Par une nuit sans lune.
#1
La nuit était depuis longtemps tombée sur Ecridel, enveloppant de son manteau d'obscurité les villes et les villages ; les plaines et les forêts ; les monts et les vallées.
Le ciel était dégagé au-dessus d'Asteras, et seules les myriades d'étoiles qui constellaient la voûte céleste apportaient un peu de clarté aux rues.
L'heure des ombres avait depuis longtemps cédé la place à l'heure des rêves. Sur les grandes avenues de la glorieuse cité elfique, noires d'une foule innombrable et bruyante lorsque l'astre du jour baignait la terre de ses rayons, pesait un silence absolu que seules les disputes de chats errants revendiquant la même femelle venaient parfois briser.
Les hautes flèches de la ville semblaient bien ternes en comparaison de leur aspect en journée. L'ivoire des tours était d'un gris morne, et l'airain qui les ornait ne ressemblait qu'à une masse sombre et sans couleur.
Les aubergistes et les taverniers dormaient déjà ; les boulangers n'étaient pas encore debout. Seuls quelques gardes patrouillaient pour veiller à la quiétude des citoyens.
Au sud-est de la ville, dans le quartier des docks, un pêcheur un peu imbibé après une soirée festive regagnait tant bien que mal sa barge. Seul le clapotis des remous frappant les pierres froides des quais semblait faire écho à sa démarche mal assurée. Allongé contre un mur, blotti dans de larges pièces de tissu crasseux censées le protéger du froid, un vagabond dormait à poings fermés.

Quelques minutes s'écoulèrent.
Le pêcheur regagna son embarcation.
Un quart d'heure.
Soudain, les ombres que jetaient les murailles sur les pavés blancs des rues semblèrent bouger. Une silhouette se détacha dans l'obscurité. Enveloppée d'une grande cape de voyage à capuche, elle se déplaçait sans un bruit vers les quais, longeant les murs comme pour dissimuler sa présence. L'individu s'arrêta un moment en voyant la masse sombre et indistincte que formait le mendiant assoupi. Il l'observa pendant quelques instants. Le corps se soulevait et s'abaissait à un rythme calme et régulier.
Un éclat métallique passa au niveau de la main de l'homme encapuchonné. Il s'approcha encore du vagabond, accroupi comme pour l'examiner.
Vif comme l'éclair, il plaqua sa main sur la bouche du mendiant. Sa main glissa le long de sa gorge, et l'éclat métallique laissa une large balafre. La victime ouvrit aussitôt les yeux en proie à une terreur indicible. Avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste pour se défendre, l'assassin le frappa au ventre. Une fois. Deux fois. Le troisième coup remonta le long de la cage thoracique, avec une telle violence que plusieurs côtes furent brisées par l'impact. La lame froide atteignit le cœur, et le vagabond cessa aussitôt de se débattre.
L'assassin appliqua alors ses mains sur les nombreuses plaies qu'il avait infligées à sa victime et chuchota quelques mots dans une langue qui n'était pas du Silië. Aussitôt, les hémorragies cessèrent et les balafres se refermèrent. En quelques secondes, toute trace de sa lame eut disparu. Seuls les énormes hématomes qui ornaient son torse témoignaient des sévices qu'il avait subis.
Satisfait de son travail, l'assassin chargea le cadavre sur son épaule et commença à revenir sur ses pas, titubant malgré tout sous le poids de sa charge.

"Eh ! Vous là-bas !"

L'assassin s'immobilisa. Trois gardes se dirigeaient vers lui. Il se maudit pour son manque de vigilance. En une seconde, il se débarrassa du corps et partit en courant.

"Arrêtez ! Au nom du roi !"

Les trois hommes se lancèrent à la poursuite du meurtrier. Mais celui-ci parvint rapidement à les semer dans les ruelles sombres et tortueuses du quartier marchand...


* * * * * * *
Le lendemain matin, la nouvelle du meurtre se répandit comme une traînée de poudre.

Les gardes de nuit furent doublées, puis triplées lorsque l'interrogatoire d'autres vagabonds mit en évidence que ce crime n'était probablement pas le premier. De nombreux mendiants avaient déjà disparu, mais leurs corps n'avaient jamais été retrouvés, ce pourquoi la garde n'en avait jamais été consciente.
Qui remarquerait l'absence d'un mendiant ?

Désormais, un seul mot d'ordre régnait à Asteras :

"Si vous devez sortir après la tombée de la nuit, soyez prudent..."
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