Celle-qui-enchaîne-les-esprits.
#1
Précédemment...

Au milieu de la pièce, le corps de Yummi était allongé, immobile. Pour l'instant. La jeune fille était inconsciente, mais bien vivante. Au milieu de la pièce, à quelques pas de Yummi, la Corbic se tenait assise en tailleur à même le tapis baigné de sang.
Elle se mordait alors nerveusement la lèvre, jusqu'à s'enfoncer si profondément les dents à l'intérieur que cette dernière se mit à saigner abondamment sur son menton. Son regard était vague, changé. La douceur opaline de ses pupilles s'était transformée en un bleu légèrement violacé. Changeant. Un voile foncé doucement se tirait sur ce qui avait été jadis les yeux les plus clairs de tout Korri.
Silencieuse, elle semblait rêver, l'esprit lointain mais le corps là, fatigué, essoufflé. Cela lui avait demandé tellement d'effort, tellement de puissance et de maîtrise à la fois… Si elle avait relâché ne serait-ce que quelques secondes son attention, est-ce que cela aurait marché ? Si elle avait faibli, Yummi serait-elle vivante et son cristal de mana sombre ?
Elle eut un petit rire vague, perdu. Il résonna dans la pièce, comme si mille banshee s'acharnaient à le reprendre en chœur. Quoth ravala sa salive, ses yeux clignotant quand enfin un souffle de mort balayait ses joues et son visage.
Une plume sombre effleura sa lèvre blessée, et elle sentit le bout du bec du Grand Freux s'enfonçait dans sa chair et en tirait un morceau, sans douceur, pour mieux le goûter. Elle n'eut pas mal. Son corps était trop endolori pour ressentir. Son cœur le premier.

[Image: nYf320u.png]« Tu as meilleure goût, aujourd'hui. Bientôt tu seras à point, ma terrible Quoth… » Murmura le Grand Freux, son haleine putride vaguant de nouveau sur son visage, piquant les yeux de la Corbic.

[Image: 1.gif]« Je n'ai… plus la forrce de me lever… » Chuchota-t-elle du bout des lèvres.

[Image: nYf320u.png]« Tu as encore toute ta force, Quoth, mais elle est là, quelque part, cachée et partout à la fois. Puise-la. Tu sais le faire. Il suffit seulement que tu voles… Tu sais faire. Les Corbeaux sont réputés à cela, depuis le premier d'entre nous qui vola la Lumière jusqu'au premier des tiens. »

[Image: 1.gif]« Le premier des miens… »

Les yeux lourds de Quoth clignotèrent de nouveau, cherchant à se rappeler, mais les souvenirs lui échappaient. Son père avait-il seulement encore un visage dans sa blême mémoire ? Elle ne se souvenait plus. Elle ne voulait pas se souvenir. Se souvenir c'était souffrir de nouveau, encore, et elle en avait assez de cette douleur qui la rendait malade. Elle inspira profondément, déglutissant douloureusement.

[Image: 1.gif]« Yummi. » Trancha-t-elle finalement, jetant un regard à la jeune fille. « Yummi, oui… »
La Corbic s'étira comme un félin au pelage obscur et lentement, ses os craquant, elle grimpa sur Yummi, la couvrant de ses grandes ailes comme le Grand Freux l'avait un jour fait. Là elle se pencha vers la guerrière et ferma les yeux, entrouvrant à peine ses lèvres pour finalement prendre une grande inspiration.
Un petit flux rougeâtre s'échappa des lèvres de la jeune femme et Quoth le goba tout cru, sans en laisser un seul morceau. Son sourire se fit plus grand, et bien qu'elle fût aussi effrayante que la Mort elle-même, elle ne fit de plus à Yummi. Son attention la délaissa entièrement pour mieux retomber sur le cristal de mana dont la couleur avait sensiblement changé.
Du beau bleu saphir originel ne restait plus qu'un violet sombre et arcanique. De petits éclairs semblaient parcourir l'intérieur de la pierre , et il n'aurait pu y avoir mégarde sur l'objet tant il dégageait une puissance d'arcane corrompue.
C'était un véritable cristal de mana corrompue.
Une véritable réussite.

Elle se redressa doucement, gonflée d'une fierté sans équivalent. Jusqu'à maintenant, Quoth ne s'était jamais bien considéré. Elle n'avait jamais été qu'un résidu de chaussette, une « pauvre fille » comme disait souvent Sélèna, « une gourde » aux dires de Hobbes, ou pire encore, « une traînée » selon les propres mots d'Emmett Goupil.
Aujourd'hui, de tout ça, elle n'était rien. Elle était différente, plus puissante et plus assurée que jamais. Dans ses yeux, des vagues funestes passaient. De l'amertume joint à la rancœur, tout ça baigné dans l'insolence d'avoir réussi à s'en sortir malgré tout, d'avoir réussi à surpasser tout ce que tout le monde avait toujours cru qu'elle deviendrait. D'être devenue meilleure. D'être devenue, enfin, oui, enfin, puissante…

Ses yeux retombèrent aussitôt sur le Grand Freux. Ce dernier était stoïque, statique. Ses grands yeux de rubis fixaient sur elle été remplis d'un sentiment si neutre que Quoth ne sut y lire. Elle le fixa, et finalement le Grand Freux étendit ses ailes vers elle, avec douceur, pour finalement l'enrouler au creux de ses bras-ailés. Elle ferma les yeux, confiante, et ses doigts serrèrent les plumes de l'animal. L'odeur était toujours là, présente, oppressante. L'odeur de mort.
Quand elle ouvrit les yeux, il était toujours là, mais à deux pas plus loin. Elle sentait pourtant encore la douceur de son plumage sur elle. Quand la Corbic jeta un regard à son costume, elle ne put qu'apercevoir une longue robe faite de plumes piquées sur un lin noir. Elle sentait de nouveau cette puissance dans ses veines rugir comme jamais.
Le Grand Freux eut un rire.
[Image: nYf320u.png]« C'est un cadeau. »

Elle le fixa, et ses joues se colorèrent d'un joli pivoine crédule.

[Image: 1.gif]« Merrci. »

[Image: nYf320u.png]« Ne me dis pas merci. Ta route n'est plus très longue, mais tu auras besoin d'aide. Tu auras besoin de moi… »

Le Grand Freux jeta un regard sur la droite, regard que suivit également la jeune Corbic. Elle vit sur le sol son long bâton de lumière brillait comme toujours. La gemme solaire était éclatante et d'une beauté rare, mais cette fois-ci, et pour la première fois, Quoth grimaça. Elle lui brûlait les yeux, tant sa beauté pure et chaude était loin de ce qu'elle était à présent, de ce qu'elle était devenue par la force des choses et de la persuasion.
Elle serra les dents et s'en approcha, d'un pas lent. Elle se pencha et ramassa l'immense bâton. Maintenant qu'il était tout près d'elle, elle sentait la brûlure s'intensifiait. Elle ferma les yeux, mais la douleur était toujours présente.

[Image: 1.gif]« Pourrquoââ.. ? » murmura-t-elle, toujours aussi crédule.

[Image: nYf320u.png]« Tu es un animal nocturne, un guerrier de nuit. La lumière, il faut laisser ça aux belles têtes couronnées et à ceux qui ont eu de la chance dans la vie. Tues-la, Quoth, tues-la cette lumière, fais-la plier comme tu fais plier les esprits et les âmes ! »

Le ton du Grand Freux était enivrant et enthousiaste. La Corbic y décelait même un petit rien d'excitation, sans qu'elle ne sache si c'était malsain ou non.
Elle ouvrit de nouveau les yeux et ses yeux brûlaient davantage encore. Elle leva vivement sa main et la posa à même le cristal de son bâton de lumière. La douleur fut vive à saisir sa peau ; il semblait qu'on lui appliquait une braise brûlante à même la paume de la main tant elle souffrait, mais la Corbic ne lâcha pas. Elle serra, encore, davantage, et le petit gémissement douloureux se transforma en cri, en rugissement perçant et strident.
A la façon des Banshee, elle cria toute sa rage et toute sa puissance. Sa main serra jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que la gemme incrustée n'éclate sous la force de la jeune fille. Les fins morceaux de pierre s'enfoncèrent dans sa peau, si bien qu'elle écarta aussitôt la main, mais le Grand Freux la rattrapa. Sans qu'elle ne l'ait aperçu, il était dans son dos, et avec sa propre aile, il la força à serrer de nouveau sa main sur la gemme.
Son sang coulait à toute vitesse, et sa tête commença à tourner, sentant ses forces de nouveau l'abandonner. La gorge de la Corbic se serra mais elle tenait debout, tremblante, fragile, mais debout. Elle serra les dents et, de nouveau, serra d'elle-même. Les quelques morceaux de verre s'enfoncèrent si bien dans sa chair qu'elle sentit que certains fragments avaient transpercé sa main. Des arabesques de magie s'enroulaient sans cesse autour de sa main et du bâton pour finalement disparaître, comme aspirer par la pierre.
La gemme s'empourpra vivement, mais comme le sang coulait de plus en plus noir, la gemme cessa même de briller rouge, et le rouge vira à un bleu sombre, puis enfin les deux couleurs se mélangèrent pour ne plus être qu'un violet étrange et informe.
Quoth arracha sa main à la gemme qui doucement se reformait en un rond lisse et impeccable. Elle haletait, de douleur, de fatigue. De grosses gouttes de sueur glissaient tant sur ses tempes que dans son dos ; des sueurs froides. Elle inspira profondément, pour retrouver un peu de substance, mais il était difficile de retrouver ses esprits. Le sang manquait, et bientôt ce serait la raison.

Elle laissa tomber à la renverse le bois qui petit à petit se teintait d'un auburn sombre. La gemme était devenue violette, à l'image de la magie corrompue de la Corbic. Il n'avait plus rien de lumineux, plus rien de beau ou d'éclairant. Il était à son image : sale et répugnant. Son aura elle-même formait comme un halo glauque. Il l'appelait, elle, sa maîtresse, sa créatrice…
Quoth ravala sa salive, la main droite piquée d'une dizaine de fragment de gemme brûlante et le corps endoloris.

Finalement, contre toute attente, l'Emissaire eut un petit rire fou, un rictus malsain et perdu à la fois.
Le Grand Freux posa sur elle son regard, et pencha la tête.

[Image: nYf320u.png]« Qu'as-tu à rire, ma ténébreuse ? »

Elle leva sur lui ses beaux yeux céruléens cerclés de violet.

[Image: 1.gif]« Sais-tu comment ils m'appellent ? »

[Image: nYf320u.png]« Non. Comment t'appellent-ils ? »

[Image: 1.gif]« Celle-qui-enchaîne-les-esprits… Celle-qui-enchaîne-les-esprits » pouffa-t-elle une nouvelle fois avant de tomber à la renverse, sombrant dans l'inconscience…

Sur son visage, il y avait toujours un sourire pourtant, un tout petit sourire de rien, en coin.
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