Un bandit cogne toujours deux fois
#16
Le dernier contrebandier s'écroule sur le dallage humide et visqueux dans un râle étouffé par le sang sortant de façon incontrôlé de sa bouche.

Une fois qu'il s'immobilisa complètement et définitivement, un élan de soulagement et de triomphe parcouru le groupe rassemblé et serré dans cette salle et ce couloir étroit.


La tension descend d'un coup et l'ambiance commence à se détendre.

Les visages se décrispent peu à peu, et quelques sourires et plaisanteries commencent à fuser ici et là.

Et pour une fois, je n'y prends pas part.
Ni railleries sur mes compagnons. Ni moqueries du Dyanese.

Je reste de marbre face à ce que les jeunes semblent considérer comme une victoire, et reste totalement imperméable à l'égaiement général.


Il y a un engrenage manquant qui empêche la boucle de s'accomplir correctement. Et tout comme un ingénieur en chef qui reste insatisfait tant que le mécanisme ne fonctionne pas à la perfection et ne produit pas la douce mélodie de l'enchaînement parfait des rouages, je ne peux me satisfaire de ce résultat.

L'absence de cet élément –pourtant flagrant- ne semble pas inquiéter plus que ça les jeunes.

L'inexpérience leur confère une espèce de niaiserie et d'innocence, peut-être touchantes pour certains, mais intolérables pour moi, surtout dans pareille situation.
Ne prennent-ils tout cela que pour un jeu ? Bref.

Ne vous emballez pas et ne vous dispersez pas, gamins.
Ce n'est pas fini.


Même si les deux derniers adversaires étaient de loin plus redoutables et coriaces que les précédents, aucun n'avait l'aura caractéristique d'un meneur.
Comment je le sais ? J'ai suffisamment croiser et soutenu le regard d'une personne apte à diriger, qu'elle soit alliée ou ennemie, en recevant un ordre ou avant de l'achever, pour reconnaître ce détail au premier coup d'œil.

Le chef de ces contrebandiers est absent. C'est une évidence.
Deux hypothèses possibles.
Non. Trois.

Première : il s'est enfui en nous entendant arriver. Dans ce cas, les preuves importantes pour opérer au démantèlement du réseau ont été emmenées avec lui. Sans nul doutes. On ne peut pas diriger ce genre de réseau sans posséder un minimum de jugeote, sinon on ne dure guère longtemps dans ce milieu.
Mais les ennemis rencontrés ne m'ont pas paru montrer le comportement typique des gars laissés à eux même afin de couvrir leur chef et avec lui tous leurs secrets ainsi que la plus grosse part du profit. Ils ont plutôt eu l'air surpris, se défendant par instinct pour leur survie et non pour défendre les intérêts de leur organisation.
Une personne qui en protège une autre, que ce soit par amour, fidélité ou intérêt a toujours une expression bien spécifique. Ce n'était pas le cas des hommes.

De plus, s'ils avaient vraiment voulu nous ralentir, ils auraient pu s'y prendre par plusieurs moyens, et ne seraient pas restés comme des idiots à rester coincés dans cette antichambre au nord. Ou alors ce sont des abrutis. Hypothèse plausible…
Mais non. Rejetée.



Seconde possibilité : ces égouts ne constituent pas le cœur névralgique du réseau c'est-à-dire : l'entrepôt principal. Ce n'est possiblement qu'un lieu de stockage secondaire, pour le surplus de marchandises ou le conditionnement en attente de livraison, cohérent si la production est éloignée ou si le réseau ne dessert pas qu'Asteras et est plus étendue. Dans ce cas, s'il est trouvé (comme ici), cela ne met pas en péril tout la chaîne.
Il y a également la possibilité que l'entrepôt principal soit bien dans ces égouts, mais localisé à un autre endroit dans ce dédale qui me semble beaucoup plus vaste qu'il n'en a l'air, et dont on n'aurait explorée jusqu'à maintenant qu'une petite partie.

Mais là encore, des arguments si opposent : pourquoi tant d'effectifs pour protéger un point secondaire, facile à sacrifier en cas de risques ?
Même si la majorité des brigands rencontrés étaient des masses de chair sans cervelle, main d'œuvre facile à manipuler, tout autant à abandonner et sacrifier, ils doivent néanmoins représenter un certain coût. De plus le nombre que nous avons rencontré jusqu'à présent est plutôt conséquent, trop pour garder un stockage optionnel. Et si le stockage principal était positionné à un autre endroit dans les égouts, la majorité des contrebandiers s'y seraient dirigés pour s'y rassembler et le protéger voir commencer l'évacuation des articles les plus précieux et des richesses.

Dans ce cas, soit le réseau est bien plus développé et conséquent que je l'avais supposé, et un point même secondaire pourrait ainsi faire penser à un entrepôt principal, et dans ce cas nous ne voyons que la queue du lycanthrope prêt à nous déchirer d'un coup de mâchoire, soit…

Troisième possibilité : le chef est absent, et n'est pas encore au courant de notre présence ici. Si c'est le cas, c'est une occasion rare et inespérée, beaucoup trop pour la laisser consciemment filer. Il faut à tout prix cacher les corps et nettoyer les traces de notre passage pour lui tendre une embuscade afin de le capturer puis l'interroger. Lui faire cracher le nom de ses fournisseurs et de ses clients. Et ce par tous les moy-


Un bruit étouffé retenti à l'instant. Derrière moi.
Ce bruit me rappelle quelque chose. C'est comme corde qui se ten-
MERDE.

Pas le temps de me mettre à couvert. Le tir est déjà parti.
Ou plutôt : LES tirs.
Une volée de flèches naît des ténèbres enveloppant le couloir derrière moi et que j'avais bien à tort et imprudemment, oublié, et foncent vers moi et ceux m'entourant.

Se mettre de profil. Lever les bras pour protéger la tête.
Mon entraînement se rappelle à moi tout comme la nécessité de respirer et expirer. Et mon corps agit de lui-même sous l'impulsion. Et je n'ai aucune raison de m'y opposer.

Heureusement, les tirs sont imprécis. Seule une flèche m'effleure le bras droit. Au niveau de l'entaille, j'aperçois la viscosité vert émeraude typique d'un poison.

La pluie mortelle s'arrête.
Je ne laisse pas le temps à la seconde salve de partir et me recule rapidement mais prudemment vers le couloir, faisant face à la menace mes bras toujours en bouclier devant ma poitrine et mon visage. Tout en battant ainsi en retraite je tente de discerner à travers l'obscurité l'origine des tirs.

Une silhouette se dessine dans le noir.
Son visage est sombre, mais j'aperçois le reflet de nos torches dans ses yeux. Je croise son regard.
Le chef. Nul doute possible.
Je n'ai pas le temps de l'examiner plus qu'il se tourne et disparaît dans les ténèbres.

La surprise de l'attaque déclenche un mouvement de panique dans le groupe.


Merde.
Tu as complètement foiré Elena !
A l'époque, je n'aurais jamais laissé une telle chose se produire. Comment j'ai pu oublier l'existence de cet embranchement ? Pourquoi n'y ai-je pas fais attention et ne l'ai pas surveillé tandis que les autres clampins se congratulaient bêtement ?
Est-ce que je me repose, à tort, sur ces mioches comme je le faisais avec mes anciens compagnons d'armes ?

Non. Inutile de rejeter la faute sur eux.
Je suis devenue sénile, incompétente et inapte à mon ancienne fonction.

Mais je ne vais pas pour autant me laisser abattre : la dépression et les regrets sont faisandés, et j'y ai suffisamment goûté dans le passé, assez pour en attraper une indigestion.
Maintenant je marche de l'avant. Et je vais corriger cette grossière erreur.

Tout d'abord la blessure. J'arrache sans hésitation un lambeau de la manche gauche de ma robe pour essuyer le poison en prenant garde à ne pas en mettre d'avantage dans la plaie, tandis que tous s'agitent autour de moi.
Une fois nettoyée, je saisis un bandage, l'enroule autour de mon bras au niveau de la blessure et serre.
Le problème de la plaie est réglé.
Je commence à sentir les effets du poison : nausées et frissons, mais à une intensité amplement supportable. Soit il n'est pas suffisamment puissant, soit il n'y a pas eu suffisamment de quantité qui ai pénétré mon organisme. Tant mieux.
Je regarde les autres blessés. Aucune blessures graves, toutes secondaires. Bien. Ils sauront se débrouiller sans moi.


Alors qu'ils sont déjà nombreux à se lancer à la poursuite du bandit, je me retourne, et remonte le flot à contrecourant en frôlant le mur, direction l'antichambre.

De par la nature de son attaque et sa « fuite », il est clairement évident que le contrebandier ne souhaite pas nous tuer, mais attirer notre attention dans le but que nous le poursuivons.
Technique typique d'une guérilla : attirer l'ennemi dans son environnement de prédilection pour l'y piéger et l'épuiser jusqu'à lui porter le coup fatal.
Tellement évident et prévisible.

Pour autant, je ne m'interpose pas devant ceux qui déjà accourent vers le couloir où a disparu l'ennemi, ni tente de les en dissuader. Je les laisse faire.
Une armée régulière ou un groupe basique sans plan adapté n'a aucune chance de triompher contre une guérilla. Aucune. Au pire, ils vont se faire massacrer –mais même s'ils sont incompétents, je suis confiante sur le fait qu'ils reculent et abandonnent au lieu de mettre leur vie en danger, aussi je ne m'en inquiète pas plus que ça- au mieux, le chef parviendra à s'enfuir.
Néanmoins, j'ai besoin qu'ils le suivent pour donner l'impression –pas si illusoire que ça- que son plan a fonctionné. Ainsi, j'ai le champ libre pour mettre en place les miens.


Cependant, la technique de la guérilla n'est pas ultime ni imparable : connaît aussi bien le terrain que ton ennemi, et son principal avantage disparaît.

J'arrive tant bien que mal à l'antichambre qui, si elle était encore bondée il y a à peine quelques minutes à cause de l'avidité et la hâte des jeunes qui s'imaginent toujours des trésors de monarque au bout de leur périple pour récompenser leurs efforts –attentes qui ont été assez vite et promptement déçues à ce que je peux deviner de leurs expression et de l'état encore bien préservé de la pièce et des caisses- se vider aussi vite qu'une choppe percée.
Tant mieux.
J'ai besoin de calme et de toute ma concentration pour la suite.

Sur le chemin, Illaria me donne une pièce, différente de celle utilisée usuellement dans notre économie, sans doute avec l'espoir que je puisse en tirer quelque chose. Je m'arrête, et procède à un premier examen qui, à première vue, ne me rappelle rien de ce que je puisse connaître. Je repère et mémorise chaque figure et caractères inscris aussi bien sur les faces que l'arrête, puis la met méticuleusement dans ma besace. Je conserve son image bien rangée dans un coin de mon esprit. Cela pourra resservir plus tard.
Je reprend ma route, jusqu'à arriver au centre de l'antichambre.

Je m'arrête et observe le contenu de la pièce.
Caisses, sacs, coffre –déjà fouillé, dont vient sans doute la pièce que m'a confié Illaria- et cadavres… Si je ne trouve rien de ce que je cherche, c'est que nous avons gravement contrarié les dieux, d'une manière ou d'une autre.


Il y a trois choses que je souhaite trouver dans cette salle :
- Un exemple de la ou de les marchandises qui sont au cœur des transactions et sur lesquelles le réseau semble réaliser son profit. Si possible, selon sa taille et sa nature, j'essayerais d'en récupérer un exemplaire. Un examen attentif réalisé plus tard pourra nous permettre d'en apprendre plus sur son intérêt -et donc quel type de public est visé et concerné par ce marché frauduleux- et ses divers composants –qui pourront peut-être nous permettre d'identifier les producteurs et/ou les fournisseurs-.

- Un courrier, une lettre, un simple mot… Qui permettrait d'identifier des membres du réseau, de préférence les mécènes, afin d'en informer la garde pour qu'elle puisse opérer à une vaste opération de démantèlement afin de mettre à terre définitivement ce commerce des bas-fonds.

- Enfin et non des moindres : un plan ou du moins un croquis des égouts. Ces derniers semblent labyrinthiques, auquel s'ajoute l'obscurité et le danger -que ce soit venant des rats ou des chutes qui peuvent se révéler nombreuses voir mortelles, comme a bien failli nous le montrer Evrard à ses dépens-, aussi il serait très étonnant qu'aucun des brigands que nous avons vaincus jusqu'à présent n'en possède un exemplaire, ou du moins quelque chose qui s'en rapproche.
Il serait également plus que surprenant que les contrebandiers n'utilisent que l'entrée officielle des égouts pour leurs allées et venues. J'imagine sans mal qu'il existe une autre sortie, par exemple celle permettant à l'eau de s'écouler dans la mer, mais j'ignore si elle est empruntable ou si une grille en bloque le passage et ne permet que l'écoulement des eaux usées. Et puis installer un entrepôt sans qu'il y ai plusieurs entrées et sorties possibles est plus que stupide : c'est irréalisable. Aussi nul doute qu'il doit y avoir des passages secrets, par le biais de canalisations suffisamment grandes pour être praticables, ou des bouches donnant sur différents endroits de la capitale. Si plan il y a, ces passages sont sans doute localisés dessus.
Je pense que mes plus grandes chances se concentrent au niveau des cadavres du brigand et du contrebandier qui semblait porter sur lui une bourse considérable ainsi que quelques ressources intéressantes. Ces cadavres ont déjà été pillés, mais mes prédécesseurs fouilleurs recherchaient des richesses ou des objets intéressants et utilisables. Moi, je recherche un bout de papier.
S'il faut, je n'hésiterais pas à les déshabiller entièrement pour trouver ce que je cherche : ces idiots ont parfois la manie de tatouer des plans et des informations cruciales sur leur corps. Stupide, mais je n'irais pas m'en plaindre si ça me permet d'obtenir ce que je recherche.


Bon.
Je relève mes manches, comme pour me préparer à une tâche physique intense, puis prend une profonde inspiration.
Au travail ma vieille !

Sans plus tarder je commence à m'atteler à l'examen attentif et rigoureux du contenu de chaque caisse, boîte et sac que contient cette pièce.

L'examen des cadavres viendra par la suite.
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