Histoire d'une elfe "ermite"
#1
Citation :Ceci est la suite de l'histoire de mon personnage.
Nom ?
- Galiena.

Elle cacha volontairement son ascendance. L'homme trapu griffonna quelques mots sur son registre. Cet ancien soldat, ayant reçu une blessure fatale, avait la charge d'enregistrer les nouvelles recrues de l'armée des Hauts Elfes. A en voir l'expression de son visage, cette reconversion forcée n'était pas à son goût.
Corps d'armée désiré ?
Aucune réponse. De la sueur perlait sur le front de l'homme. Il essuya du revers de sa manche, en soufflant un grand coup, puis reprit.
Quelles sont vos aptitudes ?
Aucune réponse. L'homme commença à s'énerver.
Bon, vous vous battez avec quelles armes ?
Elle montra ses deux Kriss émoussées, dernier héritage de sa mère.
Je comprends, votre langue doit servir à autre chose !
Sa boutade le fit glousser. Voyant la jeune recrue stoïque, il se calma et ajouta.
Je vous mets dans le corps des rangers. Passez la porte de gauche au fond de la pièce et continuez le couloir jusqu'à une cour. Un sergent instructeur testera vos aptitudes. SUIVANT !

Le vétéran de l'armée au centre de la cour arborait fièrement son grade de sergent. Bien musclé, il portait une armure, des sandales en cuir et une épée longue qui battait son flanc droit. Son visage fin contrastait avec son nez en forme de groin, ajoutant au personnage une touche comique. Mais son regard froid dissuadait tout commentaire désobligeant.
Soldats, vous désirez rejoindre le corps des rangers. Nous allons vérifier ce que vous êtes capables de faire avec vos deux mains gauches. Prenez un des bâtons et choisissez un partenaire. L'objectif est de faire tomber l'autre. Les perdants seront rayés de la liste des recrues !
Il fit un geste de la main, et les nouveaux s'exécutèrent. Un elfe assez massif se présenta devant Galiena. Sûr de sa victoire, il la défia d'un regard agressif : en guise de réponse, elle se mit en garde. Criant pour intimider sa victime, l'homme chargea… Comme sa mère le lui avait appris, elle retourna la force de son adversaire contre lui et il se retrouva sur le sol. Furieux, il se releva rapidement et tenta de reprendre le combat. Venue de nulle part, l'épée du sergent fit voler le bâton de l'homme.
Tu avais une chance et tu ne l'a pas saisie. Tu es éliminé.
- Je n'ai pas perdu, elle m'a surprise !
- Tu oses me contredire ?

L'homme ravala sa fierté, lâcha son arme et attendit la fin des combats. Le sergent instructeur ordonna aux gagnants de passer la porte au fond de la cour pour la dernière épreuve. La moitié des personnes présentes la franchirent. Les perdants rebroussèrent chemin.

Galiena entra dans le bâtiment à la suite de ses compagnons de fortune. Le bruit des bottes métalliques raclant le sol résonnait dans la pièce peu éclairée. Deux lignes rouges parallèles séparaient la salle en trois zones : la première, la plus proche de la porte était occupée par les jeunes recrues. Une femme assez vieille, pas très grande se tenait au milieu de la seconde beaucoup plus spacieuse et la dernière zone, vide, donnait sur la porte de fin de test. La voix enrouée de la femme imposa le silence sans même le demander.
Bienvenue dans cette seconde et dernière épreuve pour les tests de Ranger. La démarche est la suivante. Je vais fermer les yeux et vous devrez franchir les deux lignes rouges. Si vous faites trop de bruit, j'ouvrirai les yeux, je vous pointerai du doigt et vous serez éliminés. Des questions ?
Aucun commentaire des participants.
Bien, commençons.
Aussitôt qu'elle eût les yeux fermés, certains s'élancèrent, rapidement pour arriver les premiers. Hélas pour eux, ils furent désignés du doigt. D'autres, plus prudents, ne portaient pas une tenue adéquate pour ce genre d'épreuve : ils subirent la même punition. Molino lui avait appris l'art de se déplacer à pas feutrés, et ses leçons portèrent ses fruits : Galiena traversa la pièce sans encombres.
Neuf avaient réussi cette épreuve, la vieille elfe les somma de passer la porte. Celle-ci donnait sur un réfectoire. Un commis de cuisine les accueillit, et les conduisit dans les quartiers des rangers. Cette fois-ci, ils étaient engagés pour de bon. Au fond d'elle-même, Galiena regrettait déjà sa forêt natale.
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#2
Trois longues semaines à apprendre le pistage, la chasse, la cartographie des forêts ou encore l'art des armes. Les monologues soporifiques des instructeurs restaient trop théoriques, aucun n'avait expérimenté les cours qu'il dispensait. Tonton Ours l'avait formée par la pratique, elle avait suivi assidûment ses leçons, contrairement à tous ces bureaucrates dont elle ne retiendrait même pas le nom. Quant aux futurs rangers, ils avalaient avidement les informations, comme si les formateurs prêchaient la bonne parole...

Les temps libres se révélèrent tout aussi ennuyeux. Son manque d'efforts à soigner son physique n'encourageait pas les autres novices à lui parler, l'évitant parfois. Des rumeurs circulaient sur son sujet, et les bribes qu'elle put entendre étaient « enfant des rues » ou encore « mendiante ». Laissée-pour-compte, elle chassait la solitude en laissant ses pensées vagabonder à la recherche de denses forêts à parcourir. Elle récidivait cette fuite de l'esprit lors des maigres repas de l'armée : comment comparer des morceaux de viande flottant dans un bouillon immonde avec les produits que Dame Nature pouvait offrir ?

Le calvaire prit fin avec l'examen de fin d'année. Les futurs gradés nommés "ranger haut elfe" étaient affectés dans des villages isolés, souvent à la frontière du royaume. Leur mission consistait à protéger les habitants de la faune locale, ou les prévenir du danger en échange de denrées alimentaires ou vêtements. Les instructeurs avaient, pour l'occasion, levé les jeunes recrues à l'aube. Tous étaient rassemblés à l'orée d'une forêt, les neuf candidats situés face aux vétérans.

Bien, commença l'un des formateurs, votre évaluation est une mise en pratique de tout le savoir accumulé pendant ces dernières semaines. Le principe est simple : vous devez survivre pendant deux semaines au sein de cette forêt avec vos armes pour seule compagnie. Ne trichez pas, nous le saurons. Bonne chance futurs rangers !

Galiena sourit pour la première fois depuis son engagement : enfin une épreuve digne d'intérêt.
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#3
Les neuf elfes s'élancèrent vers la forêt, puis se séparèrent, chacun choisissant sa direction. Galiena les regarda une dernière fois : certains avaient peur des dangers de la forêt et avançaient prudemment, d'autres, curieux, marchaient rapidement tout en observant l'environnement, et les derniers, téméraires, couraient pour prouver leur courage. Quelques instants plus tard, elle se remit en marche.

Elle se retrouva rapidement seule, entourée d'une végétation luxuriante. La lumière du soleil tentait désespérément de se frayer un chemin à travers le feuillage des arbres centenaires. Même sombre, la forêt regorgeait d'activité à tous les étages : des oiseaux virevoltaient entre les branches, des insectes pullulaient sur le sol à la recherche de quelques excréments. Certains buissons frissonnaient, cachant sûrement lapins, renards ou autres mammifères. La flore défendait aussi sa place, au pieds des plus grands, un kaléidoscope de couleurs offrait au regard des images surprenantes et apaisantes. Galiena lâcha un soupir, elle se sentait chez elle.

Elle entreprit de rechercher un endroit où passer la nuit, proche d'un cours d'eau pour se désaltérer ou pour un brin de toilette. Sa quête ne fut pas longue, Tonton Ours lui avait prodigué de bons conseils. Deux arbres enlacés tel des amants formaient à la base un abri naturel, facilement défendable contre tout intrus, rampant, marchant ou volant. Elle aménagea sommairement son futur logis avant de se mettre en recherche de fruits et de graines. Elle repéra des traces d'animaux comestibles, des bons endroits pour poser des pièges. Heureuse, elle appréciait ces petits moments, loin de ses semblables.

Pourtant, sa mère était toujours en prison sans droit de visite. Galiena se souvenait d'elle souriante, compatissante, amante, alors qu'avait-elle fait pour mériter ce sort ? Tant de questions demeuraient sans réponse... Elle avait tenté de glaner par elle-même des informations sur le passé de sa mère. En vain, le charisme et la sociabilité lui faisaient défaut. Tournant le problème dans tout les sens, la seule solution restait l'armée. Les deux semaines dans la nature n'étaient qu'une formalité pour obtenir le titre de ranger. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.
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#4
La première semaine fut ponctuée de chasse, pêche ou récolte. Le temps plutôt clément rendait la tâche plus facile. Alors qu'elle se préparait à une cueillette de champignons, un hurlement d'elfe troubla la quiétude de la forêt. Galiena se précipita vers l'origine du bruit, abandonnant toute entreprise. Elle négociait le terrain accidenté avec une aisance surprenante quand un second cri d'effroi se fit entendre. Elle redoubla d'effort pour arriver près de l'auteur des hurlements.

Une scène terrifiante se déroulait devant les yeux de Galiena. Elle reconnut un de ses compagnons, assis sur le sol, qui tentait désespérément de s'enfuir. Son arme, une belle épée ouvragée témoignant de sa haute naissance gisait un peu plus loin. La peur dans son regard contrastait avec le soin qu'il accordait à son apparence. Le responsable de sa terreur avançait lentement vers lui. Un être - ou plutôt un démon- s'extasiait d'entendre sa victime pousser des cris de terreur. Galiena évalua la situation, elle devait agir rapidement si elle voulait sauver l'elfe.

Furtivement, elle se glissa dans le dos de la bête, et la poignarda avec ses deux kukris, qu'elle surnommait affectueusement Abelene et Caïelene. Surpris, son ennemi vociféra, gesticulant pour espérer se défaire des lames, puis se retourna face à son agresseur. Il frissonna de douleur avant de choisir la fuite, emportant avec lui les deux kukris. Sa prodigieuse vitesse empêchait toute poursuite, et il ne fallut guère de temps avant de voir le démon disparaître. Galiena sourit : des tâches de sang maculaient le sol. La piste était aisée à suivre.

Je vous dois la vie.
Elle avait oublié la raison de son intervention. Elle se tourna vers l'elfe, debout, réajustant sa tenue. Sans intérêt... Encore un noble inapte à la vie en forêt, pensa-t-elle.
Merci, je saurai vous récompenser.
Il tendit une main vers elle, puis voyant son aspect, se ravisa.
Je me nomme Elbeth Revan, fils du duc Revan et futur ranger !
Il sourit. Ne voyant aucun changement sur son interlocuteur, il poursuivit.
Quelle est votre nom, belle demoiselle ? Je n'ai pas eu le loisir de vous connaître.
L'hypocrisie transpirait dans ses paroles. Silencieuse, Galiena se lanca sur la piste du démon. L'elfe ramassa son épée et la suivit à distance, peu enclin à supporter l'odeur.
Je me permet de vous accompagner pour... Me venger !
Ou pour être protégé...
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#5
La piste remontait jusqu'à une grotte. Elle se retourna vers son compagnon pour le sommer de se taire, et de faire moins de bruit s'il le pouvait. Elle grimpa dans un arbre pour avoir une vue plongeante sur l'entrée de la grotte. Le feuillage dense la dissimulerait de la créature. Elbeth l'imita.
Tonton ours lui avait enseignée l'art de la chasse. Toute chasse commence par connaître sa proie et son habitat naturel. Ensuite choisir le lieu pour le piège. Galiena suivrait ces instructions à la lettre.

L'entrée de la grotte était dégagée, libre de toute entrave naturelle. Très profonde, l'absence de lumière empêchait de voir le fond : parfait pour voir sans être vu. Le monstre était tapi à l'intérieur, et l'attendait. Elle lança un regard de défi, elle avait tout son temps.

Quelques heures plus tard, alors que l'elfe dormait, calé entre deux branches, Galiena vit la chose sortir de la caverne, puis, humant l'air, prit
une direction bien choisie. Elle attendit quelques instants, avant de sauter au sol, et pénétrer dans l'antre de la bête.

Une puanteur insupportable se dégageait du fond de la grotte. A mesure qu'elle s'approchait, le nombre de taches de sang sur le sol augmentait. Galiena s'accroupit et observa : le sang provenait de plusieurs personnes...

Je crois que je vais vomir... Lacha Elbeth. Galiena lui lança un regard noir, suffisant pour calmer le jeune damoiseau. Elle s'enfonça lentement dans la caverne pour que ses yeux s'accoutument à l'obscurité, et après quelques mètres, elle aperçut sept cadavres entassés. Elle connaissait tous ces visages.

Oh, par les oreilles de mon père, ce ne sont pas les autres ... Il ne finit pas sa phrase avant de s'écarter pour régurgiter. La bête était domptée, elle en était sûre maintenant. Etait-ce l'épreuve des formateurs ? Non, ils ne cherchaient pas à avoir du sang sur les mains. Alors qui pouvait bien avoir apprivoisé cette bête ?

Au loin, des branches craquèrent... Le noble cria en apercevant le démon au travers des arbres. Galiena eut le temps de ramasser ses armes baignant dans le sang du démon, avant de rejoindre son compagnon en détresse.
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#6
Galiena se précipita hors de la caverne, l'obscurité céda la place à la lumière du soleil, l'éblouissant un court moment. Lorsqu'elle fut réhabituée à la clarté du jour, Elbeth était sur le sol, un trace de griffe parcourant son abdomen. La bête s'orienta vers sa nouvelle victime. Une lueur malsaine brillait au fond de ses prunelles, et un souffle rauque s'échappait de sa gorge. Impassible, le démon fixa l'ermite.

L'elfe jaugea son adversaire : elle ne se donnait pas gagnante dans ce duel.... Elle tourna autour de la créature et aperçut les blessures de leur précédente rencontre. La bête cracha une gerbe de sang. Ainsi, je l'ai blessé profondément, pensa l'elfe, j'ai peut-être une chance !

Les deux combattants se dévisagèrent un moment, puis le démon fit le premier acte agressif que son adversaire esquiva aisément. Il réitéra plusieurs fois sans rencontrer plus de succès. Ses gestes étaient imprécis et lents. Elle se souvint d'un conseil de Tonton Ours. Un animal blessé est agressif, mais s'épuise plus rapidement. Ne cherche pas à le combattre, contente-toi d'éviter ses coups. Au moindre signe de fatigue, achève-le.

Elle suivit scrupuleusement cette méthode. La bête épuisée stoppa un moment ses attaques, et Galiena profita de cette instant pour plonger Abalene dans la poitrine de sa victime. Elle s'écroula sur le sol en poussant des hurlements d'agonie.

*keuf, keuf*
L'ermite se retourna vers son compagnon : il était encore en vie, mais plus pour longtemps. Il avait perdu trop de sang.
Je... je suis désolé.... Je n'ai pas réussi à contrôler cette bête. Elle était envoyée *keuf, keuf* pour te tuer.
Cette révélation lui fit froid dans le dos.
Tu as sauvé deux fois le marionnettiste de sa marionnette, *keuf keuf*, plutôt comique ?
Il se força à rire, avant de s'étrangler avec son propre sang. Il cracha, prit une profonde inspiration et continua.
Tu es gênante pour mon père, chère demi-sœur....
Il mourut avec la fin de sa phrase.

Les dernières paroles d'Elbeth la hantaient, son père, un inconnu, en avait après elle. Il était assez puissant pour invoquer des démons, mais il avait payé un lourd tribut : la vie de son fils. Pourquoi cherchait-il à la tuer ?
Elle offrit un enterrement décent à tous les elfes morts dans cette forêt.

La fin de la semaine se déroula sans encombre. Ses formateurs furent surpris qu'elle soit l'unique survivante de cette épreuve. Il ne posèrent aucune questions sur les deux semaines. Le jour suivant, un vieil elfe lui décerna le titre de ranger et la promut à la garde d'un village, à la lisière du royaume elfe. Parfait pour se faire oublier, et vivre à l'écart du monde civilisé pensa Galiena.
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#7
Perchée sur une pierre plate, Galiena observait les environs. Le soleil au zenith abreuvait la forêt de ses rayons et offrait une vue dégagée des alentours. Le printemps pointait le bout de son nez et, après le rude hiver, il réchauffera les sols et le cœur des elfes.
Son rôle de ranger était très apprécié du village voisin. Peu de contact, peu de discours, mais des actions aidant le quotidien des habitants. Tous connaissaient sa longue cape moisie et sa chevelure en bataille, mais peu retenaient son nom. Cela était à sa convenance. Elle ne comptait pas se lier d'amitié avec ces pauvres hère usées par le travail des champs.
Mais le cœur de l'ermite - surnom donné par les elfes des environs - était rongé par le chagrin. Sa mère et son mentor n'existaient que dans ses souvenirs. Elle aurait aimé les revoir.

Elle sauta de son perchoir et se rendit d'un pas leste au village pour troquer les produits de sa chasse contre matériel de chasse, pierre à aiguiser ou encore denrées alimentaires. Au moment où elle franchit la palissade de bois, défense rudimentaire du regroupement de maisons, un paysan la héla.
L'ermite ! Un message pour vous est arrivé il y a trois jours.
Il tendit à Galiena un parchemin. Elle le remercia d'un signe de tête avant qu'il retourne à ses tâches quotidiennes. Le cachet était le symbole des gardes royaux, et lorsqu'elle ouvrit, elle reconnu le signe distinctif du capitaine de la garde.

Ranger Galiena,

Il nous a fallu du temps pour retrouver votre trace, ou plutôt votre ascendance. Votre mère, Delderia Dael'Nabar, garde respectée, fut emprisonnée pour adultère. Nous savons que vous êtes le fruit de cette union non consentie par les autorités, et que vous deviez être arrêtée à cause de votre lignage. Mais là n'est pas le but de se message.

Je tenais à vous informer que votre mère nous a quitté et nous estimons que sa peine, et la vôtre, ont été purgées. Vous êtes désormais libre.

Capitaine Alderon Revan.


Le morceau de parchemin tomba de ses mains.... Sa mère avait quitté ce monde pour prendre sa place auprès de Dame Nature. Des larmes coulèrent sur son visage, la première fois depuis le départ de sa génitrice....

Un souvenir lui revint en mémoire dont deux mots étaient associés à ces images : Elbeth Revan et demi-sœur. Elle comprit que l'auteur de ce message, celui qui avait tant chercher à la retrouver, devait être son père. Trop d'émotions conflictuelles s'emparaient d'elle, rage, tristesse, vengeance, chagrin, colère, pitié....

Qu'est-ce que cherchait son père à travers ce billet ? Son fils avait été chargé de la tuer pour effacer toute trace de sa faute, et maintenant, il la prévenait qu'il l'avait retrouvée. Voulait-il se faire pardonner ou la menacer qu'il n'avait plus d'entrave à la faire disparaître ?
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#8
Deux semaines après la lettre de son père, Galiena comprit ses intentions. Une missive royale avait éclairci la situation : l'adultère de son père avait été dévoilée au grand jour....

Ranger Galiena Dael'Nabar, fille de Delderia Dael'Nabar,

Nous vous convoquons au jugement du capitaine Alderon Revan. Votre présence est obligatoire au procès dans trois lunes à Asteras.

La juge Idril Leith

Son père cherchait donc à se racheter, afin de sauver sa situation, et peut-être sa vie.... Il avait tenté de supprimer la seule preuve de son infamie - en vain - et maintenant que son affaire avait éclaté au grand jour, il avait retourné sa veste. Quelle hypocrisie ! Sa mère était morte pour épargner sa tête ! Galiena réclamait justice, Mère Nature lui accorderait. Elle allait se rendre à Asteras, en dépit de son malaise envers ses semblables.

Le voyage se fit sans encombre. Habituée à vivre dans de grands espaces verts, la vue de personnes entassées dans les rues de la capitale accentua son désir de fuir ses congénères. Tiraillée entre la volonté de rendre justice et son mal être, elle vagabondait dans les ruelles regorgeant d'étals, de mendiants recroquevillés, de nobles pédants ou de coursiers bousculant les gens du peuple. Tant d'activités, de situations rocambolesques, comparées au calme de la forêt ! Elle regrettait sa venue. Pourtant au fond d'elle, l'amour de sa mère la poussait à continuer.

Le plan joint à la lettre, dessiné à la hâte, lui permit de retrouver, non sans mal, le lieu du jugement. Les gardes à l'entrée la laissèrent entrée lorsqu'elle brandit la missive.

Nous sommes réunis, ici, pour le jugement du capitaine Alderon Revan. Faites entrer l'accusé.

La juge Idril Leith, fit un geste de la main. Deux gardes disparurent. L'anxétié de Galiena augmenta. Elle allait voir son père, pour la première fois. L'ambiance de la pièce était lourde. Plusieurs hommes armés entouraient le peu de personnes présentes. La juge était assise derrière un pupitre, et deux autres personnes était debout à quelques pas de la ranger, face à la personne faisant loi. La première, une femme âgée dont toute compassion semblait avoir disparu de son regard, et la seconde était une jeune fille au regard embué de larmes. Elles avaient un air de famille.

La tension de Galiena était à son comble lorsque les hommes armés revinrent avec un homme enchainé. Elle s'attendait à voir un homme fier, imbu de sa personne, soigné. La déception fut grande, son apparence était négligée sous le poids de ses fautes : cheveux poivre et sel mal taillés, une barbe naissante... Même ses habits reflétaient son amertume, usés par le temps et rappelant une gloire passée. Derrière ce visage fatigué, Galiena reconnut qu'elle avait ses yeux et ses pommettes. Cet homme squelettique était bien son père.
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#9
La juge jaugea l'accusé d'un regard inquisiteur et rompit le silence.

Capitaine Revan, jurez-vous avoir prononcé les vœux de garde royal ?
- Oui.

Sa voix était faible et enrouée. Elle reprit, fixant un vieux livre poussiéreux :

Je cite un article de ces vœux.
Un garde royal doit jurer fidélité, qu'il appliquera dans son rôle comme dans sa vie privée. Il se doit de montrer l'exemple afin que le peuple ait confiance en son armée.
Pensez-vous l'avoir enfreint ?

Avant de répondre, l'homme implora le pardon de la vieille femme. Elle tourna la tête en guise de réponse. Sa voisine se mit à pleurer, couvrant son visage de ses mains.

Oui. J'ai eu une aventure avec Deldeira Dael'Nabar, une soldate sous mes ordres. Lorsque j'ai appris qu'elle était enceinte, j'ai tenté de la supprimer.
- Elle s'est rendue aux autorités des années après. Accusée de ne pas avoir respecté ces mêmes vœux, elle a expié ses fautes. Nous savions pour son enfant, sans savoir où il était, mais peu d'indices pour le père. Elle est morte en emportant ce secret dans la tombe.

Galiena avait la gorge nouée. Elle s'était rendue pour la protéger. Les derniers mots de sa mère lui revinrent en mémoire : n'oublie pas que je t'aime. Plongée dans les souvenirs, elle n'écouta pas la suite. Elle sortit de sa torpeur lorsque son prénom fut prononcé.

... Galiena, fille de Delderia, que nous avons réussi à retrouver. Mais vous connaissiez son existence ?
- Oui,
répondit Alderon, je le savais, j'ai envoyé mon fils pour la supprimer. Je ne voulais pas que mon erreur s'ébruite, sa disparition aurait arrangée mes affaires, une promotion éventuelle, mais... mais... Mon fils.... mon fils....
- EST MORT PAR TA FAUTE !!!!
hurla la vielle femme. La colère, la haine se lisaient sur son visage. La juge somma aux gardes de calmer l'hystérique.

Je regrette ! Si tu savais comme je le regrette ! Je suis désolé ! Ma soif de pouvoir n'a qu'apporté douleur et mensonge.

La représentante de la justice interrompit la supplique.

Reconnaissez-vous que la ranger, ici présente, est votre fille ?

Galiena tentait tant bien que mal de garder une certaine contenance. La scène se déroulant sous ses yeux restera gravée
dans sa mémoire.

Oui.

Le capitaine acquiesça. La juge donna son verdict.

Par les autorités royales qui me sont conférées, je vous destitue de votre poste, vous retire tous les avantages que vous accordait le grade de capitaine. Vous ne pourrez plus entrer dans un corps d'armée.
- Et tu perds ta famille !

Ajouta la vieille femme. Elle agrippa le bras de la fille, inconsolable, à côté d'elle, et la traîna en dehors de la pièce, sans un regard pour l'ermite. L'ex-capitaine tomba à genoux. Des gardes s'approchèrent de Galiena pour la conduire à l'extérieur. Pétrifiée, elle se laissa faire....

Le soleil brillait encore lorsqu'elle arriva dans les rues d'Asteras. Tout était fini, pensa-t-elle. Mère et Tonton Ours ne vivaient que dans ses souvenirs. La justice avait condamné son père. Sa mère ne s'est pas sacrifiée pour rien. Son passé était désormais derrière elle. Elle devait aller de l'avant.

Mère, Tonton Ours, vous resterez dans mon cœur à tout jamais. Je vous remercie pour tout. Elle sortit de sa léthargie, et s'avança d'un pas sûr dans la rue. Désormais, elle pouvait vivre pour la forêt, ses habitants...

Dame Nature a des droits, je suis sa justicère.
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