Grumph.
#1
"Grumph", ou si vous souhaitez un titre plus élaboré : "Mémoire sur l'analyse de la lucidité transcendantale au sein de l'encéphale d'un archer talien."



Gustavo Coriolis est un éminent savant d'Yris.
Tout au moins, il est semble-t-il connu dans le quartier du port. Si cela ne vous dit rien, disons au minimum que les armateurs pour lesquels il a fourni des équipements de pointe connaissent son nom (enfin ceux qui ne sont pas décédés d'une syncope en voyant la facture).
Et pour ceux qui n'auraient vraiment jamais entendu parler de lui, allez lire à la bibliothèque ses nombreux essais sur la mécanique des fluides non magiques, sur l'analyse des équations des forces vives dans les mouvements relatifs des machines destinées à remplacer l'esclavage dans la production et l'entraînement de véhicules, et sur les effets d'un battement d'aile de papillon sur l'issue d'une partie de billard illustré par la technique des moments géométrique.

Bref, Gustavo Coriolis était un érudit, et ne s'était pas longtemps berné d'illusions dans les projets qu'il prévoyait pour son fils.
Bombus du même nom, d'un embonpoint inversement comparable à son instruction, devait plutôt tenir de sa mère.

Grosse et velue, sa tête hirsute avait conduit ses camarades à le surnommer "Le Bourdon", bien qu'il n'ait en aucun cas eu l'ardeur au travail de ces infatigables insectes, ni leur sociabilité. Néanmoins, il allait au moins acquérir, en théorie du moins, leur piquant, car lassé de ne rien saisir aux enseignements de son père (tel que le calcul de l'effet d'une veine d'eau sur la pale d'une roue à aube) il avait décidé d'intégrer l'école d'archeterie.

Cela lui semblait la moins contraignante des pratiques, car à l'opposé du corps-à corps, on pouvait tirer de là où on se trouvait ce qui évitait un déplacement inutile. S'économiser est un art en soi, et l'on peut ainsi se définir comme efficient, ce qui est plus relisant que maître es-procrastination.
Il avait tant traîné avec le professeur qu'il semblait l'avoir singé en tout point : le physique trapu, la mine patibulaire, les poils dru... ne manquait malheureusement que l'adresse au tir.

- Grumpf. 'core raté. 'vais m'taper une bière.
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#2
Le beurre grésillant dans la poêlée de cèpes dégageait une odeur alléchante. Cela présageait une entrée parfaite pour ces escalopes d'hydres qui fleuraient encore la vase et le sel du Tenagos. A moins que le marchand n'ait clamé une publicité mensongère et qu'il s'agisse d'une quelconque créature des abysses qui pullulaient autant que leur braconniers alentours. Peu importe, tout ce qui passait par les casseroles élimées d'Ermentrude devenait un régal pour le palais. C'est dans les vieux pots…

- A taaable !

De sa mère, dont il tenait certainement la carrure, il n'avait cependant pas hérité les talents de cordon bleu, aussi revenait-il souvent satisfaire son appétit dans la maison familiale située sur les docks. Trois fois par jour, les dix jours de la decamaine en fait. Sauf quand la pluie était indécente. Ou lorsqu'il n'avait plus d'or pour payer le pousse-pousse du port. Ou encore lorsqu'il pouvait emporter suffisamment de réserves pour quelques jours, placées dans un grand panier par sa généreuse génitrice.

Lui s'était installé en face du centre d'entrainement, cela faisait moins de chemin.

- Mmhhh !

La légère odeur fétide induisait en erreur, les substances sapides couvrait totalement le goût du marais, et chaque bouchée justifiait le déplacement qu'il avait dû faire, et celui qu'il devrait effectuer pour le retour.
Les yeux délavés de son père avaient la couleur de la chair de la créature marine. Il y lisait l'intention de remettre sur le tapis une fois encore ses vues sur les choix de son fils.
Aussi était-il temps de prendre les devants.

- Chomp, gnon, p'pa, pas la peine de revnir -scroutch- avec cha. Ma déchizion et prige. -kp- Et il faudra que tu arriveras à laminer tes rancœurs dialectiques.
- Mais tu vas devoir marcher ! Vivre des choses incertaines, peut-être même imprévues !


Tout ce qui ne pouvait rigoureusement se mettre sous forme d'équations était à ses yeux une infamie.

- Bah, il faut faire avec les impondérables. Si un jour dans ma vie, je prends un repas avec quelques heures de retard, j'en prendrai deux fois plus au suivant.

Sa mère opina de la tête pour acquiescer et soutenir la position de son fils, bien qu'elle semblât inquiète à l'idée de devoir repousser un menu. Elle intervient avec une solution palliative :

- Ou alors tu prévois des sandwichs.
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#3
- Chuis amoureux.

- Oh, bonjour Bombichounet !


Le visage de la mère s'illumina à la vue du fils qu'elle croyait mort, étant donné son jour de retard après son périple à Asteras. Elle s'enquit de la cause de ce délai.

- Ton voyage à Asteras s'est bien passé ? Tu as eu des soucis ?

- Grumph, pas pire que c'était mal programmé. On m'a dm'andé un service comme 'y manquaient de bras. Sont tout maigre là-bas. Des bandouliers qui faisaient de mauvaises affaires dans les égouts de la ville. Pou quelques pièces on les a matés. C'té pas facile. Et fatiguant. En plus en partant, une des sylvaines a failli crever, s'est fait attaquer par des rongeurs bien dodus. On aurait dit une brindille la pauvre, comme elle était plus légère que les rats, c'est elle que j'ai poussé. L'a pu s'sauver et j'ai fini les rats. J't ai rapporté de quoi m'faire des tartines.

Son érudit de père intervint.

- Les efles d'Asteras ne sont pas des sylvains, qui par définition du terme vivent dans la forêt, mais ce sont des haut-elfes qui...

- Ah, c'pour ça que ce sont tous des perches…

- Peu importe,
interrompit la mère toute émoustillée, ils ont tous les mêmes oreilles. Raconte nous plutôt, ton amoureuse, c'est la jolie elfe que tu as sauvé ?

- Grumph, 'sûr que non,j'parlais des égouts, moi. Il y a une super architecture, encore mieux qu'à la surface, c'est rudement bien pensé comme agencement, et c'est plein de vie, on risque pas mourir de faim. La viande pique un peu, mais bien assaisonné, c't un régal. J'y retournerai si j'trouve le courage

Son père, fronçant les yeux et si pinçant le haut du nez, retint un commentaire, et passa à ce qui l'intéressait.

- Bref... tu m'as rapporté le traité sur la relativité thaumaturgique des corps en mouvements ?

- Eeeh marde, chavais bien qu'javais oublié un truc.


Au dehors, quelques bribes d'une voix stridulante qui trahissait la jeunesse et le sexe de l'auteure de l'annonce, parvinrent.

- Grumph… "pas trop feignants"… c'pas pour moi ça. Bon j'retourne m'entrainer à la Confrérie du Griffon.

- Quoi ? Tu ne manges pas avant d'y aller ? Tu es malade mon biquet ?
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#4
Le ravissant sourire de son instructrice l'accueillit à la Confrérie du Griffon.

- Bonjour Maitre Bombus, ta réputation te précède !

- Grumph, 'jour Maître, m'en parle pas, des racontars de vieillards aux gamins, j'ai foutu que dalle, c'était une vraie boucherie, les bestioles n'ont eu aucune chance. Je n'ai même pas été une seule fois en danger, hormis la fois où je me suis fait gueuler dessus par un snoble parce que je m'étais trop exposé. Tout ce que j'ai appris dans cette expédition de… dans ce périple, c'est que les archers restent derrière les rangs de guerrier et achèvent les blessés à coup de pointes barbelées...

...ma réputation !?


- Oui, il se dit qu'un archer talien de la Confrérie du Griffon a défait un homme reptile quatre fois plus haut que lui !

- Ahm ? Chuis un héros ? Tu veux m'épouser alors ?

L'experte en tir à l'arc parti d'un énorme éclat de rire qui fit rater leur cibles à au moins trois apprentis qui s'appliquaient consciencieusement plus loin sur la pelouse.

Puis avec un sourire taquin affirmant le contraire de ses paroles, et exhibant une bague dorée qu'il n'avait jamais remarqué :
- Cela aurait avec plaisir, grand héros, si je ne l'avais pas déjà été !

- Ah tu es merd… euh merde, t'es mariée ? Euh félicitations.

Bombus décida qu'il ne reprendrait pas l'entraînement aujourd'hui, et partit la queue entre les jambes sa saouler à la taverne.

La ravissante serveuse – encore plus délicieuse que la dernière fois, elle avait dû procéder à quelqu'activité éprouvante qui avait fait chuter légèrement son décolleté – lui demanda ce qu'il souhaitait prendre.

Avec son plus beau sourire, il lança un gai
- Bonjour, vous vous souvenez de moi ?
- Euh non.
- Les égouts ?
- Euh non désolée – fit elle avec une moue dégoûtée.


Eh mer... Ce n'était pas la serveuse qu'il avait abordé avant de partir, c'était une vendeuse du magasin. Il faudrait qu'il prenne des notes.

Il se rattrapa en continuant sans se démonter, Je suis Bombus, celui qui a glorieusement terrassé dans le marais un sautorarque qui avait cinq fois sa taille, vous en avez forcément entendu parler !?

- Moi j'ai entendu que t'étais caché derrière les guerriers qui prenaient les coups, et que t'as trucidé dans le dos une pondeuse à écailles annonça une voix rauque. Pour la gloire tu repasseras.

C'était grillé pour impressionner la serveuse. Restait à espérer que la vendeuse en ait entendu parler plus positivement.

De la pénombre où était sorti ce coup de poignard verbal, il ne vit qu'une main tenant une choppe pleine de mousse, qui se mélangeait avec une barbe elle aussi pleine de mousse.

Bombus prit un air arrogant et lança aux yeux bleus un virulent T'es qui toi ?
- Pas d'importance.
- Grumph. Connais pas. Et qu'est ce t'en sais de la gloire, toi ?
- J'ai abattu quelques grand guerriers...
- Comme moi quoi !
- Pff !
La mousse éclaboussa la table comme il pouffait de rire. J'te parle de gars qui ont affronté les plus grand combattants d'Ecridel comme les nains, ou même des Agars, pas des lézards boiteux qui avaient déjà été diminués par des contrebandiers...


Fèces de bique ! Il aurait volontiers voulu en apprendre plus sur ce qui aux yeux des consommateurs de la taverne avait valeur d'exploit, mais il allait rater le rendez-vous. Il avait été convenu que la troupe de mercenaires qui avait nettoyé le marais se retrouve sur la place du marché pour le partage du butin.
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