Milles étoiles sans Dame Lune.
#1
Il faisait chaud, même au début de la nuit.
Cendre, elle, préférait le beau de l'été au froid de l'hiver. Elle avait toujours eu pour hantise le froid, pour peur les eaux trop profondes. On lui avait tellement répété que le feu était son élément à elle, que c'était ce pour quoi elle était née, que c'était son inclination naturelle, qu'elle avait oublié qu'elle avait eu pour mère la plus grande – peut-être – prêtresse-guérisseuse du Nord.

Assise sur un petit banc dans les jardins d'Yris, en face de l'auberge où la Guilde s'était arrêtée pour la nuit, la pyromancienne regardait la voûte s'assombrir alors qu'au même moment des étoiles brillaient de plus en plus forts, profitant de l'obscurité pour éclairer le simple voyageur perdu quelque part.

Dans cet océan obscur, Cendre se perdit, et ses yeux d'or cherchèrent dans les étoiles une réponse à ses questions.

Où était sa mère ?
Où était l'amour en elle ?
Pourquoi parfois ça faisait mal de vivre, de respirer ?

Dans sa main, une flamme s'alluma. Une boule de feu aux couleurs changeantes. Elle l'éteignit en refermant aussitôt le poing, le serrant. Une larme coula sur sa joue, roulant sur sa pommette rebondie et pâle.
Elle ignorait où était cette mère si absente, mais savait que trop bien où était son père – à quelques kilomètres de là. Pourquoi ça ne pouvait pas être l'inverse ? Pourquoi perdre sa mère à ce moment si important de sa vie que l'entrée dans l'âge adulte ?

Son visage poupon s'obscurcit, et ses cheveux semblèrent eux aussi plus sombres, perdant de leur rouge éclatant.

« Maman... » murmura-t-elle, un mot se perdant sur ses lèvres couleur thé.

Elle sentit son myocarde la faire souffrir mais n'en fit rien.
Le feu lui manquait. L'espoir aussi, parfois.

Bientôt les Sentinelles partiraient au nord, pour Nitraën principalement. Elle prendrait le chemin que Lìrulìn Meneldä avait elle-même pris, et peut-être qu'elle connaîtrait le même destin, mais ce n'était pas si important.
Qu'avait-elle à perdre ? Plus rien, à présent. Plus rien ne comptait.
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#2
Victor observait le plafond de la chambre, une main sous la tête et l'autre le long de son corps. Il était censé dormir, bien sûr, mais il n'avait pas particulièrement sommeil. Et surtout, il laissait son esprit vagabonder d'un sujet à l'autre, se remémorant des souvenirs, se rappelant les choses honteuses dont il se rappellerait toujours alors que toutes les autres personnes avait dû oublier.
Il repensait à quelques scènes de son adolescence, notamment de la première fois où il avait dû danser à un bal. Il ferma un instant les yeux comme pour passer à autre chose et se redressa doucement.

Après quelques instants, il sortit du lit en faisant le moins de bruit, ne voulant pas réveiller ceux qui dormaient dans cette chambre. Il était passé à autre chose dans sa tête, et avait remarqué que sa sœur n'était toujours pas allée se coucher.
Pourquoi ? Il connaissait et reconnaissait très bien son pas, et loin d'avoir mémorisé celui des autres, si Cendre était passée dans le couloir pour aller se coucher, il l'aurait entendu. Alors, à moins qu'elle est brusquement décidée de ne plus faire aucun bruit...

Il enfila sa chemise, ayant déjà son pantalon, et sortit de la chambre sur la pointe des pieds, refermant avec soin la porte. Peut-être était-elle encore dans la salle principale de l'auberge ? Ce n'est pas qu'il avait peur pour elle, sachant qu'elle pouvait bien se débrouiller seule, mais... Il voulait être sûre qu'elle allait bien et qu'elle était dans les parages.
Bon, manifestement, elle n'était pas dans l'auberge. Il hésita un instant puis sortit. Finalement, il ne lui parlait plus tellement... Si tant est qu'il lui ait parlé de choses qui lui tenaient à cœur un jour. Il ne savait plus. Cela devait faire une huitaine d'années à présent qu'il l'avait [enfin] rencontrée vraiment.

Il sortit du bâtiment, jetant un coup d'œil aux alentours pendant qu'il refermait la porte. Après quelques longues secondes à regarder la pénombre, il aperçut une flamme s'allumer et s'éteindre l'espace d'une seconde, puis plus précisément la silhouette de celle qui semblait être Cendre.

Il mit ses mains dans son dos pour marcher, comme par habitude, et s'approcha doucement d'elle, le regard posé sur elle. Il s'installa ensuite près d'elle et ses yeux se levèrent eux aussi vers les étoiles.

« Je me disais bien que je ne t'avais pas entendu monter... »

Il ne savait pas quoi dire d'autre. A vrai dire, peut-être n'aurait-il même pas dû s'approcher.
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#3
Les bruits de pas dans la rue n'éveillèrent pas la prudence naturelle de Cendre. Elle resta stoïque, les yeux perdus dans les étoiles. Elle savait qui c'était, et c'était pour ça qu'elle n'avait rien à craindre. Victor ne lui ferait jamais de mal, du moins, pas sciemment. C'était ce qu'elle croyait, même si par habitude, elle tendait à toujours se méfier de tout. Sa mère avant elle ne s'était pas assez méfiée, et depuis, elle avait cette fâcheuse tendance à tenir tout le monde loin d'elle.
Sauf Victor.
Victor, pourtant, avait une place très particulière dans cette famille un peu étrange. Il était à la fois l'enfant de l'adultère, mais également l'enfant de l'amour – et son unique frère. Elle ne se sentait pas proche d'Hemina – à vraie dire, elle la haïssait tout autant que Lazzare – mais Victor n'avait rien demandé et avait été le jeton du destin.
C'était ce que lui avait longuement expliqué Lìrulìn. Comment en vouloir à un être imprudent qui n'a rien mérité, rien demandé, qui vit simplement par le fait du sort ? Lìrulìn aimait bien Victor, pour les quelques fois où il leur avait rendu visite. Elle avait le coeur bon et maternel. Cendre, parfois, avait été jalouse.
Mais ça ne se passait jamais ainsi quand elle rendait visite à Lazzare. Avec le temps, elle avait même exigé de ne plus voir Hemina. Lazzare lui avait répondu qu'il n'avait pas à cacher sa femme de la vue de sa fille. Cendre avait renoncé à voir son père dans sa maison à Malefosse.

Elle inspira profondément et soupira bruyamment, sa tête dodelinant doucement au grès de la brise.

« C'est moi la grande sœur, tu n'as pas à t'inquiéter pour moi. »

Il était vrai que même si Cendre était de quelques années plus âgées, son visage poupon ne révélait que difficilement son véritable âge. Là encore, son corps n'avait su quoi faire entre grandir comme un homme ou vieillir comme un elfe. Elle était un peu des deux. Un mélange incongru et malade.

Un petit silence s'installa, durant lequel les yeux de Cendre étaient fixés sur ses mains qui luisaient doucement, de petites flammèches s'enroulant autour de ces doigts, joueuses et carnassières. Elle semblait triste, triste comme les pierres.
Ça lui arrivait parfois, quand la cervelle s'égarait à réfléchir.

« Je me demandais juste… tu sais... » Elle serra les poings, étouffant la flammèche encore vivace. « … si elle est encore vivante. Si je vais au nord, c'est pour la retrouver, et en même temps, j'ai un peu peur je crois. Si elle a choisi une autre vie ? Sans moi ? Si… si elle est morte ? De la façon la plus horrible qui soit ? Seule ? Dans la neige ? »

Sa gorge se serra, imaginant les scénarios les plus terrifiants. Elle imaginait le visage pâle de sa mère, immaculée, dans la neige, le corps paralysé. Un peu plus loin, le chariot du convoi éclatait.
Par qui ? Par quoi ?
Des flammes bleutées s'échappèrent de ses poings, brûlant avec violence.
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#4
Il observait les étoiles qui brillaient dans le ciel. Rares étaient les moments où ils ne se retrouvaient que tous les deux à présent qu'ils avaient rejoint les Sentinelles. Pourtant, il ne pouvait pas savourer cet instant.
Il n'avait jeté qu'un coup d'œil au visage de sa sœur en s'asseyant, et il savait bien dans quel état elle était. Sa figure n'était que peu souvent empreinte d'une telle tristesse. Il était peut-être le seul à la voir ainsi. Le seul à pouvoir approcher sa sœur dans un tel état.

Même s'il ne la connaissait depuis finalement qu'un peu moins de huit ans, il était la personne la plus proche qu'elle possédait... mis à part Lìrulìn. Et il savait qu'elle était la raison de cette tristesse qu'il ressentait chez Cendre.

Il baissa les yeux sur son visage pour lui répondre d'un ton doux.

« Bien sûr que si. »


Il s'inquiétait pour elle. Pour les pensées qu'elle pouvait avoir, pour les pensées qu'elle avait à cet instant.
Si le regard de Cendre s'était porté sur ses propres mains, le sien était resté sur son visage alors que le silence s'était installé. Il aurait aimé enlever l'affliction qu'il voyait sur elle, qui paraissait à présent presque plus jeune que lui, simple humain.

Il observait du coin de l'œil les petites flammèches parcourir les mains de sa sœur. Il savait parfaitement ce qui pouvait se passer lorsqu'elle laissait aller ses sentiments, mais il n'en avait pas peur. Peut-être aurait-il dû, peut-être pas.

Il l'écouta, les mains serrées sur ses genoux, le regard tombant sur le sol devant lui. A présent, son visage aussi montrait la trisse qu'il éprouvait, et l'impuissance à laquelle il faisait face.
Il aurait aimé pouvoir dire quelque chose. Mais il ne savait pas quoi. Qui l'aurait su dans une telle situation ? Un "ça va aller" n'était pas du tout de circonstance, parce que ça n'irait sans doute pas.
Lui aussi s'imaginait ce qui avait pu se passer quant à la disparition de Lìrulìn. Il savait qu'elle n'aurait pas abandonné sa fille à Asteras sans la contacter ensuite. Alors... Elle devait être morte. Sa mâchoire se serra. Il se souvenait de la gentillesse qu'avait eu Lìrulìn à son égard, alors même qu'il était le fruit de l'adultère de Lazzare...

C'était pour ça qu'il était là. Il voulait aider sa sœur à la retrouver, quand bien même ça aurait pu l'arranger qu'elle disparaisse. Il ne voulait plus que celle qui partageait son sang ne vive qu'à petites respirations. Il l'accompagnait pour qu'elle aille mieux, et pour veiller tant bien que mal sur elle, quand bien même c'était elle la grande sœur.

Il ne savait pas quoi dire. Et même s'il avait su, il n'aurait pas pu parler. Sa gorge était nouée. Il glissa un bras autour des épaules de Cendre et l'attira contre lui, l'enlaçant ensuite de l'autre bras. Il déglutit difficilement, retenant ses larmes de couler. Il était accablé, mais il savait que ça n'avait rien de comparable avec ce que pouvait ressentir sa sœur. Alors il ne pouvait pas pleurer.

Il resta là, immobile, serrant doucement sa sœur dans ses bras, la gorge serrée, les yeux humides levés vers les étoiles. Il avait vu les flammes bleues, mais il n'en avait pas peur.
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#5
Elle l'entendit, mais ne répondit pas.
Elle resta prostrée, là, quelques longues secondes avant de se rendre compte que c'était la première fois, depuis des mois d'espoir et d'illusion, qu'elle n'y croyait plus. Elle n'y croyait tout simplement plus. Sa mère était désormais une étoile, ou un grain de poussière dans les neiges. Elle n'était plus, tout simplement. Un esprit, au mieux. Un esprit…

La gorge de la jeune fille se noua devant cette soudaine réalisation.
Elle ne la reverrait plus jamais.
Alors ça faisait ça, la mort ? Elle se demanda si Evrard sentait de pareilles choses de temps à autres, et en silence, elle lui jalousa le fait que la mort avait pris sa mère trop jeune pour qu'il n'est de tels moments. Evrard était chanceux. Cette douleur, elle était si poignante, si effrayante. Pouvait-on souffrir autant ?

Cendre releva le visage au moment où les bras de Victor s'enroulaient autour d'elle, faisant office d'une couverture contre le monde entier. Les flammes léchaient désormais ses mains, mais elles ne firent pas de mal à son frère. Elle resta là, le nez planté contre le torse de Victor.
Elle sentit quelque chose roulait sur sa joue, une larme à n'en pas douter. Au même moment, les flammes autour de ses doigts moururent, comme chassées. Cendre se mordit la lèvre pour ne pas laisser échapper un sanglot, mais il y eut tout de même ce petit bruit étouffé significatif, puis plus tard, les reniflements, les soubresauts, la gorge qui démange, qui serre, qui fait mal.
Il y eut simplement Cendre, coincée contre Victor, en pleurs.

Quelques secondes s'écoulèrent où elle ne bougea pas, ou presque pas. Le temps que ses poumons cessent de ne plus vouloir se remplir correctement et que ses yeux cessent de la piquer. Il en fallut du temps, mais au bout de ce moment silencieux, elle repoussa doucement Victor, essuyant d'un geste rapide et timide ses joues et ses yeux rougies.
Pour la première fois, Cendre se relevait non pas seulement fragile, mais humaine.
La jeune sorcière était si pleine d'assurance qu'on avait pu oublier qu'elle n'était après tout d'un petit bout de femme perdu. Elle renifla une dernière fois, frottant ses yeux une dernière fois :

« Désolée, je..je dois être fatiguée » murmura-t-elle, avec un ton doux et bas.

Cendre essaya de sourire, mais c'était bien plus dur que dans ses souvenirs. Frottant toujours ses yeux et cherchant à retrouver de la substance, elle posa doucement sa tête sur l'épaule de son frère. Il n'y avait peut-être entre eux qu'un demi lien du sang, qu'un demi quelque chose, mais c'était suffisant pour elle, suffisant pour la réconforter.
Elle n'était pas si seule dans ce monde trop grand.

« Merci d'être là Victor. »

La tête sur l'épaule de son frère, ses yeux gonflés guettaient le ciel obscur. Elle se sentait si petite, dans ce monde trop grand.
Le plus sérieusement du monde, elle reprit, d'un ton bas et solennel :

« Je sais que ce n'est pas toujours facile, toi et moi, mais… ça ira mieux, un jour. »

Un jour, où elle aurait enfin eu le temps de panser les quelques plaies qui résistaient. Quand enfin elle aurait grandi, plus que son petit corps ne le faisait croire ou devinait.
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#6
Les environs étaient calmes, malgré le fait qu'il n'était pas si tard dans la nuit. Personne ne passait dans les jardins, ni devant l'auberge dans la rue. C'était comme si cet instant avait été réservé pour eux seuls.

Victor entendait les petits bruits de pleurs que sa sœur tentaient de retenir et sentait ses petits soubresauts contre lui. Il resserra doucement son étreinte, passant plusieurs fois la main dans son dos. Rares étaient les moments où elle pleurait, aussi il espérait que cela lui ferait du bien. Qu'elle irait un peu mieux après ça.
Il retenait toujours ses larmes, mais finit par en laisser échapper une. Il n'était pas légitime à pleurer pour ce qui se passait, quand bien même il était triste. Il ne pouvait sans doute pas comprendre la douleur que ressentait Cendre avec la disparition de sa mère... Mais il pouvait être là pour elle, et veiller à ce qu'elle aille mieux.

Il posa son regard azuré dans celui de sa sœur quand elle s'écarta doucement de lui en essuyant les traces de pleurs de son visage prequ'enfantin, et lui offrit un sourire d'une infinie tendresse.
Peut-être la fatigue avait-elle eu raison de sa maîtrise de soi, mais il savait surtout qu'elle avait besoin de lâcher parfois ses sentiments. Il détacha ses yeux des siens lorsqu'elle s'installa sur son épaule pour les replonger dans l'étendue étoilée qui s'étendait au-dessus de leurs têtes.

Il ne répondit pas par les mots aux remerciements du fait qu'il était là, se contentant de déposer un petit baiser sur le haut de son front. Oui, il était là, et c'était normal. Peut-être était-ce présomptueux de le penser, mais elle avait besoin de lui, ne serait-ce qu'un peu.

Il esquissa un petit sourire aux dernières paroles, mais ne dit rien sur le moment. Il laissa un petit silence s'installer, contemplant les étoiles. Oh oui, c'était compliqué parfois. Et les prises de becs étaient assez fréquentes. Enfin, de ce qu'il se remémorait à cet instant, c'était surtout des petites piques lancées par Cendre, qui s'avéraient parfois méchantes et auxquelles il ripostait des fois, d'autres non.

Il finit par entrouvrir la bouche pour parler de sa voix calme et douce.

« Oui, ça ira mieux. Et je serai toujours là malgré tout, grande sœur. »


S'il pensait ce qu'il disait ? Oui, et non. Il espérait de tout cœur, mais il avait peur que ce ne soit pas le cas. Que quelque chose se passe mal. Malgré toutes les fois où il pouvait la bouder pour tout ce qu'elle avait dit de méchant - notamment sur sa mère - il l'aimait, sa sœur.
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