Pas de Kriss, mais des crasses.
#4
Je regardais cette gamine présomptueuse à genoux face à moi, désarmée et vulnérable. Il ne subsiste plus de sa fierté qu'une grande incompréhension, qui ne tarderait pas à être succédée par une colère sourde.
Néanmoins et même si je sortais « victorieuse » de cet affrontement –si on peut appeler ce vulgaire jeu de passes ainsi- je n'en menais pas large pour toute autre raison et tachais au mieux de conserver comme expression faciale un masque de fer, imperturbable et insondable.
Même si je n'avais réalisé que quelques pas d'esquive, de simples parades et un mouvement de désarmement à portée de n'importe quel novice, mon bras armé me torturait déjà, et de vieilles douleurs dans mon dos s'étaient réveillées.
Je luttais ferme pour ne pas montrer une bribe de souffrance sur mon visage et me maintenir debout. Cela requérait déjà un effort considérable. J'ai bien fait de boire ce verre de vin qui me donne de la contenance, sinon je serais sans doute déjà par terre, essoufflée et miséreuse.
Quoi que… Ma fierté serait bien capable de m'obliger à rester droite comme un piquet jusqu'à mourir d'épuisement plutôt que de donner une once de satisfaction à cette fillette.
Stupide bornée que je suis. Être une femme de caractère n'est pas simple tous les jours pour les autres, mais également pour soi-même, j'en témoigne.

Je reste quand même surprise –et pas dans le bon sens du terme- à quel point ce simple exercice m'a exténué. Je me savais affaiblie depuis mon épisode dépressif, mais pas à ce point… Il est inconcevable que je reprenne l'épée un jour. A cette pensée, une vague de tristesse m'envahit mais je n'en laisse rien paraître et me ressaisis vite. Je le savais déjà d'avance. Je ne suis pas du genre à me faire des illusions. Aux autres non plus d'ailleurs. Et cette petite va bien vite l'apprendre à ses dépens.

De plus ce petit « duel » - encore une fois, mérite-t-il ce genre d'appellation? - a pour une fois remonté en moi des souvenirs plus agréables, qui me permettent de mieux supporter la douleur. Des images des nombreux entraînements aux armes avec Nimor et le reste de la troupe me reviennent.
Cet enchaînement… Je ne le connais on ne peut mieux, et je l'ai reconnu dès le premier geste de Dyanese.
Je n'ai rien à redire sur la reproduction de l'enchaînement. Je pourrais même dire que c'était bien… Si j'enseignais à une môme de 4 ans, qui en est encore à apprendre par cœur ses fables et poèmes.
Celle-ci en a sans nul doute l'intellect, mais son physique même si tenant de la gamine acariâtre, lui permet de bien meilleures prouesses. Quel potentiel gâché… Nimor a bien fait de faire appel à moi au final –même si je m'en serais toujours aussi bien passé-, sinon sa fille aurait fini comme un chat de salon qu'on expose aux regards et caresses des invités comme objet d'exposition familial, et aurait couvert sa famille d'opprobres et de honte si elle décidait sur un coup de tête –qui est une méchante habitude des femmes, j'en sais quelque chose- de se lancer dans une carrière martiale.
Je plonge mon regard dans celui de la gamine suite à sa question, et répond d'une voix posée :
“- Tu aurais été plus attentive tout à l'heure à ce que t'as dit ton père tu aurais eu ta réponse, plutôt que te laisser envahir par tes émotions.
Quant à cette technique, je la connais de longue date.
Ce n'est ni plus ni moins ton père qui me l'a enseignée.”


Ce qui était faux. C'est moi qui ai conçu cette technique et l'ai apprise à Nimor.
Mais elle n'a pas besoin de le savoir. Cette petite peste en a déjà suffisamment pris pour son grade. D'autant que je vais de suite en rajouter une couche…

Je laisse échapper un soupir que je souhaite exaspéré et lance, indifférente, tout en allant poser l'épée d'entraînement sur le ratelier :
"Je t'ai sous-estimée…
Je pensais que tu serais une mauvaise escrimeuse. Mais je me suis trompée… Tu es complètement incompétente.
Apprendre par cœur des passes d'arme c'est bon pour les combats d'apparats et d'exposition avec des garçons d'écurie, qui feront semblant d'être vaincu pour te faire croire ta domination alors que leur seul intérêt est de te séduire pour te cubulter plus tard. Mais face à un adversaire un minimum expérimenté, c'est toi qui te retrouvera étendue au sol, et pas par comédie.
Même un enfant des rues se bat mieux que ça, car la dure loi de la rue et des quartiers pauvres lui ont appris à s'adapter et improviser. Deux éléments essentiels qui figurent dans le style de tous les plus grands escrimeurs d'Ecridel -et je n'inclus pas les escrimeurs d'apparat et d'exposition bon pour divertir la noblesse-, mais qui sont complètement absent du tiens. En combat réel, ton adversaire ne va pas se contenter que tu termines gentiment ton enchaînement, coincer ton épée en bois sous son bras et de crier de manière théâtrale « Je suis mort ! » avant de s'effondrer sur le sol.
Je ne peux rien t'apprendre dans cet état.
Ton père ne t'a enseigné que les basiques par manque de temps et aussi sans doute pour te préserver, et tu ne les as insuffisamment travaillés et approfondis pour en tirer quoi que ce soit. Heureusement, c'est moi qui vais dès à présent diriger ton entraînement martial, et contrairement à Nimor, j'ai -hélas- tout mon temps à te consacrer… Ainsi qu'Hidan, un maître d'arme un peu rude, mais talentueux. Je concevrais et dirigerais les exercices, lui te servira de partenaire pour l'entraînement. Et je te préviens d'avance, il n'est pas payé pour faire patte molle et te préserver.
A nous deux nous saurons faire de toi une guerrière… Enfin, plutôt les prémices, la suite ne dépendra que de toi, même si je ne nourris pas beaucoup d'espoir. Mais ce sera toujours mieux que ce que tu es actuellement, c'est-à-dire une petite poupée de chiffon qui agite sa brindille avec l'espoir vain de toucher par la chance du hasard quelques mouches au passage.”


Puis me retournant vers elle, ajoute :
« Allons à la bibliothèque à présent pour que tu me montres où tu en es dans l'apprentissage des notions théoriques et des sciences. »
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