Le Loup & la Guérisseuse
#1
Un pâle croissant de lune se levait dans un ciel nimbé de brume violacée. Les lueurs lunaires éclataient délicatement la forêt millénaire et le vent soufflait doucement dans la canopée, provoquant une sublime mélopée accompagnée de temps à autre par le chant des loups. Les terres humides dégageaient des odeurs acres d'humus.
Une nuit somptueuse, mystique et propice à la nostalgie.

Un homme s'aventura sur les berges d'un lac, dégainant et plantant son épée dans le sol avant de s'asseoir. Plutôt jeune, il ramena ses jambes contre lui et abaissa ses oreilles, posant son regard sur l'eau. Les reflets du paysages et de la lune furent contemplés un instant avant que le regard de l'homme ne se reporte sur son arme, plutôt banale.
Il approcha ses doigts du tranchant de la lame et les laissa glisser sur son long. La douleur aiguë lui arracha une grimace pendant que des gouttes vermeilles perlaient sur le métal. Il ramena ses doigts et examina les coupures quelques secondes avant d'approcher de nouveau sa main de l'arme. Ses ongles, ses phalanges et sa paume dépassèrent la garde, le poignet s'arrêta à ce niveau . Le fer dévorait de nouveau la chaire et découvrait une veine.
Jusqu'à l'instant où le jeune homme retira vivement son bras et l'observa de nouveau. Son sang s'écoulait sur son corps avant d'achever sa course sur la terre-mère.

Quelques pas résonnèrent mais ils ne suffisaient pas à détourner le regard de l'homme. Quand l'inconnue se plaça à ses côtés, il n'effectua aucun geste et se contenta de l'ignorer. Deux bras l'entourèrent dans une étreinte réconfortante, une douce énergie parcourra son corps en refermant ses blessures.
Enfin il osa regarder cette « aide ». Une femme dépourvue des traits sauvages caractéristiques des membres de sa race et sans odeur musquée évoquant un animal. Une guérisseuse bénie par la déesse de la vie aidait le guerrier.
La femme le lâcha après avoir prodigué les soins et resta à ses côtés. Le silence se montrait réconfortant... comme cette présence inattendue. Ils veillèrent ensembles et silencieusement jusqu'à s'endormir l'un sur l'autre.

Le lendemain s'avéra difficile, l'homme s'éveilla avec peine. Son cauchemar le hantait toujours et un poids sur le ventre semblait le gêner. Il frotta ses yeux pour se rendre compte que cette fameuse « gêne » s'avéra être la guérisseuse de la nuit précédente ! Elle était toujours endormie.
La surprise se lisait sur le visage du guerrier et l'instant d'étonnement se laissait flotter quelques secondes avant toute réaction. Il passa un bras sous le cou et les jambes de la femelle pour la soulever puis l'amener au pied d'un chêne. Il déposa délicatement la demoiselle sur la mousse et l'observa.
Elle possédait un visage plutôt doux -mignon même- et des cheveux longs blanchâtres. Ses vêtements se teintaient de sombre et se rehaussaient avec des fourrures noires.

Après l'avoir observée, le guerrier s'éloigna de la guérisseuse pour retourner vers son arme. L'épée fut extirpée du sol, nettoyée et rengainée.
Cela exécuté rapidement et avec adresse, l'homme retourna à sa place de la soirée mais il ne contemplait pas le lac : il se posta pour surveiller sa «sauveuse».

Si elle n'était pas intervenue, nul doute que les berges du lac se seraient encombrées d'un cadavre avant l'aube. Les souvenirs des dernières semaines et les pensées du soir se mêlèrent ensemble pour donner un air renfrogné au suicidaire.
Quelque chose le retenait de nouveau à la vie. Était-ce son sentiment de dette envers la magicienne ? Ou bien cette tristesse macabre n'était-elle qu'une désagréable amertume passagère comme celles que faisaient vivre l'amour ? Peut être quelque chose de plus profond et sombre.
Il semblait difficile de deviner cette véritable raison et les sentiments profonds motivant ses actes se montraient également opaques.

Il continua de veiller sur la soigneuse, jusqu'à son réveil. Elle s'étira, se frotta les yeux et se redressa en baillant puis fixa le guerrier de ses grands yeux noisette. Celui-ci rendait son regard curieux à la guérisseuse avant de se relever et de s'éloigner comme si son sacerdoce venait de prendre fin.
Tournant le dos à la jeune femme, il s'arrêta quelques secondes avant de reprendre son chemin. Un instant pendant lequel on avait l'impression qu'il voulait parler mais que les mots ne pouvaient être dits. Comme si un fossé séparait le disciple du dieu de la faune de celle de la déesse de la vie. Deux mondes différents qui cohabitaient en harmonie et pourtant, le guerrier se sentait comme un misérable cabot face à elle.
La guérisseuse regarda intriguée le départ du jeune homme. Il s'enfonça dans les bois et la laissa seule avec le bruissement des arbres, le gazouillement des oiseaux et les clapotis de l'eau.


La course du guerrier commençait.
Sous son armure métallique, son cœur battait au rythme de celui d'un loup, comme la promesse d'une vie courte et violente. Ses pas foulaient le sol rapidement et ne laissaient que de maigres traces. Ses courts cheveux argentés comme le pelage d'un animal voletaient avec la vitesse et le vent, battant ses longues oreilles semblables à celle des elfes. Ses lèvres découvraient des canines aiguisées. L'homme prenait de la vitesse.
Jusqu'à se stopper brutalement.
Un cerf, un cerf dans une clairière, un cerf qui mâchonnait paisiblement. Une proie idéale pour un chasseur affamé et le chasseur en question se trouvait embusqué dans les fourrés. Ses yeux jaunes luisaient d'un éclat particulier dans la pénombre.
Le chasseur était prêt.
Son épée à la main, celui-ci profita de la distraction de l'animal pour s'approcher, surgir des buissons, bondir sur sa cible et trancher son cou sans laisser l'occasion d'une réaction. Le cerf finissait ainsi sa vie et son meurtrier s'approcha de l'immense coupure pour s'abreuver de sang. Le loup dévora la viande crue au niveau de la plaie.

Sa soif et sa faim apaisée, il découpa des tranches de cerf et les enveloppa dans des grandes feuilles. L'homme creusa un trou avec ses mains, non pour rendre hommage à la bête mais pour dissimuler le corps aux charognards.
Cela fait, le guerrier entreprit de nettoyer son arme et ses pièces d'armures des traces de sang. L'odeur du sang séché n'était pas désagréable à son nez néanmoins cela pouvait se retourner contre lui pour se cacher et son arme risquait de s'émousser. Une fois l'épée propre et pour parfaire l'entretien du matériel, une pierre aiguisa la lame en projetant des petites étincelles.
Satisfait de son travail, le jeune homme jeta un coup d'œil au ciel pour se rendre compte que le soleil déclinait de son zénith depuis au moins deux heures facilement. Une moue se dessinait sur son visage, comme si sa course lui prenait plus de temps que ce qu'il lui semblait. Ramassant son sachet improvisé de viande, l'homme aux cheveux d'argents se releva pour courir à nouveau.

Zigzagant dans la forêt et s'orientant avec ses sens, le chasseur remontait sa propre piste. Il ramassa quelques petites branches et des brindilles sèches avant de retourner au lac.
La guérisseuse ne semblait pas là pour son retour mais l'homme paraissait indifférent à cela. Le crépuscule approchait et, pour lui, la priorité absolue se trouvait être dans la tentative de faire un feu. C'était laborieux mais au bout d'un heure de persévérance, le bois s'enflammait. L'homme-animal se montrait finalement peu craintif de cet élément. Il planta des branches à la verticale autour du feu pour y fixer des tranches de viande.

La nuit s'avançait, le feu diminuait jusqu'à n'être plus que des braises vacillantes dans le noir.
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#2
"Je suis le chasseur lunaire, celui qui traque sans remords ses proies et qui les égorge sans pitié. Seule ma famille compte à mes yeux !"

Ainsi s'éveilla l'homme-bête. Une autre nuit venait de s'écouler et l'amertume se lisait de nouveau sur son visage.
Se frottant les yeux, se levant, s'étirant, l'homme-animal se préparait à sa journée.

« Seule ma famille compte à mes yeux ! »

Cela tournait dans son esprit. Avait-il prononcé ces mots un jour ? Était-ce une devise ? Les paroles et les pensées résonnaient encore et encore, sans but.
Inlassablement, les mots marquaient sa journée. Dès son réveil jusqu'au soir, en passant par les repas, les promenades et les rencontres.
Toujours silencieux avec les siens comme avec la nature. C'était une forme de communion avec la forêt.
Parler ne ferait que donner sa position et briser le bruissement du vent dans les arbres.

« Seule ma famille compte à mes yeux ! »

Déchéance ! L'agonie de son esprit continuait, pourrissant son âme avec d'interminables tourments.
Les mots seuls ne semblaient rien mais les sentiments revenaient. La fierté, l'honneur, l'amour... des choses qui prêtaient à sourire agréablement en y repensant mais la peur et la honte revenaient plus fortes en arrachant un rictus au visage du guerrier, réprimant ses traits jusqu'à ne plus avoir de sentiments visibles.
Qu'importe, la douleur était toujours là et présente dans sa chaire.
Cela le tourmentait en lui ôtant goût à la vie.

La nuit tombait et accentuaient les sentiments négatifs. La lune regardait la terre et ne faisait rien, pourtant c'était un chasseur né sous le signe lunaire ! La nuit le royaume où les hurlements de sa meute résonnaient.

Plus rien comptait.
Pourquoi vivre ? Cette question devenait une obsession.

L'homme-bêta avança, ses cheveux d'argents luisant sous l'éclat blanc de l'astre nocturne.
Ses pas le ramenaient au lac et sa main hésitait de nouveau à tirer l'épée pour trancher ses veines. L'ivresse du sang avant une morte lente et inéluctable... cela sonnait comme une belle échappatoire.

Pourtant... pourtant il arrêta son geste. La guérisseuse contemplait la surface liquide, sombre et opaque avec une certaine fascination. Ses longs et magnifiques cheveux blancs ressemblaient aux rayons lunaires. Sa tenue teintée et coupée avec soin semblait toujours bizarre pour le guerrier mais la guérisseuse possédait quelque chose de beau. Une beauté extérieur paraissait et une beauté intérieur rayonnait.

Le guerrier rejoignit silencieusement la disciple d'Estalia pour ne pas troubler sa concentration et s'assit à côté d'elle.
Puisque plus rien ne comptait et que sa vie n'avait plus de valeur à ses yeux, il exaucerait le souhait de la déesse de la vie : rester vivant et protéger sa fidèle.

Ainsi le loup devint le défenseur de la vie.
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#3
Le silence se prolongeait pendant de longues heures.
L'homme-bête et la guérisseuse n'étaient pas d'un naturel bavard. Plutôt qu'avec des mots, ils s'exprimaient avec leurs gestes et par des petites mimiques. Ils chassaient ensembles, partageaient leurs rations, établissaient leurs campements et se repartissaient naturellement les tâches quotidiennes.
Leurs réactions semblaient spontanées.

Le guerrier se sentait redevable envers la jeune femme mais elle paraissait détachée de cela, préférant errer dans ses pensées ou s'éloignant de temps en temps pour revenir immédiatement.
Avait-elle conscience que l'homme-bête la protégerai au péril de sa vie ? Ou suivait-elle ses grognements et indications par peur ?
Cela pouvait être aussi un mélange des deux.

Au fil des jours, la confiance et la coordination se renforçait entre eux, réduisant au strict minimum leurs gestes et la communication non-verbale.
Pourtant le silence continuait de peser.
Une personne externe à cela pouvait penser qu'ils se connaissaient depuis longtemps ou qu'ils se fichaient de ce détail. En vérité, ni l'un ni l'autre ne savait comment aborder le sujet.
Parler les mettaient mal à l'aise.

Les mots sont maladroits et peuvent cacher des significations. La langue est traîtresse et la parole s'envole. Seuls les actes comptent.
Parfois l'un essayait de prendre parole mais réprimait son envie dès la première syllabe, en grognant et en se persuadant que cela n'importait pas.
Ils désiraient pourtant en savoir plus sur l'autre. Leurs noms, Leurs histoires... des choses qui ne pouvaient être exprimés que par des mots. Ces mots maladroits qu'ils ne parvenaient pas à dire.

Les nuits et les jours passèrent, la monotonie s'installa.

« -Selina. »

Une voix douce, claire et hésitante eut raison du silence. La guérisseuse était la plus humaine des deux. Cela ne l'empêcha d'éprouver immédiatement de la gêne, détournant le regard en rabattant nerveusement son capuchon sur sa tête.

« -Eldritch. »

Enfin l'attente s'acheva, les deux hommes-bêtes eurent raison du silence qui les séparait. La soirée se poursuivi cependant dans la même gêne. Quelque chose d'innocent se dégageait de leur relation.

Les soirs suivants, des informations se distillaient de temps en temps sur leurs histoires. Eldritch et Selina apprirent à se connaître petit à petit par des échanges de phrases vagues.
Cela les soulageait d'avoir un confident. La solitude pesait aux deux amis et découvrir quelqu'un de si différent et pourtant avec qui partager de nombreux points communs, avec qui s'entendre... cela égayait leur vie.

Contrairement à ce que peuvent laisser suggérer ces paragraphes, Eldritch et Selina n'allaient pas plus loin que quelques maigres contacts physiques, comme des mains qui se frôlent en se passant des objets. Leur relation restait chaste et ce n'était pas l'amour qui les motivait à rester ensembles mais quelque chose de plus profond et platonique.

Eldritch paraissait, grand, élancé et musclé. Un petit côté elfique dénotait mais le combattant représentait bien son totem loup avec ses cheveux d'argent et ses yeux d'ambre.
Selina semblait bien plus petite en comparaison. On pouvait essayer d'interpréter quelques traits de visage ou de corps pour essayer de trouver une parenté à une race animale, mais cela ne trompait pas les membres de son peuple : Selina était bien une guérisseuse, une disciple de la déesse Estalia.

Les deux préféraient la vie en pleine nature, loin des abris, des temples et de nombreuses choses futiles.
Oui, ils aimaient cette vie en Korri. Cette forêt était leur maison, une demeure gigantesque, plus vaste que le plus grand des palais et plus riche que Babylios elle-même ! Tout l'or du monde ne pouvait rivaliser avec les trésors de la vie.

Pourtant le vent des arbres soufflait une terrible prophétie. Cette vie allait bientôt se finir, probablement à jamais.
Eldritch et Selina savaient cela, écoutant les murmures lors de leurs rares rencontres avec leurs semblables. L'atrocité de la chose les forcerait à quitter leur confort pour protéger leur mode de vie, celui des hommes-bêtes anciens comme futur.

Une guerre menaçait d'embraser Korri.
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