La Reine des Truands
#1
Pas de pitié pour les caves


Citation :-Vous idéalisez M'sieur le Commissaire. C'est pas dans mes ambitions de finir au trou à Fleury-Mérogis.
-Non, mais y'a de la promotion dans l'air. Tu pourrais finir dans un trou au Père Lachaise
.
Les inconnus, Pas de bégonia pour le cave.
La nuit. De ces heures sombres qui précèdent l'aube. Entha Kaldora.

La ville gît sous la lumière des astres. Ses rues inanimées ronflent à point fermé dans la douceur nocturne. Ceux qui ne dorment pas ont les paupières lourdes.
Ici un boulanger se lève péniblement pour commencer son œuvre. La bas un ivrogne s'écroule dans un caniveau. Au temple, quelques moinillons zélés mènent l'office de nuit. La garde somnole en attendant la relève.

Le calme ? Pas vraiment. Un bruit au loin. Une cavalcade. A l'Est, dans les quartiers pauvres. Une fuyarde. Deux poursuivants.

Le premier.

Une gueule de travers. Des yeux de fouines et le rictus qui va avec. Ses cheveux noirs et graisseux plaqués sur un crâne retors. Une robe bringée comme un paillasson. Un corps maigrelet. Une allure de tuberculeux.

Gérald.

Dit Gégé, Gégé la Teigne. Dit Le Jacteur. Dit Le Bravache. Dit l'Enfant de Putois. Dit Sa Majesté des Emmerdes. Dit Porte-Malheur. Petit comme un poney. Mauvais comme son surnom. Bras droit de l'Etalon depuis quatre ans et un bon millier de coups bas. Son truc à lui, c'est de pérorer. De blaser. D'insulter. De faire entendre le message.

Le second.

Pollux. Le Boucher de la rue des Rois, l'Arrache-Cœur, le Brise-Jarrets. Dit Paulo, pour les intimes. Dit Paulo l'Equarisseur, pour les autres.

Taillé comme un taureau et aussi malin. Une robe brune comme la peste. Une mâchoire carrée et un faciès de tueur. Un regard qui jette un coup des éclairs, et l'autre regarde passer la caravane. Un crane rasé de près. Des muscles saillants et des veines comme des fleuves. C'est le Muscle du Bras Droit. Ou bien son Poing. Trois ans de service au service de l'Etalon et une petite centaine de cadavres. Paulo ne parle pas. Il correctionne. Il asperge. Il ventile.

Son rôle à lui ? C'est faire passer le message.

Le message, elle l'a entendu mais préfère ne pas le sentir passer. Alors elle galope comme une dératée, la frousse aux trousses et la mort sur ses talons.


Elle ? C'est Adra. Mais de la ou d'elle vient, dans les ruelles obscures qui composent son univers, on la connait que sous le pseudonyme d'Aragne. Bientôt dite Aragne l'Ecrasée, la Morgue, la Froide, l'Ecchymose et ainsi de suite. Spécialisée dans l'escroquerie qui finit mal - celle qui ne verse pas ses dividendes à qui de droit.

En somme une cave.
Et pas de celles en sous-sol. Plutôt de celles dont le cadavre finit dans un caniveau.

Tournant à droite. Tournant à gauche. Derrière, un bruit de craquement. Pollux qui pulvérise un obstacle. Pousse un cri rageur. Courir après des mouflards, ça l'irrite, l'a pas la fibre paternelle le Paulo.

Gégé crie de la saloperie. Des « J'vais t'caner » et autres crèves. Môsieur manque de politesse. L'Aragne elle commence à manquer de souffle comme de patience.

Sauf qu'un centaure, ça grimpe pas au toit. Ca se cache pas dans un buisson. Ca vit pas une course poursuite de bipède. Les disparitions subites au détour d'une ruelle, c'est du complexe quand on a quatre sabots. Alors ça dure, dure, dure. Ses poumons sont en feu. Elle est maintenant bien loin de son quartier natal. Quelques précieuses minutes la séparent de ses poursuivants.

Un lac. Des hautes herbes.
S'immerger. Le coup du roseau. Aucune chance que ça passe mais son corps ne sait plus la porter. Alors le tout pour le tout et le reste entre les mains de la Déesse.
L'eau froide la fait frissonner alors qu'elle s'enfonce sous les flots. Ses poursuivants passent au galop. L'obscurité leur cache les vaguelettes qui rident la surface de l'ondée.

Ils s'éloignent dans un concert de jurons. Elle émerge. Trempée. Glaçée. Brisée.

Mais vivante.
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#2
Ne nous fâchons pas
Citation :J'aurais bien joué les gagne-petit, les pue-la-sueur, mais j'ai pas la vocation.
Les inconnus, Pas de bégonia pour le cave.
« Alors ? »

La voix cristalline résonna doucereusement dans le minuscule bureau. Sombre, ses étagères y débordaient de breloques et d'artefacts aux reflets poussiéreux. Une véritable avalanche de toc qui, stoppée dans sa course vers le sol, menaçait perpétuellement les visiteurs de ces lieux.
Instinctivement, la mine du propriétaire des lieux se rembrunit. Il haïssait qu'on le presse, surtout pour des stupidités. Et la jeune fille d'apparence si innocente qui se tenait devant lui pouvait en débiter un nombre incalculable.

Mais ce qui lui tordait les boyaux, c'était le dilemme moral.

Rêche comme seul un usurier pouvait l'être, le vieux Gregor n'était pas né de la dernière pluie d'étoiles. C'était une vieille bête, de ces centaures de trait construits pour abattre le travail sur la durée. Des années dans l'usure, le recel et le financement d'entreprises louches lui avaient tant durci le cuir que sa peau pouvait probablement arrêter une flèche. Et il avait appris à ne pas mélanger affaires et sentiments, aussi rares qu'ils fussent.

On lui en avait pourtant raconté des contes à dormir debout pour repousser un payement. On lui avait brandit au nez des bébés maigre comme la mort, des mouches dans les yeux comme sortis de leur tête, pour lui extirper un prêt ou une avance.

On l'avait cajolé, flatté, menacé.
Ça n'avait jamais pris.

Il avait vu grandir Ada. C'était la fille du quartier, le genre de petit vaurien qu'on surveille du coin de l'œil pour passer le temps. Dont les pitreries font rire, dont les bêtises agacent mais qu'on finit toujours par pardonner. Et puis ils avaient fait de bonnes affaires. Pour quatre idées foireuses, la petite finissait toujours par se refaire à la cinquième tentative.

Problème. Elle n'était plus une enfant. Ses pitreries ne faisaient plus rire personne. Ses arnaques devenaient de plus en plus folles et ses rêves de grandeur la rendaient imprudente. Quand elle lui avait exposé le plan de sa dernière lubie, il lui avait demandé ce qu'en pensait l'Étalon. D'un beau sourire, elle avait voulu noyer le poisson mais il n'était pas dupe.

Arnaquer la belle société sans l'aval du patron des patrons ? Pas besoin d'être un ténor du crime pour savoir que ce n'était pas une bonne idée. Ne pas lui verser sa part ? Du suicide. Ne pas le prévenir qu'on l'entube ? Tout pareil.

Alors il avait rédigé la lettre.
Ses lèvres allaient se mettre en mouvement quand la porte du fond s'ouvrit dans un cri d'agonie.
Dans la pénombre, le sourire étincelant de Gerald, l'air goguenard. Derrière lui, l'immense masse de Pollux.

« Hey, ce serait y pas la ptite Ada? »

La voix du plus petit des nouveaux venus était pleine d'une horrible bonne humeur.

« L'Etalon te salue bien ! »
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