01-10-2016, 19:03:14
« Ne t'approche pas du feu, Si'. »
Assise près de l'âtre dans un imposant siège de bois massif, Signe surveillait sa jeune nièce du coin de l'œil tout en taillant machinalement une vertèbre d'ours pour lui donner la forme d'un cube. Ses doigts experts guidaient la lame le long des protubérances de l'os pour le façonner selon son dessein, avec des mouvements sûrs et précis dictés par des années de pratique.
Elle vivait à Haraven, dans la maison de son frère Yorn Asgaril, depuis un peu plus de deux semaines : l'hiver à venir s'annonçait terriblement rigoureux, et le Thing d'Haraven avait convenu d'une dernière expédition en mer pour tenter de rapporter la nourriture nécessaire à la survie du village. En tant que baleinier, Yorn faisait partie de cette expédition, et il avait confié à sa sœur le soin de s'occuper de sa fille Sighild, dont la mère avait rejoint les dieux en lui donnant la vie huit ans auparavant.
Sighild tourna vers sa tante de grands yeux vert émeraude où se lisait sa contrariété d'être ainsi réprimandée :
« Mais je regarde les bateaux ! » protesta-t-elle avec une petite moue boudeuse qui aurait assurément fonctionné avec son père. Mais qui s'avérait bien impuissante face à sa tante…
« Les bateaux, hein ? Eh bien assieds-toi à côté de moi, et regarde-les de loin. »
Comprenant qu'elle ne remporterait pas ce combat, Sighild se leva et trotta jusqu'au deuxième siège qui faisait face au foyer. Se hissant sur les accoudoirs, elle s'installa au bord de l'assise et reprit sa contemplation. Le crépitement des flammes et le bruit râpeux et régulier du couteau de Signe contre l'os étaient les seuls sons qui venaient briser le silence qui régnait dans la maison, si l'on exceptait la plainte lancinante du vent qui soufflait derrière les murs et s'engouffrait parfois dans la cheminée pour y faire gonfler le brasier.
La maison de Yorn Asgaril était une bâtisse sombre et massive, typique de l'architecture agar, bien que ses murs de pierre la distinguent de la plupart des autres habitations d'Haraven, construites en bois. Elle se composait d'une pièce unique, plus longue que large. Dans le coin le plus éloigné de la porte, un lit recouvert d'une grosse paillasse, dans lequel Sighild dormait habituellement avec son père, et depuis deux semaines avec sa tante. A moins d'un mètre du pied du lit, la cheminée de pierre, véritable cœur de la maison, sans laquelle il y serait impossible de vivre à part en été. Dans le coin opposé, deux chaises et une table, sous laquelle trônait un imposant coffre contenant de la vieille vaisselle. Et un peu partout, sur des étagères de fortune ou dans des meubles rudimentaires, les modestes possessions des habitants de la maison.
Le soleil s'était couché derrière l'horizon une heure plus tôt environ, à l'issue d'une courte et froide journée typique de cette fin d'automne. La pièce baignait dans une pénombre que seul le feu qui brûlait dans la cheminée empêchait de tout couvrir, repoussant les ténèbres dans les recoins les plus éloignés de la maison, et donnant aux ombres des formes longues et vacillantes. Indifférente à cette lutte insignifiante entre lumière et obscurité, Signe continuait son ouvrage. Les copeaux qu'elle dégageait de la vertèbre tombaient à ses pieds sans un bruit tandis qu'elle progressait dans son travail. Un violent hoquet de surprise émis par Sighild interrompit brutalement le silence et coupa instantanément sa concentration.
« Si' ? » demanda-t-elle en tournant rapidement la tête vers sa nièce. Celle-ci était blanche comme la neige et regardait le feu avec une fascination mêlée d'épouvante, comme s'il s'était agi d'un énorme brasier qui s'apprêtait à l'engloutir.
« Merde ! » jura-t-elle en quittant précipitamment son siège pour se jeter à genoux à côté de Sighild. Elle saisit la gamine par les épaules et la secoua sans aucune douceur. « Si' ! Si' ! Est-ce que tu m'entends ? » La petite se laissait malmener sans opposer de résistance, telle la sordide parodie d'une poupée de chiffon. Ses pupilles entièrement dilatées ressemblaient à deux lacs sombres au milieu de ses yeux dont on ne voyait plus qu'à peine la couleur vert émeraude. Rien dans l'attitude de la fillette ne laissait penser qu'elle était consciente de la présence de Signe. « SIGHILD ! REVIENS ! » hurla celle-ci en accentuant ses secousses.
Comprenant qu'elle n'obtiendrait rien par ce moyen, elle saisit un colifichet qui pendait à sa ceinture, le posa contre le front de sa nièce, et plaqua sa paume droite contre lui pour le maintenir en place. De la main gauche, elle esquissa un geste vers la cheminée et prononça quelques mots d'Agarim. Aussitôt, une violente décharge d'énergie remonta le long de son bras droit et vint frapper mentalement Sighild avec la force d'un auroch en pleine course. Dans le même temps, les flammes du foyer se volatilisèrent en un clin d'œil, comme aspirées par une force mystérieuse, plongeant la maison dans les ténèbres. Signe eut juste le temps de ramener son bras gauche au niveau de Sighild pour l'empêcher de tomber de son siège, assommée par l'assaut mental dont elle avait été victime.
Enveloppée dans l'obscurité, Signe serra sa nièce contre elle et se laissa tomber contre le bois du siège, épuisée par l'énergie qu'elle avait déployée pour la sortir de sa transe. Elle essaya de réfléchir à ce qui venait de se passer, mais la fatigue embrumait ses pensées et les rendait incohérentes. D'un geste hésitant, elle prononça une nouvelle formule, juste de quoi attiser les braises encore luisantes de la cheminée et donner au feu une chance de repartir tandis qu'elle sombrait dans un sommeil sans rêve.
Assise près de l'âtre dans un imposant siège de bois massif, Signe surveillait sa jeune nièce du coin de l'œil tout en taillant machinalement une vertèbre d'ours pour lui donner la forme d'un cube. Ses doigts experts guidaient la lame le long des protubérances de l'os pour le façonner selon son dessein, avec des mouvements sûrs et précis dictés par des années de pratique.
Elle vivait à Haraven, dans la maison de son frère Yorn Asgaril, depuis un peu plus de deux semaines : l'hiver à venir s'annonçait terriblement rigoureux, et le Thing d'Haraven avait convenu d'une dernière expédition en mer pour tenter de rapporter la nourriture nécessaire à la survie du village. En tant que baleinier, Yorn faisait partie de cette expédition, et il avait confié à sa sœur le soin de s'occuper de sa fille Sighild, dont la mère avait rejoint les dieux en lui donnant la vie huit ans auparavant.
Sighild tourna vers sa tante de grands yeux vert émeraude où se lisait sa contrariété d'être ainsi réprimandée :
« Mais je regarde les bateaux ! » protesta-t-elle avec une petite moue boudeuse qui aurait assurément fonctionné avec son père. Mais qui s'avérait bien impuissante face à sa tante…
« Les bateaux, hein ? Eh bien assieds-toi à côté de moi, et regarde-les de loin. »
Comprenant qu'elle ne remporterait pas ce combat, Sighild se leva et trotta jusqu'au deuxième siège qui faisait face au foyer. Se hissant sur les accoudoirs, elle s'installa au bord de l'assise et reprit sa contemplation. Le crépitement des flammes et le bruit râpeux et régulier du couteau de Signe contre l'os étaient les seuls sons qui venaient briser le silence qui régnait dans la maison, si l'on exceptait la plainte lancinante du vent qui soufflait derrière les murs et s'engouffrait parfois dans la cheminée pour y faire gonfler le brasier.
La maison de Yorn Asgaril était une bâtisse sombre et massive, typique de l'architecture agar, bien que ses murs de pierre la distinguent de la plupart des autres habitations d'Haraven, construites en bois. Elle se composait d'une pièce unique, plus longue que large. Dans le coin le plus éloigné de la porte, un lit recouvert d'une grosse paillasse, dans lequel Sighild dormait habituellement avec son père, et depuis deux semaines avec sa tante. A moins d'un mètre du pied du lit, la cheminée de pierre, véritable cœur de la maison, sans laquelle il y serait impossible de vivre à part en été. Dans le coin opposé, deux chaises et une table, sous laquelle trônait un imposant coffre contenant de la vieille vaisselle. Et un peu partout, sur des étagères de fortune ou dans des meubles rudimentaires, les modestes possessions des habitants de la maison.
Le soleil s'était couché derrière l'horizon une heure plus tôt environ, à l'issue d'une courte et froide journée typique de cette fin d'automne. La pièce baignait dans une pénombre que seul le feu qui brûlait dans la cheminée empêchait de tout couvrir, repoussant les ténèbres dans les recoins les plus éloignés de la maison, et donnant aux ombres des formes longues et vacillantes. Indifférente à cette lutte insignifiante entre lumière et obscurité, Signe continuait son ouvrage. Les copeaux qu'elle dégageait de la vertèbre tombaient à ses pieds sans un bruit tandis qu'elle progressait dans son travail. Un violent hoquet de surprise émis par Sighild interrompit brutalement le silence et coupa instantanément sa concentration.
« Si' ? » demanda-t-elle en tournant rapidement la tête vers sa nièce. Celle-ci était blanche comme la neige et regardait le feu avec une fascination mêlée d'épouvante, comme s'il s'était agi d'un énorme brasier qui s'apprêtait à l'engloutir.
« Merde ! » jura-t-elle en quittant précipitamment son siège pour se jeter à genoux à côté de Sighild. Elle saisit la gamine par les épaules et la secoua sans aucune douceur. « Si' ! Si' ! Est-ce que tu m'entends ? » La petite se laissait malmener sans opposer de résistance, telle la sordide parodie d'une poupée de chiffon. Ses pupilles entièrement dilatées ressemblaient à deux lacs sombres au milieu de ses yeux dont on ne voyait plus qu'à peine la couleur vert émeraude. Rien dans l'attitude de la fillette ne laissait penser qu'elle était consciente de la présence de Signe. « SIGHILD ! REVIENS ! » hurla celle-ci en accentuant ses secousses.
Comprenant qu'elle n'obtiendrait rien par ce moyen, elle saisit un colifichet qui pendait à sa ceinture, le posa contre le front de sa nièce, et plaqua sa paume droite contre lui pour le maintenir en place. De la main gauche, elle esquissa un geste vers la cheminée et prononça quelques mots d'Agarim. Aussitôt, une violente décharge d'énergie remonta le long de son bras droit et vint frapper mentalement Sighild avec la force d'un auroch en pleine course. Dans le même temps, les flammes du foyer se volatilisèrent en un clin d'œil, comme aspirées par une force mystérieuse, plongeant la maison dans les ténèbres. Signe eut juste le temps de ramener son bras gauche au niveau de Sighild pour l'empêcher de tomber de son siège, assommée par l'assaut mental dont elle avait été victime.
Enveloppée dans l'obscurité, Signe serra sa nièce contre elle et se laissa tomber contre le bois du siège, épuisée par l'énergie qu'elle avait déployée pour la sortir de sa transe. Elle essaya de réfléchir à ce qui venait de se passer, mais la fatigue embrumait ses pensées et les rendait incohérentes. D'un geste hésitant, elle prononça une nouvelle formule, juste de quoi attiser les braises encore luisantes de la cheminée et donner au feu une chance de repartir tandis qu'elle sombrait dans un sommeil sans rêve.