[R-PVP] Politesses dans la forteresse du Jarl
#8
Sighild avait fui la surveillance du guérisseur d'Emelinde qui n'aurait sans doute pas apprécié qu'elle coure ainsi la campagne avec ses blessures encore mal cicatrisées, et avait rejoint la ligne de front aussi rapidement que son corps endolori le lui avait permis.
Elle avait gagné les abords de la forteresse d'Aaren. Quelques-uns de ses frères et sœurs agars s'étaient portés au-devant de l'ennemi, mais la plus grande partie de sa troupe était encore en train de se préparer au combat. Son sang ne fit qu'un tour : il n'était plus temps de se préparer ! Leurs ennemis prenaient possession de la forteresse, et quelques-uns des leurs étaient seuls contre l'arrière-garde adverse. Elle rallia quelques combattants et rejoignit en courant l'entrée de la bâtisse dont les hauts murs projetaient leur ombre inquiétante sur les forces en présence.

D'une façon ou d'une autre, leur arrivée sembla prendre leurs ennemis complètement au dépourvu. Les sorts fusèrent, les carreaux sifflèrent, les lames tranchèrent. En quelques secondes, trois adversaires furent au sol, et un quatrième isolé tandis que ses frères d'armes se repliaient vers la forteresse.

Un dernier Elfe franchit les lourdes portes de bois, laissant à son sort son frère d'armes talien, et invectivant les Agars, leur reprochant les crimes commis contre les Elfes des neiges.

Sighild soupira en pensant aux Elfes des neiges qu'elle avait elle-même rencontrés, et aux quelques-uns avec lesquels elle avait pu discuter plus longuement. Leur situation était déplorable, et les Agars en portaient une part de responsabilité énorme. Mais les évoquer ici était indécent. Les évoquer ici était instrumentaliser leur détresse pour justifier cette invasion et se donner bonne conscience. Les évoquer ici était omettre le fait incontestable que les Elfes d'Asteras avaient non seulement abandonné leurs cousins du nord face aux Agars, mais s'étaient empressés de commercer avec ces derniers.

Il ne se passait pas un jour sans que les routes des Agars ne soient parcourues par des caravanes marchandes en provenance ou à destination de l'Erion, au grand écœurement de Sighild. Elle s'imagina des Elfes à l'abri de leur riche demeure d'Asteras, blâmant les Agars pour la situation des Elfes des neiges tout en savourant des mets délicats préparés avec des matières premières achetées à Björnhill.

Sighild ignorait l'histoire de cet Elfe, mais elle comprenait sa douleur. Ce qu'elle avait vu à Cyrijäl lui avait serré le cœur, et les exactions de Stirling la remplissaient de honte, mais cet Elfe-là semblait avoir traversé bien pire à cause de ce conflit insensé. Mais sa haine des Agars ne devait pas occulter le fait que, par leur passivité dans la guerre et leur aide financière dans le commerce, les Hauts-Elfes étaient complices de la situation des Elfes de Cyrijäl.

La jeune femme fut tirée de ses pensées par le bruit des barricades que les Elfes et les Taliens commençaient à mettre en place derrière les portes. L'entrée du fort était désormais sous contrôle agar, et elle se tourna vers le dernier Talien restant. Il avait belle allure, le port altier et le regard fier. Probablement le fils d'une maison noble d'Yris.

Il était encerclé. Il était seul contre une quinzaine d'Agars.
Rends-toi, pensa-t-elle, joue pas au con et rends-toi. Tu ne peux pas gagner ce combat. Ses yeux vert émeraude étaient plantés dans le regard azur du jeune homme qui balayait les hommes et les femmes qui, doucement mais sûrement, se plaçaient autour de lui tels une meute de loup autour d'un grand cerf blessé. Que ton honneur aille se faire foutre, sauve ta peau ! Le Talien eut un sourire teinté de tristesse et leva son épée. Sighild se crispa instantanément. Ses poings serrés faisaient blanchir ses phalanges tandis qu'elle lui hurlait intérieurement de renoncer. Les secondes lui semblaient s'égrener au rythme des heures.
Puis il frappa, dans un ample mouvement de son épée. Sighild étouffa un cri et leva une main pour lancer un sort mais ses frères d'armes furent plus rapides. Ils furent sur lui en un clin d'œil, tandis que résonnait le vrombissement caractéristique de l'arbalète de Morane. Tout fut fini en un instant, et lorsque les Agars s'écartèrent, le jeune guerrier gisait dans la neige que son sang chaud rougissait en une auréole de mort qui s'étendait derrière son visage crispé par la douleur. Une ultime bouffée de vapeur se forma à la commissure de ses lèvres tandis qu'il rendait son dernier soupir. Une dernière bouffée d'air chaud dans l'atmosphère glaciale du champ de bataille.


Quel gâchis...

Tandis que les Agars s'écartaient du corps pour retourner vers la forteresse, elle s'en approcha au contraire. Elle vit Einar faire de même, et glisser quelque chose dans la main du gisant. Sighild le connaissait mal, mais voyait en lui un Chaman respectable et digne de confiance. Un Chaman qu'elle savait poursuivre des objectifs communs aux siens. Un Chaman avec lequel elle pourrait sans doute œuvrer de concert pour en atteindre certains.
Peu importe ce qu'il venait de faire : c'était sans doute dans le plus grand respect du guerrier tombé au combat. Son regard croisa le sien lorsqu'il se releva, et elle crut déceler un forme de tristesse ou de lassitude dans ses yeux bleu profond. Il la dépassa en s'avançant vers la muraille tandis qu'elle gardait une distance respectueuse avec le corps.

Ce conflit était absurde. Et cette mort était inutile. Tout comme l'étaient les morts qui avaient précédé la sienne, et tout comme allaient l'être celles qui la suivraient.

Pourquoi avait-il fallu que les Elfes et les Taliens se mêlent-ils de cela ? Pensaient-ils vraiment aider les Elfes des neiges ? Pensaient-ils vraiment contrecarrer les plans des Holdars ? Ou n'étaient-ils que les pions des jeux politiques de ceux qui les avaient envoyés mourir ici pour tenter d'étendre leur sphère d'influence au nord ?


"Maudits soient Aaren et les Holdars pour avoir causé tout ceci, murmura-t-elle pour elle-même. Maudit soit l'orgueil des dirigeants Elfes pour les avoir poussés à intervenir de la sorte. Et maudit sois-tu Stirling, ajouta-t-elle encore plus bas, pour que nul ne puisse l'entendre, pour le mal que tu fais à notre peuple et au leur, sans lequel nous n'en serions probablement pas là aujourd'hui..."
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