Nouvelle lune.
#1
Un cliquetis métallique brisa le silence.
De ses longs doigts et fins la jeune femme ouvrit doucement la petite boîte d'ébène et jeta un œil à ce qui y dormait, vibrant et pulsant encore. Une âme en sortit, sous la forme d'une volute blanche, que Quoth sans mal agrippa du bout des doigts, la piégeant dans sa main pour mieux la repousser à l'intérieur.
Elle refermât aussitôt la boîte d'où s'échappait un long gémissement douloureux confondu de cent voix.

La jeune femme releva la tête, pressant contre sa poitrine la petite boîte de bois.

« Bientôt, Quoth, bientôt… Ton rêve approche à grands pas. Il ne reste plus qu'à franchir un pont… »

Elle eut un faible sourire alors que plein d'espoir elle relevait le visage vers le Grand Freux.
Il était là, devant elle, ses yeux rouges la déshabillant.

« Tu peux le faire. Tu en es capable. »

Un silence.

« Tu dois le faire. »

La jeune fille jeta un regard sur sa gauche ; il y avait là une table de chevet vétuste et un cristal de mana clair, brillant de puissance. Il était de taille conséquente. Elle l'avait elle-même extirpée du centre de la Source aux esprits. Il en avait l'odeur d'arcane, le pouvoir aussi.
Un petit sourire s'inscrivit sur ses lèvres.

Dans un froissement de plumes, elle se redressa, souple, légère. Sa taille s'était encore affinée depuis la dernière fois. Mangeait-elle seulement ? Elle ne se souvenait plus du goût qu'avait les fruits, ni la saveur de l'eau. Bien sûr elle buvait, mais est ce que tout cela avait encore une importance ? Un goût ?
Elle ne répondit pas à ses propres interrogations, trop gênantes. Ses doigts happèrent le cristal de mana et l'enfourna sans ménagement dans sa besace rapiécée. Elle y entreposa, plus délicatement, sa petite boite noire, avant de sortir.

~*~
Sur la pointe des pieds, Quoth approchait.
Sac autour du buste, son air était aussi livide qu'à l'accoutumée. Ses grands yeux céruléens paraissaient un peu plus froids pourtant, et l'iris s'entourait petit à petit d'une douce couleur violette, une couleur un peu étrange sur ce bon vieux Corbic…

« Yummi ? » s'enquit la voix, perçant les ténèbres.

La jeune fille était là, devant elle.
Son esclave l'attendait, et ça tombait bien, car elle avait justement quelque chose pour elle – juste pour elle.
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#2
D'un geste sec et précis, la jeune femme fit sauter un autre éclat du morceau de silex qu'elle s'ingéniait à tailler en attendant sa maîtresse qu'elle n'avait pas voulu suivre à l'intérieur. Cet endroit, quel qu'il puisse être et à quoi qu'il puisse servir, avait le don de lui glacer le sang dans les veines. Toute cette histoire sonnait comme une mauvaise farce que lui avait jouée son oncle retors, elle savait pourtant bien qu'il tenterait par tout les moyens de l'évincer, de se débarrasser d'elle pour garder sa main-mise sur le clan, elle n'avait pas vu venir ce coup là. Il lui avait littéralement lié les mains avant de la jeter à la rue avec son histoire de dettes à honorer et blablabla...

Sa "propriétaire", faute d'un terme plus approprié, avait le don de lui mettre les nerfs à vif. Il y avait quelque chose de malsain dans la manière dont Quoth l'observait quand cette dernière croyait qu'elle ne faisait pas attention. Une sorte d'évaluation avide et inquiétante qui lui donnait l'envie de fuir en courant. Étonnamment, il y avait aussi une sorte de vulnérabilité cachée en elle, tellement refoulée qu'elle doutait encore de l'avoir vu. Mais comme toute jeune loutre, Yummi était d'une curiosité crasse qui frisait l'obsession et bien qu'elle s'en défendit elle même, c'est davantage à cause de cette inexplicable ambivalence que par réel soucis de réglée la dette qu'elle était restée auprès de l'infâme corbeau. Jusqu'à maintenant. Il était peut être temps pour elle de rentrer à la maison, après tout, n'avait-elle pas suivie la Corbic suffisamment longtemps pour le mériter?

L'appel soudain la fait sursauter, le coup part mal ajusté et l'éclat se plante dans la chair tendre de sa main. Grimace de douleur. La petite loutre retire le morceau de pierre indélicat, faisant perler quelques gouttes de sang qui tombent au sol avant qu'elle ne porte la plaie à sa bouche. La peste soit de cette oiselle de malheur songe-t-elle avant de délaisser son ouvrage. Dans l'obscurité ambiante, elle ne perçoit rien, si ce n'est le pas léger, traînant de son interlocutrice.

« Là, je suis ici! » lance-t-elle avant de s'avancer dans le boyau obscur qui mène à l'antre de la Corbic

Une nouvelle injure étouffée alors qu'elle trébuche sur le sol traître avant de se hâter de rejoindre l'impérieux volatile.
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#3
Il faisait sombre, mais ce n'était pas bien grave. Dans l'obscurité, l'émissaire n'avait pas besoin ni de ses yeux ni de sa bouche, mais seulement de ses oreilles. Une voix lui chuchotait tout ce qu'elle avait besoin de savoir, et plus encore…

« Apprroches alorrs, ne rrestes pas planter là… » Sa voix était écorchée, douloureuse, étranglée.
La Corbic s'écarta de l'entrée de son trou à rat et laissa passer la jeune Yummi pour mieux refermer derrière elle la lourde porte d'ébène. La pièce était circulaire et sombre. Sur les murs, des trophées de chasse, de grands masques et des bijoux étaient accrochés, formant un mélange aussi hétéroclite que dérangeant. Sur la droite on trouvait un lit de taille moyenne dont la couche était faite d'un tas de mille plumes sombres et d'une peau de bête noire comme la nuit – un loup ou un ours, à coup sûr.
Sur le sol, un tapis rond trônait, tissé au fil cramoisi. C'était le seul élément d'une certaine beauté dans la pièce. Tout le reste était soit glauque, soit sale. De grands pots attendaient par exemple sur la table, remplis d'eau et de morceaux humains. Un bocal d'œil aurait attiré l'attention du premier venu, mais pas de Yummi, non, la loutre était trop habituée à cet étrange spectacle. Et puis, Quoth n'invitait pas n'importe qui.
Les invitations de la Corbic laissaient toujours quelque peu à désirer.

Sur la petite table de chêne qui était posée vers la gauche de la pièce, il y avait la petite boîte de bois de Quoth. Souvent on la voyait la tenir ou la porter, précieusement. Il n'y avait rien d'autres au monde qui ne fut plus précieux que cette petite boîte, ou alors était-ce son contenu ?
Yummi n'était pas au courant de ce qui se cachait sur le petit coussin vermeil, et sans doute que si elle avait su, elle aurait tiré une vilaine grimace et aurait fui bien loin, mais là, piégée dans la pièce circulaire, elle ne pouvait plus fuir. Plus jamais.

« J'ai enfin déniché un crrrristal de mana… » En disant ses mots d'un ton plus léger, Quoth attira l'attention de la loutre. D'ailleurs, elle posa juste devant son nez, juste à côté de la boîte de bois, un magnifique cristal à la couleur saphir, douce et brillante. La pierre respirait la puissance à plein nez. La Corbic avait eu bien du mal à la trouver, mais maintenant qu'elle était sienne, elle en ferait le meilleur usage au monde.
« Maintenant, ton Oncle n'aurrra plus à me rrrembourrser quoââ que ce soââ… J'ai tout ce qu'il faut. »

Un sourire en dent de scie fendit la vilaine face du Corbeau qui, rien qu'à l'étrange flamme violette qui brillait dans le céruléen de ses yeux, présageait mauvaise augure.
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