Les chroniques éternelles : récits du temps des Elfes - Prologue
#3
3 – Le goût

La cavalerie du général fondit sur le monstre tel l'aigle aux serres déployées sur sa proie. La garde rapprochée d'Eriossar était constituée des meilleurs guerriers d'Ecridel, surnommés les lions d'Astéras. Ce petit groupe d'elfe était le fruit de ce que des siècles d'élitisme pouvaient produire de meilleur, tant leur maîtrise des arts de la guerre était aboutie.
Pourtant, depuis plusieurs décennies maintenant, ces fiers combattants, issus des quatre coins du monde connu d'alors, avaient été réduits au rôle de simples spectateurs des luttes de leur peuple. Au service d'une aristocratie qui n'avait su s'organiser afin de défendre l'intérêt commun, ils étaient, en tant que gardes d'Astéras, le dernier rempart d'une caste de nantis sans ambition.

L'ascension d'Eriossar avait été perçue comme l'éveil d'une lumière incandescente venant chasser l'ombre dans laquelle ils se terraient depuis trop longtemps. Sa fierté contagieuse avait rendu leur vigueur à ces hommes oubliés sous les alcôves porphyriques de la cité blanche.

Fort de leur appui, il avait su convaincre les plus récalcitrants des nobles d'adhérer à son programme d'envergure : faire du peuple des elfes la puissance hégémonique d'Ecridel, bâtir une nation, fonder un empire.
Mais ce processus était douloureux, qualifié d'autocrate par les uns, déifié par les autres, sa stature seule ne suffisait pas à asseoir sa légitimité. Il lui fallait des victoires et le prestige qui les accompagnait pour sceller chaque pierre de l'édifice étatique qu'il se faisait un devoir de construire.

La garde du lion était là pour ça.

Leur charge héroïque avait eu raisons des quelques orcs qui avaient profité de cet instant de flottement pour atteindre les lignes arrières des elfes. Mais rapidement, il fallait mettre pied à terre pour atteindre leur objectif au cœur de ces marais.
L'immense créature qui leur faisait face défiait l'imagination. Aucun vent ne saurait le souffler hors de ces marécages, son envergure gigantesque rendait impossible un quelconque contournement, il fallait la vaincre le fer à la main.

Prenant la tête de la troupe assemblée, Eriossar par son attitude galvanisa ses hommes qui s'organisèrent derrière lui. Les porte-boucliers se placèrent au premier rang, le second rang était composé alternativement de guerriers armés de lourdes haches et marteaux, tandis que le troisième était composé de lanciers aguerris. Ils se mouvaient ensemble telle une colonie d'insectes mus par l'instinct. Dans un étrange ballet, redoutable et fascinant, de pelisses léonines immaculées, ils progressèrent en direction du centre du conflit.

A leur suite, les soigneurs s'occupaient de relever les blessés et de transporter les tués, pendant qu'ils contraient avec méthode les assauts furieux de la bête, tantôt esquivant ses tentacules, tantôt les frappant du tranchant de leurs armes et parfois encaissant en commun ses coups de boutoir répétés.

Mais combien de temps pourraient-ils tenir à ce rythme ? Sauver les leurs était une chose, vaincre ce monstre en était une autre. Eriossar perçu un goût métallique dans sa bouche, cette sensation lui rappelait qu'il était vivant. Il avait, à cet instant présent, la pleine certitude d'être là où il devait être, que son destin s'accomplirait ce jour ou ne s'accomplirait pas. Ce goût serait-il celui de la victoire, ou bien un prélude funeste à l'amertume de la défaite ? Quel qu'ait été son sentiment profond il avança irrémédiablement, l'épée à la main, vers son destin et celui de son peuple.

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