Pas de Kriss, mais des crasses.
#1
Les rayons du soleil éclairaient à peine la chambre au premier étage que les yeux de Dyanese étaient déjà ouverts. La journée promettait d'être radieuse, et son déroulement alléchant : la jeune femme s'en extasiait d'avance. Elle bondit du lit et quelques mouvements suffirent pour se vêtir d'une tunique matelassée, de bottes de cuir épais, et pour tresser sa longue chevelure brune. Elle attrapa d'une main une épée de bois et une longue cape blanche avant de se glisser hors de sa chambre.

Dévalant deux par deux les marches de l'escalier menant au hall du rez-de-chaussée, elle allait enfin troquer son arme en bois pour une épée en fer, avant d'effectuer quelques enchaînements militaires avec son père. La jeune femme s'enorgueillissait de cette nouvelle promotion. Sa mère, elfe d'une élégance remarquable, l'attendait au pied de l'escalier pour lui remettre un morceau de pain en guise de petit déjeuner. La remerciant avec un sourire angélique, elle enfourna la moitié de son pain dans la bouche avant de se diriger d'un pas décidé vers le bureau de son père.

Elle profita de cet instant pour se remémorer ses précédentes leçons : ne pas perdre des yeux son adversaire, jauger ses qualités de bretteur, ne pas sous-estimer sa dextérité… Tant de conseils qu'elle avait découvert à ses dépends. Son père commençait toujours par donner le thème de la leçon avant de le mettre en oeuvre, et il fallait une bonne dizaine de cuisants échecs pour comprendre sa signification. Bien que l'apprentissage était humiliant, Dyanese appréciait ces moments passés avec son père et ne les changerait pour rien au monde. Qu'elle était fière d'être sa fille !

Des armoiries embellissaient le hall et ne manquait de le rappeler à un visiteur l'histoire du propriétaire de la demeure et des terres avoisinantes. Ancien général et fin stratège, il se démarqua des autres taliens de son rang lors d'une bataille dans les marais de Ténagos en proposant une tactique audacieuse mais payante. L'ennemi a été complètement éradiqué au prix d'un bataillon. Les hautes sphères - les Caldras - ne le félicitèrent de cette décision et le propulsèrent dans une classe privilégiée : celle des chevaliers. Victime de son succès, il n'a cessé de gravir les échelons et a du troquer son épée pour une plume et de l'encre afin de gouverner, en qualité de numerth, ses terres nouvellement acquises. Son père lui avait conté maintes fois cette histoire, et elle ne s'en laissait jamais. Il était, à ses yeux, un héros.

La porte du bureau était fermée, et l'adolescente s'arrêta devant. Elle ajusta la cape autour de son cou avant de toquer avec son épée en bois. Les nouvelles fonctions de son géniteur l'accaparaient de plus en plus, et le dernier moment de complicité remontait déjà à quelques semaines. Cette attente interminable s'ajoutait à l'excitation causée par la nouveauté. Une voie un peu bourrue s'éleva de la pièce lui indiquant d'entrer et Dyanese s'exécuta.

Lorsqu'elle franchit le seuil, elle aperçut un bureau encombré de parchemins. Un homme d'âge mûr était assis derrière le bureau, plongé dans la lecture d'un document. Ses cheveux désordonnés contrastaient avec sa tunique raffinée, les yeux fatigués témoignaient d'une longue nuit de travail. Concentré, il ne remarqua même pas la courbette de sa fille pour le saluer. Le mur derrière lui était recouvert de reliques du passé, épées, boucliers et lances, aucune n'était décrochée pour la séance d'entrainement. Avait-il oublié sa leçon particulière ?
.
L'homme stoppa sa lecture et leva la tête pour s'adresser à la nouvelle venue.

Ma fille, te voilà si grande ! où sont passées les années où je te tenais encore dans les bras ?

Sa remarque fut accueillie par un sourire charmeur, et l'incita à poursuivre.

Comme tu le vois, je croule sous le travail, des tâches barbantes ne souffrant d'aucun délai. Je ne peux donc assurer ta formation aujourd'hui.
- Mais Père, vous aviez promis ! Je me réjouissais de partager ce moment avec vous !


Il avait toujours honoré ses promesses et sa déception n'en fut que plus grande. Pourquoi une soudaine annulation de ce moment de complicité ? L'avait-elle déçu ? Un sentiment de tristesse l'envahit et elle dût rester droite pour refouler ses larmes.

Je lis dans ton regard ta déception, mais je ne vais pas ajourner ta séance pour autant. Une personne digne de confiance l'assurera à ma place.

Un courant d'air fit claquer la porte du bureau et la jeune femme pivota d'un bond. Elle était là, adossée au mur et cachée par la porte lors de son entrée. Son regard semblait perdu et pourtant elle la fixait. Cette vieille talienne se permettait de venir dans sa maison, de s'immiscer dans sa vie, de voler un moment de complicité avec son père. Son chagrin mua en colère. Cette étrangère n'était pas la bienvenue, qu'on la jette dehors ! Se retournant vers son père, courroucée, elle répliqua.

Comment pouvez vous confier ma formation militaire à cette…chose ?

La réponse ne se fit pas attendre, et le ton sévère l'intima à ne pas rétorquer.

Il suffit ! Elle a prouvé mainte fois sa vaillance au combat lorsqu'elle était sous mes ordres et je ne tolérerai aucune insulte à son encontre. Garde ta langue de vipère pour les adversaires que tu rencontreras. Elle sera ta tutrice et te consacrera bien plus de temps à ton apprentissage que je ne saurai le faire. Alors ravale tes propos injurieux et écoute ses conseils avec attention. Va dans la cour lui montrer ce que je t'ai enseigné !

Ce discours stoppa sa rage en un claquement de doigts, il avait su choisir les mots pour la calmer. Était-ce là une nouvelle leçon : comment ne pas expulser sa colère ? Elle en doutait car ce changement ressemblait fort à une punition. La vieille talienne ne remplacera jamais son père, elle ne mérite pas cet honneur, elle… mérite d'en baver.

Avec un sourire malsain, elle leva les bras en arrière afin d'effectuer une révérence. Se penchant en avant, elle visualisa du coin de l'oeil la position de sa nouvelle mentor et d'un mouvement de poignet, elle envoya valser son arme en bois dans sa direction. Si le geste ne pouvait la blesser, sa signification était claire. Elle se releva et sortit de la pièce en jetant un regard froid à l'inconnue.

Tu ne perds rien pour attendre, sale cancrelat !

pensa-t-elle.
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