Une visite inattendue
#3
Il fallait traverser une cour pavée à ciel ouvert avant de franchir le seuil de la grande porte en bois de chêne qui marquait l'entrée du château du seigneur de Finemare. Elle débouchait sur une grande pièce qui servait de hall d'entrée au bâtiment, avec son haut plafond et son sol carrelé de céramique de Port-Noir. Aux murs de pierre étaient accrochés de nombreux objets hétéroclites, entre vieux portraits de famille, armes de bonne facture, tapisseries de Fierlac et blasons ancestraux. En esthète qu'il était, Renaud de Finemare avait changé ce vestibule autrefois austère en entrée accueillante et magnifique.

Une grande tapisserie, en particulier, retenait le regard. Elle figurait Arlen de Finemare, ancêtre mythique de l'actuel Nurmeth de Hautbourg, combattant quelque créature démoniaque à l'aide de signes cabalistiques dessinés sur ses mains. On ignorait beaucoup de choses de cet aïeul ; d'aucuns doutaient même de son existence. Mais il faisait néanmoins partie de l'Histoire de la famille Finemare, et s'était même intégré au folklore des habitants de Hautbourg. Sans être aussi célèbre – loin s'en faut – que Biskirnir le Borgne chez les Agars, il faisait partie des héros humains devenus légendaires en raison de leur combat contre les créatures impies issues d'autres réalités.

Luhnn Tanjor guida Victor, franchissant plusieurs portes, traversant plusieurs salles et montant même un escalier avant de s'arrêter dans ce qui devait être l'antichambre du seigneur des lieux. Renaud avait choisi de recevoir Victor dans cette pièce afin de créer une atmosphère détendue, loin des formalités et du protocole en rigueur dans les cours taliennes. A peine son serviteur et son invité étaient-ils rentrés qu'il surgissait de ses appartements, franchissant d'un bon pas la grande porte qui en perçait le mur. Le Nurmeth de Hautbourg était un homme d'une quarantaine d'années à peine, de taille modeste, au regard noisette et aux cheveux blond vénitien. Tout le bas de son visage était dévoré par une courte barbe de la même couleur, apparemment entretenue avec grand soin, qui ne dissimulait en rien le sourire franc qu'il offrit à Victor en allant à sa rencontre. Il portait une tenue aux couleurs chaudes, avec une dominance de rouge et d'orangé – comme il convenait à un homme de son rang – et, épinglée au niveau de son cœur, une petite broche dorée figurant un chrysanthème et un dauphin – emblèmes respectifs de lui-même et de sa famille.

– Victor ! C'est un plaisir de t'accueillir chez moi ce soir. Voilà bien longtemps que je ne t'ai point vu. Ton père m'a raconté bien des choses, mais j'aimerais mieux entendre de ta propre bouche ce que tu es devenu. L'enfant que j'ai connu a semble-t-il laissé place à un homme, et je souhaite ardemment en apprendre plus à son sujet !

Il ne laissa guère au jeune homme le temps de répondre et reprit précipitamment :

– Mais je manque à tous mes devoirs. A peine es-tu arrivé que je t'assaille déjà de questions ne pouvant souffrir de réponses courtes. Installe-toi donc !
Il tendit le bras, paume vers le ciel en signe d'invitation, vers une petite table autour de laquelle se dressaient deux sièges d'exquise facture.
– Luhnn, ayez l'obligeance de débarrasser le seigneur di Velija de ses vêtements de voyage, et apportez-nous un pichet de vin et une corbeille de fruits pour nous aider à attendre le repas.
– Un vin d'Aiguemirail fera-t-il l'affaire ?
– Il ferait l'affaire, mais pour notre invité je préférerais quelque chose de moins pompeux. Quelque chose de chez nous, car après tout, nos vignobles n'ont pas à rougir de ceux d'Aiguemirail. La cuvée de l'an dernier me semble tout indiquée pour une soirée comme celle-ci.
– Bien monseigneur.

Sachant ce qu'on attendait de lui, Luhnn Tanjor quitta la pièce en silence et referma doucement la porte derrière lui. Les deux hommes se retrouvèrent seuls, et Renaud demanda sans attendre :

– Eh bien Victor, comment te portes-tu ?
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