Ataraxie.
#6
C'est le mimi c'est le rara, c'est le...

- Chef ! Heu... Instructeur Abesaën ? Hum... Monsieur Isilgath Abesaën ?... Monsieur !... Heu... dites ? Hu ?
Comme le jeune garde ne semblait pas prêt à lui lâcher la grappe, il finit par s'arrêter et se retourner.
- Qu'es-tu lui veux ? Pour ton info, je ne suis plus instructeur, et il insista lourdement sur le plus, tu peux m'appeler Isilgath... ou, pote tant que tu y es... de t'façon y'a plus d'respect dans l'armée.
- Je suis désolé, monsieur, on m'a chargé de vous porter une nouvelle tragique : le généralissime Delawyn Ma'hoir est décédé, et son office funèbre aura lieu dans quelques jours. On m'a ...
- Tragique ? J'dirais plutôt qu'c'est une bonne nouvelle, vu la débandade dans laquelle il a conduit notre armée. Faut pas s'étonner, quand on limoge des instructeurs de valeur, que la guerre soit perdue d'avance... Et qui va le remplacer ?
- Heu... je ne sais, monsieur, mais...
- Pff quelle importance, même toi tu f'rais l'affaire. Ok, j'y s'rais, pt'êt. Rien que pour le plaisir de le voir partir avant moi.


Hormis un mendiant un peu conglutinant qui l'avait poursuivi sur quelques toises en se lamentant la main tendue, il arriva au Temple sans autre enquiquineur, et prit immédiatement a partie le prêtre qui l'avait soigné.

- Apprenez-moi la magie des soins ! J'ai suivi vot' conseil, je suis allé à l'école de magie, et on m'a dit qu'il n'y avait qu'au Temple où l'on connaissait ça. Vous vous payez ma tête, ça vous amuse de faire cavaler un infirme, c'est ça ?
- Mais... ça ne s'enseigne pas, c'est un secret gardé jalousement par les membres de l'ordre et qui nous permet de recevoir nos oboles. Il faut bien financer notre Temple, surtout en cette période où le gouvernement ne met plus trop la main à la poche. Aucun prêtre ne vous transmettra ce savoir. Vous devez rentrer dans les ordres. Et même dans ce cas, ce que vous apprendrez ne vous servira pas plus, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, vous ne trouverez nulle part ce que vous cherchez.


Une rage folle s'empara d'Absoreck. Une angoisse indescriptible qui le plia en deux et lui liquéfia les entrailles. Soudain la notion d'immortalité devenait synonyme de supplice. La vie un labyrinthe sans fin ni issue. Il prit du temps pour retrouver son souffle. Pour revenir à la réalité. Pour se relever.

A peine remis de ce déversement de bile, il gifla violemment le prêtre, repoussa tout aussi vivement une prêtresse qui venait à son secours, frappa du pied dans un énorme cierge qui trônait là, s'empara d'un coffret d'encens qu'il allait jeter vers le mur... contre un vitrail.... contre le vitrail... il se figea dans sa course.

Comme ébloui, il s'était arrêté net. Il posa doucement l'encensoir sans détourner la tête de la mosaïque, comme s'il avait soudain peur qu'elle disparaisse s'il la quittait des yeux.

Il se passa un instant interminable, le temps suspendu, personne n'osait bouger, ni même ramasser les reliques qu'avait renversé le fou furieux, spectateur d'un phénomène imaginaire que lui seul semblait pouvoir visualiser, ou peut-être trop profondément plongé dans ses pensées pour remarquer que son vêtement commençait à être atteint par la flamme du cierge renversé.

La prêtresse qu'il avait envoyé valser finit tout de même par s'approcher craintivement à porté d'éventuels coups pour ramasser le cierge et tapoter sur le bas de sa tenue. Sans tourner la tête, il lui demanda ce que représentait la verrière. Elle lui répondit un peu surprise, après un moment d'hésitation :

- C'est un… il s'agit d'un vitrail représentant Sainte Gwendolwenn, qui enfanta sans connaître de mâle et donna la vie alors qu'elle était morte.

Après un silence elle continua son récit d'une voix plus assurée.

Elle a voyagé aux quatre coins d'Ecridel. Elle s'est consacrée à la protection des pauvres et des nécessiteux, à l'éveil de la culture et à la diffusion du savoir, à la promotion de la paix et du respect, à l'étude de la magie et des éléments. J'ai atteint en cet art une précellence telle que si tu y parvenais, si tu trouvais en toi la volonté d'étudier l'élémentalisme, tu pourrais retrouver toutes tes aptitudes et bien plus encore.

Il se tourna vers la prêtresse. Elle avait disparu. Depuis longtemps semblait-il, car elle n'était plus visible dans toute la salle, et pourtant il venait d'entendre une voix féminine lui adresser ces paroles.

Il fit à nouveau face au vitrail. Une douce quiétude l'envahit. Et subitement, une euphorie indescriptible qui le plia en deux et inonda son ventre d'une chaleur éthérée. Comme l'angoisse qu'il avait ressenti plus tôt, mais plus agréable encore qu'une jouissance.

- Ce qui t'angoisse ne sera pas.

Il lui vint pour la seconde fois de sa longue vie l'envie de pleurer. Et il céda. Il pleura, dans une explosion de béatitude, un état de grâce irréel et absolu, qui s'acheva dans une éphémère ataraxie.

Etait-ce la providence ? Un ange gardien ? Un délire ?

- Nan. Chuis un guerrier. Un mercenaire. Un tueur. J'veux pas d'une intello pacifiste pour ange gardien ! Et j'retournerai pas à l'école.

Le temps de l'ataraxie était passé. Appuyé sur ses poings, il observa ses poignets qui saignaient. Ce n'était pas bien grave, il était au Temple. Il se releva puis s'énerva, hurla qu'on vienne le soigner au plus vite car il avait à faire. Personne. Il prit une grande respiration, et pour achever le travail ébauché à deux reprises par sa glande biliaire, il se rendit aux toilettes, laissant sporadiquement derrière lui une fine macule pourpre...

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[Image: vitrail4elements.jpg]
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