Les zôtres
#1
Swann n'avait jamais vraiment apprécié les autres. Les autres Sylvains, depuis qu'il avait fait l'expérience de l'apiculture dans l'est du Pelethor, les autres femmes, vu qu'elle lui résistaient systématiquement et qu'il était plus facile pour lui d'enfoncer ses flèches dans la chair d'un troll que de pénétrer complexité qui gouvernait l'intérieur de leur crâne, les autres races enfin, entre les harpies hélionnes et les benêts mi-animaux.

Non, il convenait peut-être d'exclure les autres, les équins, de cet euphémisme. Il en avait rencontrés, et jusqu'ici aucun ne l'avait désappointé. La réciproque n'était pas vraie, mais qu'importe, comment pouvait-il deviner que là-bas on se promène à poil ?

Et... à part « elle » bien sûr. Elle ne faisait pas partie des autres, mais presque de lui. Elle lui avait dit qu'il était... attachant. Mais la rondeur de son ventre, le fait qu'elle affirmait aimer son mari, et la belle-mère réfractaire représentaient des obstacles insurmontables pour la morale de l'éclaireur Sylvain. Las, il avait préféré se détourner de cette perfection. Après-tout n'était-ce peut-être qu'une fabulation de son esprit.

Tout comme ces grognements caverneux. Quelques javelots lui prouvèrent que ce n'était pas un rêve, ni son estomac, mais plutôt un cauchemar bien réel. Des gobelins, leur chef criard, et pour couronner le tout, une montagne de pierres vivante. C'était un troll, c'est sûr, et c'était un mâle, c'est certain. C'est drôle mais même les centaures qui le mirent à mal semblaient en être envieux.
Sans parler du Sylvain en collant moulant. En tout cas il exprima haut et fort sa joie, ravi que l'éclaireur ne daigne ramasser les restes et préfère retourner au plus vite à la solitaire compagnie des arbres.

Raté, encore des grognements. Délire lié à son sang qui le fuyait ?

Pour le coup, non, ce n'était pas non plus une divagation : deux étranges choses traversaient la plaine sans grande discrétion. Swann se faufila jusqu'à une vielle hutte délabrée, afin de s'y camoufler.

Il hésita quelques instants, devait-il s'éclipser et laisser ces deux bestioles vaquer à leur promenade ? Il lui semblait qu'il parlaient d'aller taquiner la rosse, et s'en exaltaient.

Quelle déception qu'une détection ne soit menée avec si peu de perception. Interroger les animaux devrait se faire avec plus de concentration et de respect. Le regard de l'aigle ne peut traverser les frondaisons, et le sifflement ne s'adresse qu'aux oiseaux là-haut.

Swann parlait aux arbres, c'était bien mieux. Tapotant le buis à proximité, celui-ci convainquit de quelques fruits le geai alerte de ne point la donner. Un grand corbeau nain, quant à lui, était déjà trop occupé à extraire les orbites d'une charogne décharnée de chevreuil infortuné pour signaler aux intéressés les faits intéressants.

Et des deux innocents, il visa celui qui finissait sa vantardise.

- j'suis une bête...


ce qui d'ailleurs clôtura la discussion entre les deux acolytes.

« Tu aurais pu te passer de l'article», pensa Swann à l'article de la mort, tout en préparant une flèche empoisonnée. Mais les premières, de fer ordinaire, avaient fait leur travail mieux que prévu et il n'en eut nécessité. S'en était fini, la créature gisait là, la queue entre les jambes.

L'autre, une espèce de gros chat rayé se retourna. En parlant de poison.

Swann appréciait par contre la découverte substances toxiques et autres venins. Le « nectar » des abeilles avait été intéressant, celui qu'il aurait pu goûter aux lèvres de l'hélionne suicidaire promettait d'être suave, s'il n'avait été obligé pour la faire tenir tranquille de la clouer à l'échelle, mais celui qui venait sur lui à l'instant semblait plutôt trivial. Poison paralysant de Belladone, un classique. Peut-être une once de papaveracée pour faire durer l'agonie ? Même pas. Une vulgaire adjonction de ciguë. Pas même une amanite pour donner un peu de couleur à ces molécules foudroyantes.

L'elfe se demanda ce qu'étaient devenus les prisonniers et prisonnières hélionnes, la lionne, la timide, les bellâtres et toute la clique. Il avait fallu rentrer si vite qu'il ne s'en était pas inquiété jusqu'ici.

Et la délicate garde de Danior ? La rose devait être flétrie. Il pensait encore parfois à elle, a celle qui l'avait éconduit, mais ne comptait pas retourner la voir, elle était comme les autres, répondant a son invitation par de négatives balivernes offensantes. Ses sensuelles pensées furent interrompues par la course du monstre mi-homme mi-bête mi-stupide, vêtu seulement d'un bracelet et de sa fourrure grenat.

La créature chargea, attaquant de ses dagues empoisonnées, telle des griffes acérées. Le sylvain ne put éviter que la dernière de ses attaques rapides, son état n'étant plus très glorieux et les plaies des javelots gobelins tenaces dans son train.

Mais bien qu'à l'agonie et épuisé, il n'avait pas décoché son dernier trait. « Couchée, sale bête ! » fut ce qui lui vint d'abord à l'esprit, mais il se contenta de murmurer « espèce... d'humain » car c'était il lui semblait la moitié de lui qui valait le moins.

Vu de près, définitivement, tout comme les cerfs fantomatiques et les spectres tentaculaires, ces chimères étaient une aberration de l'évolution dont il fallait soigner la Nature. Cela lui posait problème car en un certain sens les hippanthropes n'étaient rien d'autre qu'une catégorie particulière d'hommes-bête, mi-pur-sang mi-anthropoïde , mais ils avaient quelque chose de plus noble, quelque chose de plus lunaire.

Le vert du ciel se mêlait doucement au venin de jade auquel la lune donnait une pâleur irréelle.

Cet astre le convia à une pensée pour la sage ébéniste et luthière... elle ronchonnerait certainement d'avoir créé une œuvre de destruction. Mais comme une harpe à la corde solitaire, l'arc n'était qu'un instrument pour faire le vide dans les esprits malsains. De surcroît, il aurait pu lui rétorquer que les ingrédients de sa quête appelaient l'extermination.... Ah, les femmes, êtres de contradiction.

- Ah bon ?


La prêtresse qui le soignait semblait surprise de la remarque incongrue. Les chats ont sept vies, lui n'avait que celle-là.
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