[RP] Sur les traces de la truanderie
#1
Lentement, je marchais d'un pas hésitant sur les pavés suintants des égouts, éclairée par une flamme chancelante, maintenue par magie dans ma main en guise de torche improvisée. J'entendais le léger clapotis de l'eau croupie qui ruisselait dans le caniveau. A sa surface, étrons et déchets flottaient dans une danse écœurante. Je devinais la vermine grouillante au travers de leurs ombres sur les murs. Cafards. Rats. Peut-être pire. Mieux valait ne pas y penser et continuer d'avancer dans ces sombres couloirs.

Lev, les narines irritées par l'odeur, me talonnait et veillait sur mes arrières. Nos frères avaient pris la tête de l'expédition et arpentaient déjà les chenaux voisins, accompagnés de Finrod, un arbalétrier plutôt habile dont le chemin avait croisé le nôtre à maintes reprises.

Jusqu'à présent, le comité d'accueil ne s'était guère montré très efficace pour stopper notre progression. Les brutes épaisses, ramassis de muscles sans conscience, s'étaient écroulées dans le canal souillé, un borborygme inarticulé en guise de dernières volontés. Si j'ignorai les raisons de la présence de notre allié de fortune dans ce sinistre et répugnant lieu, les nôtres m'apparaissaient très clairement.

Depuis notre mission pour l'Egura d'Aiguemirail, je n'avais eu de cesse de ressasser ce cuisant échec. Cet œuf intact que je n'avais pu offrir à Dione… J'en resserrais le poing de frustration. Un caprice futile, un désir puéril, auraient raillé les bonnes gens. Je n'en avais que faire tant que le sourire de mon frère s'épanouissait sur son doux visage. Lui, comme Yan et Lev, méritaient ce bonheur que l'on ne nous avait jamais accordé.

J'avais juré de le leur offrir.
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#2
Plus le temps passait, plus l'espoir de mettre la main sur ce présent pour mon frère s'étiolait. Mais ce temps, je l'avais mis à profit pour investiguer sur ce réseau de contrebande, et tenter de remonter la piste de ces précieuses marchandises dérobées aux saurotarques. En vain.

Pourtant, quelques négociateurs fameux dans ce milieu crapuleux ne m'étaient pas inconnus. Par le passé, il nous était arrivé de faire appel à leur service pour écouler des biens intangibles, mais dont la valeur, elle, l'était pour qui savait s'en servir. Par peur ou par ignorance, ils restèrent silencieux devant mes manigances et me laissèrent à mon désarroi.

Bredouille dans ma quête, je désespérais de ne rien trouver. Jusqu'à cette soirée où je trébuchai sur un ivrogne rampant sur le bas-côté du chemin. Maugréant quelques insultes bien senties à son égard, j'allais l'abandonner dans ses déjections quand j'aperçus l'emblème d'Asteras sur le pommeau de sa lame mal-entretenue…

Ainsi, nous nous retrouvions dans ces souterrains, coulisses clandestines du Marché Noir d'Asteras selon les dires de ce garde elfe, à la langue déliée par l'ivresse. Bien des aventuriers nous avaient précédés dans ces longs tunnels pour démanteler le réseau de contrebande qui s'y dissimulait. Mais malgré le sang de malandrins répandus, le commerce illégal continuait de fleurir dans ces si vastes boyaux puants.

Ce trafic, fléau aussi bien d'Yris que d'Asteras, était décrit par les autorités comme une hydre de Tenagos dans les légendes populaires : une tête tranchée qui repousse immédiatement pour en prendre la place. Mais en réalité, seule la queue du reptile était inlassablement sectionnée et celle-ci finissait toujours par se reformer, comme Lev s'était satisfaite à l'observer sur des lézards.

Le veilleur aviné avait également évoqué l'évasion de Valyrielle de Maldorne, héritière d'une noble famille désargentée. Accusée de s'être faite l'associée des contrebandiers, elle s'était mystérieusement éclipsée avant son procès. Après une tournée supplémentaire de ce mauvais alcool, il m'en avouait les circonstances : des complices, vêtus de l'uniforme de la Garde d'Asteras avaient profité du retard, dont je soupçonnais le hasard de la coïncidence, des magistrats, pour récupérer la dame avant les véritables autorités judiciaires.

Elle n'avait pu organiser sa fuite depuis sa cellule. Quelqu'un l'avait fait pour elle. Les contrebandiers n'avaient pu dérober tous ces œufs aux saurotarques sans cohésion. Quelqu'un l'avait fait pour eux. Quelque part, ce quelqu'un devait actionner une à une, les ficelles pour mettre en mouvement sa myriade de marionnettes. Et il devait se trouver des indices, certainement insignifiants, de son existence ici-même.

Distraite par mes hypothèses, je manquai de glisser sur l'une des innombrables flaques visqueuses qui jonchaient les dalles des égouts. Je me rattrapai de justesse d'une main sur la paroi suintante. Je ne parvins pas à me retenir de crier l'expression de mon aversion lors de ce répugnant contact. D'un hochement de tête, je me sermonnai intérieurement.

"Regarde où tu mets les pieds, ma fille. Tu ne mèneras jamais les tiens vers les plus hautes ambitions les fesses à terre !"
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#3
Je m'étais assise sur une caisse de marchandises, les jambes ballantes et la respiration encore haletante après l'effort. Les contrebandiers n'étaient déjà plus que des lambeaux de chairs calcinées et lacérées gisant sur le sol de la pièce. Celle-ci, d'une taille confortable, abritait divers caissons et malles remplis pour la plupart de babioles sans intérêt. Mais résolus à ne quitter ces lieux nauséabonds qu'après les avoir intégralement vidés, nous ne laissions aucune cassette, même la plus insignifiante, sans l'avoir au préalable inspectée.

Le sorcier encapuchonné, Vagnard, s'approcha pour féliciter notre fratrie pour sa vitesse d'exécution des truands. Bien qu'il me semblait sincèrement surpris, je me contentai de hausser les épaules d'un air blasé.

« Ces pouilleux n'étaient pas bien résistants. Et pas bien fortunés non plus. »


Accompagné de Sophia, avec qui nous avions déjà combattu face à des porcs parasités, et d'une autre sorcière dont je ne me souvenais que l'œillade aguichante dont l'avait complimentée Dione au détour d'une ruelle d'Yris, il était arrivé sur les lieux fort tardivement et n'avait eu l'occasion que de voir le dernier bandit s'écrouler. Nous leur avions ôté la vie sans la moindre difficulté.

Sans le moindre remord pour ma part.

Tandis que d'autres répugnaient à commettre l'irréparable, j'envoyais mes adversaires sans état d'âme se confronter à leur propre reflet dans le Miroir d'Anastraph. Qu'importe si je finissais par les y rejoindre, dans le Puits des Âmes Damnées. J'en avais la certitude, intime et impérieuse qu'un jour les Flammes me tourmenteront dans ma mort autant qu'elles me consument dans ma vie.

Ah, j'en frissonnai encore, de ce plaisir malsain qui m'étreint à chaque fois que le Don me domine. Cette sensation de puissance… Conquérante. Jubilatoire. Ce moment où le feu se répand, tel un incendie de forêt, carbonisant tout sur son passage. Cet instant où les gémissements de douleur de mes victimes retentissent, sinistre et néanmoins si douce mélodie à mes oreilles, sous l'effet des flammes qui lèchent leurs peaux boursouflées et noircies. Je me moquais de leur souffrance. Pire, je m'en nourrissais dans une extase sadique.

Durant cette transe cruelle, seule la crainte de toucher ma sœur ou l'un de mes frères m'horrifiait. Il s'en était fallu de peu qu'une boule de feu ne s'écrase aussi bien sur les contrebandiers que sur Dione, dans un tragique dommage collatéral. Ce sortilège m'était inédit en situation sur le terrain, l'excitation d'autant plus intense. L'occasion était bien trop belle pour déchainer toute la violence de ma pyromancie. Le feu brûlait en moi, impatient de libérer sa folie ardente sur ces misérables. Déjà les flammes commençaient à entourer mes doigts. Mon regard se posa sur mon frère au dernier moment. Je ne pouvais pas. Mon incantation prit fin instantanément.

Le combat n'était pas pour autant terminé et j'étais bien décidée à délivrer un torrent de feu sur nos ennemis. J'eus une brève hésitation et quelques mots d'excuse : Finrod était toujours dans la mêlée. Le flot de flamme se répandit, acharné en enragé dans sa mission destructive.
L'arbalétrier s'en tira avec quelques brûlures superficielles. Sa survie, à lui, m'importait peu.
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