Voyages d'un marchand de tout et de rien - épisode septentrional
#5
Retour a Bjornhill, le convoi était arrivé à destination.

C'était si loin déjà dans son souvenir, mais Tasr'Amuk eut un instant d'hésitation, aux portes d'une construction vaguement familière devant laquelle les gardes, peu bavards sur le trajet retour, l'avaient escorté.

Il crut reconnaître la demeure du prêtre qui l'avait piégé, mais comment savoir s'il ne faisait pas erreur. Plusieurs bâtiments de notables se ressemblaient à Bjornhill.

De toute façon quel choix avait-il encore. Les gardes ne le laisseraient pas prendre le large et disparaître en ville.

Il entra et se laissa conduire à une nouvelle cellule.

Le sol et les murs de pierre froide, pas de mobilier, Tasr'Amuk se dit que si cela devait devenir sa nouvelle prison, il avait définitivement perdu au change.

Il réalisa qu'il aurait pu connaitre bien pire que son ancien pénitencier et ses règles permissives.

Comme ils étaient arrivés en ville tard dans la soirée, on laissa Tasr'Amuk seul dans cette pièce, rapidement verrouillée, et il comprit qu'il allait devoir passer la nuit à même le sol.

Toute cette histoire s'annonçait plutôt mal à ce stade.

Pourtant on avait laissé a Tasr'Amuk ses vêtements de fourrures, rassemblés a la hâte pour le voyage, ses affaires, emballés dans un sac.

Le vieil homme se posait des questions sur son sort et eut beaucoup de mal à trouver le sommeil.




Pourtant le lendemain les choses évoluèrent de façon étonnamment positive. On lui apporta d'abord une bassine pleine d'eau chaude et des linges. Les servantes lui expliquèrent qu'on attendait de lui qu'il se lave et se débarrasse de la crasse du voyage.

Il était ensuite attendu par la maîtresse des lieux à l'étage.

Tasr'Amuk, s'exécuta, toujours intrigué, et une fois propre et habillé, se laissa conduire à cette entrevue.




La femme Agar était jeune. Elle était belle aussi, Tasr'Amuk le nota dans un coin de son esprit. Ce détail qui sautait aux yeux dès le premier regard, n'avait peut-être aucune importance, puisqu'il était lui-même beaucoup trop âgé à présent pour imaginer un quelconque jeu de séduction dans la négociation à venir avec cette femme.

Lorsqu'il se présenta devant elle, elle le dévisagea quelques instants sans rien dire.

Tasr'Amuk ne dit rien.

Elle essayait probablement de le jauger selon des critères dont il n'avait aucune idée.

Que pouvait-elle bien lui vouloir ?

D'après la robe en velours de facture très simple mais de qualité exceptionnelle qu'elle portait, on pouvait sentir qu'elle n'avait pas de complexe à manifester sa richesse matérielle sans extravagance.

Malgré son jeune âge, une jeune femme à peine sortie de l'adolescence, elle avait déjà une attitude qui indiquait une certaine habitude à prendre des décisions et à commander.

C'était sans doute possible la maîtresse des lieux.

Elle portait pour seuls bijoux un collier supportant le poids d'un talisman en pierre ciselé comme de la dentelle.

Tasr'Amuk gardait cette faculté issue de son ancienne vie d'apprécier rapidement la valeur des objets et dans ce cas précis, il y avait de fortes chances au vu de la complexité du motif que le talisman soit doté de propriétés magiques.

Vu de loin cela aurait aussi pu être une vulgaire imitation, mais l'ancien marchand écarta rapidement cette hypothèse car il ne pensait pas la jeune femme naïve.

Il restait à déterminer si le talisman possédait un pouvoir autonome, peut-être une protection ? Ou si c'était un focus arcanique.

Alors qu'il se perdait lui-même dans des déductions mentales incertaines, la femme prit la parole.

« Etes-vous le marchand d'ingrédients ? »

Tasr'Amuk cligna des yeux ne sachant s'il devait nier ou jouer franc jeu.

« J'étais un marchand itinérant dans une autre vie. Mais je pensais peu nombreux ceux qui sauraient se souvenir de moi, et encore moins dans cette ville.

- Je suis Némée Edenlock. Mon père Loggi m'a parlé de vous. »


Son père ?

Etait-elle la fille du Gothar ?

Tasr'Amuk se souvint qu'il lui avait semblé reconnaître la demeure.

Mais qu'était-il advenu du traître ? Quel rôle jouait sa fille à présent ?

« Je me doute que vous nourrissez des ressentiments à son sujet … »

Des ressentiments, le mot était faible, mais l'hélion avait fini par tourner cette page douloureuse, abandonnant avec les années toute idée de vengeance.

« … mais sachez que malgré la nécessité qu'avait mon père de vous faire disparaitre, il vous tenait en haute estime suite à ce que vous avez réalisé. »

Tasr'Amuk était maintenant complètement perdu. A quel jeu jouaient cet Agar et sa fille ?

Voyant qu'elle embrouillait l'esprit de son prisonnier, la jeune femme tenta de prendre une autre approche en reprenant du début.

« L'année dernière, mon père a disparu.

Il était au sommet de sa gloire, son influence dans la cite et dans l'église était plus grande que jamais et pourtant du jour au lendemain il est parti sans explications.

Son départ soudain m'a laissé à la tête de sa maison et je fais de mon mieux pour faire face mais je ne pouvais rester sans comprendre ce qui s'était passe et savoir ce qu'il est devenu.

Alors j'ai fouille ses affaires et découvert qu'il avait installé ici-même dans nos caves un laboratoire secret dont il avait caché même à moi l'existence. »


La fille laissait à présent s'exprimer un mélange de déception, de frustration et de colère. Elle reprit cependant vite le contrôle.

« Peut-être m'a-t-il jugé trop jeune pour m'inclure dans son projet ?

Dans son laboratoire j'ai retrouvé des notes. Des notes incomplètes mais qui me firent avancer. Son installation servait principalement à préparer un Elixir. »


Tasr'Amuk toujours attentif comprit à ce moment qu'il y avait finalement un lien avec sa propre histoire.

« Un Elixir de Révélation …

… un procédé en lien avec la sphère de Dagan et l'élément lumineux …

Mais je n'ai malheureusement pas trouvé de notes expliquant ce qu'il cherchait à révéler ni pourquoi.

En revanche je sais qu'il a réussi à concevoir la mixture. D'après ses notes il y en avait juste assez pour deux fioles.

J'en ai retrouvé une, cachée astucieusement dans notre cave à vin. Mais je suis quasi sûr qu'il est parti avec la deuxième. »


Tasr'Amuk posa alors la question qu'il n'osait pas poser jusque-là.

« Certes cela semble crédible, mais … moi … qu'attendez-vous de moi ?

- Et bien il a mentionné quelque part la détermination dont vous avez fait preuve pour réunir les ingrédients. Apparemment vous êtes doué pour aller trouver des choses inaccessibles et vous n'abandonnez pas. Il écrivait aussi que c'était du gâchis de devoir vous faire disparaître.

J'ai cru d'abord qu'il vous avait tué.

Je comprends à présent qu'il avait une obsession maladive du secret autour de cette entreprise et je ne sais toujours pas pour quelle raison.

Mais un jour en relisant nos comptes, j'ai trouvé des lignes justifiants certaines dépenses visant à faciliter le transfert, sans jugement, d'un individu vers le village-prison.

J'en ai déduit que c'était vous et je vous ai fait chercher.

Que savez-vous de tout ceci. Etiez-vous son partenaire ? »


Tasr'Amuk prit une grande inspiration avant de répondre.

« Malheureusement non.

J'étais un marchand d'ingrédients et il m'avait engagé pour cette recherche en me faisant miroiter une offre aussi tentante qu'illusoire au final. J'ai trouvé moi-même la recette dans la grande bibliothèque de Babylios puis les ingrédients un a un, mais je suis au regret de vous dire que la recette n'indiquait rien, rien de plus que le fait que cette préparation servait dans les cérémonies d'un ancien culte religieux. Je n'ai aucun indice sur ce qu'il voulait en faire et ne suis moi-même pas un expert en théologie. »


L'hélion se demanda si tout allait en rester là, et si cet aveu d'impuissance serait suffisant à le faire libérer.

Mais Némée semblait réfléchir.

Elle se dirigea vers un coffre dont elle sortit un masque blanc.

Elle revint vers le vieil homme.

« C'est regrettable que vous ne sachiez même pas pourquoi vous avez été traite de la sorte. Et je n'en sais rien moi non plus. Mais je veux savoir et j'ai encore besoin de vous.

Je vais vous confier une mission. »


Tasr'Amuk attendit. Le mot mission pouvait à la fois annoncer une opportunité inespérée de changer sa situation ou un nouveau calvaire à venir.

« Vous allez retrouver mon père.

Qu'il soit mort ou vif, je veux que vous le retrouviez. »


Le ton était impérieux. La dame ne souffrirait aucune contestation et pourtant Tasr'Amuk explosa.

« Vous ne pensez pas que ça suffit vos histoires ? J'ai déjà payé pour cette folie ! Je n'en ai rien à faire moi des Elixirs de révélations et des gothars illuminés ! Je veux juste partir, reprendre ma vie d'avant, parcourir le monde à nouveau avant d'être rattrapé par la mort. Je ne suis plus tout jeune, Mademoiselle. J'ai depuis longtemps passé l'âge pour ce genre d'aventures. »

La femme ne se laissa pas attendrir.

« Et pourtant, Monsieur, techniquement vous êtes toujours mon prisonnier. Et si vous ne voulez pas m'aider je vais juste vous renvoyer dans le nord. »

Son expression s'adoucit,

« Mais si vous acceptez de m'aider, la liberté semble une récompense tout à fait envisageable.»

Tasr'Amuk ne dit rien, attendant la suite.

« Bien, ceci dit vous ne pourrez pas m'aider en restant captif dans un village perdu. Et si je vous lâche dans la nature à la recherche de mon père, je n'aurais plus aucun contrôle sur vous, et donc aucune garantie que vous tiendrez parole.

J'ai donc enchanté ce masque pour remédier à ce problème. Son fonctionnement occulte n'est pas bien difficile à comprendre. C'est un canal magique. Quand vous le porterez j'aurais le moyen de voir ce que vous voyez. Et si je sens que vous vous détournez de ma mission, ce masque peut me servir aussi à vous lancer des malédictions quelque-soit la distance. Enfin j'ai rajouté un enchantement pour qu'il ne puisse être retiré. »


Tasr'Amuk soupira.

Il était tombé sur une sorcière sadique et féticheuse.

« Le choix vous appartient à présent.

La quête … ou la détention. »


Elle lui tendait à présent le masque et une petite bouteille contenant un liquide faiblement luminescente qui devait contenir le fameux élixir.

« Je vous confierai aussi la seconde fiole qui sera sans doute nécessaire pour suivre mon père là où il s'est rendu. Votre futur ne dépend que de vous et de votre coopération. »

Tasr'Amuk hésita car la vie dans le village de pécheur n'était au fond pas si mauvaise.

Mais il était un nomade dans l'âme.

Il prit le masque et la fiole.
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