La chasse
#1
Le Temple

En ouvrant les yeux, Melmoth eut du mal à reconnaître les lieux.
Ce n'est pas qu'il ignorait totalement Fryelund, mais ses dévotions au Dieu s'étaient faites rares ces dernières années.

Il dût cligner des yeux plusieurs fois pour en chasser les petites taches virevoltant en tout sens, tant le contraste était grand.
La voûte était loin au-dessus de lui, peut-être même au-delà de la portée de ses flèches.
Le chêne blanc de la charpente était tellement travaillé qu'on eut dit les branches d'un gigantesque arbre vivant.
Dans quelques espaces judicieusement placés sur les parements disposés entre les entrelacs de ce bois précieux, aujourd'hui presque disparu de la surface de Synca, on pouvait apercevoir le brillant du dôme en or qui faisait la fierté des Elfes.
Mille feux scintillaient sur les fresques murales ciselées magistralement dans le bois précieux et recouvertes de fines feuilles de métal repoussé, d'or et d'argent.
Les milliers de chandelles magiques qui ne s'éteignaient jamais éclairaient d'un jour infini l'histoire des Elfes et de leur Dieux gravée pour l'éternité.
Le rôdeur était de retour parmi les siens, dans le sanctuaire du temple de Fryelund à Asteras.

Pris de vertige dans cet espace immense, il dût encore patienter un peu afin de recouvrer la lucidité nécessaire pour commencer à comprendre toutes les implications de la situation.
Il s'assît lentement, observant les alentours avec prudence et respect.
L'endroit était désert à l'exception de trois prêtres situés à moins de vingt pas, reconnaissables à leur robe d'un blanc immaculé.
Apercevant que le rôdeur reprenait conscience, ils se tournèrent vers lui sans un bruit, attendant sans doute possible qu'il vienne à leur rencontre.

Avant qu'il n'esquisse le moindre geste, une vague soudaine de froide sueur passa sur lui, le faisant frissonner de tout son corps.
La peur.
Par réflexe, il se palpa les bras, le torse, le cou, passa une main dans ses cheveux défaits, observa jusqu'à ses jambes et remua ses pieds dans ses bottes.
Le frisson cessa instantanément.
Il était entier et nulle trace de blessure n'apparaissait sur lui.
Seule une légère marque ronde qu'il avait senti en touchant sa gorge et une petite gêne dans le dos auraient pu l'intriguer.
Il était faible mais jamais il ne s'était senti autant rassuré que sur l'instant.

Il était vêtu de sa tunique de cuir, assis sur sa cape d'esquive, la capuche abaissée dans le dos, et ses affaires étaient posées au sol à ses côtés : son arc avec sa corde en place, son carquois, son outre et son sac de voyage.
Rapprochant ce dernier, il l'ouvrit pour en faire l'inventaire et s'étonna de son poids inhabituel.
Il recelait des champignons divers, du pain et du jambon, une étrange fiole bleue dont il n'avait pas souvenir de l'usage, des fleurs.
Et avec tous ces objets, un étrange étui de cuir rouge couvert de runes incompréhensibles.

Aussitôt, un violent choc le fît perdre connaissance, pendant moins de temps qu'un battement de cils, mais avec une violence inouïe.
Il se souvint instantanément avec une netteté incroyable, comme si les évènements se déroulaient sur l'instant même : le discours sur la place, la marche forcée, sa rencontre avec le chasseur Nain, les mines, la cité des Nains...
La suite était moins claire.
Il avait conscience de lumière tamisée, de murmures, de pavés froids.
Un goût métallique se fit dans sa bouche tandis que plusieurs points précis de son corps le piquaient, comme si on enfonçait un doigt avec force en un endroit précis.
Un doigt ou ... un carreau d'arbalète ?

Une nouvelle frayeur le balaya et il sentit une vague de chaleur qui passait sur son visage.
Aussi soudainement, elle disparut et le rôdeur revint à la réalité.
Un coup d'oeil vers les prêtres lui indiqua qu'il n'avaient pas bougé, comme si tous ces souvenirs avaient été instantanés.
Il se releva avec peine, tenant à peine sur ses jambes.
Il ramassa ses affaires, rabattit sa capuche sur sa tête et se dirigea à pas lents vers les clercs.

Arrivé à leur hauteur, il déposa ses affaires et mit un genou au sol, la tête courbée.
Les parole lui vinrent naturellement :
"Que Fryelund bénisse la reine Asthalia et le peuple Elfe. Que le peuple Elfe et la reine Asthalia chérissent le Dieu protecteur de l'Empire. Je m'incline et dévoue mon âme au Dieu éternel."
Alors le prêtre doyen, reconnaissable au fil d'or ceint à son front, tendit une main légère pour l'appuyer sur l'épaule du rôdeur et répondit :
"Fryelund entend tes paroles et sa protection t'es acquise tant que durera le temps des Elfes"
Une grande fatigue étreint l'Elfe tandis que le Dieu lui retirait un peu vie en échange de sa protection.

Tandis qu'il se relevait et ramassait à nouveau ses affaires, un des prélats prend la parole :
"Ton âme et ton corps ont été purgés de toute souillure par Fryelund.
Quel qu'ait été l'objet de ta visite au pays des rêves, Dieu t'a donné une autre chance de prouver ta dévotion à sa grandeur."

Après une pause, le prêtre reprend la parole :
"Tu es un rôdeur, n'est-ce pas ? Tu es même plus que cela, toujours aux limites du monde connu et de la légalité !
Il semble que tes pas t'ont mené seul trop près de tes ennemis et que tu ait sous-estimé leurs forces, ou sur-estimé les tiennes.
Nous ne sommes pas en droit de te juger, mais nous pouvons te conseiller.
Il est des chemins qui ne mènent nulle part et où Fryelund lui-même ne pourra te porter assistance.
Tu ne pourras alors compter que sur toi-même ... ou tes compagnons.
Nous ne pouvons que t'encourager dans ce sens.
Les Elfes ne sont jamais plus forts que rassemblés et solidaires."


Vexé par ces remarques, sachant pertinemment à qui il s'adresse, le rôdeur prend la parole à son tour d'une voix sèche et froide :
"Il n'est pas d'endroit, prêtre, ou Fryelund ne voit ce que les Elfes endurent et peut-être même guide-t-il leurs pas sans que vous n'en soyez informés.
Certains chemins sont en effet dangereux. J'en assume le choix.
Néanmoins, ma voix sera toujours dans le choeur des Elfes pour louer la grandeur de Fryelund."

Adoucissant sa voix, il reprend :
"Merci pour vos conseils, gardiens.
Mon esprit est apaisé par vos paroles et mon dévouement renouvelé à Dieu.
Je requiers aujourd'hui vos soins pour mon corps meurtri ... par certains Nains."

Il avait dit ces derniers mots en serrant les dents.

Les prêtre se regardaient avec hésitation. Et puis le doyen s'avança vers le rôdeur.
Les deux mains jointes devant son visage, les yeux fermés, il commença à réciter des incantations incompréhensibles pour le rôdeur.
Les deux autres prêtres marmonnaient derrière lui, les bras ouverts, paumes tournées vers le haut, la tête rejetée en arrière.
Après quelques secondes seulement, les mains du soigneur semblaient vibrer d'une énergie incroyable.
Lorsqu'il apposa sa main sur le front du rôdeur, celle-ci lui semblait brûlante, mais il n'osa pas la repousser.
Instantanément, il sentit ses forces revenir.
Il sentait son sang circuler en lui comme réchauffé par la main du soigneur.
Puis la main lui parut soudain très froide en contraste avec l'instant d'avant.
Le soigneur retira sa main et manqua de s'effondrer au sol, rattrapé de justesse par le rôdeur.
Inquiet, celui-ci fixa les deux autres prêtres qui semblaient moins affectés et s'approchaient à grands pas.
Le doyen se reprit aussitôt :
"Je vais bien, rôdeur, les soins requièrent beaucoup d'énergie."
Gêné, Melmoth se redressa, regardant tour à tour avec respect chacun des prêtres devant lui avec un geste de la tête en signe de remerciement.
S'inclinant tout en reculant, une main sur la poitrine, il dit :
"Asthalia doit être honorée d'avoir à ses côtés d'aussi puissants soigneurs.
Et Fryelund d'aussi dévoués serviteurs.
Je vous dois une faveur.
Je ne l'oublierai pas."

L'Elfe fit demi-tour et s'approcha des portes ouvragées du sanctuaire, qu'il poussa lentement.
Dehors, le jour se levait à peine et l'immense cour du temple était encore déserte.
Aucun signe de vie n'était visible dans les allées couvertes de tuiles bleues qui couvraient les grandes colonnes entourant lieu de culte.

Dans quelques heures, il y aurait d'innombrables Elfes à s'incliner pour honorer leur Dieu.

Le rôdeur s'engagea vers l'entrée monumentale du Temple.
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#2
Conflit de conscience

Passé les portes du Temple, Melmoth se retrouva dans les rues d'Asteras au pavé fin et régulier.
L'architecture des maisons blanches aux ornements et aux tuiles colorées de couleurs pastel de toutes les nuances, avec une très nette dominance du vert et du bleu, était travaillée comme de l'orfèvrerie.
Les rues étaient encore désertes pour quelques minutes, et le rôdeur perdit son regard droit devant lui dans le vague, sans but précis.

Lui revenaient en mémoire de plus en plus précisément les images de son périple dans les Mines et dans la citadelle des Nains.
Les dernière heures en particulier bousculaient leurs images devant ses yeux.
L'école de magie se dessinait dans son esprit, les traits vicieux du maître des Runes, l'étui de cuir sur le comptoir.
Et puis ses paroles : "Pour toi, j'enfreindrai la loi des Nains. Le prix sera élevé."
Un frisson lui parcourut l'échine.
En effet, le prix avait été élevé.

Il se remémorait avec précision diabolique sa fuite en rampant, sur le sol de granite irrégulier et froid de la citadelle montagnarde, deux traits dans les flancs, une douleur intense faisant perler des larmes sur ses joues, son sang au sol trahissant sa fuite d'avance vouée à l'échec.
Il se souvint avoir subitement retrouvé confiance en apercevant l'armurerie à l'architecture massive, puisant dans ses réserves pour user d'une de ses compétences propres aux rôdeurs et qui leur permettent de dépasser leurs limites physiques.
Laissant à chaque pas sa vie se déliter un peu plus sur chaque marche, il avait poussé les portes et avait pénétré dans le lieu presque désert.
Un sourire se dessina instinctivement sur ses lèvres lorsqu'il revit les yeux écarquillés du jeune guerrier Nain, paralysé à sa vue, certainement plus par la surprise que par la peur.
Il se souvint vaguement d'un coffre rangé le long d'un mur couvert d'armes et de boucliers, dissimulés derrière une tenture.

La douleur lui parut presque réelle et il sursauta lorsqu'il se revit tourner la tête vers la porte qui venait de s'ouvrir à la volée, les yeux à son tour grand ouverts à la vue de l'arbalète déjà déchargée dans les mains de la guerrière Naine aux yeux féroces, tandis que la pointe du carreau ressortait par devant de sa tunique de cuir.
Tout alors s'était accéléré, le temps ne devint plus qu'un instant unique ou tout se déroulait en même temps : sa chute en avant, le choc sourd de sa tête sur le sol de pierre, sa capuche se rabattant sur sa tête, les cris d'étonnement des Nains qui s'approchaient en courant, leurs bottes propageant le choc de leurs pas jusque dans sa tête.

Il se souvint ensuite ne plus avoir ressenti de douleur mais avoir connu la peur, vit de nouveau s'approcher le néant, remplissant sa vision comme un liquide épais et sombre, comme le sang qui coulerait devant une vitre jusqu'à l'obscurcir totalement.

Puis vint la vive lumière, l'immobilité paisible du pays des rêves, qui devait durer éternellement.
C'était il y a quelques heures à peine.
Sans savoir pourquoi, il avait retrouvé sa liberté, happant l'air goulument comme un plongeur resté trop longtemps en apnée.

Sa vue s'éclaircit et il retrouva sa lucidité.

Une image lui trottait dans la tête, celle du Maître des Runes lui remettant le rouleau de cuir.
Il mit la main sur sa besace à son côté et sentit la forme du rouleau en sa possession.

Il avait échoué... oui et non.

Bien sûr, sa mort serait écrite dans les livres des Nains.
Rien qu'à cette pensée, il faillit se comporter comme eux et s'arrêta juste à temps avant de cracher au sol.
Il était un Elfe. Et les Elfes ne crachent pas comme les Nains.

Il reconsidéra toutefois les choses avec objectivité.
Quel qu'en soient les motifs, par quelle magie ou par quelle actions des Dieux que cela ne fût fait, il n'en restait pas moins qu'il possédait le parchemin du Messager.
Sa mission n'était certes pas glorieuse, mais le résultat était là.
Il pourrait bientôt apporter la nouvelle à son Maître et poser un genou devant lui.
Il pourrait prétendre poser le pied sur la stèle et attendre sereinement l'avis du Conseil.
Il pourrait rejoindre les Ombres.

Il ne lui restait plus qu'une partie de la mission à accomplir.
Loin d'être une formalité, elle s'avérait plus accessible que la première.
Il devrait être en mesure de se procurer la tête d'un Nain.

La chasse allait commencer.
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#3
Un long chemin

Le rôdeur se dirigea vers le magasin central d'Asteras.
Il refit ses provisions et vendit quelques fleurs sauvages et rares qu'il avait récoltées dans ses pérégrinations aux frontières du monde connu.

Il se dirigea ensuite vers la Banque pour y déposer le peu d'or qu'il possédait.
Là où il allait, il n'en avait pas besoin.
Il savait que si la flamme s'éteignait à nouveau dans les caves sombres, cet or serait réclammé par un vieillard aux longs cheveux blancs et fins.

S'écartant de l'école de magie, comme par aversion, il se dirigea vers les portes Ouest de la cité.
Curieusement, il ne croisa aucun garde de ce côté ci des portes.
Il faudra qu'il fasse savoir aux conseillers de la Reine Asthalia que cela était dangereux.
Il savait à quel point la garde était importante... et à quel point son absence était dangereuse !

Il passa les portes.
Devant lui s'étendaient jusqu'à l'infini des lieues de pelouses calcaires, à l'herbe rase, de tous les tons de vert et de jaune connus sur cette terre.
Un léger vent frais balayait cette plaine et venaient mourir contre la cité dans son dos, pas assez puissants pour remonter jusqu'en haut des impressionnants remparts.
Quelques affleurements rocheux et quelques rares fleurs s'éparpillaient sans aucune logique dans cette immense étendue uniforme.

Melmoth se mit en marche.
Tout son corps lui semblait raidi par l'inactivité.
Il avait un but précis mais savait qu'il lui fallait retrouver sa souplesse, sa force et son agilité avant d'espérer pouvoir tenter une rencontre avec son ennemi et tenter de lui ôter la vie.
En l'état, l'échec était certain.
Il forcait donc chaque jour un peu plus le pas, puisant dans ses réserves pour repousser ses limites jusqu'à atteindre l'endurance qu'il avait acquise par le passé.
Les gestes d'entrainement revenaient naturellement et chacune des marques que les flèches et les traits des Nains avaient laissées sur son corps lui faisaient serrer les dents et rendre sa volonté plus ferme.
Il courait arc au poing, encochait flèche sur flèche et les décochait droit devant tout en courant, les récupérant en chemin.
Il alternait ses courses entre le jour et la nuit, courant de plus en plus longtemps à chaque fois, jusqu'à ce que ce choix ne soit que l'objet de sa seule volonté et non pas celui de son corps.
A chaque pause, il faisait des exercices pour augmenter sa force et sa souplesse, puis renforcait ses techniques de dissimulation et de survie.
Après plusieurs semaines de ces exercices, il était de nouveau le rôdeur qui avait surpris les Nains dans leur forteresse du Nord
Il était même bien plus fort maintenant, et bien plus sage aussi.

Il progressa d'abord vers l'Ouest puis s'orienta vers le Sud et longea la côte, bercé par le son des vagues à chaque instant, qui maintenaient sa concentration à son maximum par leur régularité sans faille.
Puis il atteint les limites du monde connu, que personne n'avait jamais franchi dans les deux sens.
Au loin, des nuages noirs et très mobiles, zébrés d'éclairs blancs et grondants déroulaient toute leur puissance depuis le ciel jusque sur le sol, formant une barrière très dissuasive.
On pourrait les croire vivants. Peut-être même n'était-ce pas une légende.

Melmoth passa plusieurs jours à les observer à distance, dormant peu, sans cesse en alerte et aux aguets à chaque coup de tonnerre plus puissant qu'un autre.
Ils ne bougeaient que dans des mouvements verticaux, comme des volutes se retournant sans cesse sur elles-mêmes, se mélangeant dans toutes les nuances du bleu foncé jusqu'au noir le plus profond.
Le rôdeur s'approcha prudemment et s'arrêta à quelques pas, manquant de peu de plaquer ses deux mains sur ses oreilles tant le fracas était assourdissant.
On aurait dit qu'un ouragan évoluait juste devant lui, arrêtés par une barrière magique invisible, sur laquelle ils ne cessaient d'abattre leur poing rageur.
Il tendit le bras jusqu'à ce que son gant ne soit qu'à quelques pouces de la barrière, comme attiré par le phénomène.
Une matière invisible, souple et intangible mais d'une puissance incommensurable l'empêchait d'entrer en contact.
Levant les yeux, le phénomène n'avait pas de limite jusqu'au ciel.
De chaque côté, il en était de même.

Le rôdeur fit une prière à Fryelund et entreprit de remonter vers le Nord en gardant une certaine distance avec les Limites du Monde.
Pendant plusieurs jours, le paysage ne changea pas.
Il longeait le bord du monde, à sa gauche un nuage infini de violence et de noirceur qui criait son impuissance devant une barrière invisible, à sa droite la même pelouse rase et vert-jaune jusqu'à l'horizon.
Puis quelques arbres apparurent, d'abord des bosquets isolés puis des groupes plus nombreux, comme une ancienne forêt qui aurait perdu de sa prestance, à l'image des cheveux clairsemés sur le crâne des anciens.

Alors le rôdeur orienta son chemin vers le Nord-Est.
Il ne croisa personne, progressa à pas rapides, ne s'arrêtant que pour se restaurer frugalement ou prélever quelques fleurs ou écorces rares qui lui assureraient un revenu modeste suffisant pour sa subsistance.

Cela faisait maintenant près de vingt cycles qu'il avait quitté la cité d'Asteras, n'avait croisé aucun être vivant ni prononcé aucune parole.
Il apercevait devant lui les volutes fines de fumées grises au-dessus des toits mordorés du village de Tilador Erdana.
Sa retraite touchait à sa fin.
Il était ressourcé, motivé comme jamais, prêt à accomplir sa mission et plier le genou devant son Maître avec honneur.
Il se fondit dans les rues du village au crépuscule, juste avant la fermeture des portes.
Il se retira à l'auberge, goûtant avec bonheur l'ambiance feutrée de la vie si élaborée de ses compatriotes.
Et puis soudain lui revinrent en mémoire les paroles du vieillard.
Une grimace se fit sur son visage et il serra les dents. Il s'enfuit plus qu'il ne quitta l'auberge, fendant la foule comme une ombre et disparaissant dans la nuit avant que la porte ne se referme.

Il s'approcha des portes Ouest, plus concentré qu'il ne l'avait jamais été.
Le dos contre le mur, en appui sur un pied, sa capuche rabattue, il se reposait les yeux ouverts, son arc dans une main, une flèche dans l'autre.

Dans quelques heures, la chasse débuterait.
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#4
Le désert de glace

Dès l'ouverture des portes, Melmoth prend la direction du Nord-Est, d'abord à marche rapide puis à pas de course.

A quelques lieues à peine, à l'orée des bois bordant les neiges éternelles, le rôdeur croise un compagnon Elfe dont le nom est synonyme d'un passé oublié : Eydan !
Le guerrier est debout à la bordure des arbres, immobile, seule sa longue chevelure blanche éclatante le faisant remarquer sur la sombre bordure de la forêt.
Comme les nerfs à vif, la rage perceptible à fleur de peau et pourtant d'un calme terriblement froid, une main sur la poignée d'une de ses épées dans son dos, il observe le rôdeur qui passe devant lui à quelques empans seulement.
Melmoth, arc et flèche en mains, le dépasse de quelques pas et fait halte en souplesse, le guerrier légèrement en retrait sur sa droite.
Ne tournant que la tête dans la direction du guerrier, il attend à son tour en l'observant, sa capuche rabattue sur son visage.
Après quelques minutes à s'observer en silence, comme si le temps s'était arrêté, tout se précipite d'un seul coup dans l'urgence, sans prévenir, dans un tourbillon d'une vitesse vertigineuse.
Les deux Elfes échangent enchaînent leurs gestes d'entrainement sans un mot, rapides, efficaces, sans agressivité, avec pour seul désir de jauger et d'améliorer de leurs techniques.
L'épée de l'un frappe comme l'éclair, la flèche de l'autre pique à la vitesse du serpent.
Aucune attaque ne touche pourtant malgré leur vitesse irréelle, les mouvements fluides des deux partenaires leur permettant d'échapper à la morsure de l'acier.
Puis tout s'arrête aussi vite que cela a commencé.
Les deux Elfes se font face, leurs armes rangées.
Ils s'observent quelques temps encore, puis le rôdeur recule d'un pas.
Saluant le guerrier d'un geste rapide et appuyé de la tête, en signe de respect et de salut, et reprend sa course vers la forêt toute proche.

A mesure de sa progression vers le Nord-Est, les frondaisons se font de plus en plus denses, les sons de plus en plus étouffés, l'enchaînement des gestes de plus en plus machinal.
Après plusieurs jours de course rapide dans la pénombre, la lumière éclatante stoppe le rôdeur comme si une arme l'avait fauché en pleine course, un froid mordant lui rendant un peu de sa lucidité endormie par sa course effrénée.
Le rôdeur débouchait soudainement de la forêt directement sur la plaine de glace.
Les rayons froids du soleil pourtant haut dans le ciel semblaient colorer tout l'espace d'un blanc bleuté d'un froid glacial.
A perte de vue au Nord, la glace et la neige, un horizon plat et vide à perte de vue, un vent faible mais continu balayant tout l'espace et soulevant des vagues de neige d'Est en Ouest.
Au sud, le contraste était saisissant avec les vertes prairies qui prenaient naissance et forcissaient à mesure que la neige disparaissait.
A l'Ouest dans son dos, la bordure de la forêt était d'un vert profond et sombre, impénétrable.
Le rôdeur se permit une nuit complète de repos et un repas chaud auprès d'un faible feu.
Il ne savait pas quand il pourrait faire une nouvelle pause.

Dans la froideur de l'aube, après quelques étirements et ses habituels gestes d'entrainement, après avoir brisé avec par trois fois le plumeau disposé à près de cent pas avec une flèche longue, l'Elfe prît encore la direction du Nord-Est au pas de course.
Il devait courir plusieurs jours sur cette étendue de glace, tout arrêt signifiant sa mort par le froid, imparable compte-tenu de son faible équipement.

Près de six jours après son départ, ses forces s'amenuisaient sévèrement, ses faibles rations de jambon séché et de pain de marche ne suffisant pas à maintenir sa chaleur corporelle tandis qu'il les mâchait très lentement avant de les avaler, sans jamais s'arrêter pour maintenir ses muscles en mouvement.
Le froid avait transformé en glace la buée qui filtrait à travers de l'écharpe qui couvrait presque tout son visage.
La corde de son arc était d'une telle rigidité qu'il redoutait qu'elle ne se rompe si il était amené à l'utiliser.
Ses membres étaient endoloris, autant par le froid que par l'effort.
Puis la température lui sembla remonter en un instant lorsque des formes grises se dessinèrent sur l'horizon, irrégulières, grandissant à mesure de sa progression rapide.
Les formes devinrent vite des montagnes, de plus en plus hautes, de plus en plus froides et dures en remontant vers l'Ouest et le Nord.
Vers l'Est, la ligne sombre s'abaissait doucement et un son cristallin de plus en plus fort se faisait entendre.

Arrivé devant la Combe Froide, qui fermait le Cercle de Pierre de la source du Ru de Glace de l'Erion, Melmoth mit un genou à terre, totalement épuisé après sa course dans le désert de glace.
Devant lui s'écoulait l'impétueux ruisseau glacial, et quelques truites, ou plutôt leurs ombres, se tenaient immobiles juste sous la faible couche de glace givrée sur quelques pas en bord de rive.
Malgré son repos, sa vue se brouillait tant sa fatigue était grande. Il devait se restaurer.
Afin de conserver un peu de ses maigres réserves pour la suite de sa mission, il décida de tenter sa chance avec les poissons d'argent, mais ceux-ci étaient trop rapides et aucun ne tomba sous ses flèches, cachés bien plus profondément que ne le laissait supposer la limpidité des eaux.
Après plusieurs minutes acharnées, le rôdeur était encore plus las.
Trempé jusqu'aux os, il devrait faire un feu pour ne pas succomber au gel.
Il ressortit de l'eau glaciale, fit quelques pas avant de s'écrouler sur le sol, roulé en boule.
Il sombra dans un sommeil profond.

Il ne pouvait pas savoir combien de temps il avait sombré dans l'inconscience.
Le jour se levait à peine.
Secouant la tête, une fine pellicule de givre retomba en fine pluie devant ses yeux.
Son corps était presque totalement engourdi.
Ses jambes ne bougeaient plus, ses mains étaient de bois.
Seuls ses bras bougeaient avec une lenteur incroyable, et il avait l'impression que le moindre choc pouvait le briser en mille morceaux.
A la seule force de sa volonté, il réussit à se mouvoir assez, bougeant son torse de droite et de gauche pour renverser son sac sur le sol devant lui.
Il se laissa tomber le plus doucement possible vers le morceau de jambon durci qui roula sur quelques pas.
Il mangea autant de neige et de glace que de jambon.
Fermant les yeux, il attendait qu'un peu d'énergie le réchauffe, les rayons du soleil aidant un peu également.
Après plusieurs minutes, il reprit quelques couleurs, des picotements de plus en plus forts rendant tous ses muscles douloureux.
D'après ses estimations, il avait dû s'écouler plusieurs jours depuis son évanouissement.
Les truites avaient disparu, le froid semblait moins mordant et le givre sur les rives moins étendu, signe de radoucissement.

Pourquoi n'était-il pas mort de froid ?
Seul son entrainement de rôdeur avait dû le sauver.
Ayant retrouvé un peu de sa mobilité, il regroupa ses affaires, mangea un peu de pain de marche et fit quelques mouvements pour continuer à se réchauffer.
Vers midi, presque totalement remis, il reprit sa marche vers l'Est sans forcer l'allure.
Dans deux jours, il redescendrait vers le Sud et la cité des Nains, en quête d'une proie.

[EDIT : texte coupé en deux, plus facile à lire]
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#5
La piste

De nouvelles montagnes se présentaient à l'Est et l'elfe dirigea donc ses pas vers le Sud.
Il savait que ces contreforts abritaient la puissante cité des Nains.
Il longea donc les Monts de Pierre jusqu'à ce qu'ils croise à nouveau l'Erion, qu'il retraversa.
A quelques dizaines de pas, la prairie reprenait ses droits.
Là, le sol avait été piétiné par de nombreuses bottes de fer en provenance de la Cité.
Une armée de Nains !
A n'en pas douter, une grande compagnie était passée là, lourdement armée, se dirigeant au Sud-Ouest...vers la cité des Elfes !


mmmh...

Melmoth fit une pause, se concentrant sur ses possibilités.


Si il suivait les traces de l'host, l'Elfe tomberait à coup sûr sur un ou deux coursiers restés en arrière.
Ou sur une armée de guerriers hostiles ... quoique moins vigilants (Aucun Nain n'aime garder le camps quand l'ennemi est en vue ou quand la bière coule à flot ... c'est à dire presque tout le temps)
Ou sur un champs de bataille, tôt ou tard voire encore sur des tertres de terre non encore recouverts d'herbe, à n'en point douter.

Dans des directions opposées, il pourrait bien pister quelque éclaireur, mais la tâche serait plus ardue.
La ville était à exclure, bien trop puissamment armée, ses gardes en position, ses propres talents d'infiltration encore bien insuffisants.

Il décida de suivre la piste la plus facile.
En retrait des marques de bottes, il filait vite, à demi courbé dans les hautes herbes, le plus discrètement possible.


Son arc était prêt dans sa main gauche.
Dans son autre gant vibrait un longue flèche à la pointe fine et simple, un empennage triple de plumes noires, une hampe noire aussi, gravée d'une dague blanche de laquelle coulait une goutte rouge.


Bientôt...
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#6
Mauvaises rencontres

A peine quelques lieues parcourues dans les hautes herbes, et le rôdeur se sent soudain fébrile.
Faisant halte, il cherche dans toutes les directions, comme affolé, l'origine de sa peur.
Puis il se paralyse soudain.
A quelques pas, dissimulé dans les hautes herbes, un visage bien connu : Loki !
Il sait qu'il n'est pas à la hauteur d'un affrontement direct avec les puissants traits de la guerrière.
Se dissimulant de son mieux, ne sachant quelles sont les intentions de la Naine, il fuit vers l'Est en courant.

Plus loin, un autre guerrier Nain puissamment armé et de solide renommée attend le rôdeur : Gavin.
Surgissant des hautes herbes, surprenant l'Elfe décontenancé par sa fuite peureuse, il le frappe de plusieurs coups puissants rapidement enchainés.
L'Elfe est gravement atteint et continue sa fuite vers l'Est.
Tout en courant, il décoche une flèche maladroite sur le Nain, le surprenant plus qu'il ne le blesse.
Il voit le guerrier casser la flèche fichée dans son bras puis en extraire la pointe en grognant, sans même remarquer les gravures sur la hampe brisée.
Puis il disparait de sa vue.

Reprenant ses esprits peu à peu, Melmoth se demande si ces Nains sont l'arrière-garde de l'armée en marche vers la capitale Elfe.
Deux puissants guerriers, peut-être d'autres abrités dans la forêt, attendant le moment propice pour apporter leurs forces pour faire tourner une bataille en victoire...
Pour l'instant, aucun son d'affrontement ne se faisait entendre.

Sans savoir vraiment pourquoi, le rôdeur décida d'aller au plus vite en direction des siens pour les prévenir des renforts ennemis.
Peut-être un affrontement parmi les siens pourra-t-il aussi lui permettre de mener sa mission à bien.

Rapidement, le rôdeur se retrouve encadré de nombreux Elfes poursuivant quelques guerriers Nains isoles, la plupart blessé gravement.
Il interpelle ses compagnons sur les renforts Nains plus à l'Est puis se joint à eux pour tenter sa chance.

Duntaïn est son premier ennemi au contact et échange plusieurs flèches avec lui.
Là encore, le Nain marque l'Elfe bien plus profondément que le rôdeur ne l'espérait...
Isaldur met un terme au combat en achevant le nain d'un puissant coup de lame.

Plus loin, Mudery échappe au rôdeur et s'enfuit, esquivant ses flèches ou les recevant presque avec le sourire...
La force et la résistance des Nains interpelle grandement le rôdeur qui doit reconnaître aussi la belle facture de leurs protections !
Une vielle connaissance empêche alors le rôdeur de s'acharner sur sa proie.
Baldor Nordhal surgit rapidement malgré sa petite taille et met le rôdeur à terre en quelques flèches seulement, à bout portant.

Fin de la chasse ... provisoirement.

Les yeux du rôdeur ne voient plus qu'une douce lumière rouge qui filtre à travers ses paupières, impossibles à soulever.
Il est allongé sur un douillet matelas d'herbes tendres.
Il ne ressent aucune douleur.
Il est de retour au pays des songes.


Au fond d'une cave voûtée, une nouvelle flamme s'éteint avec une fumerolle légère.
Une main à la peau usée par les années écrit pour la seconde fois le nom de Melmoth dans un grand livre avant de le refermer.
Puis dans un second ouvrage, le nom de Baldor Nordhal est barré à l'encre noire et l'ouvrage est refermé à son tour.

Sur un dernier tome, le nom du Nain est écrit à nouveau, mais à l'encre rouge comme le sang.
Sur la couverture de ce tome est peinte une dague blanche. A sa pointe perle une gouttelette rouge.
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#7
Le Gibier

Quelques lunes plus tard, le rôdeur plie à nouveau le genou devant les prêtres de Fryelund.
Une longue marche l'attend à nouveau avant qu'il retrouve toutes ses facultés.
Ce n'est plus une surprise pour lui, il a déjà fait le voyage.

Il refait ses bagages en ville et décide d'aller rôder vers l'Est.
C'est un endroit qu'il connait mal, et puis il y a quelques chances qu'il trouve des Nains de ce côté là.
Il n'a pas encore accompli sa mission.

Dès l'ouverture des portes juste avant l'aube, le rôdeur s'enfonce dans l'eau jusqu'à la taille pour traverser l'Erion, qui n'est plus ici l'impétueux torrent de glace du Nord mais une belle rivière, peu profonde mais large et paisible.
Puis la lande se fait plus rude à mesure qu'il progresse vers l'Est, l'herbe y est moins grasse et plus rase de ce côté du monde, le vert plus proche du jaune.
Il est difficile de s'y camoufler.

Après plusieurs jours de marche tranquille, il croise une vielle amie avec qui il s'était jadis entrainé et de qui il garde un bon souvenir : Ress la guerrière aux deux lames.
Il lui parle de sa dernière mésaventure et elle lui propose son aide précieuse pour accomplir sa quête.
Il accepte car son état et ses faiblesses actuelles en combat lui promettent encore de lourdes désillusions.
Melmoth sait qu'il n'est pas encore de taille à lutter seul contre un ennemi en armure.
Et qui a déjà vu un Nain seul et sans armure ?

Ils décident de faire un bout de chemin ensemble, elle progressant devant lui à quelques centaines de pas.
Ils avancent ainsi de nombreux jours, progressant vers l'Est puis s'orientant vers le Nord-Est, échangeant quelques passes d'armes de temps à autre pour affiner leurs techniques respectives.
Quelques bosquets d'arbres épars apparaissent ici et là à mesure qu'ils s'approchent de Kromgar

Puis c'est la rencontre. Une cible, enfin !
Le Nain Wogshrogg s'est aventuré, seul, trop loin de ses bases.
En quelques coups, l'affaire est dite et le Nain a rejoint ses ancêtres.
Malgré son acharnement, Melmoth n'a pas eu le temps d'achever le Nain, et c'est Ress la rapide qui termine le travail.
Peu importe, le gibier gît, mort, lacéré de toutes parts, aux pieds du rôdeur.
Il considère sa mission accomplie.

D'un coup de dague, le rôdeur récupère une des tresses de la barbe du Nain avant de lui offrir un tertre de pierre.
Il a croisé la mauvaise personne au mauvais endroit et au mauvais moment, mais il n'y a pas de haine chez le rôdeur.
Le Nain a droit à une sépulture correcte.

Puis les deux voyageurs reprennent leur route.
A proximité de Kromgar, ils croisent à nouveau des Nains.
Cependant, un certain Mordyn s'avère un rude compagnon, et malgré plusieurs flèches fichées dans sa maille, ce dernier met en déroute le rôdeur, qui se replie vers le Sud tandis que Ress semble s'échapper au Nord.
Curieusement, elle n'insiste pas pour traquer le Nain.
Elle semble avoir d'autres affaires à régler et disparaît bientôt hors de la vue du chasseur.
Elle a rempli sa mission et Melmoth sait qu'il lui doit une faveur.

Il prend le chemin du retour vers la capitale Elfe.
Il doit se rendre dans une ruelle sombre et peu fréquentée, dans une cave aux voûtes de pierre ou brille une chandelle...

L'heure approche.
Les Ombres seront bientôt de retour.
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