Une visite inattendue
#1
Le cabinet d'étude du seigneur Renaud de Finemare, Nurmeth de Hautbourg, était une pièce austère. Non qu'il n'aimât pas les belles choses. Bien au contraire : il les aimait tant qu'il préférait ne pas en avoir sous les yeux lorsqu'il devait se concentrer sur les affaires de ses terres, de peur de voir son esprit s'égarer et de faire en trois heures ce qu'il aurait pu faire en une. La salle était carrée, percée côté sud d'une grande fenêtre en verre peint d'où le soleil se déversait à l'intérieur, et par laquelle on pouvait voir, à moins d'une lieue du mur d'enceinte du château, les étendues d'eau de la Baie de l'Épervier. La nuit, on pouvait voir au-delà des flots un lointain éclat orangé, qui n'était autre que le fanal allumé au sommet de la Tour de l'Orbe Flamboyant d'Yris.

L'intérieur de la pièce, nous l'avons dit, était décoré avec sobriété. Sur les murs de pierre grise étaient tendues des tapisseries aux motifs abstraits et aux couleurs délavées, dont le rôle était surtout de conserver la chaleur lors des froides soirées d'hiver – somme toute assez rares dans une région au climat aussi doux. Une petite bibliothèque portait de vieux tomes poussiéreux que Renaud n'ouvrait que s'il n'avait d'autre choix, et de longs cylindres de bois, protégés magiquement contre l'humidité, renfermant de précieuses cartes. Au centre de la salle, un bureau sévère de style Léonar II devant lequel Renaud était présentement installé, dos à la fenêtre et face à la porte.

Il avait passé l'après-midi à écrire des courriers, et le frottement caractéristique de la plume sur le parchemin commençait à faire naître derrière ses yeux une douleur désagréable. Il se consola en songeant qu'il en avait bientôt terminé, et qu'il pourrait ensuite quitter ce morne cabinet pour se livrer à de plus plaisantes activités.

Quelqu'un frappa à la porte, le tirant de ses pensées.

- Entrez, marmonna-t-il sans lever la tête de son travail.

Un serviteur franchit le seuil, un jeune homme blond aux cheveux courts et aux saisissants yeux turquoise, vêtu d'une livrée aux couleurs de son seigneur. Renaud reconnut la dernière recrue de son Intendant, et crut se souvenir qu'il se nommait Luhnn Tanjor. Il considérait que connaître le nom des gens qui travaillaient pour lui était la moindre des choses, car ils effectuaient dans l'ombre un travail nécessaire au bon fonctionnement du château.

- Le seigneur di Velija s'est présenté à nos portes. Nous l'avons laissé entrer, ainsi qu'il convient à un homme de son rang. Il a dit souhaiter rester ici pour la nuit.
- Le seigneur di Velija ? Orfeo ?
- Non monseigneur, c'est du seigneur Victor di Velija qu'il est question.
- Victor ? Voilà une excellente surprise !

Renaud de Finemare se leva avec un sourire authentique et reprit :

- Voilà bien trois ans que je ne l'ai pas vu ! Je suis curieux de savoir ce qu'il devient. Dîtes-lui que je vais le recevoir. Et que mon hospitalité lui est bien évidemment acquise, pour cette nuit et pour toutes celles où il en aura besoin. Faites savoir à Morwin que j'attends d'elle ce que ses commis peuvent cuisiner de mieux pour le repas de ce soir.
- Ce sera fait monseigneur.
- Ce sera tout Luhnn, vous pouvez disposer.
- Bien monseigneur.

Le serviteur quitta la pièce, laissant Renaud seul. Celui-ci jeta un œil au dernier courrier qu'il était en train de rédiger. Bah… il pourrait bien attendre jusqu'au lendemain ! Il n'y était point question d'affaire pressante. Il n'allait pas s'enfermer plus longtemps dans ce cabinet alors que le fils de son vieil ami Lazzare était chez lui ce soir. A son tour, il quitta la pièce et se dirigea vers ses appartements, en quête d'une tenue moins stricte que celle qu'il arborait.
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