Comme chêne et roseau
#1
Cela faisait maintenant 2 jours que Cundonya assurait sa mission. Il savait qu'il n'avait pas le droit à l'erreur et il avait décidé d'accomplir cette tâche avec le maximum d'attention et de persévérance. Ses employeurs lui avaient bien fait comprendre qu'une seule petite erreur compromettrait ses chances de réussites. De plus, il n'y avait pas que son égo qui était en jeu mais surtout la vie d'autres. Il voyait bien que les ennemis rodaient et attendaient que le Sylvain commette une faute afin de piller et tuer ses protégées.

Il devait réussir.

Il commençait à avoir une légère crampe dans le bras droit mais son acolyte devait rester près de lui. Il attendrait le soir pour pouvoir se détendre. La rivière qu'il entendait couler plus loin lui rappelait sans cesse qu'il avait soif, mais elle était suffisamment éloignée pour donner à ses ennemis le temps nécessaire pour fondre sur leurs proies. Par chance, il avait suffisamment mangé avant le lever du soleil pour ne pas se sustenter durant le jour car il avait peur que la moindre odeur puisse attirer l'attention.

Cependant, à force de se contraindre, il savait qu'il craquerait à un moment. Alors, il prit la décision de s'occuper de sa première gêne et de libérer son bras. Calmement, et avec de grandes précautions, il déposa son compagnon sur le sol à côté de lui et lui chuchota quelques mots de réconfort :

Ne t'inquiète pas doudou, tu restes avec moi pour veiller sur les plantes.

Cundonya n'était encore qu'un petit garçon ou un grand bébé comme disait son oncle. Cependant il avait déjà certaines caractéristiques des grands, dont la volonté et la persévérance.

Ses parents, grands spécialistes en herbologie et en botanique, lui avaient confié comme tâche de veiller sur un lot de plantes rares car il devait s'absenter pendant 3 jours afin de trouver un fertilisant d'urgence. Comme ce dernier se situait très loin vers le nord et craignant que les pucerons ne s'attaquent à leur découverte, ils avaient confié la surveillance à leur fils. Ces maudites bêtes ne déjeunant qu'en pleine journée, ils pensaient que la tâche serait facile à remplir et l'avaient donc confié à leur fils aîné.

Il ne restait plus beaucoup de temps avant que le soleil ne se couche et le petit garçon avait déjà chassé de nombreux insectes, attirés par la sève sucré des plantes. Soudain, un cri perçant venant de derrière lui le surpris. Le temps de se retourner pour voir qui hurlait ainsi, permit à cette personne de passer à côté de lui et de s'enfuir en courant. Immédiatement Cundonya vérifia que les plantes n'avaient rien et c'était bien le cas. La personne avait déjà filé hors de portée de vue et son cri c'était transformé en rire moqueur.

Encore un peu surpris mais surtout interloqué par cet évènement, c'est avec colère et énervement que Cundonya se leva et partit comme une flèche après le voleur. Car ce dernier lui avait pris son doudou…

Après plusieurs heures de course poursuite à travers Mitriath, derrière une bande entière de garnements chapardeurs, il réussit enfin à rentrer chez lui avec son ami le plus fidèle, ils étaient aussi sales l'un que l'autre. Mais en arrivant, il découvrit ses parents agenouillés devant les plantes complètement mangées par les pucerons. Le voyant arrivé tout ébouriffé, comme un enfant de son âge qui aurait passé sa journée à jouer, ils le regardèrent un moment sans prononcer la moindre parole et rentrèrent dans la maison.

Ce court temps de silence parut une éternité pour l'enfant. Leur regard déçu et le fait de n'avoir aucune remontrance verbale ou même une punition fut un véritable calvaire. Il n'avait pas réussi sa mission et ses parents lui en voudraient longtemps. Il avait même forcément perdu leur confiance. De petites larmes commencèrent à couler sur ses joues et comme il commençait à trembloter, son doudou tomba par terre.

Le voyant ainsi trainer sur le sol, il le ramassa, lui fit une grimace et s'approcha du pont. Sans un regard il le jeta dans la rivière. Il attendit quelques temps afin de s'assurer que l'eau l'emporte bien au loin et se promit, jura, s'engagea sur tout ce qu'il aimait que jamais plus il ne détournerait l'attention face à un devoir. Seul sa famille mériterait son amour et ne serait plus jamais déçu.
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#2

"Bien, avec ça, je crois qu'on est bons."

Devant les maigres possessions empilées là, on était en droit de se demander comment quelqu'un pouvait se réjouir face à un tel étalage. Ce tas d'objets crasseux et en mauvais état représentait toute la richesse de la famille, un amoncellement hétéroclite plus pitoyable que réjouissant. Pourtant cet amoncellement était aussi une maigre lueur d'espoir, la promesse d'un nouveau départ, loin, sur la frontière Est du territoire sylvain. Un nouveau départ bienvenue pour cette famille plus fauchée qu'un champs de blé après le passage d'une horde gobeline. La forêt regorgeait de possibilité et la sérénité qui s'était installée sous la frondaison rendait l'implantation de nouvelles communautés possible et surtout bien moins hasardeuse qu'auparavant. Une aubaine pour les plus démunis. Eux et quelques autres avaient ainsi décidés de tenter leur chance à leur tour dans les marches orientales du royaume. Une terre vierge, pleine de promesses en somme.

"Allez, ne trainons pas. Les autres ne nous attendront pas étern... Un instant, Leië, où diable à encore disparue ta sœur?"



Un cri suraigu succéda immédiatement à la gerbe d'eau qui éclaboussa les autres gamins occupés à barboter dans le cour de la Loreline. S'ensuivit, ce qui devait s'ensuivre, les autres gosses répliquèrent en aspergeant la fautive avec autant d'éclats de rire que d'inefficacité et la situation tourna rapidement à la bataille navale généralisée, achevant par la même occasion de ruiner le semblant de propreté que les pauvres parents s'efforcent toujours tant bien que mal d'entretenir. Les enfants sont bien connus pour être incapable de rester en place et surtout au sec, à proximité d'un cours d'eau. La situation commençait à dégénérer rapidement, les projections d'eau laissant la place aux mottes de boue vaseuse qui tapissait la rive et le fond de la rivière. La fillette à l'origine du carnage en ramassait justement une particulièrement répugnante, prête à l'envoyer à la tronche du premier qui aurait la mauvaise idée de pointer le bout de ses deux oreilles pointues, quand une ombre noire et menaçante se profila dans son dos. La petite, plus intriguée qu'impressionnée releva lentement la tête pour se faire une idée quand à la raison du silence subit alentour, avant de s'empresser d'accueillir le nouveau venu d'un grand sourire charmeur et boueux et d'escamoter prestement la vase accusatrice. Sans visiblement parvenir au résultat escompté.

Le père de la fillette l'attrapa par l'oreille et la traina hors de l'eau avant de la trainer à sa suite le long de la berge, non sans lui faire longuement la morale. Qu'elle ne tenait jamais en place, qu'on ne pouvait pas la quitter des yeux sans qu'elle ne déclenche quelques catastrophes, qu'on était bien bêtes de perdre ainsi son temps avec une si mauvaise fille, qu'elle devrait avoir honte de sa conduite et dans quel état elle s'était encore mise, et sa tunique -déjà toute rapiécée- qui était déchirée! Ils auraient tous du partir sans elle et la laisser là, tiens. La petite qui refoulait jusque là ses larmes éclata alors, qu'elle, elle ne voulait pas partir. Qu'ici il y avait les autres et que là bas elle ne connaissait rien, ni personne, qu'ils pouvaient bien la laisser là de toute façon, comme ça ils arrêteraient d'avoir honte d'elle et que si elle était si mauvaise fille, ils n'avaient qu'a l'échanger. Le père et la fille échangèrent pas mal d'horreurs avant de finir par se taire l'un et l'autre, ne laissant plus entendre que les reniflements de la petite. Son père s'accroupit face à elle, avant de lui passer un mouchoir sur la figure comme un geste d'excuse, avant qu'ils ne tombent dans les bras l'un de l'autre. Il lui chuchota des mots de réconforts à l'oreille, lui expliquant pourquoi ils ne pouvaient rester là, qu'elle se ferait de nouveaux amis et tout un tas d'autres choses, après quoi il poussa gentiment vers la rivière en décrétant qu'il ne pouvait décemment pas ramener une petite fille aussi sale à sa mère. Elle gloussa en courant se débarbouiller sous le regard de son père avant qu'elle ne tombe en arrêt et ramasse ce qui ressemblait à une bête morte et la brandisse à bout de bras.

"Hatsi, regarde!"

C'était une peluche, enfin une vieille peluche toute moche qui avait du passer quelques temps dans l'eau, elle sentait la vase et avait perdue une patte et perdait son rembourrage, éventrée qu'elle était par endroit. Elle n'avait que d'yeux pour sa trouvaille et ne vit pas l'air dégoutté de son père qui commença à lui dire:

"Elle est...
Elle est super! J'peux la garder, Hatsi? Hein, j'peux?"

Lui, n'eut pas le cœur à lui retirer son maigre trophée tout cracra. La petite fille dépenaillé et la peluche malmenée était presque le reflet l'une de l'autre, ce qui amusa beaucoup tout le reste de la famille pendant leur long exil, loin à l'est.

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#3
Une fois de plus Cundonya se retrouvait parmi les moins bien classés de la promotion. Pourtant, cette fois-ci, il y croyait et pensait avoir les atouts requis pour réussir les épreuves. Il voulait tant devenir une lame protectrice de la forêt.

En y repensant, sa vie jusqu'ici, n'avait été qu'une suite d'échec. Enfin sa vie d'apprenti. Car au niveau familial il était très fier de sa fratrie. Il y avait sacrifié son temps, bien que ce mot sans cesse rabâcher par sa mère ne lui plaise pas. Elle avait été pourtant été satisfaite de son implication dans les affaires de la famille mais plus le temps passait, plus elle s'inquiétait de l'avenir de son fils.

Quel avez été son premier échec ?

Ah oui, l'école des druides. Une véritable catastrophe.

Son oncle Attonoro avait décidé de lui inculquer la façon d'être de sa caste. Animal et sauvage, avait-il dit, mais toujours dans le respect de la Nature et des Esprits.

Bref, il n'avait pas tout compris et c'était fait jeter par l'archidruide responsable des jeunes recrues. Que lui avait-il reproché au fait ? Ca y est, cela lui revenait. Il n'avait pas réussi à tisser de lien avec l'âme du loup.

Des conneries, car quand vous avez une mâchoire puissante qui vous écrase la cuisse, la seule solution consiste à briser le crâne du canidé. Bon peut-être qu'il aurait dû se concentrer plus et ne pas penser aux problèmes de sa sœur Findanel. Et puis, c'est sûr que de bailler devant l'animal n'avait rien arrangé. Quelle idée aussi de fêter les 300 printemps de son oncle Hoerelle la veille.

Tiens parlons-en de lui et sa tante, Neuronettë. Ils avaient tous les 2 insisté pour qu'il devienne un tireur d'élite comme eux. Il avait soi-disant, toutes les qualités physiques et mentales nécessaires pour devenir un archer hors pair.

Sauf qu'ils avaient oublié qu'à 200 mètres, Cundonya ne distinguait pas un chêne d'un hêtre. Pourtant au niveau physique, il les battait tous mais quand il s'agissait de tirer c'était autre chose. Et puis l'instructeur l'énervait car il passait son temps à le prendre en exemple sur sa prodigieuse faculté de vision de taupe.

La plus belle réussite, et la seule, de Cundonya à l'école d'archerie, fut la flèche planté dans la fesse gauche de leur instructeur. Cet acte fut le dernier avec un arc à la main.

Il avait aussi essayé de devenir mage avec Findanel. Bien que les enchanteurs lui ai découvert un potentiel prometteur, il n'avait pas apprécié que l'un d'entre eux tape sa sœur avec une branche de buis. Il l'avait saisi au poignet et avant qu'il puisse dire la moindre parole lui avait écrasé la tête contre un arbre.

Ses parents avaient réussi néanmoins à faire en sorte que sa sœur puisse continuer les cours en échange de quoi leur fils devrait se mettre au service du professeur pendant 2 lunes, le temps pour lui de récupérer. Etonnamment, Cundonya avait fait du bon boulot chez l'enchanteur et ce dernier avait alors oublié l'affaire.

Il ne lui restait plus que l'académie militaire afin de devenir maître-lame ou coureur des bois. Et c'était justement le dernier jour des épreuves.

La plupart d'entre eux était déjà inscrit pour la suite, grâce à leur parcours exemplaires. Mais quelques jours de retard, afin d'aider ses parents, l'avaient relégué dans les dernières places. Le dernier test était simple, il devait battre à l'épée un autre élève qu'il avait toujours vaincu lors des entrainements. Ils se mirent donc en place dans le cercle et le maître tapa dans ses mains pour lancer le combat.

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Fine et svelte, elle avait une démarche féline. Ses cheveux d'un noir de jais était coupés à hauteur d'épaule et permettait d'apprécier son cou et ses épaules de couleur pêche. La couleur de ses yeux était un savant mélange de ciel et de rivière. Une fine cicatrice courrait du coin de son œil gauche vers la commissure de ses fines lèvres qui invitaient à des promesses rêveuses. Un tatouage évoquant la forme d'un loup au niveau de la tempe, sur ce même côté du visage, lui donnait un aspect rebelle appréciable.

Ses vêtements, sobres et pratiques aux couleurs de la forêt, lui moulaient son corps parfait. Elle avait un collier, surement une malachite grossièrement taillée de la taille d'une noisette encadrée par deux trois perles de bois et d'os, ficelée avec une vieille cordelette en cuir usée jusqu'à la moelle.

Sans nul doute, Halista, l'âme de la forêt, venait rendre visite à ses enfants.

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Les rires et les moqueries réveillèrent Cundonya. Son adversaire lui avait pris son arme et l'avait posé sur sa gorge. Il ne savait pas ce qu'il c'était passé mais le résultat était là : il avait raté le test. De rage, il envoya l'arme valser plus loin et de son autre main et balança un uppercut sur son adversaire qui s'écroula au sol.

N'écoutant plus rien, il se mit à courir vers la forêt. Il aurait voulu courir des mois, des années, des siècles afin d'échapper à ses échecs. Il se forçait d'oublier sa vision qui l'avait relégué à un rôle social sans importance. Toutes les écoles lui étaient désormais fermées et il ne lui restait plus que sa famille.

Sa course dura longtemps et l'image d'Halista disparu en même temps qu'il s'écroula, mort de fatigue, dans les profondeurs de la forêt.
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#4
Alors qu'ils avançaient prudemment dans la forêt, afin de débusquer leurs ennemis plutôt que l'inverse, un bourdonnement effroyable se fit entendre. Cundonya se mit alors en position pour prendre l'assaut de face tout en comptant sur ses compagnons pour abattre les abeilles géantes. Le combat fut assez rapide, les flèches et sortilèges ayant raisons des insectes. Il n'y eu que très peu de perte, et encore si on considère des blessés légers comme tel.

Cependant quelque chose n'allait pas. Les sens du guerrier lui faisaient sentir qu'un détail lui manquait. Il avait beau chercher et revoir la scène, il ne trouvait pas. C'est lorsqu'une 2ème vague leur arriva par derrière leur ligne de défense qu'il comprit ce qui se passait.

Faisant fi du danger et laissant ses compagnons avec les abeilles, il courra à perdre haleine vers l'arrière, son cœur battant de plus en plus fort. Ce dernier s'arrêta net lorsqu'il l'aperçut. Elle était couchée sur le côté, de larges plaies de la taille d'un poing parcouraient son corps, son arc était tombé un peu plus loin. Ses yeux indiquaient bien ce qu'il refusait de croire possible : elle était morte.

Il se jeta par terre, la prit dans ses bras et hurla comme un fou. Ses larmes coulèrent sur le visage de cire de son aimée. Il cria encore et encore jusqu'à en perdre voix.

Après un long moment, il la posa avec douceur sur le sol. Il lui ferma les yeux délicatement, essuya le sang, retira les petites brindilles et les feuilles sur son corps, rajusta ses vêtements afin de la préparer pour son dernier voyage. Il ôta le collier, une lanière de cuir usée tenant une petite pierre précieuse et des petits trophées de chasse, et se le passa autour du cou. Ensuite, il entreprit de remettre dans le sac les quelques objets qui étaient éparpillés à la suite du combat. C'est alors qu'il remarqua un objet qu'il n'avait jamais vu dans l'équipement de Kira.

C'était une peluche, enfin une vieille peluche toute moche qui avait dû passer quelques temps dans l'eau, elle sentait la vase et avait perdu une patte et perdait son rembourrage, éventrée qu'elle était par endroit.

A ce moment précis, une vague puissante de souvenirs et d'émotions brisa le guerrier qui s'effondra sur le sol, évanoui.



Il se réveilla un peu plus tard. Il était entouré de toute sa famille et de la Guilde. Il aperçut derrière le groupe une petite tombe fraichement creusée qui lui rappela de suite les derniers évènements. Se relevant avec peine, il les regarda et s'adressa à eux

Allons-y ne perdons plus de temps.

Aucun d'eux ne posèrent de questions ou autres choses. Il récupéra ses affaires et se rendit compte qu'il tenait toujours dans sa main le doudou. Il s'approcha de la tombe et le posa dessus.

Plus jamais, dit-il tout bas.
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