Contes de Babylios
#1

Dans la grande cité où la vie pullule, les hommes et les dieux se pressent et se mêlent. Mais une fois éloigné des grands axes lumineux et aérés qui structurent l'urbanisme harmonieux de la Perle du désert, le promeneur se perd dans un dédale d'édifices, dont la splendeur et la décrépitude assemblées rehaussent par leur contraste le caractère mystérieux des venelles. C'est de cette atmosphère, assurément, qu'est empreint chaque Hélion lorsque, parti au loin commercer, guerroyer, explorer, il se remémore avec une pointe de vague à l'âme le lieu de sa naissance - et les dieux savent s'ils sont nombreux, ces frères intrépides au-delà du grand fleuve !
C'est cette atmosphère aussi qui instille, génération après génération, ce goût du paradoxal et du subtil aux philosophes. Ainsi, en bâtissant sa demeure dans l'exil des étendues arides, l'Adœlath s'est-il forgé une nouvelle âme. Ou bien ce génie préexistait-il et a guidé sa main ? Voilà un sujet de dispute que je soumettrais aux écoliers !
Quoi qu'il en soit, dans cet enchevêtrement fantastique, le visiteur court à tout instant le péril de l'envoûtement, sa perte et sa révélation, au gré d'une déambulation de palais en gourbis, de jardins en portiques, de sanctuaires en tavernes, de passerelles en souterrains... La rue a disparu, dans l'entassement formidable des siècles ; esseulé, il ne sait plus s'il traverse une bibliothèque de quartier poussiéreuse, un temple oublié, un cimetière privé ou une école studieuse ! Reverra-t-il jamais la lumière du jour ? Que sont ces étranges successions de cours désertes écrasées de soleil ? Des gens vivent-ils encore ici ? Où une telle foule peut-elle bien trouver la place pour exister ? Y a-t-il une logique dans l'organisation de cette ville ?
Voici que la rumeur d'une artère passante, invisible et pourtant toute proche, sourd des murailles et se mélange au doux chant d'une fontaine désaltérante, voici que d'une masure noire descend le filet de voix le plus pur et l'air de luth le plus délicat. Effrayé ou séduit, les deux sans doute, l'étranger progresse dans ce capharnaüm. Il a, par une étrange compulsion, dévié sa route pour tenter de suivre - en vain - la gracieuse silhouette chargée d'un vase qu'il lui a semblé apercevoir fugacement dans l'encadrement d'un passage. Au fond d'une impasse, il s'est consolé de cette déconvenue en cueillant une orange. Puis des enfants surgis de nulle part lui ont fait cortège et l'ont entouré d'une ronde bruyante et joyeuse pleine de mots qu'il n'a pas compris ; ils se sont égayés tout aussi vite. Et maintenant, que va-t-il découvrir passé le prochain coin de mur ?
La dernière personne qu'il ait vu l'a chassé de chez elle, où il était entré par mégarde, et cela fait maintenant un certain temps qu'il erre. La solitude commence à lui peser. Quelle heure est-il ? Retrouvera-t-il jamais sa route ?
S'il descend cette volée de marches sur sa gauche, il est possible que chemin faisant il rencontre un vieillard qui, sous les dehors d'un mendiant aveugle, dissimule le plus grand sage qu'Écridel portera jamais. Le hasard fera peut-être qu'il lui adressera la parole. Et si tel en a décidé le Destin, peut-être que se nouera un dialogue. Peut-être qu'en peu de mots, ce vieillard bouleversera de fond en comble sa vie, fera voler en éclat ses certitudes les mieux établies, annihilera son être passé et propulsera une existence, qui se croyait déjà morte et sans surprise, dans une nouvelle dimension que jamais il n'aurait soupçonnée... Mais s'il franchit plutôt la chaîne sur sa droite et se dirige dans la direction opposée, peut-être entrera-t-il sans le savoir sur le territoire de bien mauvais garçons. Peut-être que ceux-ci, pour le délester de sa bourse, lui trancheront sans remord la gorge. À moins, espérons-le, qu'ils ne se croisent pas et qu'il poursuive son chemin insouciant.
Peut-être. Qui sait, hormis les dieux ?

Tout le monde peut participer avec des contes et diverses choses. Objectif : on en veut mille et un !

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