journée l'avait mentalement épuisée. De fait, l'exercice de la musique demandait de la rigueur. Pourtant, elle ne parvint pas à s'endormir. D'obscures pensées tourbillonnaient dans sa tête laissant l'anxiété s'emparer d'elle. Ses yeux finirent par se plisser sous la pesanteur des paupières.


Le lendemain matin, après une nuit sans rêves, Lanaë se réveilla pleine d'incertitudes. Montant dans le ciel, le soleil transperçait la fenêtre en vitrail de sa chambre et déposait de minuscules motifs colorés sur le sol tapissé. Des rayons de lumière tièdes s'arrêtaient près de sa table de chevet et plongeaient sous son lit à baldaquin. L'elfe cligna des yeux en voulant observer l'astre du jour à travers la baie en verre. Son coeur se serra. Cette ambiance réconfortante ne suffisait à apaiser ses craintes. Aussi implora-t-elle sa mère de pouvoir rester au lit.
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